Avant de déterminer la forme sociale la plus adaptée (Sous-section III), nous rappellerons d’une part les avantages (Sous-section I), d’autre part les inconvénients (Sous-section II) qui s’attachent à la détention du logement par une société.
Financement de l’acquisition du logement en société
Financement de l’acquisition du logement en société
Les avantages de la détention d’un logement en société
La société peut fournir un cadre aux personnes physiques pour détenir leur logement. Elle peut être, pour elles, un outil de gestion du logement
(§ I) en évitant l’indivision, en clarifiant l’acquisition et en protégeant le patrimoine de l’incapable. Elle peut être aussi le véhicule de la transmission du logement (§ II), à cause de mort ou entre vifs. Quand l’accédant la constitue avec un partenaire financier, elle constitue une technique d’acquisition progressive du logement
(§ III).
La société, outil de gestion du logement
En évitant l’indivision
L’indivision est présentée classiquement comme une situation précaire, instable, inorganisée et rigide. La société serait le remède à tous ces maux. Ces propos simplistes sont à tempérer, car la convention d’indivision pourrait être une alternative réduisant les avantages de société. Le lecteur pourra en juger en consultant, sur l’extension numérique du présent rapport, le tableau comparatif entre l’indivision légale, l’indivision conventionnelle et de la société.
Indivision légale, indivision conventionnelle et société : tableau comparatif
Indivision légale | Indivision conventionnelle | Société | |
---|---|---|---|
Textes applicables | C. civ., art. 815 à 815-18 | C. civ., art. 1873-1 à 1873-18 | C. civ., art. 1832 à 1844-17 ; 1845 à 1870-1 |
Durée | Le principe : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué… » (816). | La convention à durée déterminée (1873-3) ne peut être supérieure à 5 ans. Elle est renouvelable par une décision expresse des parties. Le partage ne peut pas être provoqué sauf « justes motifs ». | La durée de la société est fixée dans les statuts. Elle ne peut excéder 99 ans (1838). |
Gestion des biens | Une majorité des 2/3 des droits indivis est nécessaire (815-3) pour : | « Les coïndivisaires peuvent nommer un ou plusieurs gérants, choisis ou non parmi eux. Les modalités de désignation et de révocation du gérant peuvent être déterminées par une décision unanime des indivisaires » (1873-5). | La société est gérée par un représentant légal qui est le gérant dans les sociétés civiles/SARL ou le président ou directeur général dans les sociétés par actions. |
La répartition des revenus | Chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant de biens indivis et supporte les pertes à proportion de ses droits dans l’indivision (815-10, al. 4). | À défaut d’accord particulier, l’article 815-10, alinéa 4 est applicable à la répartition des bénéfices et des pertes (1873-11). | La répartition des dividendes est en fonction de la part dans le capital social (1844-1). Il est possible d’y déroger (golden share) dans la limite des clauses léonines. |
La transmission des droits indivis | En cas de cession à titre onéreux par un indivisaire de ses droits à un tiers, les autres indivisaires ont un droit de préemption (815-14). | En cas de cession à titre onéreux de droits indivis, droit de préemption (815-14). | Dans la société civile, les cessions de parts sont soumises à l’agrément de tous les associés (1861). |
Faut-il, pour autant, partager les propos de notre Confrère Jean-François Sagaut lors d’un précédent Congrès : « La société civile comme mode de détention du logement conjugal ne présente pas d’intérêt par rapport à la convention d’indivision » ? L’indivision, même assortie d’une convention, souffre de trois handicaps que peut surmonter une société : sa précarité ou sa courte durée, les prises de décision à une majorité des deux tiers, voire de l’unanimité et l’impossibilité de contrôler les transmissions à titre gratuit des droits indivis.
En clarifiant l’acquisition
La détention du logement en société permet de clarifier les modalités d’acquisition et de financement (II). En effet, malgré l’introduction dans les actes d’acquisition de clauses définissant les quotes-parts d’acquisition de chacun des acquéreurs, le risque de contentieux reste important en cas de décalage entre le financement et les quotes-parts d’acquisition (I).
Le contentieux lié aux quotes-parts d’acquisition
La fixation des quotes-parts d’acquisition
À défaut de précision dans l’acte d’acquisition, la propriété est acquise pour les quotes-parts équivalentes indépendamment des modalités de financement. Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation.
Il est donc essentiel que dans l’acte d’achat les quotes-parts d’acquisition soient précisément définies en fonction :
- des sommes à financer : prix, frais d’acquisition, commission de négociation et travaux envisagés ;
- des modalités de financement : les apports de chacun ainsi que l’emprunt qui sera remboursé par chacun à proportion de ses revenus respectifs.
La fixation des quotes-parts d’acquisition déterminera la clé de répartition en cas de vente du bien ou de partage, selon que le prêt a été pour partie ou totalement remboursé. L’exercice est assez complexe et a fait l’objet de propositions de rédaction de la part de praticiens.
Le décalage entre le financement et les quotes-parts d’acquisition
En l’absence de convention fixant les quotes-parts d’acquisition ou en cas de non-respect de la règle fixée entre les co-acquéreurs, il existe des risques de contentieux fiscal et juridique s’il existe un décalage les quotes-parts d’acquisition et la contribution de chacun des acquéreurs au financement.
– Risque fiscal. – Pareille situation peut tout d’abord générer un risque de redressement fiscal. L’administration pourrait, en effet, y voir une donation indirecte sous réserve d’apporter la preuve de ses éléments constitutifs : dépouillement actuel et irrévocable du donateur, acceptation de la donation par le donataire et intention libérale. La défense du contribuable sera particulièrement complexe, faute d’éléments de preuve préconstituée, démontrant l’existence d’un prêt ou le caractère rémunératoire de la donation. Si les éléments de la donation indirecte sont ainsi démontrés, l’administration sera alors en droit de percevoir des droits de mutation à titre gratuit, au taux fixé en fonction du lien de parenté unissant les parties, ainsi que des pénalités et des intérêts de retard. Il faut bien aussi constater qu’en pareil cas, le rédacteur de l’acte d’acquisition pourrait voir sa responsabilité civile engagée pour défaut de conseil.
La donation indirecte a aussi son volet civil : elle sera rapportable à la succession du donateur et exposée au risque de réduction.
– Risque juridique. – Si un écart est constaté entre la propriété et le financement réel, en cas de séparation ou de décès, un débat va naître entre les parties au sujet de sa qualification. M. Vareille en a résumé très élégamment la problématique : « La pente naturelle des couples en rupture, c’est de faire de tout un conflit et de chaque conflit un litige : chacun revisite le passé commun à la lumière nouvelle de ce récent combat. Or, la caractéristique de l’indivision, c’est de se prêter merveilleusement bien à cette relecture désenchantée des rapports du couple. Il est facile et tentant de prétendre reconsidérer le passé et d’échafauder des qualifications nouvelles. Au temps du bonheur, on ne comptait pas car l’on éprouvait le sentiment de concourir à la prospérité commune. Au temps des soupirs, c’est une autre vérité, rétrospective, dont on se prévaut et, souvent, de parfaite bonne foi ».
Ainsi, le financement assuré pour le compte de l’autre peut faire l’objet de différentes qualifications :
- le prêt ;
- la donation ;
- la donation rémunératoire ;
- la société créée de fait ;
- l’enrichissement injustifé ;
- ou la contribution aux charges de la vie commune.
L’alternative de la société
Pour clarifier le financement du logement
Le recours à la société, le plus souvent une société civile, va permettre de clarifier les flux financiers des co-acquéreurs qui sont alors associés. Les deux sources de financement de la société sont constituées par le capital social formé par les apports des associés, et par leurs comptes courants dans les livres de la société.
– Capital social. – Les associés peuvent constituer une société avec un capital social réduit permettant à un associé d’avoir une participation importante avec un apport faible. L’apport est le plus souvent en numéraire ou en nature si le logement appartient déjà à l’un des associés. Les associés sont rémunérés par l’attribution de titres sociaux qu’ils ne pourront liquéfier qu’en cas de cession, de réduction de capital ou lors de la dissolution de la société.
Les associés peuvent également apporter des sommes importantes au capital social. Ils seront alors titrés à due concurrence.
– Comptes courants d’associés. – Au lieu d’apporter des sommes au capital social, les associés peuvent préférer les verser dans un compte couvert à leur nom dans les registres de la société. Il s’agit d’une dette de la société envers l’associé titulaire du compte.
