La propriété intellectuelle dans le BIM

La propriété intellectuelle dans le BIM

– Le BIM, objet de propriété intellectuelle. – Le BIM signe l'entrée de l'immobilier dans l'univers immatériel et, par là, dans les problématiques de la propriété intellectuelle V., D. Richard, Le BIM à l'épreuve du droit des biens : RD imm. 2018, 484. qui était jusqu'alors réservée à la protection des droits d'auteur de l'architecte. Le BIM, en tant que procédure de construction d'un avatar numérique de l'immeuble, pose la question des droits des créateurs et contributeurs de la base BIM créée à l'occasion d'un projet. Les données alimentant le BIM proviennent des participants à l'acte de construire, notamment la maîtrise d'œuvre de conception, les entreprises et bureaux d'études, et vont être agrégées sous la responsabilité d'un BIM Manager qui peut être l'un des acteurs susvisés ou une tierce personne.
La finalité de la construction de la maquette BIM est bien, en dernier lieu, de remettre au maître d'ouvrage une maquette BIM complète de la construction exécutée. Aussi il est naturel de prévoir la cession de tous les droits des contributeurs à la maquette. Cet exercice implique de circonscrire et de qualifier les droits potentiellement constitués au profit des différents intervenants, au titre de la propriété intellectuelle, des droits voisins ou encore du secret d'affaires. Sous l'angle de la propriété intellectuelle, le BIM pourrait être protégé en ce qu'il forme pour tout ou partie une œuvre ou qu'il constitue une base de données Rapport Mission « Droit du numérique et bâtiment », préc., p. 14-15. .
– Les droits sur les œuvres incluses dans la base BIM. – Le processus BIM ne bouleverse pas les rôles des acteurs et en principe la titularité des droits de propriété intellectuelle sur les livrables échangés au sein du processus BIM En ce sens, A. Blandin et A.-M. Bellenger, Le BIM sous l'angle du droit, préc., p. 118-119 (V. supra, no ). . Pour autant, le BIM en tant que base de données va être le réceptacle d'une multitude de documents, informations, données, produits par les intervenants à l'acte de construire. Bien que le contenu des informations échangées par les acteurs du projet reste inchangé sur le fond, le BIM modifie les modalités de remise et le format des rendus qui doit donc être adapté sur la forme. Par ailleurs, le concept même du BIM implique de fusionner différents livrables afin de créer une seule et même maquette. Aussi, il faut tenir compte des droits d'auteur de l'architecte sur ces livrables tels que plans, croquis ou encore maquettes qui seraient inclus dans la base BIM, en préservant toute modification ou altération illicite sans empêcher toutefois la démarche collaborative du BIM. Étant rappelé que la diffusion d'un contenu numérique, lorsqu'il est une œuvre, constitue un acte de communication au public et doit en principe être autorisée par l'auteur. La convention BIM et le plan d'exécution doivent impérativement intégrer cette composante « droit d'auteur » des différents contributeurs et veiller à la traçabilité des interventions et modalités d'évolution du projet au sein de la base BIM.
– La base BIM en tant qu'objet de droit de propriété intellectuelle. – En principe, l'adaptation technique d'une œuvre sur un autre support ne se traduit pas par la création d'une œuvre distincte Cass. 1re civ., 1er déc. 2011, no 09-15.819 : JurisData no 2011-026679 : « Même si elle conservait la trace de l'œuvre, la plaque de zinc, simple moyen technique utilisé pour permettre la production des lithographies qui sont seules des œuvres originales, ne pouvait être elle-même qualifiée d'œuvre de l'esprit ». . Sous cet angle technique, le BIM ne serait pas l'objet de droits particuliers au titre de la propriété intellectuelle. Pour autant, la procédure du BIM et la base BIM constituée par les acteurs du projet semblent dépasser une simple reproduction technique pour devenir un ouvrage distinct qui n'interdit pas des choix créatifs. D'ailleurs, l'objet de la maquette BIM dépasse la seule construction de l'immeuble et a vocation à organiser les différents cycles de vie de l'immeuble et son exploitation. En cela, la base BIM va disposer d'une architecture propre et d'un contenu augmenté par rapport aux livrables traditionnels, et pourrait constituer en soi une création nouvelle distincte de l'œuvre architecturale. Chaque maquette BIM est conçue spécifiquement pour chaque opération sans être générique ; elle remplit en ce sens un critère d'originalité susceptible de bénéficier de la protection par le droit d'auteur.
