La délicate application de la distinction eu égard à la diversité des « choses numériques »

La délicate application de la distinction eu égard à la diversité des « choses numériques »

Classiquement la notion de chose renvoie à un objet matériel À noter que le lexique des termes juridiques définit le terme « chose » en visant les « biens matériels qui existent indépendamment du sujet, dont ils sont un objet de désir, et qui ne ressortissent pas exclusivement au monde juridique (par opposition aux droits) », S. Guinchard et Th. Debard, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2013. Pour une étude plus complète de la notion de « chose » en droit, V. http://ecoumene.blogspot.com/2013/04/la-notion-de-chose-en-droit-s-vanuxem.html">Lien. – F. Zenati, L'immatériel et les choses : Arch. phil. dr. 1999, t. 43, p. 79, 80 et 85. .
Toutefois, comme il est exposé ci-après, des objets autrefois uniquement tangibles se présentent aujourd'hui également sous formes numériques.
Ces choses qui sont ainsi devenues numériques vont alors embrasser un grand nombre de biens qui ont plus ou moins un intérêt patrimonial.
Les « choses numériques » comprennent donc aussi bien des droits patrimoniaux que des droits extrapatrimoniaux.
La notion de « choses numériques » est beaucoup plus large que celle d'actifs numériques ; les « choses numériques » n'ont pas nécessairement des valeurs pécuniaires alors que les actifs numériques sont définis au regard de leurs valeurs. Ainsi, avant de confirmer la patrimonialité des actifs numériques (§ II) , il conviendra de constater la dématérialisation croissante des productions humaines (§ I) .

La dématérialisation croissante des productions humaines

Historiquement, les biens produits par l'Homme sont des actifs matériels. Cependant les innovations technologiques, depuis le siècle des Lumières, ont développé l'immatériel.
Les objets virtuels sont alors apparus avec l'éclosion de l'outil informatique.
Le processus de numérisation des économies a entraîné une dématérialisation croissante des actifs : des biens et des services vers les données.
Ces actifs ne sont pas tangibles, ce qui signifie qu'ils n'ont aucune existence physique. Au lieu de cela, ils figurent sur des fichiers qui sont soit en circulation, soit stockés sur des supports numériques (ordinateurs, disques durs…).

La dématérialisation de la musique

Jusqu'à une époque pas si lointaine, on ne pouvait écouter notre titre préféré qu'en achetant un support physique sur disque (CD ou vinyle pour les plus anciens d'entre nous). De nos jours, il suffit de le télécharger sur une plateforme et de l'écouter où et quand bon nous semble. Il n'y a donc plus de support matériel permettant de formaliser le droit d'écouter ce titre.
– Les choses numériques sont nombreuses et diverses de nos jours. Elles ne sauraient être réduites à ceux que la loi Pacte C. monét. fin., art. L. 54-10-1. définit : les jetons et les cryptomonnaies V. supra, nos et s. .
Le contenu de notre ordinateur, les photos dans notre téléphone intelligent, notre page web ou notre blog Le blog, de l'abréviation de l'anglais weblog est un carnet de bord sur le web, sur lequel un internaute tient une chronique personnelle ou consacrée à un sujet particulier (V. infra, no ). , comme notre profil sur Facebook ou notre commerce sur Vinted ou eBay sont des choses dématérialisées.
Il en est de même pour les comptes de réseaux sociaux, qu'ils soient généralistes ou spécialisés, mobiles ou géolocalisés, professionnels ou anonymes, sur mobile uniquement, permettant les échanges avec des proches ou des collègues, la promotion d'une entreprise, la création, la publication et le partage de contenus.
– Choses numériques et comptes numériques. – Parmi les choses dématérialisées, il convient de distinguer les choses numériques et les comptes numériques.
Une chose numérique est un fichier de format binaire contenant des informations codées avec des 0 et des 1 et incluant un droit de propriété. Il peut s'agir, par exemple, d'une cryptomonnaie, d'une photo, d'une feuille de calcul, d'un document Word, ou d'un billet de blog.
Un compte numérique est quant à lui utilisé pour accéder à une chose numérique, tout comme un compte de courrier électronique est utilisé pour accéder à un courriel.
Nous pouvons classer les comptes numériques en trois catégories :
  • les comptes contenant des renseignements sur des devises pouvant être converties en argent réel.Ce sont par exemple les comptes de cryptomonnaies, les comptes de paiement en ligne comme PayPal ou Payoneer, les comptes de programme de fidélisation et les comptes de carte de crédit offrant des miles aériens ou des remises en argent ;
  • les comptes contenant des renseignements sur des intérêts personnels ou commerciaux.Ce sont par exemple les comptes de messagerie électronique et de médias sociaux ;
  • les comptes contenant des biens virtuels.Ce sont par exemple les comptes iTunes, contenant des chansons ou des livres numériques.
Les comptes numériques, qui ne sont qu'une enveloppe permettant de détenir les « choses numériques », sont soumis au bon vouloir des prestataires de service sur la base contractuelle de conditions d'utilisation.
Ils ne présentent donc aucun intérêt patrimonial.

