La portée probatoire de la blockchain

La portée probatoire de la blockchain

  • la blockchain publique : il s'agit pour les puristes de la seule vraie blockchain. Elle repose sur un réseau pair-à-pair, ouvert à tous, consultable par tous, orchestré par des « mineurs » chargés de procéder à des calculs et valider les « blocs » contenant des fichiers souvent « hachés », et reliés les uns aux autres au moyen de signatures électroniques utilisant la cryptographie asymétrique. Il faut que le calcul trouvé par un mineur obtienne une majorité d'approbation par les autres mineurs pour que le bloc soit validé et inscrit. Tous les mineurs doivent aboutir au même résultat avec le même calcul. « Il s'agit d'une sécurité décentralisée reposant sur une vérité partagée ». Il n'y a dans ce type de blockchain aucun organe directionnel et un anonymat des mineurs, rémunérés en cryptomonnaie ;
  • le consortium : dans ce type de blockchain, certains acteurs ont un droit de veto sur la validation des blocs ;
  • la blockchain privée : il existe ici un organe directionnel, qui fixe les règles de la blockchain, notamment les droits d'accès.
Cette typologie des blockchains entraîne des disparités de régimes juridiques et de perspectives d'évolution.
La blockchain a été dévoilée lors de la publication par son créateur, Satoshi Nakamoto Il s'agit d'un pseudonyme. , d'un article intitulé Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System S. Nakamoto, Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System, 2008 (https://bitcoin.org/bitcoin.pdf">Lien). en 2008. Cette innovation est souvent présentée comme l'une des plus importantes depuis la création d'internet. La blockchain est définie par BlockchainFrance comme étant « une technologie de stockage et de transmission d'informations, sécurisée, transparente, et fonctionnant sans organe central de direction ». Il existe en réalité trois types de blockchain Sur ce point, V. : M. Mekki, Les mystères de la blockchain : D. 2017, p. 2160. :
Un état des lieux du droit positif par l'étude des questions soulevées par la technologie blockchain, dans une optique de confrontation des trois types précités aux règles probatoires (Sous-section I) , mène à s'interroger sur une éventuelle évolution de la législation française (Sous-section II) .

Les questions soulevées par la technologie blockchain

La récente réforme du droit des obligations aurait pu être l'occasion d'introduire la blockchain dans le Code civil, mais tel n'a pas été le cas. En l'état actuel du droit français, la question se pose de savoir si la blockchain peut être qualifiée d'écrit (§ I) , et si elle peut être acceptée comme mode de preuve (§ II) .

La blockchain est-elle un écrit ?

Les seuls textes législatifs mentionnant le recours à la blockchain se trouvent dans le Code monétaire et financier, en particulier aux articles L. 223-12 et L. 223-13 au sujet des minibons Elle est également mentionnée concernant les titres financiers et leur nantissement sur une blockchain aux articles L. 211-6 et suivants du Code monétaire et financier. Sur ce point V. nos et s., nos et s. . L'article L. 223-12 (C. monét. fin., art. L. 223-12">Lien) dispose que : « L'émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations ». L'article L. 223-13 (C. monét. fin., art. L. 223-13">Lien) ajoute que ce dispositif « tient lieu de contrat écrit pour l'application des articles 1321 et 1322 du Code civil » relatifs à la cession de créance. Cette dernière disposition pourrait laisser penser que le législateur n'est pas opposé à assimiler la blockchain à un écrit au sens du Code civil, alors même que l'écrit dont il s'agit en matière de cession de créance est exigé à titre de validité (C. civ., art. 1322">Lien) et non seulement à titre de preuve.
  • soit ne pas emprunter le système du hachage ;
  • soit créer un lien entre l'empreinte et son support.
? Toutefois, en l'état actuel du droit positif français et en dehors de la législation spéciale des minibons, il n'est pas possible de qualifier la blockchain d'écrit électronique En ce sens : T. Douville, Blockchains et preuve : D. 2018, p. 2193. Pour une position opposée, V. Y. Cohen-Hadria, Blockchain : révolution ou évolution ? : Dalloz IP/IT 2016, p. 537. . ? En effet, l'article 1365 du Code civil (C. civ., art. 1365">Lien) définit l'écrit comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support ». Or le recours à la blockchain, pour des questions de coût, de temps et d'espace, conduit dans une très grande majorité des cas à réduire le support enregistré à une simple empreinte, par l'utilisation d'un procédé de hachage www.dailymotion.com/video/xzv3ec">Lien . Une fois cette empreinte générée, il n'est pas possible de retrouver le contenu d'origine. Le hachage rend donc l'empreinte enregistrée dans le bloc illisible, sauf à la lier, via notamment un lien hypertexte En ce sens : T. Douville, Blockchains et preuve : D. 2018, p. 2193. , au support originaire. La blockchain, pour entrer dans la qualification de l'écrit au sens du Code civil, doit donc :
En pratique, la blockchain publique ne semble donc pas adaptée, car elle ne permettra d'assurer aucune confidentialité des données sauvegardées. En revanche le système de la blockchain privée pourrait être employé dans la mesure où ses utilisateurs seront choisis On pourrait par exemple imaginer une blockchain privée contrôlée exclusivement par les notaires, soumis au secret professionnel, qui seraient les seuls à avoir accès aux données sauvegardées sur leur blockchain. V. infra, nos à . .

