La protection des bases de données

La protection des bases de données

– Le BIM protégé en tant que base de données. – Le BIM met en œuvre une base de documents et informations indexés et classifiés dans la finalité d'obtenir plusieurs résultats issus de la réunion de ces données, tels que des visualisations 3D selon différentes requêtes, des calculs de surface, de matériaux, etc. Cette acception du BIM en tant que base de données peut donner lieu à deux formes de protection particulières : la première au titre du droit d'auteur, qui protège le contenant de la base et son architecture originale, et la seconde au titre du droit sui generis, qui protège le contenu de la base de données, en tant que masse de données constituant une valeur pour son producteur.
Le droit d'auteur porte sur le contenant de la base de données lorsque sont caractérisés des choix originaux et une forme de classification originale, constituant ainsi une forme d'œuvre de la part de son auteur. Le droit sui generis du producteur porte sur le contenu de la base de données lorsque sa constitution, son entretien ou sa représentation attestent d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Ces deux dispositifs bénéficient de textes spéciaux au sein du Code de la propriété intellectuelle.
– Les bases de données protégées par le droit d'auteur. – Le droit d'auteur sur les bases de données protège la « structure de la base » PE et Cons. UE, dir. 96/9/CE, 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de donnée, considérants 15, 35 et 58. , à savoir les « choix ou la disposition des matières » qui « constituent des créations intellectuelles » (CPI, art. L. 112-3, al. 1er), et qui forment l'architecture intellectuelle et technique de la base de données. Le critère déterminant de la protection est l'originalité de la structure de la base de données.. Le droit communautaire précise que ce droit naît lorsque « son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs, et imprime ainsi sa « touche personnelle » » CJUE, 1er mars 2012, aff. C-604/10, Football Dataco Ltd et a. c/ Yahoo ! UK Ltd et a., pt 38 et 45 : RIDA avr. 2012, p. 337, obs. P. Sirinelli ; Comm. com. électr. 2012, comm. 47, note C. Caron. .
– Le critère d'originalité, fondement du droit d'auteur. – L'originalité suppose un certain degré d'autonomie ou de pouvoir d'initiative du créateur qui va au-delà d'une simple réponse à des contraintes techniques. L'appréciation de l'originalité relève des juges du fond et la Cour de cassation exerce en la matière un contrôle restreint à l'existence d'une motivation. Le juge a, par exemple, pu retenir au sujet de la base du Guide Michelin que la disposition des données était « strictement fonctionnelle », pour conclure que le choix ou la disposition des matières « sont banals et ne constituent pas une expression originale de la liberté créatrice de son auteur » V. CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 oct. 2015, no 14/14239, SAS Michelin Travel Partner et SCA Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ SAS La Fourchette : Propr. intell. 2016, p. 69, note J.-M. Bruguière. .
– Les bases BIM protégées par le droit d'auteur. – Le processus d'alimentation et d'indexation de la base BIM n'est actuellement pas standardisé malgré l'émergence des normes ISO V. supra, no . , de telle sorte que sa création pourrait remplir la condition d'originalité et donner lieu au droit d'auteur. Il semble toutefois que la marge d'originalité se réduit à mesure que les guides et trames de charte BIM (cités supra, no ) sont diffusés et utilisés par les acteurs.
– L'originalité d'une base BIM. – Sur la condition d'originalité de la base BIM, le processus créatif pourrait avoir lieu en amont du projet au niveau de la maîtrise d'ouvrage lors de l'écriture de la charte BIM qui va exprimer la stratégie BIM et éventuellement préciser une forme d'architecture type. Dans ce cas, il n'est pas certain que, prise individuellement, la base BIM d'un projet donné soit l'objet d'un droit d'auteur dans la mesure où la base serait générique, mais la base BIM type pourrait bénéficier d'un tel droit.
– Un processus créatif plus ou moins important sur la finesse de programmation. – Si la charte BIM n'est pas renseignée sur les modalités d'alimentation et la trame de la base BIM, ce processus créatif pourrait être repoussé à la phase de programmation quand le maître d'ouvrage va préciser ses atteintes sur un projet donné telles que précisées dans le cahier des charges BIM. Dans ce cas, la base BIM pourrait naître en tant qu'œuvre dès l'écriture suffisamment précise du cahier des charges énonçant la méthodologie de la base BIM, qui pourra éventuellement se traduire dans une base BIM de programmation. Dans ce cas, il semble que la capacité créative des acteurs de la conception et de la réalisation sera difficile à rétablir, sauf à démontrer des modifications originales substantielles imputables à un ou plusieurs auteurs.