– La question de l'originalité en BIM. – La principale condition constitutive d'une œuvre V. supra, no . est son originalité. Mais cette originalité n'est pas évidente à établir intrinsèquement en dehors de l'immeuble dont la base BIM est l'objet. La distinction entre la base BIM et l'œuvre architecturale s'établit matériellement, mais la capacité de distinguer ce qui relève de la création sur la maquette et ce qui relève des créations habituelles relatives à l'immeuble est complexe.
En soi, une maquette est une forme de livrable objet d'un processus de création au même titre que des plans M. Quiniou et D. Richard, Construction – Droit d'auteur, droits voisins et secret d'affaires dans le process BIM : Constr.-Urb. nov. 2018, no 11, étude 11. , et rien ne semble s'opposer à ce qu'une maquette BIM soit elle-même sujette à de tels droits. Il semble que le principal critère de distinction entre la création et la simple exécution soit la nature de prestation technique ou non TI Nîmes, 26 janv. 1971, Gout c/ Colombo : JCP G 1971, II, 16767 ; Gaz. Pal. 1971, 1, 306 : « Dès lors que l'ouvrage d'un ingénieur-conseil constitue un travail technique, établi sur des projets d'architecture simples, conçus par un architecte, dont les plans ne sont que la traduction graphique des calculs théoriques et l'application simple de règles techniques et de lois physiques, les héritiers de l'ingénieur-conseil ne sauraient revendiquer (…), un droit de reproduction… ». . Sur ce champ, une autre difficulté naît d'une forme de standardisation du processus créatif au travers de logiciels, le BIM étant le vecteur d'une forme d'industrialisation de l'immobilier V. supra, no . . Pour autant, la jurisprudence considère que les logiciels n'excluent pas l'apport intellectuel de l'auteur sous réserve de la « subsistance de la condition de l'originalité » A. R. Bertrand, Droit d'auteur, Dalloz Action, 2010, « Subsistance de la condition d'originalité pour la création assistée par ordinateur », § 103.23 et s. .
– Le régime des droits des contributeurs du BIM, en tant qu'œuvre collective – La base BIM et les maquettes qui en sont la traduction visible constituent une combinaison originale des différents éléments et données la composant produits par différents contributeurs, tels que le BIM Manager, les BIM coordinateurs, BIM Modeler, maîtrise d'œuvre, entreprises, etc., pouvant constituer une œuvre. Cette situation de collaboration et d'œuvre construite collectivement pose la question de l'identité du ou des auteurs et titulaires des droits d'auteur sur la base BIM ainsi créée. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit trois régimes de détention des droits d'auteur alternatifs : l'« œuvre collective », l'« œuvre de collaboration » ou encore l'« œuvre composite » (CPI, art. L. 113-2) qui sont susceptibles de s'appliquer au BIM.
L'œuvre collective est celle « créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé » (CPI, art. L. 113-2). Cette qualification semble la plus adaptée dès lors que la base BIM et la maquette sont gérées par une seule et même personne qui jouerait un rôle d'administrateur, tel que le BIM Manager. En ce sens, l'œuvre pourrait être créée à l'initiative du BIM Manager, en son nom et sous sa direction pour être ensuite livrée et cédée au client maître d'ouvrage. L'œuvre collective serait alors la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ; cette personne serait investie des droits d'auteur.
L'œuvre de collaboration est celle « à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (CPI, art. L. 113-2). C'est en principe l'œuvre sur laquelle plusieurs auteurs ont travaillé sans qu'il soit possible de déterminer avec précision les apports des différents auteurs. Cette cotitularité non individualisable de l'œuvre se traduit par un régime d'exercice des droits proche de l'indivision, l'exploitation de l'œuvre dans sa globalité étant réservée à l'obtention du commun accord de toutes les parties. Il ne semble pas que la séquence actuelle de construction d'une base BIM soit qualifiable d'œuvre de collaboration dans la mesure où chaque contributeur exerce une mission déterminée, et qu'en principe la contribution de chacun suit un objectif propre. Toutefois, en BIM de niveau 3 V. supra, no . , la base de données deviendra une seule et même œuvre dans laquelle toutes les contributions seront collectivement apportées, possiblement simultanément.
