Les avantages de la détention d’un logement en société

Les avantages de la détention d’un logement en société

La société peut fournir un cadre aux personnes physiques pour détenir leur logement. Elle peut être, pour elles, un outil de gestion du logement (§ I) en évitant l’indivision, en clarifiant l’acquisition et en protégeant le patrimoine de l’incapable. Elle peut être aussi le véhicule de la transmission du logement (§ II), à cause de mort ou entre vifs. Quand l’accédant la constitue avec un partenaire financier, elle constitue une technique d’acquisition progressive du logement (§ III).

La société, outil de gestion du logement

En évitant l’indivision

L’indivision est présentée classiquement comme une situation précaire, instable, inorganisée et rigide. La société serait le remède à tous ces maux. Ces propos simplistes sont à tempérer, car la convention d’indivision pourrait être une alternative réduisant les avantages de société. Le lecteur pourra en juger en consultant, sur l’extension numérique du présent rapport, le tableau comparatif entre l’indivision légale, l’indivision conventionnelle et de la société.

Indivision légale, indivision conventionnelle et société : tableau comparatif

Indivision légale Indivision conventionnelle Société
Textes applicables C. civ., art. 815 à 815-18C. civ., art. 1873-1 à 1873-18C. civ., art. 1832 à 1844-17 ; 1845 à 1870-1
Durée Le principe : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué… » (816).La convention à durée déterminée (1873-3) ne peut être supérieure à 5 ans. Elle est renouvelable par une décision expresse des parties. Le partage ne peut pas être provoqué sauf « justes motifs ».La durée de la société est fixée dans les statuts. Elle ne peut excéder 99 ans (1838).
Gestion des biens Une majorité des 2/3 des droits indivis est nécessaire (815-3) pour :« Les coïndivisaires peuvent nommer un ou plusieurs gérants, choisis ou non parmi eux. Les modalités de désignation et de révocation du gérant peuvent être déterminées par une décision unanime des indivisaires » (1873-5).La société est gérée par un représentant légal qui est le gérant dans les sociétés civiles/SARL ou le président ou directeur général dans les sociétés par actions.
La répartition des revenus Chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant de biens indivis et supporte les pertes à proportion de ses droits dans l’indivision (815-10, al. 4). À défaut d’accord particulier, l’article 815-10, alinéa 4 est applicable à la répartition des bénéfices et des pertes (1873-11).La répartition des dividendes est en fonction de la part dans le capital social (1844-1). Il est possible d’y déroger (golden share) dans la limite des clauses léonines.
La transmission des droits indivis En cas de cession à titre onéreux par un indivisaire de ses droits à un tiers, les autres indivisaires ont un droit de préemption (815-14).En cas de cession à titre onéreux de droits indivis, droit de préemption (815-14). Dans la société civile, les cessions de parts sont soumises à l’agrément de tous les associés (1861).
Faut-il, pour autant, partager les propos de notre Confrère Jean-François Sagaut lors d’un précédent Congrès : « La société civile comme mode de détention du logement conjugal ne présente pas d’intérêt par rapport à la convention d’indivision » ? L’indivision, même assortie d’une convention, souffre de trois handicaps que peut surmonter une société : sa précarité ou sa courte durée, les prises de décision à une majorité des deux tiers, voire de l’unanimité et l’impossibilité de contrôler les transmissions à titre gratuit des droits indivis.

En clarifiant l’acquisition

La détention du logement en société permet de clarifier les modalités d’acquisition et de financement (II). En effet, malgré l’introduction dans les actes d’acquisition de clauses définissant les quotes-parts d’acquisition de chacun des acquéreurs, le risque de contentieux reste important en cas de décalage entre le financement et les quotes-parts d’acquisition (I).

