Propos introductifs de Hervé de Gaudemar, rapporteur général
Le rapport présenté par le 120e Congrès des notaires de France donne le chemin vers un horizon : l’urbanisme durable.
Rapporteur général du 120e Congrès des notaires de France
Le rapport présenté par le 120e Congrès des notaires de France donne le chemin vers un horizon : l’urbanisme durable.
Pour tout dire, à l’orée de notre XXIe siècle, le chemin que l’on se propose d’emprunter est déjà largement tracé. En s’élançant au siècle dernier, la longue marche de l’écologie en a posé les jalons et lui a imprimé ses premières directions. Ayant d’abord visé la protection des paysages et de la nature, puis la lutte contre les pollutions, il passe désormais, au rythme forcé des inquiétudes liées au dérèglement climatique, à travers de nouveaux champs visant plus clairement l’Homme dans sa relation à la Nature, le confrontant plus directement à l’avenir de l’Humanité.
L’urbanisme est l’un de ces nouveaux champs que l’écologie vient imprégner. Si la ville a été historiquement construite comme un lieu où la Nature a été mise à distance, ce n’est plus le cas. Au-delà du mouvement de verdissement des villes de la fin du XIXe siècle, l’urbanisme s’enrichit depuis peu de réflexions sur l’impact environnemental des villes, laissant entrevoir une nouvelle écologie urbaine.
Le vocabulaire à la mode en témoigne pour tout un chacun : « écoquartiers », « haute qualité environnementale des constructions », « écoconception », « trames vertes et bleues », « PLU bioclimatique », etc. L’aménagement le plus récent des villes et des bâtiments se développe, avec des accents marketing plus ou moins marqués, sur la base d’une nouvelle grammaire de l’écologie. Fort heureusement, il ne s’agit pas seulement d’affichage. L’urbanisme est bel et bien entré dans une nouvelle ère, celle de la ville durable succédant à celle de l’urbanisme moderne, dont les caractères avaient été tracés par la Charte d’Athènes de 1933. Il ne s’agit pas d’une utopie urbaine supplémentaire, mais de changements bien réels dans la manière de concevoir des villes capables de faire face aux enjeux du réchauffement climatique, « en tentant de s’y adapter, mais surtout en se transformant. »
Pour en saisir tout le sens, il n’est pas inintéressant d’observer que la ville durable n’est pas née dans la pensée des urbanistes, mais du concept de développement durable dont elle constitue une déclinaison. Cela nous renvoie au rapport fondateur Notre avenir à tous – également désigné « rapport Brundtland » – où se trouve la première définition, sous le sceau des Nations Unies, de la notion de développement durable : un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Le concept s’est par la suite progressivement répandu, avant d’être formellement consacré par les États au Sommet de la Terre de Rio en 1992. « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable », y est-il déclaré. C’est un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.
Charte d’Aalborg - C’est sur ces trois piliers, auxquels on ajoute habituellement la participation citoyenne, que la ville durable est censée s’appuyer. Le plan d’action pour le XXIe siècle, dit Agenda 21, adopté au Sommet de Rio, appelle les collectivités locales à les prendre en compte dans des « Agenda 21 » locaux. Dans cette même période du milieu des années 1990 se forme également aux États-Unis le mouvement New Urbanism, qui promeut une alternative à l’étalement urbain et au fonctionnalisme, en mettant notamment en avant la densification et la mixité des usages, tout en insistant sur la place des piétons en ville. En Europe, la Charte d’Aalborg prend en 1994 le contrepied de la Charte d’Athènes en posant les principes d’un urbanisme accolé au concept de développement durable. Ses termes méritent d’être ici retranscrits :
« Nous, villes, comprenons que le concept de développement durable nous conduit à fonder notre niveau de vie sur le capital que constitue la nature. Nous nous efforçons de construire une justice sociale, des économies durables, et un environnement viable. La justice sociale s’appuie nécessairement sur une économie durable et sur l’équité, qui reposent à leur tour sur un environnement viable.