L'œuvre composite est « l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière » (CPI, art. L. 113-2). Cette qualification pourrait également convenir à partir du BIM de niveau 2 dans lequel une seule et même maquette serait alimentée successivement par plusieurs contributeurs. Dans ce cas, le travail de chaque contributeur va s'incorporer dans une nouvelle œuvre s'appuyant sur l'œuvre précédente. L'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur s'appliquant à l'œuvre préexistante. Ce régime impliquerait de définir une chaîne de contributeurs, et de garder trace de l'objet de leur contribution à chaque œuvre, ce qui pourrait se concevoir par exemple pour le passage du BIM conception au BIM réalisation, et enfin au BIM exploitation. Lorsque la maquette passe d'une phase à une autre et évolue du fait de l'intervention d'autres acteurs (maquette de base, de conception, interventions des entreprises puis interventions des exploitants), on peut envisager la qualification d'œuvre composite ou dérivée.
– L'importance de l'encadrement des droits sur la base BIM dans le contrat. – Faute de précision dans les contrats, l'application de la notion d'œuvre collective ou de collaboration ou encore d'œuvre composite s'appliquerait selon qu'un seul ou plusieurs intervenants sont à l'origine (concomitamment ou consécutivement) de la conception de la maquette. Le régime de l'œuvre de collaboration qui pourrait exister, notamment en BIM de niveau 3, ne semble pas souhaitable du fait de sa proximité avec une indivision rigide En ce sens, Rapport Mission « Droit du numérique et bâtiment », préc., p. 12 et 16 : « Les membres du groupe de travail ont pris conscience des risques liés au régime de copropriété sur une œuvre et ainsi de l'œuvre de collaboration ». . Il est donc impératif d'organiser contractuellement le régime de propriété de l'œuvre, en le traduisant dans le mode d'organisation et de création de la base BIM pour ne pas dénaturer la qualification retenue. Afin d'accompagner la transformation et le passage au BIM de niveau 3, des auteurs préconisent de faire évoluer le droit immobilier et de la propriété intellectuelle En ce sens, Rapport Mission « Droit du numérique et bâtiment », préc., p. 16 : « Les membres du groupe de travail ont trouvé un consensus sur la nécessité de l'évolution du droit immobilier en raison de l'apparition des nouveaux outils auxquels il devra s'adapter avec les règles de propriété intellectuelle classiques. Cette évolution du droit immobilier et plus largement de ce secteur a d'ores et déjà été vécue par d'autres secteurs tels que la défense ou l'automobile ». .
– Le BIM est par essence un objet destiné à évoluer. – Le BIM est un objet mouvant dont l'objet même est d'évoluer au fur et à mesure des contributions en vue d'aboutir à la maquette finale, sous la direction ou la diligence du BIM Manager. Il serait totalement contre-productif et antinomique au BIM collaboratif de devoir stopper le processus de modification faute d'accord de l'un des contributeurs. Par ailleurs, une fois la maquette BIM livrée au maître d'ouvrage à la fin des travaux, il est indispensable qu'il puisse utiliser sa maquette et la faire évoluer raisonnablement vers une base BIM d'exploitation. Pour toutes ces raisons, il semble indispensable de prévoir le régime de droit des auteurs sur la base BIM avec le BIM Manager, en fonction des modalités d'intervention sur le projet, et la cession des droits patrimoniaux de tous les contributeurs de la maquette au maître d'ouvrage dans les formes les plus larges, en respectant le formalisme de la cession (étendue et destination de la cession, lieu et durée) Rapport Mission « Droit du numérique et bâtiment », préc., p. 16 : « C'est la raison pour laquelle l'importance particulière de définir le régime de propriété de l'avatar de l'œuvre dès sa création a été soulignée par les membres du groupe de travail tout comme la question de l'utilisation de l'œuvre après la fin du projet de conception-réalisation ». .