La qualification de la

À ce jour, la blockchain ne peut donc être qualifiée ni d'écrit ni d'horodatage électronique, sauf en matière de cession de créance.

La blockchain peut-elle être acceptée comme mode de preuve ?

? La blockchain peut être acceptée comme mode de preuve dans un environnement contractuel lorsque les parties l'ont prévu et que la loi les y autorise. ? Le Code civil donne en effet la possibilité aux parties de déterminer dans le contrat les modes de preuves admissibles en cas de litige (C. civ., art. 1356">Lien) Il s'agit d'une nouveauté de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Auparavant la jurisprudence avait déjà admis la possibilité pour les parties d'organiser contractuellement le régime de la preuve applicable à leur convention (Cass. civ., 6 août 1901 : S. 1901, 1, 481, note Chavegrin.?Cass. 1re civ., 23 mars 1994, no 91-21.242 : Bull. civ. 1994, I, no 102). . L'article 1368 du même code (C. civ., art. 1368">Lien) évoque les « conventions contraires », en cas de conflits de preuve. Cette liberté porte tant sur les modes de preuve que sur la charge de la preuve V. not., sur les conventions de preuve : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 1900 et s. . Toutefois elle n'est pas offerte à tous les contrats et toutes les parties. Sont exclus de la liberté contractuelle en matière d'organisation de la preuve les droits imprégnés par l'ordre public, comme le droit du travail et le droit de la consommation.
Les conventions permettant de donner une force probante à la blockchain ne peuvent donc être imaginées qu'entre professionnels, ou entre particuliers, lorsque l'ordre public ne prévoit pas le contraire. Peu importe alors que la blockchain ne corresponde pas à la définition juridique de l'écrit ou de l'horodatage électronique et que la loi ne les qualifie pas comme tels. Si les parties souhaitent lui donner la force probante attachée à l'écrit et à l'horodatage électronique, elles pourront le prévoir par convention et celle-ci sera alors opposable au juge.

L'utilisation de la dans les rapports entre consommateurs et professionnels ?