Environnement durable est synonyme de maintien du capital naturel. Il exige que nous ne consommions pas les ressources renouvelables, notamment en énergie et en eau, plus rapidement que la nature ne peut les remplacer, et que nous n’exploitions pas les ressources non renouvelables plus rapidement que les ressources renouvelables durables ne peuvent être remplacées. Environnement durable signifie aussi que la pollution ne doit pas être supérieure à la capacité de l’air, de l’eau et du sol à l’absorber et à la traiter.
En outre, environnement durable suppose le maintien de la biodiversité, de la santé publique et de la qualité de l’air, de l’eau et du sol à des niveaux suffisants pour protéger durablement la vie humaine, la faune et la flore. »
Les collectivités françaises se sont largement inscrites dans l’appel de la Charte d’Aalborg, qu’elles ont mise en œuvre par la rédaction de nombreux « Agenda 21 » et « Agenda 2030 ».
Congrès des notaires et enjeux environnementaux - Ces sujets forment la trame principale du présent rapport, le troisième que le Congrès des notaires choisit de consacrer spécifiquement aux enjeux environnementaux. En 1994, la Protection de l’environnement est mise en lumière, avec un brin de méfiance – faut-il bien l’avouer – envers le droit public, exprimée sans ambages dans le sous-titre retenu : « De la contrainte au contrat ». En 2008, c’est au tour du thème Développement durable. Un défi pour le droit. L’intitulé est tout aussi engagé, voire engageant, les autorités publiques et les juristes étant invités, selon les termes très forts de notre confrère Gabriel Vidalenc, rapporteur général, à procéder à « un renversement complet des plus vieilles pratiques politiques ». La contrainte étatique y est réhabilitée, avec l’exigence, posée comme condition préalable, que l’opinion publique adhère en toute connaissance de cause, sans tromperies ni fausse naïveté, à une démarche impliquant nécessairement des changements de modes de vie.
Seize ans après, le titre du présent Congrès mentionne de nouveau des défis, cette fois au pluriel et avec un changement de perspective. Le droit n’est plus ici visé comme un défi dans la conduite du développement durable. Avec le plus grand réalisme, nos défis sont ceux du climat ; de façon plus pragmatique, ils portent sur des projets.
Défis climatiques. – Le climat est « l’Affaire du Siècle », dit-on. C’est incontestable à tous points de vue où l’on se place, dans sa vie personnelle, professionnelle ou citoyenne. Les effets attribués au dérèglement climatique ne sont pas seulement scientifiquement identifiables, ils sont aussi visibles et ressentis. Il ne paraît pas utile de nous étendre sur ce point, sauf à rappeler la récurrence des épisodes caniculaires et l’accroissement des températures moyennes tout au long de l’année, les images terrifiantes des inondations répétées du Pas-de-Calais et celles, tout aussi spectaculaires, des tempêtes frappant le littoral. Il y a aussi ces immeubles atteints par l’érosion côtière, ces maisons fragilisées par le retrait-gonflement des sols argileux, ces saisons sans neige, les papillons que l’on ne voit plus voler, et la multiplication des conflits d’usage sur l’eau, etc. Nous sommes si imprégnés par ces phénomènes que nous avons pris l’habitude d’entendre parler du climat comme un sujet d’actualité dans d’autres rubriques que la météo...
À dire vrai, les questions climatiques ne sont pas nouvelles. Au XVIIIe siècle, Buffon, dans Les Époques de la nature, comparant la « nature civilisée » à la « nature brute », se félicitait par exemple des transformations de la Terre dues à l’humanité. En boisant et déboisant, elle parvient, expliquait-il, à « modifier les influences du climat qu’elle habite et en fixer pour ainsi dire la température au point qu’il lui convient ». Buffon, le célèbre naturaliste, serait-il « climato-optimiste » ? Son point de vue pourrait aujourd’hui, sans doute, faire sourire. Mais il ne fait que consolider l’existence d’une emprise humaine sur le climat. Et le siècle de Buffon n’est pas celui où nous vivons.