– La cession des droits d'auteur. – Le Code de la propriété intellectuelle ne distingue pas entre cession et licence en matière de droit d'auteur, ce qui fait douter de la pertinence d'opposer un transfert de droit réel (la cession) et une concession de droit personnel (la licence) V., sur la controverse doctrinale, A. Lucas, A. Lucas-Schloetter et C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, LexisNexis, 5e éd. 2017, nos 630 et 631. dans ce domaine. Le terme de « cession » sera utilisé pour désigner tout transfert des droits patrimoniaux de l'auteur qui peuvent être démembrés indéfiniment (droit de représentation et/ou droit de reproduction, durée de l'exploitation, forme d'exploitation autorisée, lieu, etc.). Cette granularité des contrats de cession qui sont adaptés à chaque situation explique que « les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit » (CPI, art. L. 131-2), et que la cession de tel ou tel attribut ne se présume pas V. TGI Paris, 17 oct. 2019, no 16/01008 : JurisData no 2019-018156 ; Propr. intell. 2020, no 74, p. 58, obs. J.-M. Bruguière. . D'ailleurs, « le consentement personnel et donné par écrit de l'auteur est obligatoire », ce qui renforce cette obligation d'un écrit et exclut en principe la représentation de l'auteur, sauf incapacité. Toutefois, certains auteurs considèrent que l'écrit ne serait requis qu'ad probationem et non pas ad validitatem JCl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1310, Droit d'auteur. Exploitation des droits, par A. Maffre-Baugé et A. Lucas. , en reconnaissant toutefois que l'exploitant qui n'arriverait pas à démontrer son droit risque d'être poursuivi pour contrefaçon Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, no 00-11.506 : JurisData no 2001-011882 ; Comm. com. électr. 2002, comm. 41, note C. Le Stanc. ce qui est très dissuasif.
La transmission des droits de l'auteur peut être consentie à titre gratuit ou onéreux et est subordonnée à certaines mentions. Ainsi l'article L. 131-3, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ». La clause de rémunération de la cession doit être explicite et non équivoque, son absence ou sa mauvaise rédaction pouvant conduire à la nullité du contrat dans son ensemble V. TGI Paris, 30 nov. 1999, Benhaddou c/ Sté librairie Éd. l'Harmattan : Comm. com. électr. 2001, comm. 87, note Caron ; RIDA juill. 2000, p. 435. . Par exemple, beaucoup de contrats d'architecte font le choix de la gratuité, au regard de la mission globale de l'architecte qui est rémunérée, mais cela doit être écrit de manière détaillée. Il est donc obligatoire de lister les droits cédés, de préciser le prix de cession et les modalités d'exercice des droits et de circonscrire le lieu d'exploitation et la durée. Le contrat qui omettrait une partie de ces mentions serait privé d'efficacité et encourrait la nullité pour absence d'objet V. Cass. 1re civ., 16 déc. 1992, no 91-11.480, Gouy c/ Nortène : JurisData no 1992-002868 ; RIDA avr. 1993, p. 193, note P. Sirinelli. . Les contrats relatifs aux droits d'auteur ne donnent lieu en général à aucune formalité de publicité.
S'agissant des effets de la cession, la jurisprudence énonce que « les contrats portant sur les droits d'auteur sont gouvernés par le principe de l'interprétation stricte, d'où il découle que l'auteur est supposé s'être réservé tout droit ou mode d'exploitation non expressément inclus dans un contrat de cession » CA Versailles, 13 févr. 1992 : D. 1993, jurispr. p. 402, note B. Edelman. , la « cession du droit de reproduction d'une œuvre de l'esprit est limitée aux modes d'exploitation prévus au contrat » V. Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, no 09-15.091 : JurisData no 2010-017136 ; Comm. com. électr. 2010, comm. 119, note C. Caron. . Le contrat s'interprète strictement, et en faveur de l'auteur lorsque la convention est ambiguë. La cession des droits patrimoniaux de l'auteur sur des œuvres non identifiées qu'il n'aurait pas encore créées est frappée de nullité (CPI, art. L. 131-1). Par exception, la jurisprudence valide la cession d'œuvres non créées, mais qui peuvent être identifiées et individualisées à la conclusion du contrat V. Cass. 1re civ., 6 nov. 1979 : Bull. civ. 1979, I, no 271 ; RIDA juill. 1980, p. 167 ; JCP G 1980, IV, p. 25 ; D. 1982, inf. rap. p. 207. .
L'article L. 131-6 du Code de la propriété intellectuelle tolère l'insertion d'une clause tendant « à conférer le droit d'exploiter l'œuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat », ce qui permettrait de tenir compte des évolutions technologiques.
– La cession des droits d'auteur en BIM. – La maquette BIM et les livrables qu'elle contient (maquettes, plans, schémas, calculs, etc.), peut être le résultat d'une forme d'originalité susceptible de bénéficier des droits d'auteur. Si les contrats du BIM et/ou les marchés de travaux ne prévoient aucune cession des droits patrimoniaux ni l'autorisation d'utiliser et de diffuser les données insérées dans la base au titre des droits sur l'œuvre, il est en théorie possible aux contributeurs justifiant d'un droit d'auteur de faire exercice de leur droit.