S'agissant du droit de la consommation, l'article R. 212-1 du Code de la consommation dispose que constitue une clause de la liste noire, réputée de manière irréfragablement abusive, le fait d'« imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat ». Au contraire, l'article R. 212-2 du même code dispose que constitue une clause de la liste grise, réputée simplement abusive, le fait de « limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur ». L'utilisation de la blockchain comme mode de preuve dans les rapports entre consommateurs et professionnels n'est donc pas totalement exclue. En revanche cela ne doit pas avoir pour effet d'inverser la charge de la preuve au détriment du consommateur, ni de limiter les modes de preuve à sa disposition.
? La blockchain peut être acceptée comme mode de preuve dans les domaines où celle-ci est libre. ? C'est notamment le cas en matière pénale ou commerciale. Le juge dispose alors d'un pouvoir très large d'appréciation, et il n'existe pas encore de jurisprudence en la matière. En Chine, le tribunal de Hangzhou a déjà reconnu le 28 juin 2018 Hangzhou Internet Court, Province of Zhejiang People's Republic of China, Case no 055078 (2018) Zhe 0192, no 81 Huatai Yimei/Daotong, 27 juin 2018.?J. Deroulez, Blockchain et preuve : la Chine en pointe ?, Actualités du droit, 7 sept. 2018. la force probante de la blockchain dans un litige concernant le bitcoin. Ce tribunal, nommé « Tribunal de l'Internet » est une juridiction pilote en Chine A. Barbet-Massin, Réflexions autour de la reconnaissance juridique de l'horodatage blockchain par le législateur italien : RLDI mars 2019, no 157, p. 40-43. . Il est à ce jour très incertain que les juges français adoptent dans les années à venir une solution équivalente, d'autant plus que la blockchain est bien moins populaire et démocratisée en France qu'en Asie.
Au contraire, la blockchain privée pourrait constituer un écrit électronique ayant la même force probante qu'un écrit papier, à la double condition que :
  • le fichier soit intelligible ;
  • les règles imposées par l'organe directionnel prévoient le recours à un procédé de signature électronique qualifiée.
À considérer que la blockchain puisse être qualifiée d'écrit électronique au sens du Code civil, car ayant une signification intelligible, elle ne pourrait avoir la même force probante qu'un écrit papier qu'à condition « que puisse être dûment identifiée la personne dont [elle] émane et qu'[elle] soit établi[e] et conservé[e] dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité » (C. civ., art. 1366">Lien). Or les blockchains publiques reposent sur l'anonymat des mineurs intervenant dans la validation des blocs. Le pseudonyme y est roi, et il est très compliqué, voire impossible d'établir l'identité des personnes se cachant derrière. De plus, les signatures électroniques utilisées par les mineurs ne sont pas qualifiées au sens du règlement eIDAS dans la mesure où elles sont générées par un logiciel, sans l'intervention d'un tiers certificateur En ce sens : T. Douville, Blockchains et preuve : D. 2018, p. 2193. . Elles ne bénéficient donc pas de la présomption de fiabilité. En raison de cet anonymat, la blockchain publique peut au mieux constituer un commencement de preuve par écrit, lorsque le bloc contient un support lisible, et non uniquement une empreinte, et qu'il peut être rattaché à son auteur.
  • lier « la date et l'heure aux données de manière à raisonnablement exclure la possibilité de modification indétectable des données » ;
  • être fondé sur une horloge liée au temps universel coordonné ;
  • être « signé au moyen d'une signature électronique avancée ou cacheté au moyen d'un cachet électronique avancé du prestataire de services de confiance qualifié, ou par une méthode équivalente ».
Ici encore l'intervention d'un prestataire de services de confiance qualifié est donc nécessaire, ce qui n'est envisageable que dans le cadre d'une blockchain privée. À défaut, la blockchain pourrait être qualifiée d'horodatage électronique simple dans la mesure où l'une de ses qualités est d'établir avec quasi-certitude l'horaire de validation du bloc. Elle ne bénéficierait alors pas de la présomption de fiabilité, mais serait valable comme mode de preuve. Il faudra toutefois pour cela que la législation française qualifie la blockchain d'horodatage électronique.
? La question de la qualification de la blockchain conduit à s'interroger sur l'horodatage électronique, comme mode de preuve de la date. ? L'horodatage électronique est défini par le règlement eIDAS PE et Cons. UE, règl. (UE) no 910/2014, 23 juill. 2014, art. 3, pt 33. comme « un « horodatage électronique » des données sous forme électronique qui associent d'autres données sous forme électronique à un instant particulier et établissent la preuve que ces dernières données existaient à cet instant ». L'article 41 du même règlement ajoute que l'horodatage électronique ne peut être rejeté comme mode de preuve aux seuls motifs qu'il est sous forme électronique ou ne répond pas à la définition de l'horodatage électronique qualifié donnée par l'article 42 dudit règlement. Lorsqu'il est qualifié, l'horodatage électronique bénéficie d'une présomption de fiabilité. Pour cela, il doit :
La blockchain n'est à ce jour que très peu présente dans l'environnement juridique et judiciaire français. Il en va de même au niveau européen qui ne s'est pas encore emparé de cette nouvelle technologie pour l'intégrer à sa réglementation. La question qui demeure aujourd'hui est de savoir si l'on s'oriente pour autant vers une évolution de la législation française.