Sauf convention contraire, l’associé peut demander à tout moment le remboursement à la société de son compte courant créditeur si elle n’est pas en état de cessation des paiements, même si la trésorerie est insuffisante.
La cession des droits sociaux de l’associé n’emporte pas automatiquement cession du compte courant créditeur au cessionnaire. Il appartiendra aux parties d’envisager soit la cession, soit le remboursement, soit l’abandon total ou partiel.
Le prêt en compte courant est un rapport d’obligation uniquement entre l’associé titulaire (créancier) et la société (débiteur). Il en résulte que seul son titulaire peut en demander le remboursement même si les époux sont mariés sous un régime communautaire.
L’écran de la personnalité morale entre l’associé « créancier » et son concubin ou époux séparatiste fait obstacle à une quelconque opposition au remboursement de la créance fondée sur un mécanisme de contribution aux charges de la vie commune.
Pour permettre à l’époux commun en biens de se constituer un patrimoine propre
– Emploi et remploi lors de la souscription du capital. – Pour qu’un époux marié sous un régime de communauté puisse acquérir un bien propre, il lui appartient, en vertu de l’article 1436 du Code civil, de financer sur fonds propres plus de la moitié du prix et des frais d’acquisition. Le recours à la société va faciliter la constitution d’un patrimoine propre. Il peut tout d’abord apporter à la société un logement qui lui appartient en propre : par un mécanisme de subrogation automatique, les droits sociaux rémunérant son apport sont propres. Il peut réaliser un apport en numéraire de fonds propres : pour que les droits sociaux lui soient propres, les statuts devront préciser l’origine des fonds et contenir une déclaration d’emploi ou de remploi. À défaut, les droits sociaux tomberont dans la communauté sauf récompense.
Par contre, les flux financiers entre la société et la communauté (apport de trésorerie ou bénéfices non distribuables affectés en compte courant) sont susceptibles de constituer des chefs de récompenses, étant rappelé que la valeur des titres suit la valeur du bien détenu alors que la valeur du compte courant reste généralement nominale.
En gérant de manière plus efficace le patrimoine du mineur
Rappel des règles applicables au mineur
– Réformes récentes. – La protection des biens du mineur a fait l’objet de réformes récentes :
- l’ordonnance no 2015-1288 du 15 octobre 2015, entrée en vigueur le 1er janvier 2016 qui supprime la distinction entre les administrations légales pures et simples et celles sous contrôle judiciaire ;
- la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, n° 2019-222, du 23 mars 2019, qui réforme la tutelle des mineurs.
– Administration légale en commun. – Lorsque l’administration légale est exercée en commun, chacun des administrateurs peut accomplir seul les actes d’administration (conclusion ou résiliation d’un bail d’habitation). Les actes de disposition nécessiteront l’accord des deux administrateurs. Le juge des tutelles n’aura vocation à intervenir qu’en cas de désaccord entre les administrateurs, de conflit d’intérêts entre le mineur et l’administrateur nécessitant la nomination d’un administrateur ad hoc
ou d’actes de disposition particulièrement graves visés à l’article 387-1 du Code civil.
– Administrateur légal unique. – Il peut accomplir seul sans autorisation les actes d’administration et de disposition à l’exception d’un conflit d’intérêts ou d’un acte de l’article 387-1 du Code civil.
Dans le régime de la tutelle des mineurs, le tuteur accomplit seul les actes conservatoires et d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine du mineur. Les actes de disposition nécessitent l’autorisation du conseil de famille ou à défaut celle du juge.
– Accord du juge. – L’accord du juge est donc nécessaire pour les actes importants se rapportant au logement du mineur, tels que les actes de cession ou d’emprunt. Ce qui peut rallonger les procédures selon l’encombrement du tribunal compétent. La gestion du logement appartenant à un mineur peut être facilitée grâce à la société.
L’entrée du mineur dans la société
Le mineur peut être associé dans une société civile ou commerciale à l’exception de celles qui confèrent la qualité de commerçant à leurs associés. L’entrée du mineur dans la société peut se faire par un apport à la société ou par acquisition de titres sociaux.
– L’apport en numéraire par le mineur. – L’apport en numéraire à une société constitue un acte de disposition qui nécessite l’accord des deux administrateurs si elle est commune, sauf intervention judiciaire en cas de désaccord entre eux. S’il a de faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine du mineur, sur ses prérogatives ou sur son mode de vie, l’apport en numéraire pourrait être déqualifié en acte d’administration pouvant être réalisé par un seul des administrateurs.
Si un seul parent est titulaire de l’administration légale, il peut consentir seul l’apport en numéraire, quelle que soit sa qualification.
– L’apport en nature par le mineur. – Pour un tel apport, l’administrateur ou les administrateurs doivent toujours obtenir une autorisation judiciaire quelle que soit la valeur de l’immeuble apporté. Il en est de même pour les apports de valeurs mobilières (actions ou obligations) ou d’instruments financiers (parts de SCPI) s’ils engagent « le patrimoine du mineur pour le présent ou l’avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur ».
En cas de tutelle, quelle que soit la nature des biens apportés, l’apport est un acte de disposition, nécessitant l’autorisation du conseil de famille ou du juge.
– Acquisition à titre onéreux : distinguer selon la nature des droits sociaux. – En cas d’acquisition à titre onéreux des droits sociaux, pour connaître le régime applicable, il convient de distinguer selon la nature des droits sociaux acquis. Seules les actions sont visées par l’ordonnance : leur acquisition suit le même régime que leur apport (V. supra, no
). L’acquisition de parts sociales constituant un emploi ou un remploi de sommes d’argent pourrait être qualifiée d’acte d’administration pouvant être réalisé par un seul des administrateurs, sauf à la requalifier en acte de disposition nécessitant l’accord des deux administrateurs au sens de l’article 2 du décret du 22 décembre 2008.
– Acquisition par donation. – La donation de titres sociaux est qualifiée d’acte d’administration ne nécessitant que l’accord d’un administrateur si elle est dépourvue de charges. La responsabilité indéfinie de la société civile n’est pas considérée comme une charge, car elle résulte de la nature même des parts sociales. Si la donation s’accompagne de charges, étant qualifiée d’acte de disposition, elle nécessite l’accord des deux administrateurs.
– Acquisition par succession. – Si les titres sociaux sont échus par succession, la procédure dépend de l’option successorale choisie par le représentant légal. Si la succession est acceptée à concurrence de l’actif net, il s’agit d’un acte de disposition qui requiert l’accord des deux parents ; l’accord du juge n’est pas nécessaire. Si la succession est acceptée à titre pur et simple, le ou les administrateurs doivent obtenir l’autorisation préalable du juge.
Le tuteur peut accepter seul la succession sans intervention judiciaire à concurrence de l’actif net ou purement et simplement si l’actif dépasse manifestement le passif. Dans les autres hypothèses, l’accord du conseil de famille ou du juge est requis.
L’exercice des droits d’associé du mineur
– Exercice du droit de vote. – Lorsque le mineur est associé dans une société, ce sont le ou les représentants légaux qui exercent le droit de vote. L’exercice du droit de vote est en principe un acte d’administration, sauf ordre du jour visé par le décret de 2008. Ce décret, en son annexe 2 qualifie d’actes de disposition, sauf circonstances d’espèce nécessitant l’accord des deux administrateurs, certaines résolutions.
– Décision de vente ou d’emprunt par la société. – En cas de vente de l’immeuble ou de souscription d’un emprunt par la société, le vote du représentant du mineur est dépendant de la définition des pouvoirs du gérant. Si la vente et l’emprunt figurent dans l’objet social, le gérant de la société civile peut vendre seul et souscrire l’emprunt en vertu de l’article 1849, alinéa 1 du Code civil. Les clauses limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers, même s’ils en ont eu connaissance. Cette solution a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu en 2000 : « la capacité à s’engager d’une SCI, personnalité distincte de ses associés, ne dépend pas de la capacité de ses associés ». Dans cette affaire, la SCI, qui était détenue à 96 % par un mineur et à 4 % par sa mère gérante, avait emprunté afin de financer l’acquisition et la rénovation d’un immeuble.