Quelques années plus tard, au début du XIXe siècle, voilà Portalis. Dans son exposé des motifs au Corps législatif, il défend le droit de propriété sur les choses naturelles, en expliquant que si la terre est commune, c’est à la manière d’un « théâtre public qui attend que chacun vienne y prendre une place particulière ». Plus loin, il loue « les prodiges de la main-d’œuvre, c’est-à-dire tout ce que l’industrie de l’homme peut ajouter à l’ouvrage de la nature ». Et il termine par cette emphase : « Oui, citoyens législateurs c’est par notre industrie que nous avons conquis le sol sur lequel nous existons ; c’est par elle que nous avons rendu la terre plus habitable, plus à devenir notre demeure. La tâche de l’homme propre était, pour ainsi dire, d’achever le grand ouvrage de la création. » Là encore, le siècle de Portalis n’est pas le nôtre.
Notre siècle est différent. Il appartiendrait à cette époque que géologues et climatologues qualifient d’anthropocène, c’est-à-dire qu’elle correspondrait à une nouvelle ère géologique où l’influence de l’Homme serait déterminante sur l’environnement, la biosphère et le système terrestre dans son ensemble. Le début de cette ère géologique fait encore débat, entre la Révolution industrielle, fin XIXe, et le milieu du XXe siècle. Et même si la notion elle-même semble discutée entre scientifiques, ces discussions n’enlèvent rien au constat d’une consommation effrénée de la Nature que les progrès techniques rendent possible.
Éthique d’avenir. – En partant de ce constat que le développement des sciences et des techniques est tel qu’il met en péril la Nature et l’Homme lui-même, le philosophe Hans Jonas propose, dans son ouvrage bien connu Le Principe responsabilité 8, « une éthique pour la civilisation technologique ». C’est une nouvelle éthique dépassant l’éthique traditionnelle centrée sur les rapports humains. Elle tient compte des rapports des Hommes à l’environnement et définit les lignes d’un nouveau concept de responsabilité, qui ne repose plus seulement sur des actes déjà commis, mais aussi sur les actions à venir. Un point essentiel réside en ce que ce Principe responsabilité « n’est pas fondé, à l’instar des droits et obligations classiques, sur l’idée de réciprocité ». L’absence de représentant des générations futures écarte par définition le Principe responsabilité de toute relation contractuelle ou, pour le dire autrement, d’une logique « donnant-donnant ». Pour Hans Jonas, l’Homme a une « éthique d’avenir » qui le rend responsable de l’existence de l’humanité à venir. François Ost souligne très justement que le Principe responsabilité est herculéen, « parce qu’il conduit à investir l’homme moderne, tel le héros mythologique, du poids de l’univers entier, dont il est désormais le gardien ». À l’égard de qui cette responsabilité s’exerce-t-elle ? Dans un entretien accordé à son traducteur de l’édition française, Hans Jonas précise : « À cela, je pourrais répondre : devant les générations à venir. Mais si l’on m’objecte : les générations à venir n’existeront pas, alors il n’y a personne devant qui être responsable, ma réponse est la suivante : nous sommes responsables devant l’être ».
Comme un autre auteur l’indique, le Principe responsabilité reformule l’affirmation de la morale kantienne « Tu dois donc tu peux » en « Tu peux, donc tu dois ». Au-delà des considérations philosophiques qui animent Hans Jonas, les perspectives juridiques de sa pensée sont immenses. Car s’il fait bien apparaître que l’Homme est ontologiquement responsable de son avenir, cette responsabilité est intrinsèquement vouée à se décliner sur le terrain juridique.
De fait, l’« éthique d’avenir » n’est plus seulement un concept philosophique. Elle est fortement étayée par le droit. Cela se manifeste au premier chef sur le champ lexical. La construction de la pensée écologique se fonde largement sur des notions appartenant à la langue du droit. S’il en va ainsi, bien entendu, du concept de « responsabilité » dont il vient d’être question, c’est également le cas de termes comme « patrimoine », « patrimoine commun », « transmission » et « solidarité » qui sous-tendent la plupart des discours écologiques. On ne saurait pourtant s’en tenir aux seuls mots du droit. C’est bien dans les règles juridiques qu’une nouvelle approche de la relation de l’Homme au milieu naturel doit s’inscrire aujourd’hui.