Vers une évolution de la législation française ?

Pour imaginer l'évolution que pourrait connaître le droit français en matière de blockchain, il faut dans un premier temps adopter un regard comparatiste (§ I) , permettant dans un second temps d'imaginer une reconnaissance légale nécessaire de la blockchain, à encadrer strictement (§ II) .

Regards comparatistes

D'une part, au niveau européen, la blockchain n'occupe pas une place prépondérante dans les évolutions législatives récentes. Le règlement eIDAS ne traite aucunement de cette technologie. Au contraire, les exigences en matière d'identification du signataire par l'intervention d'un tiers certificateur qualifié constituent un obstacle à la reconnaissance de la blockchain publique comme mode de preuve dans les États membres En ce sens : L. de la Raudière et J.-M. Mis, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), Rapp. AN no 1501, 14 déc. 2018, p. 92. . Une réforme du règlement eIDAS est donc présentée comme un prélude indispensable à l'évolution des législations nationales Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), préc., Prop. no 14. . L'Union européenne n'est toutefois pas totalement étrangère à la blockchain, et la commission des affaires économiques du Parlement européen s'est intéressée à cette technologie au sujet des monnaies virtuelles Parlement européen, Rapport sur les monnaies virtuelles, (2016/2007[INI]), 3 mai 2016. . Aux termes d'une résolution du 26 mai 2016, il a été décidé d'évaluer le droit européen au regard de la blockchain. À la suite de cette évaluation, a été créé l'Observatoire-Forum des chaînes de blocs (blockchain) de l'Union européenne (UE) le 1er février 2018 à l'initiative de la Commission européenne.
Certains États européens n'ont pas attendu de réforme communautaire pour intégrer la blockchain à leur système juridique. L'Estonie a été le premier pays en 2012 à baser ses registres de données sur cette technologie. Un partenariat s'est développé entre l'Estonie et la plateforme Bitnation : une e-residence estonienne est proposée à tous, nationaux et internationaux. Celle-ci ouvre ensuite l'accès à des services notariaux et à la conclusion d'actes fondés sur la blockchain, opposables devant les tribunaux J. Deroulez, Blockchain et preuve : Dalloz Avocats 2017, p. 58. . De même, l'Italie a récemment reconnu la qualification d'horodatage électronique à la blockchain L. no 12/19, 11 janv. 2019, relative au soutien et à la simplification des entreprises et de l'administration publique. . À défaut d'intervention d'un tiers certificateur, cet horodatage électronique est simple, et peut donc être opposé comme mode de preuve, sans bénéficier de la présomption de fiabilité. Il revient donc à celui qui s'en prévaut d'établir l'exactitude des données. En présence d'une blockchain privée faisant intervenir un prestataire de services qualifié, l'horodatage bénéficie du régime de l'horodatage électronique qualifié avec la présomption de fiabilité prévue par le règlement eIDAS (art. 41). Ce texte italien ne traite en revanche pas de l'écrit électronique, ni de la signature électronique, lesquels sont donc encore exclus pour la blockchain Sur cette réforme italienne, V. : A. Barbet-Massin, Réflexions autour de la reconnaissance juridique de l'horodatage blockchain par le législateur italien : RLDI mars 2019, no 157, p. 40-43. . La Suisse a quant à elle très récemment légiféré sur la technologie des registres distribués en créant une nouvelle catégorie d'autorisation L. 25 sept. 2020 sur l'adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres distribués. V. B. Mathis, La Suisse adapte son droit fédéral aux cryptoactifs : Dalloz actualité, 30 sept. 2020. .