Le contentieux lié aux quotes-parts d’acquisition

La fixation des quotes-parts d’acquisition
À défaut de précision dans l’acte d’acquisition, la propriété est acquise pour les quotes-parts équivalentes indépendamment des modalités de financement. Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation.
Il est donc essentiel que dans l’acte d’achat les quotes-parts d’acquisition soient précisément définies en fonction :
  • des sommes à financer : prix, frais d’acquisition, commission de négociation et travaux envisagés ;
  • des modalités de financement : les apports de chacun ainsi que l’emprunt qui sera remboursé par chacun à proportion de ses revenus respectifs.
La fixation des quotes-parts d’acquisition déterminera la clé de répartition en cas de vente du bien ou de partage, selon que le prêt a été pour partie ou totalement remboursé. L’exercice est assez complexe et a fait l’objet de propositions de rédaction de la part de praticiens.
Le décalage entre le financement et les quotes-parts d’acquisition
En l’absence de convention fixant les quotes-parts d’acquisition ou en cas de non-respect de la règle fixée entre les co-acquéreurs, il existe des risques de contentieux fiscal et juridique s’il existe un décalage les quotes-parts d’acquisition et la contribution de chacun des acquéreurs au financement.
– Risque fiscal. – Pareille situation peut tout d’abord générer un risque de redressement fiscal. L’administration pourrait, en effet, y voir une donation indirecte sous réserve d’apporter la preuve de ses éléments constitutifs : dépouillement actuel et irrévocable du donateur, acceptation de la donation par le donataire et intention libérale. La défense du contribuable sera particulièrement complexe, faute d’éléments de preuve préconstituée, démontrant l’existence d’un prêt ou le caractère rémunératoire de la donation. Si les éléments de la donation indirecte sont ainsi démontrés, l’administration sera alors en droit de percevoir des droits de mutation à titre gratuit, au taux fixé en fonction du lien de parenté unissant les parties, ainsi que des pénalités et des intérêts de retard. Il faut bien aussi constater qu’en pareil cas, le rédacteur de l’acte d’acquisition pourrait voir sa responsabilité civile engagée pour défaut de conseil.
La donation indirecte a aussi son volet civil : elle sera rapportable à la succession du donateur et exposée au risque de réduction.
– Risque juridique. – Si un écart est constaté entre la propriété et le financement réel, en cas de séparation ou de décès, un débat va naître entre les parties au sujet de sa qualification. M. Vareille en a résumé très élégamment la problématique : « La pente naturelle des couples en rupture, c’est de faire de tout un conflit et de chaque conflit un litige : chacun revisite le passé commun à la lumière nouvelle de ce récent combat. Or, la caractéristique de l’indivision, c’est de se prêter merveilleusement bien à cette relecture désenchantée des rapports du couple. Il est facile et tentant de prétendre reconsidérer le passé et d’échafauder des qualifications nouvelles. Au temps du bonheur, on ne comptait pas car l’on éprouvait le sentiment de concourir à la prospérité commune. Au temps des soupirs, c’est une autre vérité, rétrospective, dont on se prévaut et, souvent, de parfaite bonne foi ».
Ainsi, le financement assuré pour le compte de l’autre peut faire l’objet de différentes qualifications :
  • le prêt ;
  • la donation ;
  • la donation rémunératoire ;
  • la société créée de fait ;
  • l’enrichissement injustifé ;
  • ou la contribution aux charges de la vie commune.