Objectifs du 120ᵉ Congrès des Notaires. – Les membres du 120ᵉ Congrès des notaires en sont convaincus. Depuis le début de nos travaux, l’« éthique d’avenir » dont parle Hans Jonas nous anime. Les notaires auxquels nous nous adressons en premier sont naturellement portés à s’intéresser au sort des générations futures et à appréhender les notions de patrimoine commun de l’humanité et de transmission intergénérationnelle.
Mais le notariat n’a pas encore pleinement conscience, pensons-nous, du changement d’ère, non pas géologique mais juridique, que nous connaissons.
Dans cet esprit, notre rapport poursuit trois objectifs.
Il vise d’abord à attiser une meilleure prise de conscience sur les transformations profondes du droit qu’emportent aujourd’hui les enjeux climatiques dont la Charte de l’environnement constitue depuis 2005, en France, l’une des matrices fondamentales. Intégrée à la Constitution via son Préambule, au même titre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le Préambule de la Constitution de 1946, la Charte de l’environnement consacre en dix articles, outre les obligations pesant sur les autorités publiques, des droits et devoirs ayant pour destinataire « toute personne » : d’un côté, le droit à vivre dans un environnement sain, ainsi que le droit d’information et de participation du public ; d’un autre côté, le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement, de prévenir les atteintes à l’environnement, de contribuer à la réparation des dommages causés à l’environnement. Les dix articles de la Charte s’appuient sur sept considérants disruptifs : ils reconnaissent la responsabilité de l’Homme sur son environnement ainsi que l’incompatibilité de certains modes de consommation et de production avec le respect de la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines ; ils élèvent la préservation de l’environnement au rang des intérêts fondamentaux de la Nation et appellent à assurer un développement durable.
La portée de cette Charte est devenue considérable. De toute évidence, elle joue d’abord un effet d’entraînement que certaines modifications récentes du Code civil illustrent bien : l’introduction en 2016 de la notion de « préjudice écologique », comme l’intégration en 2019 des enjeux sociaux et environnementaux dans le contrat de société, en sont des manifestations pour le moins spectaculaires. Il faut encore insister sur ses considérants dont plusieurs actions en justice soulignent toute l’importance. La technique de la lecture combinée, qui est à l’origine des jurisprudences européennes les plus construc-
tives, est en effet depuis peu employée pour éclairer les articles de la Charte à la lumière des considérants de son préambule. Le changement de paradigme juridique est indé niable, en France comme à l’échelle de l’Union européenne
Notre rapport se présente ensuite comme un outil de clarification à usage de la pratique notariale des normes environnementales dont on ne peut nier l’inextricable complexité. Qui n’a jamais pesté sur ces règles juridiques écrites par les ingénieurs du ministère de l’Environnement, sur ces sigles abscons, sur le maelstrom des autorités environnementales et des autorisations à obtenir ?
Il a enfin l’ambition de contribuer sur la scène juridique à l’avènement d’un urbanisme durable que nous appelons de nos vœux. Il s’agit de soutenir tant les adaptations rendues nécessaires par le dérèglement du climat que la transformation des villes qui en est un corollaire plus ambitieux.
Le prisme des projets. – Les trois commissions « Anticiper », « Convaincre » et « Réaliser » poursuivent ensemble les trois objectifs venant d’être soulignés – mobiliser, clarifier et contribuer – à travers le prisme des projets que nous avons choisi d’adopter. On voit bien, en effet, que c’est sur le terrain des projets que se révèlent les difficultés de toute entreprise tendant à répondre aux défis climatiques. Si la reconnaissance du dérèglement climatique n’est plus aujourd’hui sujette à discussion, quand ce n’est à polémique, il n’en va pas de même des réponses à y apporter qui génèrent des tensions sociales croissantes. Les remises en cause du Pacte vert européen qui vise la neutralité carbone en 2050 en sont un exemple symptomatique comme a pu l’être, en son temps, l’emblématique « crise des gilets jaunes ». Il est certain qu’une transition environne-
mentale ambitieuse, aussi désirable soit-elle pour tout un chacun, n’est réalisable qu’à un rythme soutenable adossé à des mesures d’accompagnement.
