Vers une vocation successorale concertée de la souche ?

Vers une vocation successorale concertée de la souche ?

Au cours des deux dernières décennies, la notion de souche a connu une évolution majeure, par l'émergence d'un véritable concept de souche en droit successoral (§ 1), notamment par les réformes de 2001 et 2006, au point qu'il est possible de s'interroger, pour demain, sur la reconnaissance d'une souche, en tant que « successible » (§ 3), ce qui permettrait de répondre aux attentes de la société contemporaine (§ 2).

L'émergence du « concept de souche » en droit successoral

La dévolution successorale s'organise, traditionnellement, sur le principe d'une répartition par tête. Mais, quand un aléa vient mettre à mal, l'ordre normal des successions, la dévolution successorale s'organise, exceptionnellement, sur le principe d'une répartition par souche (A), pour assurer l'équité entre les différentes lignées du défunt. Or, les dernières réformes ont mis en exergue un nouveau « concept de souche », envisagé, semble-t-il, comme un successible à part entière (B) à protéger.

Une succession par tête, et exceptionnellement par souche

– Succession par tête : ordres et degrés. Aujourd'hui, et ce depuis aussi loin que les ouvrages historiques peuvent nous l'apprendre, la vocation successorale ab intestat est dévolue par ordres, et par degrés.
Les membres de la famille, au sens large, du défunt sont classés par catégories selon une hiérarchie tenant compte, semble-t-il, de supposées préférences affectives « naturelles ».
Ainsi, l'article 734 du Code civil nous apprend que les descendants en ligne directe (les enfants du défunt, et leur descendant) forment le premier ordre des successibles.
Ce premier ordre est, ensuite, suivi de celui des ascendants et collatéraux privilégiés (père et mère, frère/sœur du défunt), puis de celui des autres ascendants (grands-parents, arrière grands-parents, …), et enfin, celui des collatéraux ordinaires (oncle, tante, cousin, cousine, …).
La présence d'un héritier dans l'un de ces ordres écartera de la succession les ordres subséquents, et les héritiers qui pourraient s'y trouver.
Puis, à l'intérieur de l'ordre, l'héritier qui est le plus proche en degré évince celui qui est plus éloigné. C'est ainsi que dans le 1er ordre, le fils ou la fille du défunt évincera de la succession ses propres enfants, petits-fils ou petites-filles du défunt.
À l'intérieur du même ordre, et à degré équivalent, les héritiers ab intestat ont les mêmes droits. Il s'agit de la répartition par tête entre héritiers. En effet, l'alinéa 2 de l'article 744 du Code civil dispose qu' « à égalité de degré, les héritiers succèdent par égale portion et tête ».
Puis l'alinéa 3 du même article nous indique « le tout sauf ce qui sera dit ci-après de la division par branches et de la représentation ».
– Succession par souche : la représentation successorale. La représentation successorale est la fiction juridique qui a pour effet d'appeler à la succession, les représentants aux droits du représenté, selon les termes de l'article 751 du Code civil.
Ne seront pas évoquées les règles et les conditions de la représentation successorale, car l'objet du propos nous conduit à nous concentrer sur la conséquence juridique de ce mécanisme sur les règles de dévolution de la succession ab intestat.
La représentation conduit à substituer une dévolution par souche à une dévolution par tête. L'article 753 du Code civil précise que « Dans tous les cas où la représentation est admise, le partage s'opère par souche, comme si le représenté venait à la succession […]. »
Le partage par souche dans une succession se définit comme « le partage dans lequel en vertu de la représentation successorale, les représentants du successible prédécédé, ne venant pas de leur chef, ne sont pas comptés par tête mais reçoivent ensemble pour lot (à partager entre eux) la part dévolue à celui qu'ils représentent. »
Aussi, le mécanisme de la représentation met en exergue le principe de la dévolution par souche.
La renonciation n'est en réalité qu'une dérogation à la règle de la dévolution par degré, puisque des héritiers du même ordre, de degrés différents, vont venir concurremment à la succession du défunt.