L’alternative de la société

Pour clarifier le financement du logement
Le recours à la société, le plus souvent une société civile, va permettre de clarifier les flux financiers des co-acquéreurs qui sont alors associés. Les deux sources de financement de la société sont constituées par le capital social formé par les apports des associés, et par leurs comptes courants dans les livres de la société.
– Capital social. – Les associés peuvent constituer une société avec un capital social réduit permettant à un associé d’avoir une participation importante avec un apport faible. L’apport est le plus souvent en numéraire ou en nature si le logement appartient déjà à l’un des associés. Les associés sont rémunérés par l’attribution de titres sociaux qu’ils ne pourront liquéfier qu’en cas de cession, de réduction de capital ou lors de la dissolution de la société.
Les associés peuvent également apporter des sommes importantes au capital social. Ils seront alors titrés à due concurrence.
– Comptes courants d’associés. – Au lieu d’apporter des sommes au capital social, les associés peuvent préférer les verser dans un compte couvert à leur nom dans les registres de la société. Il s’agit d’une dette de la société envers l’associé titulaire du compte.
Sauf convention contraire, l’associé peut demander à tout moment le remboursement à la société de son compte courant créditeur si elle n’est pas en état de cessation des paiements, même si la trésorerie est insuffisante.
La cession des droits sociaux de l’associé n’emporte pas automatiquement cession du compte courant créditeur au cessionnaire. Il appartiendra aux parties d’envisager soit la cession, soit le remboursement, soit l’abandon total ou partiel.
Le prêt en compte courant est un rapport d’obligation uniquement entre l’associé titulaire (créancier) et la société (débiteur). Il en résulte que seul son titulaire peut en demander le remboursement même si les époux sont mariés sous un régime communautaire.
L’écran de la personnalité morale entre l’associé « créancier » et son concubin ou époux séparatiste fait obstacle à une quelconque opposition au remboursement de la créance fondée sur un mécanisme de contribution aux charges de la vie commune.
Pour permettre à l’époux commun en biens de se constituer un patrimoine propre
– Emploi et remploi lors de la souscription du capital. – Pour qu’un époux marié sous un régime de communauté puisse acquérir un bien propre, il lui appartient, en vertu de l’article 1436 du Code civil, de financer sur fonds propres plus de la moitié du prix et des frais d’acquisition. Le recours à la société va faciliter la constitution d’un patrimoine propre. Il peut tout d’abord apporter à la société un logement qui lui appartient en propre : par un mécanisme de subrogation automatique, les droits sociaux rémunérant son apport sont propres. Il peut réaliser un apport en numéraire de fonds propres : pour que les droits sociaux lui soient propres, les statuts devront préciser l’origine des fonds et contenir une déclaration d’emploi ou de remploi. À défaut, les droits sociaux tomberont dans la communauté sauf récompense.
Par contre, les flux financiers entre la société et la communauté (apport de trésorerie ou bénéfices non distribuables affectés en compte courant) sont susceptibles de constituer des chefs de récompenses, étant rappelé que la valeur des titres suit la valeur du bien détenu alors que la valeur du compte courant reste généralement nominale.

En gérant de manière plus efficace le patrimoine du mineur

Rappel des règles applicables au mineur

– Réformes récentes. – La protection des biens du mineur a fait l’objet de réformes récentes :
  • l’ordonnance no 2015-1288 du 15 octobre 2015, entrée en vigueur le 1er janvier 2016 qui supprime la distinction entre les administrations légales pures et simples et celles sous contrôle judiciaire ;
  • la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, n° 2019-222, du 23 mars 2019, qui réforme la tutelle des mineurs.
– Administration légale en commun. – Lorsque l’administration légale est exercée en commun, chacun des administrateurs peut accomplir seul les actes d’administration (conclusion ou résiliation d’un bail d’habitation). Les actes de disposition nécessiteront l’accord des deux administrateurs. Le juge des tutelles n’aura vocation à intervenir qu’en cas de désaccord entre les administrateurs, de conflit d’intérêts entre le mineur et l’administrateur nécessitant la nomination d’un administrateur ad hoc ou d’actes de disposition particulièrement graves visés à l’article 387-1 du Code civil.
– Administrateur légal unique. – Il peut accomplir seul sans autorisation les actes d’administration et de disposition à l’exception d’un conflit d’intérêts ou d’un acte de l’article 387-1 du Code civil.
Dans le régime de la tutelle des mineurs, le tuteur accomplit seul les actes conservatoires et d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine du mineur. Les actes de disposition nécessitent l’autorisation du conseil de famille ou à défaut celle du juge.
– Accord du juge. – L’accord du juge est donc nécessaire pour les actes importants se rapportant au logement du mineur, tels que les actes de cession ou d’emprunt. Ce qui peut rallonger les procédures selon l’encombrement du tribunal compétent. La gestion du logement appartenant à un mineur peut être facilitée grâce à la société.