: la Commission européenne lance un observatoire

« L'initiative vise à soutenir le travail de la Commission en matière de technologie financière et à mettre l'accent sur les évolutions et le potentiel de cette technologie pour encourager les acteurs européens dans ce secteur.
Permettre à l'Europe de s'afficher en leader dans le domaine de la blockchain, notamment en soutenant les entreprises européennes, en améliorant les processus opérationnels et en permettant l'émergence de nouveaux modèles d'entreprise, tel est l'objectif affiché de cette démarche. »
D'autre part, au niveau extra-européen, la blockchain a fait l'objet au degré fédéral d'un caucus au sein du Congrès des États-Unis en septembre 2016. La Chambre des représentants a quant à elle adopté une résolution à la même période en vue d'adapter la législation à cette nouvelle technologie J. Deroulez, Blockchain et preuve : Dalloz Avocats 2017, p. 58. . Au degré des États fédérés, le Tennessee Tennessee, Loi no 1662, 22 mars 2018, modifiant le Tennessee Uniform Electronic Transactions Act. assimile les documents protégés par la blockchain à des écrits électroniques et « la signature cryptographique produite et stockée par la blockchain sous forme électronique [à] une signature électronique » A. Barbet-Massin, Réflexions autour de la reconnaissance juridique de l'horodatage blockchain par le législateur italien : RLDI mars 2019, no 157, p. 40-43. . Le Nevada qualifie également les documents enregistrés sur une blockchain d'écrit électronique. Le Vermont L. 12 V.S.A. §, art. 1913 promulguée le 2 juin 2016. prévoit quant à lui que ces documents sont « auto-authentifiables » A. Barbet-Massin, Réflexions autour de la reconnaissance juridique de l'horodatage blockchain par le législateur italien : RLDI mars 2019, no 157, p. 40-43. . Enfin, Monaco a adopté le 21 décembre 2017 une loi accordant aux inscriptions sur une blockchain la qualité de « copie fidèle, opposable et durable de l'original, portant une date certaine ». Dans la mesure où généralement seule une empreinte est ainsi enregistrée, une interrogation demeure sur le contenu de cette copie, et sur la nécessité de conserver l'original en dehors de la blockchain. Cette conservation semble à ce jour être le seul moyen de rétablir l'identité entre l'original et la copie, par l'application du code de hachage à l'original en cas de contestation, devant aboutir à la même empreinte que celle enregistrée.
Les législations nationales commencent à évoluer, de manière souvent imparfaite et incomplète face aux nombreuses inconnues de la blockchain. Il semble nécessaire que le droit français s'empare de cette technologie afin de lui offrir un cadre légal prédéfini.

