Des droits toutefois étendus

Des droits toutefois étendus

– Une communication de biens et données. – Plus surprenant est le deuxième point, de surcroît énoncé en fin d'alinéa, presque de manière incidente. Les héritiers « peuvent aussi recevoir communication des biens numériques ou des données s'apparentant à des souvenirs de famille, transmissibles aux héritiers » L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, II, 1o in fine. .
Cette phrase ambiguë, semble-t-il peu ou pas commentée Pour une exception, cf. C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, art. préc., p. 93-104. , devrait avoir un brillant avenir d'interprétation jurisprudentielle ; spécialement compte tenu de l'importance croissante prise par les données numériques en général (écrits, images, sons, vidéos, etc.) et les biens numériques en particulier (choses appropriables et valorisables malgré leur virtualité : créations, interprétations, etc.) Pour la notion de biens numériques, cf. A. Chaigneau et E. Netter (ss dir.), Les biens numériques, Ceprisca, coll. « Colloques », 2015. .
En effet, le droit de communication évoqué est-il limité aux seuls données ou biens numériques s'apparentant à des souvenirs de famille ? Ou s'étend-il à tous les biens numériques, tout en étant réduit aux seules données s'apparentant à des souvenirs de famille ?
La formulation restrictive de l'article pourrait laisser penser à une restriction générale ; d'autant qu'il serait paradoxal de prévoir la communication de tous biens numériques, mais des seules données s'apparentant à des souvenirs de famille.
Toutefois, les biens numériques prenant la forme de données, pourquoi écrire alors les deux expressions « biens numériques ou données s'apparentant à des souvenirs de famille » si la restriction ne s'applique pas uniquement aux secondes ?
La question se tranchera selon que la conjonction de coordination « ou » sera entendue de manière inclusive ou exclusive et selon le sens donné à la position de la virgule dans la phrase.
Et sur la notion de « souvenir de famille », spécialement si elle s'applique tant aux biens numériques qu'aux données personnelles, le législateur a-t-il bien saisi le périmètre très limité qu'en donne la jurisprudence Notion que le législateur s'est peut-être toutefois appropriée à la lecture de la contribution du Conseil supérieur du notariat lors de la consultation sur la rédaction de la loi pour une République numérique… ?
Celle-ci la limite aux objets ayant « une valeur essentiellement morale » Cass. req., 14 mars 1939 : D. 1940, 1, 9, note R. Savatier. pouvant « être confiés à titre de dépôt à celui des membres de la famille que les tribunaux estiment le plus qualifié » Cass. 1re civ., 21 févr. 1978 : D. 1978, 505, note R. Lindon. afin « d'assurer la conservation de certains biens dans le cercle familial, éviter leur dispersion à l'extérieur » J.-F. Barbièri, Les souvenirs de famille : mythe ou réalité juridique ? : JCP G 1984, I, p. 356, no 4. . Ils échappent à ce titre aux règles de dévolution successorale et de partage, à l'immobilisation par destination, à la saisie des créanciers du détenteur, etc.
Cette notion est singulièrement utilisée pour des données numériques, par nature réplicables, ce qui les fait échapper par principe aux disputes successorales dont sont habituellement l'objet les souvenirs de famille, uniques et non partageables.
Et enfin que penser de l'ajout de la qualification de « transmissibles aux héritiers » ? Sachant que l'on qualifie plus volontiers de « transmissibles » les créances ou actions que les biens.
S'agit-il là encore d'une explication : les biens numériques ou données s'apparentant à des souvenirs de famille sont communicables aux héritiers car ils leur sont transmissibles ? Ou d'une condition cumulative : seuls des biens numériques ou données s'apparentant à des souvenirs de famille étant en outre transmissibles aux héritiers leur seraient communicables ? Et dans ce cas, que fera-t-il qu'un bien ou une donnée est transmissible Dans le champ de cette disposition, il est peu probable qu'il s'agisse d'une référence aux contrats passés avec certaines plateformes, sur lesquelles les internautes ne sont pas propriétaires des données (musiques, films, etc.), mais d'une simple licence d'utilisation, par définition intransmissible. ?
Il faut regretter que ce nouveau texte, à défaut d'une rédaction précise, interroge au moins autant qu'il répond à une attente, car les droits conférés aux héritiers s'en trouvent très variables et incertains.