L’entrée du mineur dans la société

Le mineur peut être associé dans une société civile ou commerciale à l’exception de celles qui confèrent la qualité de commerçant à leurs associés. L’entrée du mineur dans la société peut se faire par un apport à la société ou par acquisition de titres sociaux.
– L’apport en numéraire par le mineur. – L’apport en numéraire à une société constitue un acte de disposition qui nécessite l’accord des deux administrateurs si elle est commune, sauf intervention judiciaire en cas de désaccord entre eux. S’il a de faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine du mineur, sur ses prérogatives ou sur son mode de vie, l’apport en numéraire pourrait être déqualifié en acte d’administration pouvant être réalisé par un seul des administrateurs.
Si un seul parent est titulaire de l’administration légale, il peut consentir seul l’apport en numéraire, quelle que soit sa qualification.
– L’apport en nature par le mineur. – Pour un tel apport, l’administrateur ou les administrateurs doivent toujours obtenir une autorisation judiciaire quelle que soit la valeur de l’immeuble apporté. Il en est de même pour les apports de valeurs mobilières (actions ou obligations) ou d’instruments financiers (parts de SCPI) s’ils engagent « le patrimoine du mineur pour le présent ou l’avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur ».
En cas de tutelle, quelle que soit la nature des biens apportés, l’apport est un acte de disposition, nécessitant l’autorisation du conseil de famille ou du juge.
– Acquisition à titre onéreux : distinguer selon la nature des droits sociaux. – En cas d’acquisition à titre onéreux des droits sociaux, pour connaître le régime applicable, il convient de distinguer selon la nature des droits sociaux acquis. Seules les actions sont visées par l’ordonnance : leur acquisition suit le même régime que leur apport (V. supra, no ). L’acquisition de parts sociales constituant un emploi ou un remploi de sommes d’argent pourrait être qualifiée d’acte d’administration pouvant être réalisé par un seul des administrateurs, sauf à la requalifier en acte de disposition nécessitant l’accord des deux administrateurs au sens de l’article 2 du décret du 22 décembre 2008.
– Acquisition par donation. – La donation de titres sociaux est qualifiée d’acte d’administration ne nécessitant que l’accord d’un administrateur si elle est dépourvue de charges. La responsabilité indéfinie de la société civile n’est pas considérée comme une charge, car elle résulte de la nature même des parts sociales. Si la donation s’accompagne de charges, étant qualifiée d’acte de disposition, elle nécessite l’accord des deux administrateurs.
– Acquisition par succession. – Si les titres sociaux sont échus par succession, la procédure dépend de l’option successorale choisie par le représentant légal. Si la succession est acceptée à concurrence de l’actif net, il s’agit d’un acte de disposition qui requiert l’accord des deux parents ; l’accord du juge n’est pas nécessaire. Si la succession est acceptée à titre pur et simple, le ou les administrateurs doivent obtenir l’autorisation préalable du juge.
Le tuteur peut accepter seul la succession sans intervention judiciaire à concurrence de l’actif net ou purement et simplement si l’actif dépasse manifestement le passif. Dans les autres hypothèses, l’accord du conseil de famille ou du juge est requis.

L’exercice des droits d’associé du mineur

– Exercice du droit de vote. – Lorsque le mineur est associé dans une société, ce sont le ou les représentants légaux qui exercent le droit de vote. L’exercice du droit de vote est en principe un acte d’administration, sauf ordre du jour visé par le décret de 2008. Ce décret, en son annexe 2 qualifie d’actes de disposition, sauf circonstances d’espèce nécessitant l’accord des deux administrateurs, certaines résolutions.
– Décision de vente ou d’emprunt par la société. – En cas de vente de l’immeuble ou de souscription d’un emprunt par la société, le vote du représentant du mineur est dépendant de la définition des pouvoirs du gérant. Si la vente et l’emprunt figurent dans l’objet social, le gérant de la société civile peut vendre seul et souscrire l’emprunt en vertu de l’article 1849, alinéa 1 du Code civil. Les clauses limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers, même s’ils en ont eu connaissance. Cette solution a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu en 2000 : « la capacité à s’engager d’une SCI, personnalité distincte de ses associés, ne dépend pas de la capacité de ses associés ». Dans cette affaire, la SCI, qui était détenue à 96 % par un mineur et à 4 % par sa mère gérante, avait emprunté afin de financer l’acquisition et la rénovation d’un immeuble.
– Emprunt et limitation de responsabilité du mineur. – Lorsqu’un prêt est consenti à une SCI ayant des associés mineurs, la responsabilité de la banque prêteuse peut se trouver engagée. Ce fût le cas dans une espèce où il lui fût reproché de ne pas avoir assuré les mineurs qui détenaient une part importante dans le capital social. Ces derniers encouraient un risque élevé de se retrouver personnellement débiteurs. Selon les magistrats, il appartenait au banquier de vérifier qu’ils bénéficiaient de la protection qui leur était due en raison de leur état de minorité.
La protection du mineur peut, en pareil cas, être assurée par une limitation de la responsabilité du montant de son apport. Cette disposition est valable entre associés (contribution à la dette), mais inopposable aux créanciers (obligation à la dette de l’article 1857 du Code civil) sauf à ce que la banque renonce expressément à poursuivre l’associé mineur. L’autre solution préconisée est de préférer la SAS à la société civile qui en a « les mêmes atouts : grande souplesse et liberté dans la rédaction des statuts, nombre peu important de dispositions impératives. Elle a même pour avantage d’avoir une responsabilité limitée aux apports… ».