Pour la passation des marchés publics de travaux, les adjudicateurs peuvent recourir au CCAG PI Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par arrêté du 16 sept. 2009 (NOR: ECEM0912503A) : JO no 0240, 16 oct. 2009. qui prévoit deux options d'utilisation des droits de reproduction et de présentation, sous forme de concession ou de cession des droits patrimoniaux de l'auteur.
– L'enjeu de la juste rétribution des architectes en BIM. – Le BIM est en phase d'adoption et génère un travail supplémentaire, notamment pour l'architecte ou les ingénieurs qui peuvent exposer un investissement particulier sur la base BIM de conception au-delà de leurs missions traditionnelles. Aussi il n'est pas impossible qu'un architecte, un bureau d'études ou un ingénieur qui aurait exposé un travail considérable sur la maquette puisse invoquer son droit pour s'opposer à l'utilisation de ces données ou à la modification de la maquette (par ex. en cas d'évolution du projet). Des auteurs considèrent que la fréquence de la problématique d'établissement des droits sera faible, avec toutefois un risque d'une forte intensité si rien n'a été prévu par les conventions M. Quiniou et D. Richard Construction – Droit d'auteur, droits voisins et secret d'affaires dans le process BIM : Constr.-Urb. nov. 2018, no 11, étude 11. .

Rappel du régime des droits d'auteur en matière de construction

– Présentation de la propriété intellectuelle. – Les droits de propriété intellectuelle, dont le droit d'auteur, confèrent à leurs titulaires un droit exclusif d'autoriser ou d'interdire l'utilisation de leur réalisation protégée. On distingue, au sein de la propriété intellectuelle, les droits de propriété industrielle qui font l'objet d'un dépôt (brevets, marques, dessins et modèles), des droits de propriété littéraire et artistique qui naissent sans nécessité de dépôt.
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– La propriété industrielle des données. – La propriété industrielle, si elle est justifiée, s'établit par un dépôt qui la rend opposable. Certains procédés techniques ou certains produits de la construction sont susceptibles de faire l'objet d'un brevet, dès lors qu'ils constituent des « inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle » (CPI, art. L. 611-10). Le brevet confère à son titulaire un droit exclusif d'exploitation sauf transmissions conventionnelles. En matière de construction, de nombreux procédés sont brevetés et l'emploi du BIM ne semble pas modifier les pratiques déjà existantes. Les données inscrites dans la base BIM devront tenir compte des éventuels brevets mis en œuvre et des contrats d'utilisation associés.
La base BIM orientée objet peut contenir des données protégées par le droit des marques, un logo, un nom, une représentation graphique associée à un mot ou encore une combinaison de ces différents éléments (CPI, art. L. 711-1). La mention des marques devra être réservée dans la base BIM, sauf utilisation d'objets ou de produits génériques. Enfin, des dessins et modèles peuvent bénéficier d'une protection par la propriété industrielle L'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle précise que seul le dessin ou modèle nouveau et présentant un caractère propre peut être protégé. de « l'apparence d'un produit, ou d'une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux » (CPI, art. L. 511-1). Tous les contributeurs du BIM devront veiller à ne pas employer des objets ou données bénéficiant d'une protection au titre de la propriété industrielle, ou à défaut devront renseigner toutes les composantes du droit au sein de la base afin d'éviter une contrefaçon.
– Les droits d'auteur dans la construction. – L'immeuble objet de la procédure BIM est lui-même l'objet de propriété intellectuelle au titre des droits d'auteur, principalement de l'architecte. Le BIM ne change pas la propriété intellectuelle sur le travail architectural, mais il existe une érosion de l'œuvre en raison du caractère intrinsèquement lié entre l'avatar numérique du bâtiment et le bâtiment lui-même Rapport « Droit de la propriété littéraire et artistique, données et contenus numériques », préc., p. 17. .
Avant d'analyser la propriété intellectuelle de la maquette et des données qu'elle contient, il faut définir les contours de la propriété intellectuelle, appliquée à la construction avec ou sans BIM.
– Le fondement des droits sur l'œuvre originale. – L'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous… », et l'article L. 112-1 précise que : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ». L'œuvre doit remplir deux conditions cumulatives : une formalisation suffisante et une originalité qui s'exprime notamment en matière d'architecture. Aucun dépôt ni formalité ne conditionne la naissance du droit d'auteur, contrairement à la propriété industrielle.