– Emprunt et limitation de responsabilité du mineur. – Lorsqu’un prêt est consenti à une SCI ayant des associés mineurs, la responsabilité de la banque prêteuse peut se trouver engagée. Ce fût le cas dans une espèce où il lui fût reproché de ne pas avoir assuré les mineurs qui détenaient une part importante dans le capital social. Ces derniers encouraient un risque élevé de se retrouver personnellement débiteurs. Selon les magistrats, il appartenait au banquier de vérifier qu’ils bénéficiaient de la protection qui leur était due en raison de leur état de minorité.
La protection du mineur peut, en pareil cas, être assurée par une limitation de la responsabilité du montant de son apport. Cette disposition est valable entre associés (contribution à la dette), mais inopposable aux créanciers (obligation à la dette de l’article 1857 du Code civil) sauf à ce que la banque renonce expressément à poursuivre l’associé mineur. L’autre solution préconisée est de préférer la SAS à la société civile qui en a « les mêmes atouts : grande souplesse et liberté dans la rédaction des statuts, nombre peu important de dispositions impératives. Elle a même pour avantage d’avoir une responsabilité limitée aux apports… ».
La société, outil de transmission du logement
L’anticipation de la transmission du logement grâce à l’outil sociétaire est mise en œuvre différemment selon que la transmission est à cause de mort (A) ou entre vifs (B).
À cause de mort
L’usage de la société comme outil d’optimisation des transmissions à cause de mort est utile à la protection du concubin survivant (I) ; il peut aussi permettre d’anticiper le décès d’un associé (II).
En protégeant le concubin survivant
Le sort du logement du concubin survivant
La protection légale du concubin en cas de décès est inexistante en droit. Le conjoint survivant, outre sa qualité d’héritier légal en l’absence de descendant, bénéfice d’un droit temporaire et d’un droit viager au logement, sans parler d’une quotité élargie lui permettant d’appréhender l’usufruit de la réserve et de limiter la réductibilité des libéralités qui lui ont été consenties.
Le partenaire pacsé bénéficie d’un droit temporaire au logement d’un an à compter du décès et d’une exonération des droits de succession équivalente à celle des époux, ce qui lui permet de bénéficier de dispositions testamentaires qui seront exposées à la réduction si elles se révèlent excessives.
Le concubin ne bénéficie d’aucune disposition protectrice ni du droit civil ni du droit fiscal. S’il est institué comme légataire, il doit régler dans les six mois du décès des droits de succession de 60 %. Il est également confronté aux difficultés de l’indivision qui, très souvent, le conduisent ainsi que les autres héritiers à vendre le logement.
– Techniques de la tontine et du démembrement croisé des titres. – La pratique a imaginé des techniques protectrices du logement du concubin qui mélangent l’outil sociétaire avec la tontine (b) ou le démembrement croisé (c).
L’usage de la société et de la tontine (ou de la clause d’accroissement)
– Les limites de la tontine en dehors de la sphère sociétaire. – La tontine ou clause d’accroissement apparaît sous sa forme moderne au XVII
e siècle sous l’impulsion d’un banquier napolitain, Lorenzo Tonti, qui la propose en 1653 à Mazarin comme nouvelle source de financement des dépenses militaires : il s’agissait de coupler l’emprunt avec une loterie fondée sur la vie humaine.
La clause de tontine est une stipulation qui est insérée dans un contrat d’acquisition en commun, aux termes de laquelle chaque co-acquéreur est propriétaire du bien sous condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès. Au premier décès, le survivant devient rétroactivement seul propriétaire du bien qui échappe à la succession du prédécédé.
– Fiscalité dissuasive. – Le mécanisme peut sembler particulièrement adapté à la protection du logement d’un couple de concubins, mais c’est sans compter sur son régime fiscal particulièrement dissuasif, à l’article 754 A du Code général des impôts. Sauf à ce que le bien soit l’habitation commune des acquéreurs d’une valeur globale inférieure à 76 000 € déclenchant l’exigibilité des droits de mutation à titre onéreux, la facture de jeu de la tontine à régler par notre concubin survivant sera libellée en droits de succession : soit un taux de 60 % applicable entre non-parents après un abattement de 1 594 euros.
– DMTO pour la tontine en société. – L’administration fiscale a confirmé que le dénouement du pacte tontinier, inscrit dans un acte qui ne serait pas une acquisition en commun, ne donnait ouverture qu’aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 5 % calculés sur la valeur des parts au décès. Dans une réponse ministérielle de 1979, non reprise au BOFiP, le ministre du Budget s’est prononcé pour l’application des DMTO aux clauses tontinières insérées dans les statuts d’une société.
– Précautions. – Comme le précisait Cozian il y a presque trente ans, la constitution d’une société civile dans laquelle les parts sociales sont affectées d’une clause tontinière constitue « un jeu subtil et dangereux dont il faut parfaitement maîtriser les règles ». Pour que la clause ou la société contenant la clause ne soit pas remise en cause, il convient de prendre quelques précautions.
Les juridictions ainsi que le Comité de l’abus de droit ont rappelé que la clause devait rester aléatoire tant du point de vue économique que du point de vue vital :
- aléa économique : les contributions respectives de chacun des associés au capital doivent être équivalentes. Hugues Lemaire et Juliette Lefebvre imaginent un système de péréquation permettant de moduler le montant de l’investissement en tenant compte de l’espérance de vie de chacun des acquéreurs ;
- aléa vital : chaque contractant doit avoir une chance comparable de survivre à son cocontractant. Si l’âge et l’état de santé de l’associé de la SCI rendaient probable son décès avant celui de son coassocié, il pourrait avoir consenti une libéralité indirecte ; la clause de tontine étant alors dénuée d’aléa.
– Éviter la société civile unipersonnelle
ab initio
. – Pour contourner le grief de la nullité de la société civile qui ne peut être unipersonnelle ab initio, contrairement à la SARL ou la SAS, il conviendrait soit de prévoir quelques parts « hors tontine », soit d’associer aux concubins un tiers qui détiendrait dès l’origine des parts non pactées.
Le démembrement croisé
– Échange de droits démembrés. – La pratique a développé une alternative à la clause de tontine : le démembrement croisé des parts de société entre concubins. Après avoir constitué la société propriétaire du logement de la famille, les concubins procèdent à un échange de l’usufruit et de la nue-propriété des parts afin qu’in fine chacun soit titulaire de la nue-propriété de la moitié des parts et de l’usufruit de l’autre moitié. L’échange rendra exigibles les droits d’enregistrement de 5 % sur le plus cher des deux lots échangés. Au premier décès, le survivant sera plein propriétaire de la moitié et usufruitier de l’autre moitié. Les héritiers du concubin prémourant ne recueilleront que la nue-propriété de la moitié des parts.
Pour que le montage soit efficace sur le plan juridique, il convient de mettre en place une cogérance entre les concubins et d’attribuer les droits de vote les plus étendus à l’usufruitier.
– Prouver l’origine des deniers. – Pour contourner le piège de l’article 757 du Code général des impôts, les concubins doivent se préconstituer la preuve de l’origine des deniers apportés à la société et éviter de s’instituer comme légataires ou héritiers.
En anticipant le décès de l’associé
– Poursuite de la société en cas de décès. – Sauf clause statutaire, le décès de l’associé n’entraîne pas la dissolution de la société civile. Les indivisaires ont la qualité d’associé, ils sont donc convoqués aux assemblées générales avec le droit d’y participer. Ils peuvent demander à nommer un administrateur provisoire et ont accès aux livres et documents sociaux. En revanche, le droit de vote doit être exercé par un mandataire, choisi parmi les indivisaires ou en dehors, à l’amiable ou à défaut par décision de justice.
– Clause d’agrément. – Dans les sociétés civiles, les cessions à titre gratuit, même au profit d’un ascendant, d’un descendant ou d’un conjoint, peuvent être soumises à agrément en vertu d’une clause statutaire. L’agrément est voté à l’unanimité des associés sauf à prévoir une majorité plus faible. Si l’héritier est agréé, il exerce les prérogatives attachées à la qualité d’associé : il perçoit les dividendes, participe aux décisions collectives et vote aux assemblées générales. Si l’agrément est refusé, l’héritier a le droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux au jour du décès, qui lui est réglé par les nouveaux associés ou par la société si elle procède à leur annulation.
– Décès de l’associé gérant. – Le décès de l’associé gérant n’entraîne pas la dissolution de la société. Il est nécessaire de convoquer une nouvelle assemblée générale pour en désigner un nouveau, sauf à prévoir la désignation de son successeur dans les statuts ou à avoir mis en place une cogérance.