La société, outil de transmission du logement

L’anticipation de la transmission du logement grâce à l’outil sociétaire est mise en œuvre différemment selon que la transmission est à cause de mort (A) ou entre vifs (B).

À cause de mort

L’usage de la société comme outil d’optimisation des transmissions à cause de mort est utile à la protection du concubin survivant (I) ; il peut aussi permettre d’anticiper le décès d’un associé (II).

En protégeant le concubin survivant

Le sort du logement du concubin survivant
La protection légale du concubin en cas de décès est inexistante en droit. Le conjoint survivant, outre sa qualité d’héritier légal en l’absence de descendant, bénéfice d’un droit temporaire et d’un droit viager au logement, sans parler d’une quotité élargie lui permettant d’appréhender l’usufruit de la réserve et de limiter la réductibilité des libéralités qui lui ont été consenties.
Le partenaire pacsé bénéficie d’un droit temporaire au logement d’un an à compter du décès et d’une exonération des droits de succession équivalente à celle des époux, ce qui lui permet de bénéficier de dispositions testamentaires qui seront exposées à la réduction si elles se révèlent excessives.
Le concubin ne bénéficie d’aucune disposition protectrice ni du droit civil ni du droit fiscal. S’il est institué comme légataire, il doit régler dans les six mois du décès des droits de succession de 60 %. Il est également confronté aux difficultés de l’indivision qui, très souvent, le conduisent ainsi que les autres héritiers à vendre le logement.
– Techniques de la tontine et du démembrement croisé des titres. – La pratique a imaginé des techniques protectrices du logement du concubin qui mélangent l’outil sociétaire avec la tontine (b) ou le démembrement croisé (c).
L’usage de la société et de la tontine (ou de la clause d’accroissement)
– Les limites de la tontine en dehors de la sphère sociétaire. – La tontine ou clause d’accroissement apparaît sous sa forme moderne au XVII e siècle sous l’impulsion d’un banquier napolitain, Lorenzo Tonti, qui la propose en 1653 à Mazarin comme nouvelle source de financement des dépenses militaires : il s’agissait de coupler l’emprunt avec une loterie fondée sur la vie humaine.
La clause de tontine est une stipulation qui est insérée dans un contrat d’acquisition en commun, aux termes de laquelle chaque co-acquéreur est propriétaire du bien sous condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès. Au premier décès, le survivant devient rétroactivement seul propriétaire du bien qui échappe à la succession du prédécédé.
– Fiscalité dissuasive. – Le mécanisme peut sembler particulièrement adapté à la protection du logement d’un couple de concubins, mais c’est sans compter sur son régime fiscal particulièrement dissuasif, à l’article 754 A du Code général des impôts. Sauf à ce que le bien soit l’habitation commune des acquéreurs d’une valeur globale inférieure à 76 000 € déclenchant l’exigibilité des droits de mutation à titre onéreux, la facture de jeu de la tontine à régler par notre concubin survivant sera libellée en droits de succession : soit un taux de 60 % applicable entre non-parents après un abattement de 1 594 euros.
– DMTO pour la tontine en société. – L’administration fiscale a confirmé que le dénouement du pacte tontinier, inscrit dans un acte qui ne serait pas une acquisition en commun, ne donnait ouverture qu’aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 5 % calculés sur la valeur des parts au décès. Dans une réponse ministérielle de 1979, non reprise au BOFiP, le ministre du Budget s’est prononcé pour l’application des DMTO aux clauses tontinières insérées dans les statuts d’une société.
– Précautions. – Comme le précisait Cozian il y a presque trente ans, la constitution d’une société civile dans laquelle les parts sociales sont affectées d’une clause tontinière constitue « un jeu subtil et dangereux dont il faut parfaitement maîtriser les règles ». Pour que la clause ou la société contenant la clause ne soit pas remise en cause, il convient de prendre quelques précautions.