– Un processus créatif souvent reporté en phase conception. – Dans l'hypothèse fréquente où la documentation de programmation ne serait pas assez précise sur l'organisation future de la base BIM, la création de la base BIM sera reportée en phase de conception impliquant le BIM Manager et la maîtrise d'œuvre classique (architecte, bureau d'études, etc.), et le droit d'auteur existera si une originalité particulière est mise en œuvre pour construire la base BIM. Il semble que chronologiquement les entreprises ne soient pas impliquées dans le processus créatif de la base, qui doit intervenir avant la phase de réalisation. Il n'est pas exclu qu'une nouvelle base soit constituée avec le passage en phase exploitation, traduisant de nouveaux objectifs traditionnels et de nouvelles données propres à la vie de l'immeuble.
– Titulaire du droit éventuel sur l'œuvre. – La qualité de titulaire d'un droit sur la base BIM au titre de la protection des bases de données reviendra à un ou plusieurs auteurs dans les mêmes conditions que celles en matière de cession de droits d'auteur V. supra, no . . Il est donc essentiel d'organiser la cession des droits patrimoniaux du ou des auteurs et de qualifier les droits (œuvre collective, composite ou de collaboration) si plusieurs auteurs sont susceptibles d'en bénéficier. Si le processus créatif original intervient chez le maître d'ouvrage, cette cession devra éventuellement s'organiser avec l'AMO BIM missionné pour assister le maître d'ouvrage. En phase conception, la cession s'organisera avec le maître d'ouvrage, le BIM Manager et la maîtrise d'œuvre. Concernant la base BIM exploitation, le processus créatif impliquera le maître d'ouvrage, l'exploitant s'il est différent, éventuellement un locataire et tous conseils spécialisés en BIM exploitation. Le cas échéant la cession des droits devra être organisée dans le bail et les contrats avec l'exploitant ou tous conseils spécialisés.
– Les bases de données protégées par le droit sui generis . – La protection des bases de données trouve sa justification dans un « investissement financier, matériel ou humain substantiel » consenti par son propriétaire en vue de l'exploiter. Ainsi le droit sui generis sur les bases de données se justifie par une approche purement économique visant à encourager les investissements dans des bases de données JCl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1410, Droits voisins du droit d'auteur. – Nature des droits voisins, par X. Daverat. Avec l'article L. 341-1, il est clairement dit que les droits voisins assurent principalement la sauvegarde de l'exploitation commerciale. Avec le droit du producteur de bases de données, nous ne sommes pas très éloignés de la seule défense des investissements ». , sans qu'il soit nécessaire de démontrer une quelconque originalité. Le droit sui generis est attribué au producteur ou « fabricant », selon la directive 96/9/CE V. supra, no . , qui est « la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants ». Ce droit peut faire l'objet d'une cession ou d'une licence (CPI, art. L. 342-1).
– Preuve de l'existence d'un droit sui generis . – Il appartient à celui qui revendique un droit sui generis sur la base de données de démontrer l'investissement et sa finalité directement liée à la constitution, la vérification ou la présentation des données. La jurisprudence européenne distingue l'investissement pour la constitution des données qui « doit s'entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base » V. CJCE, 9 nov. 2004, aff. C-46/02, Fixtures Marketing Ltd. , de l'investissement en vue de créer des données, l'activité de création n'étant pas prise en compte. Les juges français ont repris cette distinction, et ont par exemple reconnu que le « droit sui generis n'est (…) pas destiné à stimuler la création de données, mais à rentabiliser l'investissement affecté à la constitution d'un ensemble informationnel » V. CA Paris, pôle 5, ch. 2, 23 mars 2012, no 10/11168 : JurisData no 2012-011871 ; D. 2012, p. 1060, obs. C. Manara. . Ainsi par exemple, en matière de BIM, les investissements exposés par le maître d'ouvrage pour créer les données, tels que le coût de la maîtrise d'œuvre ayant produit les plans ou encore le coût d'installation et d'entretien d'objets connectés pour un BIM exploitation, ne doivent pas être pris en compte.
En ce qui concerne l'ampleur de l'investissement « substantiel », les jurisprudences les plus connues la chiffrent en millions d'euros, mais le juge a pu reconnaître le droit sur la base de données en considération d'investissements s'élevant à quelques centaines de milliers d'euros V. TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 13 avr. 2010, no 09/03970, Sté Optima on Line : JurisData no 2010-010806 – « Ainsi, la société demanderesse démontre investir chaque année la somme de 600 000 euros dans la présentation, la mise à jour et la vérification de sa base de données France Prospect et répond ainsi aux conditions fixées par l'article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle ». .