Entre vifs
La société est un outil intéressant lors des transmissions entre vifs à titre gratuit. Elle facilite la donation-partage (I) et optimise le démembrement portant sur le logement (II).
En facilitant la donation-partage
– Partage effectif des parts sociales. – La Cour de cassation, en 2013, a dénié la qualification de donation-partage à des actes de donation qui n’opéraient pas la division matérielle de l’ensemble des biens sur lesquels ils portaient. La donation-partage attribuant une quote-part indivise du logement à chacun des codonataires serait alors disqualifiée en « donation simple », soumise au rapport et à la réduction dans les conditions de droit commun.
Faute de biens suffisants pour allotir chacun des donataires d’un bien divis, il est possible d’apporter le logement en société puis, après cet apport, de procéder à une donation-partage ayant pour objet non pas le logement, mais les parts sociales de la société. La société permet également d’étaler les transmissions de parts sociales en reconstituant les abattements entre chaque transmission.
En optimisant le démembrement de propriété
Le recours à la société permet d’optimiser le démembrement de propriété portant sur un logement.
– Rappel des règles applicables au démembrement portant un immeuble. – En cas de démembrement de propriété, les prérogatives sont réparties par le Code civil entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, aux articles 578 à 624. L’usufruitier a la jouissance du bien, il peut donc l’occuper et le louer. Il est tenu d’entretenir l’immeuble, à peine d’être déchu de son droit pour abus de jouissance. Le nu-propriétaire a, quant à lui, la charge des grosses réparations. Mais l’usufruitier ne peut pas contraindre le nu-propriétaire à exécuter les gros travaux.
Pour vendre le logement démembré, l’accord des deux titulaires de droit est nécessaire. L’article 815-5 du Code civil dispose que le juge ne peut pas, à la demande du nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété du bien contre la volonté de l’usufruitier.
En cas de vente du bien, le prix de vente est en principe réparti entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun des droits. Le barème fiscal ne s’appliquant qu’en matière de détermination de l’assiette de l’impôt, les parties sont libres de recourir à la valeur économique de l’usufruit. D’un commun accord, les parties peuvent convenir d’un report du démembrement ou constituer un quasi-usufruit.
– Démembrement portant sur des droits sociaux. – Bien que la Cour de cassation dénie à l’usufruitier la qualité d’associé, il bénéficie de prérogatives importantes au sein de la société. L’article 1844 du Code civil attribue au nu-propriétaire le droit de vote à l’exception des décisions portant affectation du bénéfice. Ces dispositions sont supplétives, il est donc possible dans les statuts ou dans une convention extrastatutaire de renforcer le droit de vote de l’usufruitier pouvant aller jusqu’à l’attribution de la totalité des droits de vote.
L’usufruitier ayant le droit d’user de la chose et d’en percevoir les fruits (C. civ., art. 578), il a donc le droit aux dividendes prélevés sur les bénéfices courants. Concernant les dividendes prélevés sur des résultats exceptionnels, la doctrine est partagée : pour certains, en tant que fruits, ils reviennent à l’usufruitier ; pour d’autres, ces sommes reviennent au nu-propriétaire sous réserve d’un quasi-usufruit qui serait exercé par l’usufruitier. Les chambres de la Cour de cassation sont en opposition quant à la distribution des réserves. Pour la chambre commerciale, le nu-propriétaire a droit aux dividendes sous réserve d’un quasi-usufruit de l’usufruitier. Pour la première chambre civile, le nu-propriétaire a droit seul aux dividendes prélevés sur les réserves. Il appartiendra donc aux statuts de la société d’attribuer les résultats exceptionnels et les dividendes prélevés sur les réserves.
– En conclusion. – La société présente de nombreux atouts pour détenir et gérer un patrimoine immobilier. Cependant, elle entraîne des contraintes tant juridiques que fiscales qu’il convient de parfaitement appréhender lorsqu’elle détient le logement.
La société, outil d’acquisition du logement (la co-acquisition avec un partenaire financier)
– Innovation et
startup
. – La hausse du prix de l’immobilier est source d’innovation et la période récente a vu fleurir des solutions de la part de startups proposant des montages permettant de partager de manière horizontale le poids de l’acquisition avec un partenaire financier qui porterait pendant une certaine période une partie de la valeur du logement aux côtés de l’occupant accédant. Que cet investisseur soit privé (parents, amis) ou institutionnel.
– Permettre une accession progressive. – Sans entrer dans les techniques imaginées (de la société civile classique à la société à capital variable), jouant sur l’ensemble des curseurs financiers (apports en capital, apports en comptes courants d’associés), l’enjeu est généralement d’imaginer une technique permettant à l’accédant au logement de devenir à terme intégralement propriétaire de la société, donc indirectement seul titulaire de la valeur de son logement. À l’instar de ce que nous avons déjà présenté pour des montages innovants basés sur le démembrement ou l’indivision, cumulant parfois plusieurs techniques.
– Rémunérer l’investisseur. – Si l’intérêt de l’associé accédant, qui occupera le logement soit à titre gratuit en qualité d’associé d’une société translucide, soit en qualité de locataire, semble évident, l’intérêt de l’investisseur est plus subtile car il faut trouver une solution de rémunération, ce qui appelle de notre part deux remarques : il est possible de faire preuve d’ingénierie sur les clauses de répartition des résultats, mais il faut être attentif à ce que le montage ne puisse pas être requalifié d’opération de crédit.
– L’ingénierie de la clause de répartition des résultats. – Le Code civil, au chapitre sur les dispositions générales relatives aux sociétés, pose le principe que la répartition du résultat au prorata des parts dans le capital n’est que supplétive, sous réserve de la prohibition des pactes dits « léonins », supprimant tout droit à bénéfice ou tout risque de perte à un associé. La Cour de cassation a par ailleurs jugé que la modification des statuts relative à la répartition des droits à dividendes n’était pas une donation indirecte. Critiquée par certains, cette jurisprudence reste d’actualité mais suppose comme toujours discernement et précautions, tout excès risquant inévitablement d’être annulé.
Il n’en reste pas moins que cette règle de droit civil est opposable en droit fiscal dès lors que la clause statutaire a bien acquis date certaine avant la décision d’affectation du résultat.
– Risque de requalification en contrat de crédit. – Une limite importante à ce type d’ingénierie est le risque de requalification en contrat de crédit. En effet, la consultation des sites proposant ce type de montages innovants contient des témoignages expliquant combien la solution est merveilleuse puisqu’elle a permis de trouver un financement que les banques refusaient. Il est certes expliqué que l’investisseur n’est pas un prêteur, qu’il « investit à vos côtés ». Mais sa rémunération est importante : certaines solutions proposent simplement que pour 10 % investis, l’investisseur détienne 15 % du capital. Soit un gain potentiel de 50 % en capital, néanmoins complexe à comparer à un prêt avec intérêt selon la durée pendant laquelle l’investisseur reste en place.
Ce risque de requalification est apparu notamment à propos de ventes à réméré dans divers arrêts qui nous semblent transposables, dont un arrêt de 2021 aux termes duquel : « La vente à réméré peut constituer un pacte commissoire prohibé lorsque, portant sur la résidence principale du vendeur, elle dissimule une opération de crédit et a pour objet d’éluder les dispositions protectrices des emprunteurs relatives au taux d’usure ».
Il est vrai que l’investisseur ne se comporte pas en banquier : il partage le capital d’une société, et donc notamment le risque de perte de marché avec l’accédant (sous réserve qu’il ne perde rien de son investissement tant que le marché n’a pas baissé de 5/15, ou 1/3). Ces montages, qui se sont développés dans les marchés haussiers, sont intéressants car habiles et aptes à apporter des solutions à certains acquéreurs dans les territoires les plus tendus. Ils sont mathématiquement moins attractifs dans les marchés baissiers…
Clause de répartition des résultats atypique entre un associé occupant à titre gratuit un appartement et un associé investisseur
Les inconvénients de la détention d’un logement en société
Les inconvénients résultant de la détention du logement en société sont de nature juridique (§ I) et de nature fiscale (§ II).
Les inconvénients juridiques
Toute personne physique qui choisit de détenir son logement en société doit avoir pleinement conscience du fait que ce choix emporte d’une part la privation de certains droits et avantages (A), d’autre part la soumission à certaines contraintes (B).
La privation de certains droits et avantages
Le choix d’une société pour détenir le logement peut pénaliser l’accédant, tant en termes de protection qu’en termes financiers.