L'évolution vers une consécration du « concept de souche », en qualité de successible

– Une évolution du droit vers une plus grande légitimité de la souche. Le mécanisme de la représentation n'avait, à l'origine, que pour objectif de maintenir l'égalité entre les héritiers, lorsque l'ordre naturel des décès n'avait pas été respecté, c'est-à-dire lorsqu'un enfant était décédé avant son auteur.
La représentation avait donc pour objectif de corriger la dévolution successorale face à l'aléa d'un décès précoce, et ainsi assurer une égalité entre toutes les lignées de l'auteur commun.
Puis, « les réformes de 2001 et 2006 ont profondément transformé la représentation, au point même de la dénaturer » car désormais l'indigne et le renonçant peuvent, également, être représentés à la succession de leur auteur.
Alors qu'à l'origine, il s'agissait de neutraliser le hasard des décès, la dénaturation évoquée par le professeur M. Grimaldi se comprend, par le fait qu'il ne s'agit plus de corriger un aléa conduisant à une inégalité. À l'évidence, il a été souhaité une protection des héritiers de degrés subséquents face à la volonté ou un fait de l'héritier de 1er degré.
Il en transparait, ici, une volonté délibérée de protéger les espérances successorales, en permettant à des petits-enfants de venir à la succession de leur grands-parents, au lieu et place de leur auteur, et ce quelle que soit la raison pour laquelle leur auteur n'héritera pas : décès, indignité, et même renonciation. Ainsi, les petits-enfants pourront recevoir ce qu'il aurait pu espérer recevoir dans la succession de leur père/mère, s'il avait participé à la succession du défunt.
Il s'agit d'une évolution de la notion même de souche, en considérant celle-ci comme une entité qui aurait des droits.
Pourquoi cette évolution voulue par le législateur en 2001, puis en 2006 ?
Cette évolution s'explique, selon nous, par le fait que le lien d'affection présent dans les ordres où la représentation joue (le 1er et le 2e ordre) ne se compte pas en degré. Il parait, désormais, tout à fait justifiable que des petits-enfants puissent espérer prendre part à un héritage familial, sans considération des fautes (indignité) ou de la volonté (renonciation) de leur auteur.
Il résulte que la souche prend une autre dimension dans le droit des successions.
À l'évidence, la logique de souche a dérivé du terrain de simple correctif légitime de la règle de dévolution par degré en présence d'un décès, vers le terrain de la reconnaissance d'un droit à succéder pour des héritiers de degrés subséquents, c'est-à-dire de la protection et de la prise en compte des attentes successorales de la souche.
Désormais, « le devoir de famille comme l'affection présumée s'apprécient, non pas envers chacun des enfants ou frères ou sœurs considérées isolément, mais envers les souches que chacun d'eux forme avec sa propre descendance ».
Les réformes successives de la représentation successorale, en élargissant tour à tour les cas où la représentation peut jouer ne sont pas les seules preuves de l'émergence de cette nouvelle conception de la souche.
– Une consécration du « concept de souche » avec la donation-partage transgénérationnelle. Il ne faut pas oublier que l'article 1078-6 du Code civil dispose, en matière de transmission transgénérationnelle, que « lorsque des descendants de degrés différents concourent à la même donation-partage, le partage s'opère par souche. Des attributions différentes peuvent être faites à des descendants de degrés différents dans certaines souches et non dans d'autres ».
En effet, la loi de 2006 en instituant la donation-partage transgénérationnelle, sans doute l'une des plus grande innovation de cette loi, a également participé à la consécration d'une nouvelle conception de la souche.
Cette réforme a même poussé à son paroxysme le concept de souche, puisque désormais, parce que l'enfant au 1er degré y consent, les héritiers au 2e degré dans sa lignée pourront recevoir de leur auteur commun des biens, qui à l'ouverture de la succession du donateur s'imputeront sur la réserve héréditaire de l'héritier au 1er degré.
Ici, la souche est analysée comme une entité autonome composée de plusieurs héritiers de degrés différents, qui par le consensus, vont décider ensemble de la transmission dupatrimoine, et même de l'imputation sur la réserve de l'héritier de 1er degré, alors qu'il n'a rien reçu.

Les solutions pratiques présagées par le concept de la vocation successorale de souche