Le cadre de la transition environnementale, incluant son rythme, relève d’un choix de politique publique nationale et internationale. Les mesures d’accompagnement également, mais en partie seulement car elles relèvent aussi d’une responsabilité plus collective, celle des citoyens et des entreprises, sans oublier les collectivités territoriales. Certaines de ces dernières sont, au demeurant, tenues depuis la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, de produire un rapport annuel sur leur situation en matière de développement durable. Quant aux entreprises, la loi « Pacte » du 22 mai 2019 leur assigne clairement un rôle moteur dans la transition environnementale et sociale. En plus des obligations d’informations extra-financières pesant sur les plus importantes, toute société « est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Comme l’indique l’intitulé de la section de la loi « Pacte » qui porte cette modification de l’article 1833 du Code civil, il ne s’agit rien de moins que de « repenser la place des entreprises dans la société ». Le législateur institue ainsi les entreprises en agents de l’environnement ou, à tout le moins, les responsabilise. L’article 1835 modifié leur donne par ailleurs la possibilité de préciser dans leurs statuts une « raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Les plus engagées peuvent devenir des « sociétés à mission », se donnant pour mission de poursuivre dans leurs activités des objectifs sociaux et environnementaux vérifiables par un organisme tiers. 1565 sociétés à mission seraient référencées à ce jour, constituant autant de leviers d’actions environnementales et sociales. La responsabilité sociale des entreprises (RSE), les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), font partie de l’univers des plus grandes entreprises et sont couramment pris en compte par les analystes financiers et investisseurs. La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) du 16 décembre 2022, applicable depuis ce 1er janvier 2024, devrait encore accroître cette pratique et renforcer la finance à impact.
Comme on le voit, à tous points de vue, la dynamique environnementale est lancée. À côté des mobilités, dont les voitures font partie, le logement est sans aucun doute l’un des secteurs les plus visiblement impactés par les objectifs de décarbonation et de sobriété. En traitant du « Logement », le 119 e Congrès des notaires a abordé des sujets aussi importants que l’artificialisation des sols, l’isolation thermique et la performance énergétique des habitations existantes qui touchent à la transition environnementale. Il n’est pas question de revenir sur ces points qui ont déjà été traités. À la différence de l’isolation thermique et de la performance énergétique des habitations existantes, l’artificialisation des sols dépasse cependant la problématique du logement et se trouve au cœur de la notion d’urbanisme durable. Il en sera donc naturellement de nouveau ici question, mais sous l’angle du foncier.
Anticiper. – De manière plus générale, le présent rapport invite à « Anticiper » les risques et aléas climatiques, ceux de l’érosion côtière, des inondations, mouvements de terrains, retrait-gonflement des argiles, tempêtes, etc. dont les assureurs nous disent qu’ils ne sont plus assurables à moyen terme, mais aussi les atteintes à l’environnement, à la faune et à la Nature, y compris lorsqu’elles sont dues à des projets d’énergie verte comme l’installation des éoliennes, des barrages hydroélectriques ou autres centrales nucléaires. Les anticiper, c’est à la fois les identifier et les comprendre, mais aussi les prévenir. À chacune de ces étapes, il est montré que le notaire a un rôle à jouer et des solutions juridiques à apporter. Certaines sont innovantes. D’autres, qui le sont moins, nécessitent d’être réappropriées. La notion de biens communs et la technique de la dissociation de propriété en sont des exemples parmi tant d’autres. Après le « Bail Réel Solidaire », qu’on ne présente plus, serait déjà évoqué un « Bail Réel Environnemental » destiné à mieux financer les constructions durables et les réhabilitations. On peut y voir un renouveau de la pensée sur les questions de propriété collective et d’appropriation du foncier, voire sur la « fonction sociale » de la propriété pour le dire à la manière de Duguit. Après tout, comme le fait remarquer Anne-Marie Patault, le droit français des biens n’est-il pas le fruit d’un double legs : celui de la propriété exclusive romaine et celui des propriétés d’origine germanique où peuvent coexister plusieurs propriétaires sur une même chose ?
