La propriété et la possession des biens à l'épreuve du numérique

La propriété et la possession des biens à l'épreuve du numérique

Certes l'avènement du digital a conduit à la suppression d'objets physiques (CD, DVD), mais dans le même temps, cela a entraîné le développement d'autres objets physiques permettant de les lire (baladeur MP3, smartphone, tablette, etc.) ou de les stocker (carte mémoire, disque dur, clé USB).
– La cession du support matériel. – Le bien incorporel étant indépendant de l'objet matériel qui peut en constituer le support, la cession du support matériel ne confère pas pour autant au cessionnaire la propriété du bien incorporel lui-même.
Les deux biens étant distincts, la possession du meuble corporel, qui permet l'acquisition immédiate de la propriété mobilière dans les conditions de l'article 2276 du Code civil (C. civ., art. 2276">Lien), ne peut s'étendre à la propriété du bien incorporel CA Paris, 17 févr. 1988 : D. 1989, somm. p. 50, obs. Cl. Colombet. .
On peut ainsi posséder le support mais pas l'actif numérique qu'il renferme.
Il en va ainsi de la tablette sur laquelle se trouvent différentes applications. Même si nous la vendons, nos applications ne seront pas transmises à son nouveau propriétaire.
De même, la possession du support matériel ne confère pas au cessionnaire la possibilité d'exploiter le bien immatériel lui-même Par ex., pour des logiciels, CA Rouen, 26 juin 1997 : Gaz. Pal. 1998, 1, somm. p. 91, qui juge que la propriété des supports de logiciels n'autorise pas à faire commerce de ceux-ci. .

La musique téléchargée

Bien que l'on ait acheté notre chanson préférée sur une plateforme, cela ne veut pas dire pour autant que l'on puisse la copier, la distribuer ou la vendre. Seul l'éditeur ou l'artiste qui détient le droit d'auteur peut le faire.
– La possession d'un actif numérique. – Reflet de la propriété, la possession suppose l'existence de deux éléments constitutifs indispensables qui sont une maîtrise matérielle sur une chose (le corpus) et la volonté d'exercer cette emprise en qualité de titulaire de droit réel (l'animus).
Le corpus peut se définir comme l'appréhension matérielle de la chose.
Mais comment avoir le corpus, élément constitutif de la possession, d'une chose incorporelle ?
En matière de possession, la jurisprudence a refusé d'appliquer la règle « En fait de meubles, la possession vaut titre » à certains biens incorporels À des effets de commerce (Cass. req., 4 nov. 1902 : DP 1903, 1, p. 44, rapp. Denis), à des titres nominatifs (Cass. civ., 4 juill. 1876), à des fonds de commerce (Cass. civ., 26 janv. 1914 : DP 1914, 1, p. 112), à des droits de propriété littéraire et artistique (Cass. civ., 26 févr. 1919 : DP 1923, 1, p. 215), à des universalités de biens (CA Paris, 17 avr. 1956 : D. 1956, p. 530, note G. Ripert). à une licence d'exploitation d'un débit de boisson (Cass. com., 7 mars 2006, no 04-13.569 : Bull. civ. 2006, IV, no 62 ; RTD civ. 2006, p. 348, obs. Th. Revet ; D. 2006, p. 2363, obs. B. Mallet-Bricout et p. 2897, note C. Kuhn ; JCP G 2006, II, 10143, note G. Loiseau), à des espèces monétaires (Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, no 96-12.711). .
Toutefois beaucoup d'auteurs considèrent que le caractère incorporel du meuble ne s'oppose pas à l'application de cette règle F. Terré et Ph. Simler, Droit des biens, Dalloz, 2002, no 412. – F. Zenati et Th. Revet, Droit civil, Les biens, PUF, coll. « Droit fondamental », 2e éd. 1997, no 186. .
Les professeurs Philippe Malaurie et Laurent Aynès considèrent que la possession de meubles incorporels doit être reconnue, pour y attacher « la présomption de titularité, qui est l'effet général de toute possession ». Mais il doit être précisé ici qu'ils n'y voient un intérêt que pour les instruments financiers dématérialisés Ph. Malaurie et L. Aynès, Les biens, Defrénois, 2e éd. 2005, no 574. .
De plus, du fait de la large définition que donne l'article 2255 du Code civil (C. civ., art. 2255">Lien) de la possession, comme étant la détention ou la jouissance d'une chose, elle peut s'adapter aux choses incorporelles A. Pélissier, Possession et meubles incorporels, thèse, Montpellier 1, Dalloz, coll. « Nouvelle bibl. de thèses », 2001, spéc. nos 319 et s., p. 157 et s. – B. Parance, La possession des biens incorporels, thèse, Paris 1, LGDJ, 2008, préf. L. Aynès, avant-propos F. Terré. .

Les biens et l'immatérialité en droit civil et en

Le résumé qui suit est directement extrait d'une étude intitulée Les biens et l'immatérialité en droit civil et en common law de Yaëll Emerich, professeure titulaire à la faculté de droit de l'Université McGill située au Québec.
La théorie civiliste est traditionnellement attachée à une conception matérialiste de la propriété, ayant pour objet les choses ou les biens corporels ; la common law, quant à elle, étant davantage ouverte sur l'immatériel. Si une partie de la doctrine civiliste continue de considérer que la propriété dans un sens technique porte uniquement sur des biens corporels, qui ont une existence physique, le droit civil québécois semble aujourd'hui admettre que les biens incorporels sont des objets de propriété, aux côtés des biens corporels ou matériels. L'objectif de l'auteure (Yaëll Emerich) est de montrer que, en dépit d'une opposition classique des traditions juridiques civilistes et de common law quant à la reconnaissance des biens immatériels, il existe un rapprochement de ces traditions dans leur conception du bien et de ses critères, ainsi qu'une tendance, tant en droit civil qu'en common law, à reconnaître dans le domaine de la propriété une variété de choses autres que des objets matériels, à travers la prise en considération des biens incorporels. Devant la montée en puissance de l'immatériel, il convient de s'interroger pour savoir ce qui est commun dans la notion de biens incorporels et ce qui est pluriel ou distinct dans le régime des biens incorporels. La thèse soutenue par Yaëll Emerich est qu'il s'agit moins d'une pluralité selon les traditions juridiques que d'une diversité selon les types de biens, et qu'il est possible de trouver certains traits communs dans la notion de biens incorporels et dans les règles qui leur sont applicables dans les deux traditions. Dans les deux cas, ces traits communs les rapprochent de la notion et du régime juridique des biens corporels.