Un déficit de protection
Par rapport à la personne physique, la société se caractérise à bien des égards comme étant à l’origine d’un déficit de protection.
– Protection altérée du logement en cours d’union. – Le logement de la famille fait l’objet d’une protection particulière dans le Code civil. En effet, l’article 215 impose l’accord du conjoint pour disposer « des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ». Si le conjoint n’a pas consenti à l’acte de disposition, il pourrait demander la nullité de l’acte dans l’année du jour où il en a eu connaissance, sans que l’action ne puisse être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial.
Lorsque le logement de la famille est détenu par une société, la Cour de cassation refuse d’appliquer ces dispositions à la vente du logement par son gérant, à moins que l’époux associé ait été autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé (objet social ou dispositions statutaires) ou d’une décision prise à l’unanimité des associés.
La société civile est souvent présentée comme un écran de protection supplémentaire. L’immeuble étant « transformé » en parts sociales, il deviendrait plus difficilement saisissable et la vente aux enchères des parts sociales serait illusoire. Cette affirmation est à relativiser.
– D’une part, la détention d’un logement en société lui fait perdre son insaisissabilité. Comme l’a confirmé une réponse ministérielle, il ne peut, en ce cas, bénéficier ni de l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale ni de l’insaisissabilité optionnelle des autres biens immobiliers qui ne sont pas affectés à usage professionnel.
– D’autre part, les associés d’une société civile encourent une responsabilité indéfinie et conjointe (obligation au passif), même si l’article 1844-1 du Code civil autorise une dérogation statutaire à la répartition du passif, normalement proportionnelle (contribution à la dette) aux apports. La seule limite est celle des clauses léonines. Cette difficulté peut être contournée par l’adoption d’une forme commerciale à responsabilité limitée, de type SARL ou SAS.
Enfin, la société ne permet pas de frauder le droit des créanciers. Comme l’écrivaient Jean Prieur et Arnaud Houis : « Il n’est pas interdit de faire choix de mesures protectrices résultant du jeu de la liberté contractuelle. Ce qui est condamnable, c’est de prendre ces dispositions lorsque l’incendie est déclaré, que le débiteur à la situation obérée entend mettre son patrimoine à l’abri ».
L’apport du logement à la société pourrait être attaqué par les créanciers sur le fondement de l’action paulienne (C. civ., art. 1341-2) ou des articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de commerce qui traitent des actes accomplis par un débiteur au cours de la période suspecte.
– Protection altérée du logement au décès. – La détention indirecte de la résidence principale peut avoir des effets négatifs sur les droits qui sont accordés par la loi au conjoint survivant et dans une moindre mesure au partenaire pacsé. Pour que le droit temporaire au logement s’applique au conjoint survivant (C. civ., art. 763) ou au partenaire pacsé (C. civ., art. 515-6), il faut que le logement soit la propriété unique du défunt ou soit détenu par les deux époux ou partenaires. Le droit viager du conjoint survivant impose également que le logement appartienne aux époux ou dépende totalement de la succession (C. civ., art. 764).
L’article 831-2 du Code civil prévoit que le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle « de la propriété ou du droit au bail qui lui sert effectivement d’habitation s’il y avait sa résidence à l’époque du décès ». L’article 831-3 du même code précise que cette attribution préférentielle est de droit lorsqu’elle est demandée par le conjoint survivant. Le mécanisme d’attribution préférentielle n’est pas applicable si l’habitation est détenue en société ? La cour d’appel de Paris avait ordonné l’attribution préférentielle des parts de la SCI à l’ex-mari, considérant que « l’attribution préférentielle des parts sociales n’est exclue par aucun texte ». La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et juge que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’attribution préférentielle à l’ex-époux des parts de la SCI dépendant de la communauté emportait dévolution exclusivement à celui-ci de la pleine propriété du seul local, et de ses accessoires, qui servait d’habitation aux époux.
– Protection altérée de l’acquéreur du fait de l’exclusion du champ de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation. – La protection de l’acquéreur de titres sociaux d’une société détenant le logement peut être altérée, car il ne bénéficie pas des dispositions protectrices et des garanties légales applicables à la vente immobilière.
L’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation accorde à l’acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage d’habitation un délai de rétractation ou de réflexion de dix jours à compter de la signature de l’avant-contrat. La doctrine était partagée quant à l’application du délai de rétractation ou de réflexion au profit d’une personne morale. La Cour de cassation a refusé d’appliquer ce dispositif à une SCI, jugeant qu’elle ne pouvait pas être qualifiée d’acquéreur non professionnel et que la vente avait un rapport direct avec son objet social. Par ailleurs, la rédaction de l’article L. 271-1 semble exclure de son champ d’application les acquéreurs de titres de société qui seraient propriétaires d’un logement.
– Protection altérée de l’acquéreur du fait de l’exclusion du champ de l’article L. 312-1 du Code de la consommation. – Lorsque la SCI sollicite un emprunt pour l’acquisition ou la construction de son logement, est-elle un « consommateur » pouvant bénéficier des règles protectrices du Code de la consommation (art. L. 312-1 et s.) ? Pour la Cour de cassation, la société ne peut bénéficier de ce dispositif protecteur lorsque, par son objet social, elle procure sous quelque forme que ce soit des immeubles en propriété ou en jouissance. L’enjeu est ici particulièrement important : délai de validité de l’offre de prêt, délai de réflexion de dix jours, prescription biennale…
– Protection altérée de l’acquéreur des parts sociales exclues du champ des garanties accordées aux ventes immobilières. – L’acquéreur « en direct » d’un logement bénéficie d’un dispositif d’information complet : diagnostic technique (amiante, saturnisme, électricité, gaz, état des risques naturels et technologiques), contrôle de l’assainissement collectif ou individuel. Si l’achat porte sur un lot de copropriété, s’ajoutent le certificat de mesurage au titre de la « loi Carrez » ainsi que les documents de la copropriété. Enfin, l’acquéreur d’un logement bénéficie de garanties légales telles que l’action en rescision pour lésion, la garantie d’éviction, la garantie des vices cachés sauf pour le vendeur non professionnel à s’en exonérer.
Il en va différemment de la cession des titres d’une société détenant un logement, qui relève du droit commun de la vente. Les parties sont tenues à une obligation d’information générale et à une obligation de confidentialité. Les textes réglementent certains aspects de la cession tels que l’agrément du cessionnaire, l’intervention du conjoint commun en biens et les formalités d’opposabilité à la société et aux tiers, mais aucunement les garanties accordées au cessionnaire de titres de société.
Le cessionnaire sera tenu indéfiniment responsable du passif social échu à la date de la cession. Le cédant, quant à lui, supporte le passif échu antérieurement à la cession ; le tout sous réserve de stipulations contraires des cessions qui pourraient prévoir une garantie d’actif et de passif au profit du cessionnaire.
La Cour de cassation a rappelé que le cédant n’était tenu que de la garantie d’existence des titres sociaux et non de la réalité et de la valeur des actifs sociaux. La responsabilité du cédant ne peut être engagée qu’en cas de réticence dolosive ou sur le fondement de la garantie des vices cachés si les titres de la société sont impropres à leur destination.
La perte de certains avantages financiers
– Aides au logement. – Jusqu’à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, la SCI était une technique utilisée pour contourner l’impossibilité pour un enfant locataire d’un logement appartenant à ses ascendants de prétendre au bénéfice de l’allocation logement. En effet, l’article R. 831-1 du Code de la sécurité sociale prévoyait que « le logement mis à la disposition d’un requérant par un des ascendants ou de ses descendants n’ouvre pas droit au bénéfice de l’allocation ». N’étant pas logé par ses parents, mais par la société civile immobilière, cette dernière jouissant d’un patrimoine distinct de celui de ses associés, le locataire pouvait bénéficier de l’allocation logement.
Depuis le 1er janvier 2014, suite à la modification de l’article L. 351-2-1 du Code de la construction et de l’habitation, le recours à une « société écran » ne permet plus au descendant ou à l’ascendant d’un associé de bénéficier de l’aide personnalisée au logement à moins que l’associé détienne moins de 10 % du capital social.
– Prêt à taux zéro. – La loi de finances pour 2012 a créé à partir du 1er janvier 2012 un dispositif de prêts ne portant pas d’intérêts, dits « prêts à taux zéro » (PTZ), réservés au financement de la résidence principale des personnes physiques. La lettre de l’article L. 31-10-2 du Code de la construction et de l’habitation et l’objectif du dispositif en excluent les sociétés.
