Une limite à repousser ?

Une limite à repousser ?

Il nous paraît admissible de concevoir une différence de traitement entre la durée des crédits bancaires finançant le logement, et celle des autres crédits. Voici pourquoi (§ I), et comment faire (§ II).

Pourquoi singulariser le crédit au logement ?

– Forces du marché français du crédit à l'habitat. – Sans que rien ne soit idyllique, on constate qu'en France la sinistralité des crédits immobiliers douteux aux particuliers est extrêmement faible, et en baisse à 1,06 % en 2020. Laurent Denis, précité (V. supra, no ), en tire même la conclusion que « la belle croissance du crédit immobilier aux ménages français est donc parfaitement équilibrée et n'appelle aucune restriction d'ampleur, fût-elle d'ordre “macroprudentiel” », regrettant que le durcissement des conditions d'accès au crédit crée ainsi un risque de perte de croissance dans un marché qui était en sortie de crise lors de la prise de décision du HCSF.
Dans leur grande généralité, les banques ont ménagé, dans leur politique de distribution, une différence notable entre leurs conditions de prêts à la consommation, dans lesquels les fonds prêtés sont consommés, et celles de prêts immobiliers, notamment à l'habitat, dans lesquels ils sont investis dans un bien pérenne et utile, susceptible de constituer une garantie en cas de défaillance de l'emprunteur. Aussi les banques ont-elles toujours accepté de prêter des montants plus élevés sur des durées plus longues en matière immobilière. Il y a donc bien, déjà, deux champs distincts de l'intervention bancaire : le crédit pour le logement d'un côté, et les crédits à la consommation de l'autre. Comme le montrent de nombreux exemples étrangers, le crédit au logement peut se concevoir sur plusieurs décennies, voire plusieurs générations, sans que le prêteur soit économiquement lésé, bien au contraire.
– Le HCSF est-il trop prudent ? – Dès lors, n'y a-t-il pas de la part du HCSF une excessive retenue, défavorable au marché du crédit immobilier en France ? Alors que, nous l'avons entrevu, notre pays semble jouir de fondamentaux qui restent plus favorables que de nombreuses moyennes : taux qui remontent moins vite qu'ailleurs, extrême prédominance des taux fixes, règles précontractuelles d'information très fortes et protection marquée du consommateur, caractère solide et transparent des garanties hypothécaires (totalement étrangères aux dévoiements à but lucratif qui furent à l'origine des subprimes), du fait notamment de l'intervention des notaires et de la fiabilité du fichier immobilier.

Comment accompagner l'extension du crédit au logement ?

Ouvrir les garanties

On formulera sur les garanties trois considérations.
– Droit positif. – L'attribution judiciaire d'un bien hypothéqué au créancier ne peut pas être prononcée lorsqu'il constitue le logement principal du débiteur. Seule la voie de la saisie pour vente aux enchères est alors ouverte. Ainsi le débiteur conserve, au moins en théorie, la possibilité d'enchérir pour sauver son bien.
– Droit prospectif. – Il serait possible de conforter la position du créancier par un développement de la fiducie-sûreté. Cela supposerait seulement quelques ajustements légaux, tels que l'ouverture du corps des fiduciaires à d'autres professions soumises à réglementation (notaires, géomètres, syndics, mandataires liquidateurs, administrateurs de biens, commissaires aux comptes, etc.). On pourrait également songer à adapter au crédit au logement les sûretés rechargeables (hypothèque légale spéciale du prêteur de deniers, hypothèque conventionnelle et fiducie-sûreté rechargeables). Le rechargement est de nature à faciliter l'accès au crédit des professionnels et devrait contribuer à dynamiser l'activité économique. Si tel est le cas, pourquoi ne pas en dire autant pour les crédits aux particuliers, en rétablissant également pour eux cette faculté, du moins lorsqu'il s'agit de financer leur logement ?

Pour un crédit au logement de très longue durée

Forts de ce type de sûreté, un allongement de la durée de remboursement des crédits au logement deviendrait plus acceptable. De la dilution dans le temps du poids de l'emprunt résulterait une réduction de la charge des remboursements à un montant supportable pour l'emprunteur (souvent analogue à des échéances de loyers). Autant l'on peut trouver justifiée la rigidité actuelle de la politique bancaire dans le domaine du crédit à la consommation (qui a peut-être été excessivement encouragé), autant cette politique manque de justification lorsqu'il s'agit de financer des biens qui dureront plus longtemps que l'investisseur lui-même.
Dans ce dernier domaine, pourquoi ne pas réfléchir à une nouvelle temporalité des crédits, inspirée des cédules hypothécaires à double rang de nos voisins suisses, ou du prêt viager hypothécaire, dont nous avons déjà relevé l'intérêt ? Un crédit bancaire de longue durée pourrait ainsi être consenti, au moins en partie, pour une durée fixe de quatre-vingt-dix-neuf ans, voire même pour une durée indéterminée prenant fin à la revente du logement, seuls les intérêts étant assumés sur cette partie. En cas de décès de l'emprunteur avant la survenance de l'un ou l'autre de ces termes, ses héritiers pourraient se voir conférer une option à trois branches : poursuivre le remboursement échelonné du prêt, le rembourser par anticipation, ou encore faire abandon du bien financé au créancier, à concurrence des sommes dues. La loi viendrait fixer les règles de majorité selon lesquelles les héritiers devraient se déterminer, et pourrait instituer un droit de préférence au profit de certains d'entre eux. Elle devrait encore traiter la question de l'éventuel excédent de valeur du bien par rapport à la dette, dans le cas de l'abandon à la banque. Moyennant ces quelques détails d'organisation, l'allongement de la durée des prêts peut constituer, pour le logement, une voie d'avenir.