La dépendance à l'égard d'un tiers

La dépendance à l'égard d'un tiers

Une personne qui ne possède pas les compétences pour utiliser tel ou tel service numérique peut néanmoins avoir connaissance de son existence et des avantages qu'il peut procurer (rapidité, variété d'offres, coût avantageux…), et demander alors à un tiers sachant d'agir pour son compte, de « commander à sa place » par exemple. La situation se présente également lorsque l'usage d'un outil numérique est obligatoire.
L'intervention régulière d'un même tiers pour le compte d'une personne vulnérable pose les questions de l'emprise éventuelle qu'il a sur elle (§ I) et des effets juridiques de cette situation de dépendance (§ II) .

L'emprise d'un sachant

Les situations dans lesquelles une personne utilise un outil numérique pour le compte d'une autre sont relativement variées et peuvent se retrouver tant dans un cadre familial ou personnel que dans un cadre professionnel.
Dans le cadre familial, deux situations se rencontrent fréquemment. D'une part, au sein du couple, en vertu d'un quelconque partage des tâches, il n'est pas rare qu'un seul des deux, soit par compétence exclusive, soit par affinité avec la matière, détienne les éléments d'identification permettant d'accéder aux services numériques du quotidien, tels les services bancaires, les abonnements divers, voire l'adresse e-mail commune au couple… De fait, et avec le temps, compte tenu de la nature variée des services auxquels il a accès et de l'information qu'il est le seul à recevoir, il n'est pas à exclure qu'il se retrouve malgré lui en position de décideur en de nombreux domaines du quotidien.
Toujours dans un cadre familial, mais intergénérationnel cette fois, il est là encore fréquent, et régulièrement constaté par les notaires, qu'un enfant ou petit-enfant soit en charge de nombreuses tâches numériques. La personne frappée d'illectronisme doit alors faire preuve d'une grande confiance, car elle sera par définition incapable de contrôler ce que fait le sachant. Cette situation se retrouve notamment en matière fiscale, pour récupérer des documents sur l'espace en ligne et surtout pour l'établissement des déclarations d'impôt sur le revenu et sur la fortune immobilière.
Dans le cadre professionnel, la mutation digitale de notre société impose de plus en plus l'usage de services numériques V. supra, no . . Ces nouvelles pratiques ont pour effet de modifier l'organisation interne des entreprises et de provoquer des transferts de compétences. Par exemple, la tendance à favoriser le virement bancaire par le biais de systèmes informatiques intégrés à l'entreprise a pu conduire certains à revoir la répartition des tâches entre comptable et chef d'entreprise. Si le chef d'entreprise signait bien volontiers une pile de chèques d'un seul coup, en l'absence de maîtrise de l'outil informatique il pourrait être tenté de laisser plus de responsabilités à ses comptables.
Il ressort de ces trois hypothèses que l'illectronisme et la confiance placée en un sachant en matière numérique peuvent pousser une personne à transférer des compétences en des matières dont le fond est totalement étranger au digital, du seul fait que ce tiers maîtrise l'outil numérique permettant d'agir. Ainsi grand nombre de petits-fils sont devenus experts en fiscalité !

Les effets de la transmission d'identifiants

Dans les hypothèses où le service numérique ne permet pas au sachant de réaliser la tâche qui lui incombe en s'identifiant personnellement, il doit s'identifier comme étant la personne vulnérable numériquement. Pour ce faire, cette personne doit lui transmettre soit les éléments d'identification, si elle les a, soit les éléments permettant de les créer. Dans cette situation, une personne se fait donc passer pour une autre personne, avec son autorisation, auprès d'un tiers. La qualification de cette situation peut se faire sous l'angle de l'usurpation d'identité, ou bien sous l'angle du mandat.
– L'usurpation d'identité. – L'article 226-4-1 du Code pénal C. pén., art. 226-4-1 : « Le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu'elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. Lorsqu'ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ». a introduit un délit d'usurpation d'identité numérique. Dans les hypothèses précédemment décrites de transmission d'identifiants, ce texte ne devrait a priori pas trouver à s'appliquer dans la mesure où la personne « représentée » est consentante et est notamment la personne qui transmet librement les éléments d'identification. Cependant le texte prévoit que le délit peut être constitué autrement que par l'usurpation : par l'« usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier », dans l'hypothèse où cela est fait « en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ».
En conséquence, même si les éléments d'identification ont été remis avec l'entier consentement de leur titulaire, l'usage qui en est fait peut constituer le délit d'usurpation d'identité.
– Le mandat. – Le Code civil régit le mandat aux articles 1984 à 2010 (C. civ., art. 1984 à 2010">Lien). Il peut être aisément admis que la transmission des éléments d'identification à un tiers avec une tâche précise à exécuter peut relever du mandat s'agissant des rapports entre le vulnérable numérique et le sachant. La situation est plus complexe en ce qui concerne les rapports avec l'hébergeur du service numérique en question. En effet, en utilisant les éléments d'identification de la personne vulnérable pour se connecter, le sachant agit à la place de celle-ci en se faisant passer pour elle vis-à-vis de l'hébergeur. Alors que dans le cadre de l'exécution d'un mandat, elle devrait présenter le mandat, se présenter et agir en son nom personnel pour le compte du mandant. De surcroît, pour les services qui nécessitent une signature numérique de documents, la signature étant apposée par une personne différente du titulaire, elle doit être considérée comme un faux.