– Le contenu des droits sui generis sur la base de données. – Le droit sui generis ne confère pas d'exclusivité sur une donnée en particulier, mais il organise une forme de réservation sur une « masse » de données, se traduisant par les droits d'extraction et de réutilisation. Ainsi, « Le producteur de bases de données a le droit d'interdire : 1o l'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ; 2o la réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme » (CPI, art. L. 342-1) CPI, art. L. 342-1. .
– Les critères qualitatifs et quantitatifs formant un investissement considérable. – L'investissement substantiel dans une base de données peut se quantifier selon une approche qualitative (valeur) ou quantitative (volume relatif), qui est le reflet de l'ampleur de l'investissement requis pour l'obtention d'un droit sui generis V. CJCE, 9 nov. 2004, aff. C-203/02, The British Horseracing Board Ltd, qui énonce que l'appréciation du caractère substantiel s'opère en contemplation de l'investissement opéré. .
Concernant le critère quantitatif, à savoir à partir de quel volume critique une extraction se révélerait frauduleuse, le juge a par exemple retenu que constituait une extraction quantitativement substantielle, l'extraction de 36 000 artistes sur les 184 000 artistes référencés dans une base de données du marché des œuvres d'art V. CA Paris, 4e ch., sect. B, 18 juin 2003, no 2002/03195 : JurisData no 2003-223155 ; Comm. com. électr. 2003, comm. 106, note C. Caron ; D. 2003, p. 2756, obs. P. Sirinelli. .
Le critère qualitatif est peu exploité en jurisprudence, car il requiert une approche plus subjective en tenant compte de l'importance ou de l'intérêt des données V. JCl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1650, Droits des producteurs des bases de données. . Une des rares décisions jurisprudentielles porte sur une base de données sur les performances des enseignes de la grande distribution dont quelques graphiques uniquement avaient été reproduits, mais ces graphiques traduisaient en réalité un investissement substantiel sous-jacent V. CA Paris, pôle 5, ch. 1, 22 juin 2011, no 09/17015 : JurisData no 2011-017515. .
Les droits du producteur de la base de données sont protégés pénalement et civilement contre la contrefaçon par des textes spéciaux (CPI, art. L. 343-1 et s.) de la même manière que le droit d'auteur, avec le bénéfice d'un dispositif particulier de saisie-contrefaçon comme en matière de logiciel.
– Les bases BIM protégées par le droit sui generis . – La base BIM peut constituer une base de données ayant donné lieu à un investissement important, et le groupe de travail du PTNB a considéré qu'à partir du niveau 2 le BIM est une base de données pouvant être protégée par le droit sui generis Rapport Mission « Droit du numérique et bâtiment », préc., p. 13 à 16. . Pour autant, il semble qu'en phase construction, les investissements en vue de la constitution et l'alimentation de la base BIM ne sont pas nécessairement individualisables de l'investissement dans la construction de l'immeuble lui-même. Le critère d'investissement substantiel spécial pourrait ainsi être difficile à établir à cette étape.
– L'objet d'un éventuel droit sui generis sur la base BIM. – En ce qui concerne l'objet même de la protection sui generis des bases de données, il n'est pas certain qu'une base BIM déterminée soit susceptible d'une extraction qualitative ou quantitative pertinente, car les données en tant que telles ne sont pas génériques et portent sur un projet donné. Dans ce cas, c'est plutôt la méthode ou l'architecture de la base qui ont une valeur, ce qui relève des droits d'auteur. Toutefois, si le projet est d'une très grande importance, justifiant une base BIM exceptionnellement importante, ou si l'extraction porte sur plusieurs bases BIM d'un même exploitant/maître d'ouvrage, une part quantitative ou qualitative des données pourrait être extraite et bénéficier de la protection des bases de données. En phase d'exploitation, la base BIM devient une véritable base de données qui va moissonner des informations en vue de rendre l'exploitation plus efficiente et moins coûteuse. D'ailleurs, l'alimentation et l'entretien de la base BIM exploitation peuvent avoir un coût substantiel facilement individualisable. Aussi la base BIM exploitation pourrait plus naturellement bénéficier du droit sui generis.
En cas de soustraction par un tiers, la nécessité de recourir au droit des bases de données n'est pas évidente dans la mesure où, en principe, les bases BIM n'ont pas vocation à être rendues publiques, et ainsi toute extraction frauduleuse pourrait être pénalement sanctionnée V. supra, no . . Si la soustraction provient d'une personne ayant un accès licite à la base, il semble également que la responsabilité contractuelle (s'il y a un contrat) et délictuelle du soustracteur puisse être recherchée.