Les juridictions ainsi que le Comité de l’abus de droit ont rappelé que la clause devait rester aléatoire tant du point de vue économique que du point de vue vital :
  • aléa économique : les contributions respectives de chacun des associés au capital doivent être équivalentes. Hugues Lemaire et Juliette Lefebvre imaginent un système de péréquation permettant de moduler le montant de l’investissement en tenant compte de l’espérance de vie de chacun des acquéreurs ;
  • aléa vital : chaque contractant doit avoir une chance comparable de survivre à son cocontractant. Si l’âge et l’état de santé de l’associé de la SCI rendaient probable son décès avant celui de son coassocié, il pourrait avoir consenti une libéralité indirecte ; la clause de tontine étant alors dénuée d’aléa.
– Éviter la société civile unipersonnelle ab initio . – Pour contourner le grief de la nullité de la société civile qui ne peut être unipersonnelle ab initio, contrairement à la SARL ou la SAS, il conviendrait soit de prévoir quelques parts « hors tontine », soit d’associer aux concubins un tiers qui détiendrait dès l’origine des parts non pactées.
Le démembrement croisé
– Échange de droits démembrés. – La pratique a développé une alternative à la clause de tontine : le démembrement croisé des parts de société entre concubins. Après avoir constitué la société propriétaire du logement de la famille, les concubins procèdent à un échange de l’usufruit et de la nue-propriété des parts afin qu’in fine chacun soit titulaire de la nue-propriété de la moitié des parts et de l’usufruit de l’autre moitié. L’échange rendra exigibles les droits d’enregistrement de 5 % sur le plus cher des deux lots échangés. Au premier décès, le survivant sera plein propriétaire de la moitié et usufruitier de l’autre moitié. Les héritiers du concubin prémourant ne recueilleront que la nue-propriété de la moitié des parts.
Pour que le montage soit efficace sur le plan juridique, il convient de mettre en place une cogérance entre les concubins et d’attribuer les droits de vote les plus étendus à l’usufruitier.
– Prouver l’origine des deniers. – Pour contourner le piège de l’article 757 du Code général des impôts, les concubins doivent se préconstituer la preuve de l’origine des deniers apportés à la société et éviter de s’instituer comme légataires ou héritiers.

En anticipant le décès de l’associé

– Poursuite de la société en cas de décès. – Sauf clause statutaire, le décès de l’associé n’entraîne pas la dissolution de la société civile. Les indivisaires ont la qualité d’associé, ils sont donc convoqués aux assemblées générales avec le droit d’y participer. Ils peuvent demander à nommer un administrateur provisoire et ont accès aux livres et documents sociaux. En revanche, le droit de vote doit être exercé par un mandataire, choisi parmi les indivisaires ou en dehors, à l’amiable ou à défaut par décision de justice.
– Clause d’agrément. – Dans les sociétés civiles, les cessions à titre gratuit, même au profit d’un ascendant, d’un descendant ou d’un conjoint, peuvent être soumises à agrément en vertu d’une clause statutaire. L’agrément est voté à l’unanimité des associés sauf à prévoir une majorité plus faible. Si l’héritier est agréé, il exerce les prérogatives attachées à la qualité d’associé : il perçoit les dividendes, participe aux décisions collectives et vote aux assemblées générales. Si l’agrément est refusé, l’héritier a le droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux au jour du décès, qui lui est réglé par les nouveaux associés ou par la société si elle procède à leur annulation.
– Décès de l’associé gérant. – Le décès de l’associé gérant n’entraîne pas la dissolution de la société. Il est nécessaire de convoquer une nouvelle assemblée générale pour en désigner un nouveau, sauf à prévoir la désignation de son successeur dans les statuts ou à avoir mis en place une cogérance.