La formalisation implique que le stade de l'idée ait été dépassé, et que la « création naisse au monde sensible, quittant ainsi le seul esprit de l'auteur » JCl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1134, Objet du droit d'auteur. – Œuvres protégées. Notion d'œuvre. . Pour autant, une œuvre inachevée bénéficie de la protection, ce qui est par exemple le cas des croquis et esquisses diffusés dans un concours.
La protection de l'œuvre est également subordonnée à l'originalité CA Douai, 27 oct. 2009 : RTD com. 2009, p. 105, obs. F. Pollaud-Dulian. À propos du jardin et des serres d'Auteuil dont l'originalité n'est pas démontrée : TGI Paris, 3e ch., 10 nov. 2016, no 15/17625 : LEPI févr. 2017, 110j2, obs. C. Bernault. si elle présente « un caractère artistique certain », si elle sort « du commun ».
L'auteur d'une œuvre de l'esprit dispose sur cette œuvre d'un droit de propriété incorporelle du seul fait de la création de l'œuvre, sans aucune formalité ou dépôt, contrairement aux modèles, dessins et brevets. Par sa seule création, l'œuvre devient la propriété incorporelle de son auteur, et donc opposable à tous.
Cette disposition est d'ordre public, il n'est en conséquence pas possible d'y déroger. Aussi, toute disposition contractuelle de l'auteur contraire à ce dispositif, notamment s'il renonce à faire valoir les droits qui lui sont attribués par cet article, serait susceptible d'être remise en cause à tout moment.
– L'œuvre originale en matière de construction. – Le Code de la propriété intellectuelle cite à deux reprises les « travaux » des architectes comme étant des œuvres de l'esprit, mais cette qualité reste une présomption qui n'est pas irréfragable. Ainsi le juge vérifie que l'œuvre présente un caractère d'originalité suffisant pour la regarder comme une œuvre de l'esprit afin qu'elle puisse bénéficier des droits qui lui sont attachés. À ce titre ne sont pas protégées par la loi les œuvres architecturales dénuées de caractère particulier ou original, qui ne sont que la simple reproduction d'édifices largement répandus à travers le territoire.
En matière de commande publique, la commande architecturale a une double nature : elle est à la fois une prestation technique et met en cela en œuvre des savoir-faire techniques et des logiques de responsabilité propres aux interventions d'experts ; mais elle relève aussi de la commande d'une œuvre d'art en ce que la création architecturale et tous les éléments qui y concourent (croquis, maquettes, plans) sont considérés comme des œuvres originales relevant pleinement de la propriété littéraire et artistique – au même titre qu'une œuvre d'art plastique Guide des marchés publics et droits de propriété intellectuelle réalisé par le Groupement français de l'industrie de l'information à la demande du ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement, Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, sept. 2003, p. 101. . Ainsi, malgré la précision de la programmation qui peut restreindre le champ de création de l'architecte, ce dernier bénéficie des droits d'auteur dès lors qu'il donne une traduction architecturale particulière à sa conception.
– Le titulaire des droits sur l'œuvre. – Le législateur a posé une présomption de titularité de la qualité d'auteur qui « appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée » CPI, art. L. 113-1. La même présomption figure à l'article 15.1 de la convention de Berne et à l'article 5 de la directive du 29 avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle. . L'existence d'un contrat de travail ou d'un contrat de commande n'emporte aucune cession implicite de droits au profit de l'employeur et/ou du commanditaire. Ainsi, lorsque l'œuvre a été créée par un salarié, c'est le salarié qui est titulaire des droits portant sur la création et non l'employeur, même si le salarié a été embauché pour réaliser une ou plusieurs œuvres. Le salarié peut céder ses droits patrimoniaux sur l'œuvre, mais l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle pose le principe de la nullité des cessions globales des œuvres futures et il faut donc un contrat spécifique.
– Les auteurs d'une œuvre issue d'un travail collectif. – En matière d'œuvre architecturale, la création est souvent l'œuvre d'une personne morale ou l'association momentanée de plusieurs personnes morales, société d'architecture et/ou bureau d'études, composées respectivement de plusieurs personnes physiques agissant sous l'autorité de cette entité ou de ces entités en cas de groupement, ce qui peut correspondre, selon les cas, à une « œuvre collective », une « œuvre de collaboration », ou encore une « œuvre composite » définies par l'article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Ces régimes particuliers, susceptibles de s'appliquer en BIM en tant qu'œuvre collaborative, seront analysés plus loin V. infra, nos à . .