La patrimonialité des actifs numériques

Pour figurer dans un patrimoine et constituer ainsi des actifs, les choses numériques doivent nécessairement avoir une valeur pécuniaire. Des exemples peuvent en être donnés avant que ne soient envisagées deux circonstances s'opposant à la qualification d'actif numérique, à savoir les caractères personnel et éphémère des choses numériques.

Exemples de sources de revenus sur internet

À travers un blog, il est possible de créer des livres électroniques, un programme audio, un cours vidéo, des services, et les vendre à son public cible.
Grâce aux réseaux sociaux et, plus largement, à internet, il existe différentes manières de générer des revenus :
  • les marques rémunèrent des influenceurs des médias sociaux pour diffuser leurs produits ;
  • l'Affiliate Marketing (promouvoir le produit d'affiliation) consiste à faire la promotion d'une marque ou de ses produits sur les réseaux sociaux. Lorsqu'un internaute clique sur un lien pointant vers un contenu du site partenaire et réalise un achat, une commission est versée ;
  • créer et faire la promotion de son propre produit : publier ses produits sur les médias sociaux, et les acheteurs intéressés entrent en contact pour effectuer un achat ;
  • promouvoir les produits et services d'autrui : partager les messages sponsorisés qui promeuvent les produits et services d'autres entreprises.
  • vendre ses services sur support visuel : il existe de nombreuses possibilités de faire connaître ses produits sur les médias sociaux. Instagram, Pinterest Facebook, Twitter et Linkedin sont d'excellents canaux pour partager des médias visuels ;
  • programme YouTube : créer une chaîne YouTube sur un thème de niche et rejoindre le programme YouTube Partner pour gagner de l'argent sur la publicité ;
  • Ÿdevenir Social Media Manager : les réseaux sociaux sont un important canal de réseautage pour communiquer avec les clients et promouvoir les services, l'entreprise ou la marque auprès du public cible.
La plupart des grandes organisations ont un ou plusieurs comptes de médias sociaux pour communiquer avec leurs clients et leurs fans. Ces types de comptes ont un nombre important d'adeptes et peuvent recevoir des centaines de messages et de demandes.
Les propriétaires de ces types de comptes n'ont souvent pas le temps ou la capacité de traiter quotidiennement les demandes et les messages. Ils peuvent donc engager des gestionnaires de réseaux sociaux pour administrer leurs comptes.
De nombreux jeux en ligne créent également des « récompenses » pouvant être converties en argent réel.
– Le caractère personnel de certaines choses numériques s'opposant à la qualification d'actifs numériques. – Les actifs numériques, tels que les cryptomonnaies ou les tokens, ne sont pas dominés par l'intuitu personae.
Mais pour beaucoup d'autres choses numériques, il n'est pas possible de faire complètement abstraction du rattachement particulièrement étroit qu'elles présentent avec la personne même de leur titulaire.
Les courriels, les photos et les messages n'ont bien souvent qu'une valeur sentimentale.
Les blogs, la bibliothèque de musique en ligne et les photos Facebook d'une personne sont les équivalents modernes d'un article de presse, d'une discothèque et d'un album photo.
Nous savons que lorsqu'un droit est attaché à la personne, il est entièrement extrapatrimonial.