– Constats. L'allongement de la durée de vie est une évidence. Une conséquence de ce constat est qu'on hérite de ses parents de plus en plus tard, souvent quand on est installé et même quand l'heure de la retraite est déjà arrivée…alors que de leur côté, nos enfants (voire nos petits-enfants) démarrent dans la vie, investissent dans leur outil professionnel ou leur résidence principale, doivent faire face aux frais liés à la poursuite de leurs études par leurs propres enfants.
Aujourd'hui, cet héritier quinquagénaire ou sexagénaire n'a comme possibilité que :
  • de renoncer à la succession de son auteur en intégralité, afin que ses enfants viennent à la succession de leur grand parent de leur chef, ou par représentation s'ils sont en concours avec d'autres enfants de 1er degré (oncle et tante) ;
  • d'accepter purement et simplement la succession, et d'envisager ensuite une transmission à ses enfants (donation ordinaire, ou donation-partage) ;
  • de cantonner son émolument, pour le cas où il aurait été institué légataire par le défunt avec les autres enfants, aux termes d'un testament.
Quelle solution proposer aux clients qui ne souhaite conserver qu'une partie de la succession (un bien qui peut avoir une valeur sentimentale), mais n'a aucunement besoin des liquidités ou des portefeuilles de valeurs mobilières ?
Aucune, sauf à envisager dans un second temps, après avoir hériter, de consentir une donation à ses enfants, ou une donation-partage transgénérationnelle à ses petits-enfants.
L'Offre de loi expliquait déjà très bien ce phénomène qui n'a cessé de s'accentuer depuis : « Lorsque […] l'enfant donataire a atteint l'âge de cinquante-soixante ans, il est parfois plus rationnel d'attribuer les biens aux petits-enfants, fut-ce en nue-propriété seulement, l'enfant se contentant de l'usufruit »
– Solutions pratiques envisagées. En raison de l'émergence d'une nouvelle conception de la souche, qui n'est plus la conséquence d'un mécanisme, celui de la représentation, mais bien une véritable entité autonome, à l'instar des libéralités transgénérationnelles, ne serait-il pas opportun de réfléchir à une succession qui pourrait, dorénavant, être dévolue par souche : une vocation successorale de souche ?
Finalement, les réformes de la représentation, et la consécration de la donation-partage transgénérationnelle ont ouvert la route à la reconnaissance d'une vocation successorale de souche. Il n'y a désormais qu'un pas à franchir pour reporter la logique qui anime la donation-partage transgénérationnelle à la vocation successorale ab intestat.
L'objectif est de répondre aux attentes des concitoyens, et permettre une plus grande concertation familiale de la transmission.
Ainsi, si l'enfant au 1er degré le décide, et si ses enfants (2ieme degré) l'acceptent, ils pourront ensemble hériter de leur auteur commun, au nom de la souche de l'enfant au 1er degré.
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Schéma de la famille Moustache
Au sein de la souche, enfant et petits-enfants pourront décider ensemble de se répartir entre eux les biens successoraux, ce qui permet une plus grande souplesse de la transmission successorale, et laisse une place importante à la concertation et au consensus familial, ce dont on ne peut que se féliciter. En outre, et à l'évidence, un tel mécanisme correspond aux aspirations de la société, en facilitant la transmission du patrimoine et des richesses, aux générations qui en ont le plus besoin. Le phénomène des biens dits de mains mortes s'en trouvera réduit, ce qui sera un avantage pour l'économie en général.
La vocation successorale de souche permettrait de considérer comme héritier la souche, en tant que telle.
Puis, dans un second temps, à l'intérieur de la souche, les biens seront répartis entre les différents membres de la souche suite à une concertation et une entente familiale.
Il peut être imaginé que l'héritier au premier degré de la souche une décide de se voir attribuer la maison familiale, tout en laissant l'ensemble des liquidités à lui échoir revenir à ses propres enfants qui auront, eux-mêmes, accepté individuellement la succession.
Il est même imaginable d'envisager des attributions en démembrement de propriété, entre les différents membres de la souche.
Cette solution, qui ne contrevient pas aux grands principes fondamentaux du droit des successions, invite les familles à réfléchir après le décès de leur auteur aux besoins de chacun, et ainsi à s'entendre ensemble sur la meilleure répartition du patrimoine entre eux. Cela permet également de mettre à disposition de la génération active, celle qui dépense et investit, le patrimoine.
Il s'agit d'offrir la possibilité aux familles qui n'ont pas eu le temps ou l'occasion de mener ces réflexions du vivant de leur auteur, en songeant à la donation-partage transgénérationnelle, de le faire au moment du décès. Il existe déjà des règles spécifiques à certains dispositifs fiscaux de faveur, tel que le pacte Dutreil pour ne citer que lui, permettant à des familles de souscrire au dispositif fiscal, après le décès de l'auteur, comme une sorte de rattrapage. En l'occurrence, il ne s'agit que de réfléchir à la mise en place d'un tel dispositif de rattrapage au plan civil, pour la donation-partage transgénérationnelle ?