– Éco-PTZ. – L’article 244 quater U, I, 3, 2° du Code général des impôts permet aux sociétés civiles immobilières de bénéficier d’une avance remboursable destinée à financer des travaux d’économie d’énergie (« éco-PTZ ») sous certaines conditions.
D’une part, la société civile immobilière doit relever du régime des sociétés de personnes, c’est-à-dire ne pas avoir opté pour l’impôt sur les sociétés et comporter au moins un associé personne physique.
D’autre part, la SCI doit mettre l’immeuble faisant l’objet des travaux gratuitement à la disposition de l’un de ses associés personnes physiques ou le donner en location.
Les avances remboursables sans intérêt sont destinées au financement de travaux de rénovation afin d’améliorer la performance énergétique des logements anciens qui sont listés par l’article 244 quater U 2 du Code général des impôts.
Enfin, le logement doit demeurer affecté à l’habitation principale de l’occupant.
La soumission à certaines contraintes
– Il faut « jouer le jeu » après en avoir posé les règles ! – La détention du logement en société ne se limite pas à la rédaction de statuts. Bien au contraire, quelle qu’en soit la forme, le fonctionnement d’une société doit à tout moment pouvoir être attesté, à peine de fictivité (I). En outre, s’il s’agit de construire le logement, ce choix emporte des contraintes spécifiques (II).
Le risque de société fictive et ses remèdes
La société fictive
La fictivité de la société a des incidences en droit commercial, en droit des sociétés et en droit fiscal.
– Droit des procédures collectives. – L’article L. 621-2, alinéa 2 du Code de commerce permet au tribunal compétent d’étendre la procédure collective du professionnel « à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». Cette demande d’extension de procédure peut émaner de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou être soulevée d’office par le juge.
La procédure collective du débiteur peut être étendue à la société civile en cas de confusion de patrimoines qui s’entend de relations financières anormales (dette de loyer demeurée impayée ou prélèvements irréguliers de la société) ou d’une imbrication des éléments d’actif et de passif des sociétés civiles et d’exploitation (prise en charge par la société d’exploitation de travaux de rénovation devant revenir à la société civile en fin de bail sans indemnité). L’extension de procédure peut être également sollicitée en cas de fictivité de la personne morale.
– Droit des sociétés. – La société est fictive si l’un des éléments constitutifs de l’article 1832 du Code civil fait défaut. Pour que la société civile naisse viable, cela suppose de réunir quatre critères : l’affectio societatis (la volonté de s’associer), la recherche d’un bénéfice ou d’une économie, la réalité des apports et une pluralité d’associés.
La Cour de cassation a jugé que la société fictive était une société nulle (et non inexistante). Toutefois, selon l’article 1844-15 du Code civil, cette nullité opère sans rétroactivité et est inopposable aux tiers de bonne foi.
La société civile nécessite la présence de deux associés, contrairement à d’autres sociétés qui peuvent être unipersonnelles (SARL, EARL, SAS). Le recours à un associé de complaisance fait donc également courir un risque de nullité. Si la société civile devient unipersonnelle en cours de fonctionnement, elle peut faire l’objet d’une action en dissolution selon les termes de l’article 1844-5 du Code civil. La Fédération nationale du droit du patrimoine (FNDP) propose l’introduction de la société civile unipersonnelle (SCU) en ajoutant un troisième alinéa à l’article 1845 du Code civil : « La société civile peut être instituée par une ou plusieurs personnes ». Cette mesure « aurait le grand mérite de consacrer une réalité déjà parfaitement établie et d’améliorer les possibilités existantes pour gérer ou transmettre un patrimoine dans des conditions optimisées ».
Un créancier tel que le Trésor public pourrait, face à une société fictive, intenter une action en déclaration de simulation, sur le fondement du nouvel article 1201 du Code civil. Il pourrait se prévaloir soit de l’acte apparent, soit de la contre-lettre. Récemment, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait retenu la simulation dans une affaire de société civile constituée entre deux enfants mineurs ayant apporté des fonds provenant d’une donation consentie par leurs parents, en vue d’acquérir un immeuble dont les véritables bénéficiaires étaient les parents.
– Droit fiscal. – Au titre de l’abus de droit (LPF, art. L. 64 et L. 64 A), l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables :
- les actes qui sont effectués dans un but exclusivement ou principalement fiscal en recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ;
- les actes qui ont un caractère fictif.
L’abus de droit obéit à des règles procédurales précisées aux articles R. 64-1 et R. 64-2 du Livre des procédures fiscales. Si l’abus de droit pour simulation est retenu, le contribuable encourt, outre le rappel des droits et des intérêts de retard, une majoration de 40 % pouvant être portée à 80 % s’il est établi que le contribuable est à l’initiative principale des actes ou en a été le principal bénéficiaire.
La fictivité de la société peut être appréciée tant au stade de sa formation qu’au stade de son fonctionnement.
– Formation de la société. – C’est essentiellement dans les montages d’apport en nue-propriété d’un immeuble à une société civile avant donation que le Comité de l’abus de droit fiscal ainsi que la Cour de cassation ont considéré que la société était fictive faute de réunir tous les critères de l’article 1832 du Code civil.
Par deux arrêts rendus le 15 mai 2007 et le 13 janvier 2009, la Chambre commerciale a considéré qu’une société civile était fictive faute de pouvoir réaliser son objet social (gestion des biens) compte tenu des apports qui n’avaient été réalisés qu’en nue-propriété. Dans l’arrêt du 13 janvier 2009, elle est allée jusqu’à considérer qu’un patrimoine social détenu exclusivement en nue-propriété rendait la réalisation de bénéfices impossible. Pour écarter ce risque d’abus de droit, notre confrère, notre Confrère Bruno Rivière suggère d’adapter la clause d’objet social en distinguant une première phase, où la société ne sera que nue-propriétaire et dont l’activité se limitera à la détention des biens en nue-propriété, d’une seconde phase après extinction de l’usufruit où la société civile retrouverait une activité classique de propriété et de gestion de biens immobiliers. La réalisation de bénéfices résultera dans la première phase de l’augmentation de valeur de la nue-propriété puis des opérations de gestion des biens immobiliers dont elle serait devenue pleine propriétaire.
– Fonctionnement de la société. – La fictivité de la société civile peut également résulter d’un défaut de fonctionnement et d’une absence d’autonomie financière.
Dans un avis du 14 janvier 2021, le Comité de l’abus de droit fiscal avait constaté que le gérant de la société civile n’avait pas pu présenter à l’administration fiscale ni les documents et pièces listés aux articles 46 B à 46 D de l’annexe III au Code général des impôts, ni un registre coté et paraphé permettant de justifier de la réunion régulière de l’assemblée générale.
L’absence d’autonomie financière de la société peut être un signe de sa fictivité. C’est ce qu’avait relevé la Cour de cassation dans ses arrêts des 15 mai 2007 et 13 janvier 2009. Le Comité de l’abus de droit fiscal, dans son avis de 2021, avait constaté que la société civile ne disposait d’aucune autonomie financière et ne détenait pas de compte bancaire. La société doit disposer des moyens suffisants pour accomplir les actes correspondant à son objet social (financement des gros travaux en cas de détention de la seule nue-propriété), qui pourront résulter d’apports en numéraire, d’apports de biens productifs de revenus, d’avances en comptes courants.
Les remèdes à la société fictive
– Fonctionnement réel de la société. – La consultation des associés est essentielle dans le fonctionnement de la société civile. Différents modes de consultation sont prévus : les décisions sont prises en principe en assemblée générale et sur consultation écrite si les statuts l’ont prévue. L’article 1854 du Code civil prévoit que la décision pourrait résulter du consentement unanime de tous les associés dans un acte. Toute autre modalité de consultation ne serait pas recevable.
La convocation à l’assemblée générale est soumise à des règles strictes tant en termes de délai que de contenu. Les associés doivent être convoqués quinze jours au moins avant la réunion de l’assemblée par lettre recommandée. La convocation comprendra l’ordre du jour. Le texte des résolutions proposées ainsi tout document nécessaire à l’information des associés sont tenus à leur disposition au siège social. Le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité de l’assemblée, sauf si tous les associés ont été présents ou représentés à l’assemblée.
Le décret du 3 juillet 1978 encadre l’établissement du procès-verbal de délibération et impose que les procès-verbaux soient établis sur un registre spécial tenu au siège de la société et paraphé soit par un juge du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, soit par le maire ou un adjoint de la commune du siège de la société.
