Repenser la propriété des projets immobiliers pour ne pas obérer l'avenir a30384
– Le morcellement de la propriété, ennemi de l'environnement. – Le foncier bâti ou non est la matière première du développement urbain. Comme toute matière première, il obéit aux règles de rareté, de disponibilité et de prix.
Cet état de fait prend une dimension nouvelle, et pour tout dire de haute intensité politique dans les zones dites tendues, fruits, entre autres, de l'attractivité métropolitaine et de la pression démographique. À cet égard, comme nous l'avons exposé dans la partie I, tant l'objectif ZAN et la question de la sobriété foncière en découlant que l'évolution des usages et des besoins de plus en plus rapide rendent encore plus prégnant le sujet.
En dépit de l'urgence de la situation, force est de constater que la question du foncier urbain n'a pas fait l'objet d'un réexamen de fond et transversal, pourtant indispensable. Notre société, dite « des urbains », exige que le foncier des villes fasse l'objet d'une profonde remise en question.
L'examen du parcellaire urbain traduit de façon assez claire la situation. Il est, au fond, comme la transposition en modèle réduit d'un ancien cadastre agricole : avant les opérations de remembrement foncier, opérées partout en zone agricole à partir des années 1960, l'exploitation était devenue impossible : la mécanisation et le développement d'une agriculture intensive avaient rendu le cadastre agricole absolument obsolète.
De la même façon, en matière urbaine, au fil des siècles, on divise des parcelles, on agrège des territoires limitrophes, on crée des voies d'accès, mais la règle de base qui continue à régir l'usage de ces parcelles, c'est la capacité d'un projet immobilier à supporter une charge foncière en en transférant le coût sur l'usager. Division et renchérissement sont les conséquences naturelles de cette situation.
Face à cet état de fait, les pouvoirs publics sont contraints à une position défensive en vue de permettre l'émergence dans le tissu urbain des activités d'intérêt général ou simplement moins lucratives.
Ces « actions défensives » tendent à un meilleur équilibre dans l'usage de l'espace urbain, mais elles ne peuvent contrer l'inexorable renchérissement du foncier qui peu à peu épuise toutes les capacités financières des usagers de toute nature.
Tout ceci se traduit par la part déraisonnable que prend le logement, comme l'a très bien montré le 119e Congrès des notaires de France, dans le pouvoir d'achat des Français, par le rehaussement continu du coût de l'outil de travail dans le coût d'exploitation des entreprises ou, plus radicalement, par la quasi-impossibilité de trouver du foncier de centre-ville pour établir un EHPAD ou une école.
Pour compliquer encore la situation, le réflexe légitime de protection des territoires naturels et de refus d'une densification par la population qui considère de moins en moins acceptable la construction aboutit à promouvoir deux interdits : l'usage de nouvelles terres agricoles (zéro artificialisation nette), d'une part, et l'accroissement de la densité, d'autre part. Voilà le couvercle mis sur la marmite de l'ébullition du coût du foncier. La situation, si elle n'est pas encore explosive, exige pour le moins une grande prudence.
Pour tenter de contrer ou de s'accommoder du renchérissement du coût du foncier, différentes techniques ont pu être utilisées au cours des dernières décennies. On peut en citer deux :
- la généralisation du système de la copropriété qui s'appuie sur la fiction juridique de « millièmes de copropriété foncière », principal outil de la construction urbaine d'après-guerre et dont on mesure aujourd'hui les limites quand il s'agit notamment d'engager des travaux de rénovation lourde ou d'isolation thermique ; là aussi, il va falloir inventer un outil de remembrement ;
- la séparation de la nue-propriété et de l'usufruit, qui peut convenir à certaines situations familiales ou personnelles mais qui ne semble pas pouvoir être érigée en système d'organisation de la propriété bâtie.
En revanche, la technique de la séparation du foncier et du bâti n'est pas majoritaire dans la tradition française. Toutefois, on constate depuis quelques années la résurgence de cette question, avec :
- les démembrements pour faciliter l'accès au logement (avec le bail réel solidaire [BRS], dernier en date notamment) ;
- les démembrements pour protéger les biens stratégiques ou patrimoniaux (politique de l'État ou de la Ville de Paris) ;
- les démembrements pour faciliter et maîtriser le développement des activités économiques (bail réel solidaire d'activité [BRSA], expériences du Grand Chambéry et Grand Annecy, foncière à créer par GPA).
Cette technique a en effet bien des mérites, pour autant que les conditions pour qu'elle fonctionne soient réunies. Cela pose la question de savoir qui doit détenir le foncier, devenu la ressource indispensable au développement de la ville de demain. Quels types de modèle doit-on mettre en œuvre ? Quels acteurs pourraient jouer un rôle en la matière ?