Ces choses numériques attachées à la personne de leur titulaire seront donc incessibles, intransmissibles et insaisissables.
Et elles sont valorisées à travers l'attachement affectif que lui accorde son titulaire indépendamment de leur valeur monétaire.
Toutefois, il existera toujours des cas particuliers pour lesquels, malgré cette personnalisation, la chose numérique aura une valeur patrimoniale.
Une photo sur le smartphone d'un photographe de renom n'a évidemment pas la même valeur que les photos d'un amateur qui ne sont souvent que de simples souvenirs.
– Le caractère éphémère de certaines choses numériques s'opposant à la qualification d'actifs numériques. – L'instantanéité est un trait qui caractérise le monde numérique, et certaines choses numériques ont un caractère éphémère. Or, la notion d'actif numérique suppose une certaine constance dans le temps pour qu'une valorisation soit possible.
Ainsi, les blogs demeureront une source de revenus et n'auront de valeur que pour autant que son titulaire restera actif. Dans le cas contraire, ses adeptes vont perdre tout intérêt pour le sujet et plus aucune valeur ne sera susceptible d'y être attachée On pourrait toutefois imaginer que le contenu d'un blog puisse être récupéré à l'insu de son titulaire pour alimenter un autre blog ou une autre plateforme. .
Si le blog répond aux conditions posées par les articles L. 112-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI, art. L. 112-1 à L. 112-4">Lien, il pourra alors recevoir la qualification d'œuvre de l'esprit et être ainsi protégé au titre du droit de la propriété intellectuelle.
L'article L. 112-4 précise que le titre d'une œuvre de l'esprit est protégé comme l'œuvre elle-même « dès lors qu'il présente un caractère original ». L'originalité est donc une condition fondamentale sans laquelle la protection du Code de la propriété intellectuelle ne peut trouver à s'appliquer et dont l'appréciation reste délicate.
Le législateur consacre par ailleurs, sans jamais la définir, l'œuvre de l'esprit.
C'est à la jurisprudence qu'il est revenu d'en dessiner les contours, en traçant une frontière entre les créations qui peuvent relever des œuvres de l'esprit et celles qui, au contraire, doivent y échapper.
L'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle offre ainsi une liste exemplative des créations « considérées (…) comme des œuvres de l'esprit » (CPI, art. L. 112-2">Lien).
Mais le périmètre de la catégorie des œuvres de l'esprit est aujourd'hui plus vaste que ce qu'il pouvait être hier, incluant par exemple les œuvres multimédias Cass. 1re civ., 25 juin 2009, no 07-20.387, Cryo : JurisData no 2009-048920 ; RTD com. 2009, p. 710, obs. F. Pollaud-Dulian ; JCP G 2009, no 42, 328, note E. Treppoz ; RIDA juill. 2009, p. 305, obs. P. Sirinelli. – Pour une illustration plus récente, qui conclut notamment à la protection du gameplay d'un jeu vidéo, V. TGI Lyon, 3e ch., 8 sept. 2016, no 05/08070. – J. Groffe, Retour sur la décision Alone in the dark : Dalloz IP/IT 2017, p. 651 ; RIDA 1/2018, p. 176, chron. A. Bensamoun et P. Sirinelli. .

Le : une œuvre de l'esprit ?

Un blog (abréviation de l'anglais weblog, carnet de bord sur le web) est un site web sur lequel un internaute tient une chronique personnelle ou consacrée à un sujet particulier.