– Le contenu des droits sur l'œuvre. – L'auteur d'une œuvre jouit sur celle-ci d'un droit de propriété incorporelle exclusif, comportant des attributs d'ordre intellectuel, moral et patrimonial (CPI, art. L. 111-1). L'auteur dispose ainsi de deux catégories de droits sur l'œuvre : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
Le droit moral matérialise le lien très fort qui existe entre l'auteur et sa création et confère un droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre nonobstant tout dessaisissement de l'œuvre.
Les droits patrimoniaux réservent à l'auteur le droit d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit, ce qui implique d'en contractualiser les modalités d'exercice en tout ou partie par un tiers. L'exécution du contrat de maîtrise d'œuvre de conception et la prise de possession de l'immeuble par le maître d'ouvrage n'épuisent pas les droits détenus, qui demeurent la propriété de l'auteur, sauf cession des droits patrimoniaux.
– Le droit moral de l'auteur de l'œuvre. – Le droit moral comporte notamment les prérogatives suivantes réservées à l'auteur de l'œuvre :
  • le droit de divulgation, qui confère à l'auteur le choix de rendre son œuvre publique ou non, et de décider du moment et des modalités de la première communication de son œuvre ;
  • le droit de paternité, qui permet à l'auteur d'apposer son nom sur son œuvre ou, s'il le souhaite, de rester anonyme ou encore d'utiliser un pseudonyme. Ce droit peut se matérialiser par l'apposition du nom de l'architecte sur l'immeuble ou encore par l'obligation de le mentionner dans les images de l'œuvre ou une maquette ;
  • le droit au respect de l'intégrité de l'œuvre, qui offre à l'auteur la faculté de s'opposer à toute modification, suppression ou ajout susceptible de modifier son œuvre initiale, tant dans la forme que dans le fond.
– Le droit au respect de l'intégrité en matière architecturale. – Le droit au respect de l'œuvre est la composante du droit moral la plus complexe à appréhender en matière d'œuvre architecturale, l'immeuble ayant une vocation utilitaire que les nécessités pratiques interdisent de figer pour l'éternité. Par ailleurs, le droit moral de l'architecte doit se concilier avec le droit de propriété du maître de l'ouvrage. La jurisprudence française retient des solutions de compromis.
  • les modifications doivent être justifiées par la nécessité d'adapter la construction à des « besoins nouveaux » ;
  • les modifications sont cantonnées à ce qui est « strictement nécessaire » et non « disproportionnées au but poursuivi ». Un exemple célèbre de la rigueur de ce critère est un stade de football restructuré, pour lequel il avait été établi qu'il existait d'autres solutions que celle choisie par la ville pour accroître la capacité d'accueil sans dénaturer l'œuvre architecturale d'origine.
Le maître d'ouvrage peut toujours démolir une œuvre architecturale en cas de nécessité, et la modifier pour des impératifs d'intérêt général.
Le droit moral est imprescriptible et s'exerce par l'auteur sa vie durant et, à sa mort, et sauf stipulation testamentaire différente, est dévolu aux ayants droit qui en deviennent titulaires puis à leurs propres ayants droit sans limite de temps. Les ayants droit sont toutefois tenus d'exercer le droit moral dans le même esprit que l'auteur de l'œuvre.
Ainsi, il appartient « à l'autorité judiciaire d'apprécier si ces altérations de l'œuvre architecturale sont légitimées, eu égard à leur nature et à leur importance, par les circonstances qui ont contraint le propriétaire à y procéder », étant à cet égard « tenue d'établir un équilibre entre les prérogatives du droit d'auteur et celles du droit de propriété » Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, no 90-17.534 : JurisData no 1992-000123 ; Bull. civ. 1992, I, no 7 ; RIDA 2/1992, p. 194 ; RJDA 1992/2, p. 210 ; D. 1993, p. 522, note B. Edelman ; RTD com. 1992, p. 376, obs. A. Françon. . Par exemple, sont prohibés des travaux ayant « dénaturé » une œuvre architecturale « en détruisant l'harmonie de l'ensemble » sans justifier d'impératifs techniques Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, no 86-12.983. . La jurisprudence a ainsi posé deux critères pour permettre au maître d'ouvrage de modifier une œuvre architecturale Cass. 1re civ., 11 juin 2009, no 08-14.138 : JurisData no 2009-048691 ; RIDA 4/2009, p. 395 ; Comm. com. électr. 2009, comm. 75. :
– Les droits patrimoniaux sur l'œuvre architecturale. – Les droits patrimoniaux correspondent au droit exclusif de l'auteur d'exploiter son œuvre, qui se matérialise notamment par les droits de reproduction et de représentation (CPI, art. L. 122-1). Le droit exclusif sur l'œuvre de l'auteur est protégé toute sa vie durant, et se poursuit au profit de ses ayants droit soixante-dix ans après l'expiration de l'année civile de sa mort (CPI, art. L. 123-1). Ainsi le bâtiment dont l'architecte est l'auteur ne peut être reproduit ni par un dessin ni par une photo, ni par un autre bâtiment identique, sans l'autorisation expresse de l'architecte auteur qui en aura fixé les limites dans le cadre d'un contrat de cession partielle de ses droits d'auteur.