Une option successorale de souche, corolaire de la vocation successorale de souche

– « N'est héritier qui ne veut » . Ainsi se justifie l'existence d'une option successorale. Le successible est de plein droit saisi par la mort de son auteur. Pour autant, personne n'est contraint d'hériter.
Il est d'ailleurs des successions dont un successible préfère s'écarter, pour des raisons financières (succession déficitaire) ou plus simplement, pour des raisons d'ordre morales ou affectives.
« L'option successorale est la faculté que la loi, après l'ouverture de la succession, confère à l'héritier de choisir, suivant les formes et avec les effets propres à chacun des trois partis, entre l'acceptation pure et simple de la succession, l'acceptation à concurrence de l'actif net et la renonciation, […] »
L'option, rappelons-le, est libre et indivisible. Elle est également individuelle, et pure et simple.
A première vue, une option successorale de souche, corolaire de la vocation légale de souche, peut paraître contradictoire avec certaines caractéristiques de l'option successorale susvisées, savoir :
• L'option est libre : Chaque successible est libre de choisir, comme il lui plait, son option successorale.
La liberté cède-t-elle face au consensus ? Non, l'héritier au 1er degré sera toujours libre, soit de trouver un consensus familial avec ses héritiers, constitutifs de sa souche, sur l'option successorale de la souche, soit d'effectuer, seul, son option en tant qu'individu.
L'option successorale de la souche offre en réalité plus de liberté au successible de 1er degré, d'aménager au mieux avec ses propres enfants, la transmission du patrimoine familial au sein de la souche.
• L'option est individuelle : Chaque successible a, individuellement, la possibilité de choisir son option, sans considération des options des autres successibles. Ainsi, la succession pourra être acceptée purement et simplement par le premier enfant, alors que le second pourra librement y renoncer.
En ce sens, une option successorale de souche semble tout à fait admissible, puisque la souche du 1er enfant pourra renoncer à la succession, alors que le deuxième enfant du défunt (ou également, la souche du 2e enfant, le cas échéant) pourra l'accepter.
La souche étant reconnue comme une entité une et entière, autonome de l'héritier en tant qu'individu, l'option est individuelle au niveau de la souche.
• L'option est indivisible : L'article 769 du Code civil érige en principe le caractère indivisible de l'option. La justification de cette indivisibilité est simple : par la volonté d'un héritier, une succession ne peut pas se trouver partiellement vacante, c'est-à-dire qu'une partie de la succession ne serait acceptée par aucun des successibles. Cette caractéristique de l'option joue un rôle primordial, bien que la possibilité du cantonnement ouvert au conjoint, sans condition que la succession ne soit acceptée par un autre, ait pu porter atteinte au principe de l'indivisibilité de l'option successorale.
Il faut bien comprendre que cette caractéristique de l'option successorale est sans doute l'une des principales, et permet de confirmer que le droit des successions retient le principe d'une succession de personnes, et non une succession en biens. Le successible poursuit la personne du défunt, et reçoit donc l'universalité de son patrimoine.
Une option de souche ne contrevient pas, selon nous, à cette caractéristique, dans la mesure où l'option de souche nécessite un consensus des membres de la souche. En quelque sorte, la souche se substitue à l'héritier individuel. La souche exercera de façon indivisible l'option successorale.
C'est seulement, à l'intérieur de la souche, qu'il pourra y avoir des acceptations différentes et une divisibilité de l'option, non visible à l'extérieur de la souche. Ainsi, l'enfant au 1er degré pourra accepter « partiellement » sa vocation successorale, si au minimum l'un de ses enfants acceptent le reste.
Dans cet esprit, l'option de souche pourrait se limiter, à l'instar de la donation-partage transgénérationnelle au 1er et 2e degré de l'ordre des descendants.
Une réflexion pourrait, également, être menée sur l'opportunité de ne pas limiter la souche au 1er et 2e degré, c'est-à-dire inclure dans la notion de l'option de la souche, les arrière-petits-enfants s'il en existe. Toutefois, il nous semble que dès lors, l'option successorale de souche présentera quelques inconvénients liés à la minorité de certains des membres de la souche, et aux inconvénients pratiques de l'option successorale par le mineur (délai, et procédure…).
Finalement, cette option successorale de souche ne serait pas si différente de l'option successorale accordée aux représentants du renonçant, ou de l'indigne, ou du prédécédé. L'option appartenant ainsi à la souche s'exercerait de la même manière, par tête et individuellement à l'intérieur de la souche.