Entre vifs

La société est un outil intéressant lors des transmissions entre vifs à titre gratuit. Elle facilite la donation-partage (I) et optimise le démembrement portant sur le logement (II).

En facilitant la donation-partage

– Partage effectif des parts sociales. – La Cour de cassation, en 2013, a dénié la qualification de donation-partage à des actes de donation qui n’opéraient pas la division matérielle de l’ensemble des biens sur lesquels ils portaient. La donation-partage attribuant une quote-part indivise du logement à chacun des codonataires serait alors disqualifiée en « donation simple », soumise au rapport et à la réduction dans les conditions de droit commun.
Faute de biens suffisants pour allotir chacun des donataires d’un bien divis, il est possible d’apporter le logement en société puis, après cet apport, de procéder à une donation-partage ayant pour objet non pas le logement, mais les parts sociales de la société. La société permet également d’étaler les transmissions de parts sociales en reconstituant les abattements entre chaque transmission.

En optimisant le démembrement de propriété

Le recours à la société permet d’optimiser le démembrement de propriété portant sur un logement.
– Rappel des règles applicables au démembrement portant un immeuble. – En cas de démembrement de propriété, les prérogatives sont réparties par le Code civil entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, aux articles 578 à 624. L’usufruitier a la jouissance du bien, il peut donc l’occuper et le louer. Il est tenu d’entretenir l’immeuble, à peine d’être déchu de son droit pour abus de jouissance. Le nu-propriétaire a, quant à lui, la charge des grosses réparations. Mais l’usufruitier ne peut pas contraindre le nu-propriétaire à exécuter les gros travaux.
Pour vendre le logement démembré, l’accord des deux titulaires de droit est nécessaire. L’article 815-5 du Code civil dispose que le juge ne peut pas, à la demande du nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété du bien contre la volonté de l’usufruitier.
En cas de vente du bien, le prix de vente est en principe réparti entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun des droits. Le barème fiscal ne s’appliquant qu’en matière de détermination de l’assiette de l’impôt, les parties sont libres de recourir à la valeur économique de l’usufruit. D’un commun accord, les parties peuvent convenir d’un report du démembrement ou constituer un quasi-usufruit.
– Démembrement portant sur des droits sociaux. – Bien que la Cour de cassation dénie à l’usufruitier la qualité d’associé, il bénéficie de prérogatives importantes au sein de la société. L’article 1844 du Code civil attribue au nu-propriétaire le droit de vote à l’exception des décisions portant affectation du bénéfice. Ces dispositions sont supplétives, il est donc possible dans les statuts ou dans une convention extrastatutaire de renforcer le droit de vote de l’usufruitier pouvant aller jusqu’à l’attribution de la totalité des droits de vote.
L’usufruitier ayant le droit d’user de la chose et d’en percevoir les fruits (C. civ., art. 578), il a donc le droit aux dividendes prélevés sur les bénéfices courants. Concernant les dividendes prélevés sur des résultats exceptionnels, la doctrine est partagée : pour certains, en tant que fruits, ils reviennent à l’usufruitier ; pour d’autres, ces sommes reviennent au nu-propriétaire sous réserve d’un quasi-usufruit qui serait exercé par l’usufruitier. Les chambres de la Cour de cassation sont en opposition quant à la distribution des réserves. Pour la chambre commerciale, le nu-propriétaire a droit aux dividendes sous réserve d’un quasi-usufruit de l’usufruitier. Pour la première chambre civile, le nu-propriétaire a droit seul aux dividendes prélevés sur les réserves. Il appartiendra donc aux statuts de la société d’attribuer les résultats exceptionnels et les dividendes prélevés sur les réserves.
– En conclusion. – La société présente de nombreux atouts pour détenir et gérer un patrimoine immobilier. Cependant, elle entraîne des contraintes tant juridiques que fiscales qu’il convient de parfaitement appréhender lorsqu’elle détient le logement.