– Tenue d’une comptabilité. – Si la société civile relève de l’impôt sur les sociétés, elle doit obligatoirement tenir une comptabilité commerciale. Le résultat de la société sera déterminé selon les règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
Si la société relève du régime des sociétés de personnes, des textes tant du Code civil que du Code général des impôts imposent la tenue d’une comptabilité sans en déterminer la forme (soit une comptabilité de caisse, soit une comptabilité commerciale en partie double). Les articles 1855 et 1856 du Code civil organisent les modalités d’information des associés. Les articles 46 B à 46 D de l’annexe 3 du Code général des impôts précisent les documents qui doivent être produits ou présentés à l’administration par les sociétés immobilières non soumises à l’IS donnant leurs immeubles en location ou en conférant la jouissance à leurs associés. Il s’agit notamment de « tous documents comptables ou sociaux, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l’exactitude des renseignements portés sur les déclarations ».
Comme l’ont indiqué certains auteurs, la comptabilité d’une société civile ne permet pas seulement de justifier de l’existence réelle de la société et d’éviter le risque de fictivité et de confusion de patrimoines. Elle est un outil d’information des associés et des tiers. Elle permet de sécuriser les flux financiers intervenant entre la société et les associés (comptes courants, affectation des résultats, opérations sur le capital). C’est enfin un instrument de valorisation de la société lors de la transmission des parts, qui permet également de pratiquer un amortissement des immeubles de la société.
Outre la tenue d’une comptabilité, les sociétés sont aussi soumises à des obligations déclaratives qui dépendent du régime fiscal applicable.
– Obligations déclaratives d’une SCI non soumise à l’IS. – La société civile non soumise à l’IS doit déposer dans les trois mois de sa constitution une déclaration d’existence ainsi que deux exemplaires de ses statuts au service des impôts dont elle relève.
La société civile doit également souscrire chaque année une déclaration de résultats sur imprimé n° 2072 à déposer avant le 1er mars de chaque année. Si la SCI met gratuitement des logements à la disposition de ses associés ou de tiers, la déclaration n’est à souscrire qu’au titre de l’année de constitution.
– Obligations déclaratives d’une SCI soumise à l’IS. – Si la société civile est soumise à l’IS, de plein droit ou sur option, elle devra fournir une déclaration détaillée de résultats sur un imprimé no 2065, complétée par les annexes 2065 bis et 2065 ter dans les trois mois de la clôture de chaque exercice.
Les contraintes supplémentaires en cas de construction
– Obligation de recourir à un architecte. – L’article L. 431-1 du Code de l’urbanisme impose le recours à un architecte pour établir le projet architectural qui sera déposé à l’appui de la demande de permis de construire. L’article L. 431-3 du même code dispense d’architecte les personnes physiques qui veulent édifier ou modifier une construction d’une surface de plancher ne dépassant pas 150 mètres carrés ou les exploitants agricoles qui souhaitent édifier ou modifier des constructions à usage agricole ou des serres de production ne dépassant les seuils fixés à l’article R. 431-2, b et c.
Il résulte d’une lecture a contrario des exceptions prévues à l’article R. 431-2 du Code de l’urbanisme que si l’édification ou la modification de la construction est réalisée par une personne morale, il est obligatoire de recourir à un architecte, quelle que soit la surface de plancher créée ou modifiée.
– Absence d’assurance dommages-ouvrage sanctionnée pénalement. – La loi « Spinetta » de 1978 rend obligatoire la souscription d’une assurance dommages pour tout maître d’ouvrage. L’obligation est désormais codifiée à l’article L. 242-1 du Code des assurances. Le particulier qui construit un logement pour l’occuper lui-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint n’encourt pas de sanctions pénales à défaut de souscription de l’assurance dommages. En revanche, si une société fait construire un immeuble, qu’il s’agisse de le faire occuper par un tiers ou un de ses associés, elle encourt une amende de 75 000 euros si elle ne souscrit pas d’assurance dommages.
Les contraintes fiscales
La SCI à l’IS
– La soumission à l’IS de plein droit (CGI, art. 206-2). – Les sociétés civiles immobilières ne sont pas passibles de plein droit de l’IS : en principe, leurs résultats sont imposés au nom personnel des associés à l’impôt sur le revenu si ce sont des personnes physiques.
L’article 206-2 du Code général des impôts, « le traquenard » ou « l’attrape-nigaud » de Cozian, soumet à l’IS de plein droit les sociétés civiles qui se livrent à des opérations commerciales au sens des articles 34 et 35 du même code.
Il en est ainsi des sociétés civiles qui achètent des immeubles en vue de les revendre (activité de marchand de biens). Pour prouver valablement l’activité de marchand de biens, l’administration fiscale doit démontrer l’intention spéculative au moment de l’acquisition et le caractère habituel des opérations d’achat et de revente.
Il en est de même pour les sociétés civiles qui donnent en location des locaux meublés ou équipés. La location de locaux d’habitation meublés sans prestations hôtelières est considérée au regard du droit privé comme une activité civile alors qu’au regard du droit fiscal, il s’agit d’une activité commerciale. Il n’est pas nécessaire que l’activité soit exercée en continuité, le caractère habituel de l’activité pouvant résulter de contrats répétitifs. Ainsi, le Conseil d’État, dans un arrêt du 28 décembre 2012, a donné raison à l’administration fiscale qui avait soumis à l’IS une société civile qui avait loué en meublé des locaux à raison de deux semaines par an les deux premières années et pendant un mois la troisième année.
L’article 206, 2 du Code général des impôts tolère seulement qu’une société civile puisse exercer une activité commerciale accessoire, n’excédant pas 10 % du montant total de ses recettes.
La société civile immobilière peut également opter pour l’impôt sur les sociétés à la constitution ou en cours de vie sociale. Il est important de bien cerner les incidences de cette option.
Point d’attention lorsque les associés d’une SCI envisagent une activité de location meublée
Si les associés envisagent une activité de location meublée, même ponctuellement (pour couvrir les charges fixes d’une maison de famille, par exemple), la constitution d’une société civile est à exclure. L’on préfèrera préconiser la constitution d’une SARL, qui peut rester semi-transparente si les associés optent pour le régime de la SARL de famille (CGI, art. 239 bis AA).
– Les contraintes de l’IS. – Nous ne viendrons pas contester les avantages que peut présenter une SCI assujettie à l’IS :
- imposition d’un résultat réduit ;
- taux de taxation inférieurs aux taux de l’impôt sur le revenu : 15 % jusqu’à 42 500 € puis 25 % au-delà contre 11 à 45 % ;
- non-assujettissement des résultats de la société aux prélèvements sociaux, dès lors qu’ils ne sont pas distribués aux associés et laissés en réserve.
La SCI est aussi source de contraintes qui peuvent s’avérer pénalisantes pour des associés qui n’en auraient pas conscience. Outre la fiscalité de la cession des parts ou de l’immeuble (V. supra, Sous-titre I, nos
et s.), l’IS est coûteux lorsque la société met gratuitement un logement à la disposition de l’un de ses associés.
En matière de revenus fonciers, l’article 15 du Code général des impôts exonère d’impôts « les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ». A contrario, si le propriétaire se réserve la jouissance d’un bien qui n’est pas à usage d’habitation, il est tenu de déclarer un revenu fictif qui sera imposé à l’impôt sur le revenu et soumis aux cotisations sociales. En contrepartie, les charges se rapportant au bien seront alors déductibles.
Le BOFiP
étend cette exonération aux sociétés de personnes, non soumises à l’IS, ne relevant ni des BIC ni des BA, qui mettent gratuitement à la disposition de leurs associés ou de tiers des logements dont elles sont propriétaires. La société n’est pas imposée sur la valeur locative des logements qu’elle met gratuitement à la disposition de ses associés ou d’un tiers, mais elle ne peut pas déduire les charges afférentes au logement.
En revanche, cette tolérance ne s’applique pas aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. La société est alors imposée sur une « somme représentant la valeur locative réelle des locaux » réservés à l’usage de ses associés ou d’un tiers, sans qu’il y ait à faire de distinction selon l’usage du bien (habitation ou professionnel).