La cession des droits patrimoniaux est soumise à un formalisme particulier, et la jurisprudence impose la forme écrite pour délimiter l'étendue de la cession. Ainsi le contrat de louage d'ouvrage n'emporte pas par lui-même la cession des droits d'exploitation de l'œuvre protégée, une telle cession ne pouvant résulter (CPI, art. L. 111-1, al. 3) que d'une convention expresse (« La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ») Cass. 1re civ., 16 mars 2004 : RIDA juill. 2004, p. 209, no 2010. sous peine d'invalidité de la cession. Même s'il a cédé ses droits d'exploitation, l'architecte auteur a le droit de faire cesser l'utilisation abusive de son œuvre et d'en obtenir réparation CA Paris, 4e ch., 15 déc. 2004 : D. 2005, no 41. .
– La protection des droits d'auteur. – La violation des droits d'auteur est constitutive d'une infraction pénale résultant de l'atteinte portée à un droit civil : le droit d'auteur. La contrefaçon peut ainsi donner lieu non seulement à l'application de peines et de mesures de sûreté, mais aussi à l'application de dommages et intérêts en raison du préjudice qu'elle cause à l'auteur ou à ses ayants droit en vertu de dispositions civiles (CPI, art. L. 121-1 à L. 123-12) et pénales (CPI, art. L. 335-2 et L. 335-3). Ainsi le titulaire de l'action peut alternativement agir devant le juge civil, se constituer partie civile d'une procédure pénale, ou les deux. Les solutions retenues par les deux juridictions sont toutefois assez homogènes Le juge pénal utilise « largement à titre préalable les concepts civils et institutions de la propriété littéraire » (P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 11e éd. 2019, no 745, p. 814). .
Le délit de contrefaçon est passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende (CPI, art. L. 335-2 à L. 355-3) et le juge peut prendre toutes mesures pour faire cesser la contrefaçon. La réparation peut également consister, selon la nature de l'atteinte subie, en une remise en état, une indemnisation, etc.

Exemples d'infractions aux droits d'auteur en matière de construction

Est sanctionnée la reproduction non autorisée de l'œuvre, qui peut prendre la forme d'une reproduction à l'identique ou d'une reproduction par imitation, qui reproduit les éléments essentiels d'une œuvre protégée tout en s'en détachant par certains aspects. La communication de l'œuvre sans autorisation est également sanctionnée ; ainsi, le fait d'offrir au public sur un site l'accès à une œuvre protégée sans avoir obtenu l'accord de l'auteur constitue une contrefaçon. L'infraction de contrefaçon nécessite du point de vue pénal d'établir l'élément intentionnel qui réside dans la mauvaise foi « présumée » du prévenu, et sanctionne la violation du droit moral comme du droit patrimonial.
Par exemple, un directeur d'une société d'économie mixte a été condamné pour avoir substitué, sans autorisation, le nom de cette société au nom de l'architecte sur les documents graphiques correspondant au plan d'aménagement urbain qu'il avait réalisé. Est également justifiée la condamnation pour contrefaçon de sociétés ayant commercialisé des cartes postales représentant « La Géode » sans autorisation de la Cité des sciences et de l'industrie, établissement public chargé de sa gestion et cessionnaire des droits d'auteur de l'architecte. Devant le juge administratif, un office public d'HLM a été condamné à réparer le préjudice causé à l'architecte pour avoir modifié le portique de l'immeuble, les adjonctions ainsi faites portant « atteinte au droit qu'a l'auteur d'une œuvre architecturale de la voir respecter ».