La société, outil d’acquisition du logement (la co-acquisition avec un partenaire financier)

– Innovation et startup . – La hausse du prix de l’immobilier est source d’innovation et la période récente a vu fleurir des solutions de la part de startups proposant des montages permettant de partager de manière horizontale le poids de l’acquisition avec un partenaire financier qui porterait pendant une certaine période une partie de la valeur du logement aux côtés de l’occupant accédant. Que cet investisseur soit privé (parents, amis) ou institutionnel.
– Permettre une accession progressive. – Sans entrer dans les techniques imaginées (de la société civile classique à la société à capital variable), jouant sur l’ensemble des curseurs financiers (apports en capital, apports en comptes courants d’associés), l’enjeu est généralement d’imaginer une technique permettant à l’accédant au logement de devenir à terme intégralement propriétaire de la société, donc indirectement seul titulaire de la valeur de son logement. À l’instar de ce que nous avons déjà présenté pour des montages innovants basés sur le démembrement ou l’indivision, cumulant parfois plusieurs techniques.
– Rémunérer l’investisseur. – Si l’intérêt de l’associé accédant, qui occupera le logement soit à titre gratuit en qualité d’associé d’une société translucide, soit en qualité de locataire, semble évident, l’intérêt de l’investisseur est plus subtile car il faut trouver une solution de rémunération, ce qui appelle de notre part deux remarques : il est possible de faire preuve d’ingénierie sur les clauses de répartition des résultats, mais il faut être attentif à ce que le montage ne puisse pas être requalifié d’opération de crédit.
– L’ingénierie de la clause de répartition des résultats. – Le Code civil, au chapitre sur les dispositions générales relatives aux sociétés, pose le principe que la répartition du résultat au prorata des parts dans le capital n’est que supplétive, sous réserve de la prohibition des pactes dits « léonins », supprimant tout droit à bénéfice ou tout risque de perte à un associé. La Cour de cassation a par ailleurs jugé que la modification des statuts relative à la répartition des droits à dividendes n’était pas une donation indirecte. Critiquée par certains, cette jurisprudence reste d’actualité mais suppose comme toujours discernement et précautions, tout excès risquant inévitablement d’être annulé.
Il n’en reste pas moins que cette règle de droit civil est opposable en droit fiscal dès lors que la clause statutaire a bien acquis date certaine avant la décision d’affectation du résultat.
– Risque de requalification en contrat de crédit. – Une limite importante à ce type d’ingénierie est le risque de requalification en contrat de crédit. En effet, la consultation des sites proposant ce type de montages innovants contient des témoignages expliquant combien la solution est merveilleuse puisqu’elle a permis de trouver un financement que les banques refusaient. Il est certes expliqué que l’investisseur n’est pas un prêteur, qu’il « investit à vos côtés ». Mais sa rémunération est importante : certaines solutions proposent simplement que pour 10 % investis, l’investisseur détienne 15 % du capital. Soit un gain potentiel de 50 % en capital, néanmoins complexe à comparer à un prêt avec intérêt selon la durée pendant laquelle l’investisseur reste en place.
Ce risque de requalification est apparu notamment à propos de ventes à réméré dans divers arrêts qui nous semblent transposables, dont un arrêt de 2021 aux termes duquel : « La vente à réméré peut constituer un pacte commissoire prohibé lorsque, portant sur la résidence principale du vendeur, elle dissimule une opération de crédit et a pour objet d’éluder les dispositions protectrices des emprunteurs relatives au taux d’usure ».
Il est vrai que l’investisseur ne se comporte pas en banquier : il partage le capital d’une société, et donc notamment le risque de perte de marché avec l’accédant (sous réserve qu’il ne perde rien de son investissement tant que le marché n’a pas baissé de 5/15, ou 1/3). Ces montages, qui se sont développés dans les marchés haussiers, sont intéressants car habiles et aptes à apporter des solutions à certains acquéreurs dans les territoires les plus tendus. Ils sont mathématiquement moins attractifs dans les marchés baissiers…

Clause de répartition des résultats atypique entre un associé occupant à titre gratuit un appartement et un associé investisseur