Les droits de succession
– Non-application de l’abattement de 20 %. – L’article 764 bis du Code général des impôts permet un abattement de 20 % sur la valeur vénale réelle de l’immeuble constituant au jour du décès la résidence principale du défunt lorsqu’il est également occupé à titre de résidence principale par le conjoint survivant, le pacsé ou un ou plusieurs enfants mineurs ou majeurs protégés du défunt, de son conjoint ou de son partenaire. L’administration fiscale refuse d’appliquer cet abattement lorsque l’immeuble est détenu par l’intermédiaire d’une société dont le défunt est associé.
L’IFI
– Évaluation brute des titres de la société. – L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) est dû par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France qui détiennent des biens et droits immobiliers d’une valeur supérieure à 1 300 000 €. Sauf à bénéficier d’une exclusion ou d’une exonération, les titres de la société détenant un logement seront soumis à l’IFI.
Dans son guide d’évaluation, l’administration fiscale distingue selon la nature de la société civile. Pour la SCI, sans revenus, c’est la valeur mathématique ou patrimoniale qui sera retenue. Si, par contre, la société perçoit des revenus, l’administration retient une approche multicritère, par une pondération de la valeur mathématique (VM) et de la valeur de productivité (VP).
L’article 973, II et III du Code général des impôts interdit de tenir compte, dans l’évaluation des titres sociaux, de certaines dettes que la société a contractées, directement ou indirectement auprès du redevable, d’un membre de son foyer fiscal ou de son cercle familial ou d’une société qu’il contrôle. En vertu d’une clause de sauvegarde, le contribuable pourrait tenir compte du passif de la société s’il justifie que le prêt n’a pas été contracté dans un but principalement fiscal ou que le prêt contracté auprès d’un membre du groupe familial l’a été à des conditions normales.
– Décotes applicables. – L’article 885 S du Code général des impôts pour l’ISF, puis l’article 973 du même code pour l’IFI, ont autorisé un abattement de 30 % sur la valeur réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. Dans sa décision n° 2019-820 QPC du 17 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 885 S qui limitaient cet abattement aux résidences principales détenues directement par leur propriétaire, excluant les résidences principales détenues par une société de personnes ou une société opaque.
La décision du Conseil constitutionnel ne fait pas obstacle à l’application d’autres décotes déjà validées tant par l’administration dans son guide d’évaluation que par les tribunaux : abattement pour non-liquidité de 10 à 15 %, pour minorité de 10 %, pour agrément de 10 %, pour occupation de 10 à 20 % selon la nature du bail et la durée du bail restant à courir, pour indivision de 20 %.
La détention d’un logement en société présente de multiples intérêts tant en termes de gestion que de transmission. Les contraintes juridiques et fiscales doivent être parfaitement appréhendées pour éviter « une sortie de route ». Le choix de la structure de détention doit être minutieusement étudié, car la forme de la société civile ne s’impose pas toujours.
Le choix de la structure de détention : SCI, SARL ou SAS
Les points de comparaison
Pour déterminer la forme sociale la plus adaptée pour détenir un logement, il convient de comparer la société civile aux autres formes sociales que sont la SARL et la SAS. La comparaison peut se faire au stade de la constitution, mais aussi lors de son fonctionnement. Le lecteur trouvera, sur l’extension numérique du présent rapport, les éléments du jugement en ces deux circonstances.
Constitution de la société. – Choix de la structure sociétaire pour détenir un logement
La société civile (SC) | La société à responsabilité limitée (SARL) | La société par actions simplifiée (SAS) | |
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Textes applicables, en sus du droit commun des sociétés (C. civ., art. 1832 à 1844-17). | C. civ., art. 1845 à 1870-1 ; D. no 78-704. | C. com., art. L. 223-1 à L. 223-43. | C. com., art. L. 227-1 à L. 227-20. |
Montant du capital social | Librement fixé par les statuts. | Fixé par les statuts (L. 223-2, depuis L. 1er juill. 2003). | Fixé par les statuts (L. 227-2, depuis L. 4 juill. 2008). |
Apports en numéraire | Règles de libération à prévoir dans les statuts. | Au moins 1/5e à la constitution de la société, le surplus dans les 5 ans (L. 223-7). | Au moins 50 % à la constitution de la société, le surplus dans les 5 ans (L. 225-3 sur renvoi). |
Apports en nature | Évaluation des apports en nature par les parties. | Les apports en nature doivent être évalués dans les statuts au vu du rapport d’un commissaire aux apports (L. 223-9 pour la SARL, L. 223-147 pour la SAS). | |
Rémunération des apports | Le capital social est divisé en parts sociales, nécessitant l’intervention du conjoint commun en biens (C. civ., art. 1832-2) et l’accomplissement de formalités de cession pour rendre la cession opposable aux tiers et à la société. | Le capital social est divisé en actions, soumises à des formalités d’opposabilité simplifiées. | |
Objet social | La société civile doit avoir un objet strictement civil (1845). | La SARL et la SAS peuvent avoir un objet civil ou commercial. | |
Associés | Au moins deux associés sinon risque de dissolution (1844-5). | La SARL (L. 223-1) et la SAS (L. 227-1) peuvent être unipersonnelles. | |
Responsabilité des associés | Responsabilité indéfinie et conjointe (1844-1). | Responsabilité limitée au montant des apports sauf cautionnement ou extension de procédure. | |
Régime fiscal de la société | La SCI relève en principe du régime des sociétés de personnes (CGI, art. 8), sauf option expresse pour l’IS (CGI, art. 206-3), sauf exercice d’une activité commerciale (CGI, art. 206-2). | La SARL relève de l’IS. | La SAS relève de l’IS sauf option pour l’IR avant la clôture du 5e exercice (CGI, art. 239 bis AB). |
Fonctionnement de la société. – Choix de la structure sociétaire pour détenir un logement
La société civile (SC) | La société à responsabilité limitée (SARL) | La société par actions simplifiée (SAS) | |
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Les dirigeants (statut juridique) | Dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société pour les actes entrant dans l’objet social (C. civ., art. 1849). | Dans les rapports avec les tiers, le gérant (ou le président) est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés. La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers (C. com., art. L. 223-18 pour la SARL ; L. 227-6 pour la SAS). | |
Les dirigeants (statut social) | Assimilé à un non-salarié sauf à prouver que l’activité n’est pas exercée à titre professionnel, ni de manière habituelle, ni à titre principal et ne lui procure pas ses principaux revenus (Cass. 2e civ., 10 juill. 2008, no 07-16.113). | Le gérant majoritaire est assimilé à un non-salarié. Même si non rémunéré, est redevable de cotisations minimum. | Le président de SAS est assimilé à un salarié. |
Les dirigeants (statut fiscal) | Gérant non associé : rémunération déductible des résultats de la société (IR ou IS). Imposée en TS si lien de subordination, sinon BIC. | SARL IR | Le président et les autres dirigeants sont assimilés à des salariés |
Les droits de vote des associés | Des aménagements statutaires sont possibles : chaque associé peut détenir une voix quelle que soit sa participation au capital. | Toute part sociale confère un droit de vote. Les parts sociales sans droit de vote ou les parts sociales à droit de vote multiple sont prohibées. | Même souplesse que dans la société civile. |
Les droits financiers des associés | C. civ., art. 1844-1 : on répartit les dividendes en fonction de la part dans le capital social. Il est possible d’y déroger dans la limite des clauses léonines. | ||
Le contrôle des transmissions | Toutes les transmissions, à titre onéreux ou à titre gratuit peuvent être soumises à agrément, en raison de dispositions statutaires. |
Les critères de choix
– Société civile souvent la plus adaptée. – La société civile est la plupart du temps la structure la plus adaptée pour détenir un logement. Elle est souple en termes de fonctionnement et elle permet de procéder à l’ingénierie des droits de vote et des droits financiers. Son régime fiscal est librement déterminé par les parties : elle relève du régime des sociétés de personnes sauf option pour l’impôt sur les sociétés. Elle présente néanmoins deux inconvénients : la responsabilité des associés est illimitée et conjointe ; et la société civile ne peut pas, même ponctuellement, pratiquer la location meublée.
– Problématique de la location en meublé. – Aussi, il peut lui être préféré une forme sociale à responsabilité limitée compatible avec l’activité de location meublée telle que la SARL (avec option pour le régime de la SARL de famille) ou la SAS (soumise de plein droit à l’IS sauf à être imposée sur option à l’IR au cours des cinq premiers exercices).
Enfin, une société peut certes détenir un ou plusieurs logements, mais être aussi le support d’un habitat participatif. Ce sera l’objet de notre section II.