Convaincre. – Le présent rapport souligne également combien il est important de « Convaincre » de la pertinence d’un projet pour en permettre la réalisation. Outre les principes d’information et de participation du public, qui sont des piliers constitutifs du droit de l’environnement qu’il convient de bien maîtriser, l’accent est mis sur les échanges entre opérateurs et autorités administratives, mais aussi sur la question des externalités d’un projet. La séquence « Éviter-Réduire-Compenser (ERC) » est évidemment traitée en profondeur, de même que le nouveau régime des obligations réelles environnementales. Et l’on perçoit que si la notion de compensation écologique a vocation à devenir centrale dans le montage des projets, la question de l’affectation écologique des sites de compensation, pour laquelle l’ingénierie notariale a toute sa place, reste encore largement posée. Sont aussi abordés des points plus spécifiques au droit de l’urbanisme, comme la question de l’assiette des projets qui offre d’intéressantes perspectives pour rendre les projets de construction plus acceptables dans le voisinage.
Réaliser. – « Réaliser » un projet pose aujourd’hui de redoutables difficultés qui commencent par la question de sa localisation. L’objectif du « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050 en est l’une des plus ardemment discutées. La manière de réaliser est également au cœur de la transition environnementale quand on connaît l’importance de l’empreinte carbone des constructions. Sobriété foncière et décarbonation entraînent ainsi une reconfiguration de l’urbanisme qui est mise en évidence par la troisième commission : densifier les villes plutôt que les étendre ; réhabiliter les constructions existantes plutôt qu’en construire de nouvelles ; favoriser la multiplicité des usages d’un bâtiment. La réutilisation des friches, leur transformation, ainsi que la transformation des zones commerciales d’entrées de ville font partie de ces réflexions. La lumière est encore portée sur la multiplication des normes environnementales dans le bâtiment, dont l’impact économique est significatif, en particulier sur la RE 2020 concernant les constructions neuves et le décret tertiaire du 23 juillet 2019. Il impose à tout bâtiment à usage tertiaire de plus de 1000 m2 une réduction de la consommation d’énergie finale de 40 % d’ici 2030, de 50 % d’ici 2040 et de 60 % d’ici 2050 par rapport à une année de référence librement choisie après 2010. Les entreprises et collectivités 15 se trouvent au pied d’un mur d’investissement vert qui pourrait s’avérer infranchissable pour nombre d’entre elles. Les chefs d’entreprise, surtout quand ils détiennent les actifs immobiliers, vont gagner à être accompagnés. La sécurisation des projets d’un point de vue contentieux est également abordée, avec en point de mire les chausse-trapes du contentieux environnemental des projets qui sont susceptibles d’avoir de redoutables incidences sur les autorisations d’urbanisme.
Vœu. – C’est par cette approche contentieuse, complétée par la question de la détermination du moment où un permis de construire peut être mis en œuvre que se termine le rapport du 120 e Congrès. Ce moment, que des clauses adaptées auront sécurisé en amont, est également celui où se termine la plupart du temps l’office des notaires dont les conseils auront à chaque étape d’un projet cherché à remédier à la complexité des situations rencontrées. Il ne faut cependant pas se résoudre à admettre cette complexité comme un horizon indépassable. Aller « Vers un urbanisme durable », implique d’accepter une phase de transition juridique qui porte en elle une part inévitable de complexité. Parvenir à cet « urbanisme durable », devrait nous faire passer sur le plan juridique de cette transition à un nouvel ordre, où les règles de l’urbanisme, de la construction et de l’environnement s’agenceraient d’une manière plus cohérente. Dans ce nouvel ordre, il n’y aurait plus lieu à tolérer la complexité que nous connaissons actuellement. Les propositions que nous avons l’honneur de présenter à Bordeaux les 26 et 27 septembre 2024 sont inspirées de cet esprit, qui est aussi l’expression d’un vœu de renouveau.