Une reconnaissance légale nécessaire, dans un cadre strict

Un amendement avait été proposé lors de la discussion de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption, et à la modernisation de la vie économique L. no 2016-1691, 9 déc. 2016 : JO 10 déc. 2016, no 287. en vue d'accorder à la blockchain la force probante d'un acte authentique Amendement 227 défendu par L. de la Raudière : « Les opérations effectuées au sein d'un système organisé selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaîne de blocs de transactions constituent des actes authentiques au sens du deuxième alinéa de l'article 1317 du Code civil ». . Cet amendement a logiquement été rejeté, la blockchain ne pouvant en aucun cas être assimilée à un acte authentique Cf. Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 27 mars 2017, #Familles #Solidarités #Numérique. , reçu par un officier public chargé de vérifier les conditions de validité de la convention, de conseiller les parties, et d'assurer l'efficacité de son acte M. Mekki, Les mystères de la blockchain : D. 2017, p. 2160. . Trois points essentiels qui ne peuvent être assurés par la technologie de la blockchain, même couplée avec des LegalTech, dans la mesure où l'intervention humaine reste indispensable pour apprécier la subjectivité de chaque situation. Selon le professeur Mustapha Mekki, les effets de la blockchain doivent se limiter au plus à conférer date certaine M. Mekki, Les mystères de la blockchain : D. 2017, p. 2160. .
Les apports de la blockchain au droit français pourraient être nombreux : on peut imaginer une utilisation pour les services du cadastre et la publicité foncière V. supra, nos et s. , en matière de droits d'auteur, d'exécution automatique des contrats V. infra, nos et s. , d'horodatage, de certification de l'intégrité de documents, notamment des actes d'état civil, de diplômes… Cette technologie présente toutefois un certain nombre de défauts devant mener à une grande vigilance du législateur. Parmi ceux-ci, il existe tout d'abord un risque de falsification, certes minime dans une blockchain publique dans la mesure où elle nécessiterait un consensus de plus de la moitié des mineurs, mais qui ne peut être exclu, d'autant plus face à la présence de multinationales achetant la puissance de calcul des mineurs. Un autre risque réside dans une perte de souveraineté dans des domaines comme la gestion du cadastre. En effet les mineurs peuvent se trouver partout dans le monde, ou concentrés dans certains États, à la botte de leur gouvernement ou multinationales les rémunérant. Le système de hachage peut en outre être craqué, présentant alors un risque de sécurité. Sans compter le coût, notamment énergétique, des calculs nécessaires au fonctionnement de la blockchain, et les difficultés en matière de responsabilité en l'absence de personnalité juridique et d'organe directionnel.
La prise en compte de ces considérations, tant techniques que politiques, mène à écarter la blockchain publique de toute utilisation impliquant la souveraineté nationale (état civil, cadastre, publicité foncière…). La reconnaissance de la blockchain publique dans le domaine privé suppose une réforme européenne, et notamment du règlement eIDAS. Cette réforme pourrait consister en une définition de la blockchain et de ses caractéristiques techniques, éventuellement accompagnée d'une certification nationale permettant la même distinction que celle des signatures, cachets, horodatage et recommandés électroniques avec des catégories de blockchain. On imagine alors une « blockchain qualifiée » à laquelle seraient attachés tant les effets de la signature qualifiée que ceux de l'horodatage qualifié avec une présomption de fiabilité. Cela est toutefois difficilement envisageable sans l'intervention d'un service de confiance qualifié. La blockchain « simple » ou « avancée », en fonction de son degré de sécurité, serait alors reconnue dans chaque État membre et invocable devant les tribunaux, avec une force appréciable par le juge. La blockchain qualifiée ne pourrait a priori se rencontrer qu'avec les blockchains privées où l'anonymat peut être écarté, et l'organe directionnel responsable en cas de dommage.
Le notariat a peut-être un nouveau rôle à découvrir en utilisant la blockchain privée et en se plaçant comme autorité de confiance digne de gérer certaines prérogatives souveraines. Ainsi une blockchain privée orchestrée par les notaires pourrait être développée pour gérer le cadastre et la publicité foncière, en lien direct avec leur activité immobilière V. supra, no . . Dans la continuité de la Blockchain Notariale (BCN) récemment présentée V. le dossier de presse du 7 juill. 2020 présentant la Blockchain Notariale (BCN) et évoquant les « notaires mineurs », « tiers de confiance par excellence ». V. infra, nos et s. , les notaires pourraient être les mineurs qualifiés. Ils seraient non pas chargés de procéder aux opérations de calcul, mais de valider les opérations inscrites sur la blockchain, en en certifiant l'origine, la date et le contenu au moyen de leur procédé de signature électronique qualifiée. Cette blockchain pourrait aller au-delà du secteur d'activité classique du notariat en imaginant par exemple un nouvel acte de dépôt, non pas au rang des minutes du notaire, mais sur la Blockchain Notariale. Le notaire contrôlerait et certifierait l'identité du déposant et la date d'inscription sur la blockchain. Ce dépôt aurait alors les effets tant d'une signature électronique qualifiée que d'un horodatage qualifié. Il pourrait porter sur un écrit, une œuvre musicale, un logiciel, une photographie, une vidéo…, dont la confidentialité serait assurée par le caractère privé de la blockchain. On retrouverait la sécurité de la blockchain publique assurée par la confiance en l'autorité certifiante, et la transparence et la confidentialité de la blockchain privée.