La succession et le consensus familial : le pacte de famille

La succession et le consensus familial : le pacte de famille

Il était tentant de définir les développements ci-après par le terme de « médiation familiale », tant la définition de la médiation (savoir un processus volontaire, coopératif structuré et confidentiel reposant sur l'autonomie et la responsabilité des parties à un conflit / une situation particulière) répondait à la situation à présenter.
Toutefois, ce terme n'a pas été retenu car sa connotation conflictuelle est bien trop présente dans l'esprit de chacun (médiation signifie souvent conflit, car dans notre profession la médiation est un mode alternatif de résolution amiable d'un conflit). Or, nos développements se situent à l'opposé, sur un terrain apaisé où les familles s'entendent et s'accordent sur le projet de transmission.
Les besoins des familles, l'évolution de la société et des mentalités nous conduisent aujourd'hui à nous interroger sur la création de nouveaux espaces de liberté.
L'idée n'est pas de rajouter une nouvelle liste de pactes sur succession future, qui conduirait sans doute, à terme, à réduire à peau de chagrin la prohibition des pactes sur succession future et à affaiblir inévitablement le pilier du temple.
Il s'agit finalement de réfléchir à une évolution de la notion même de prohibition sur les pactes sur succession future qui, à l'image d'une vague, pourrait se retirer pour laisser place au consensus familial ou, reprendre toute sa place quand ce dernier n'existe plus ou pas.
Une prohibition des pactes sur succession future dont la clé de voûte serait le consensus familial.
Nous sommes, dans la confidentialité de nos études, au cœur des familles et souvent les premiers témoins de ce consensus familial, qui n'a pas sa place dans notre ordre juridique.
Il arrive, plus souvent que ce que les pouvoirs publics ne peuvent imaginer, que les familles trouvent, elles-mêmes, la solution à une situation successorale particulière. Or, le juriste est aujourd'hui juridiquement bien démuni face à ces familles. Que lui reste-t-il ? L'ingénierie ? Parfois, c'est insuffisant.
Quelles pistes peuvent être explorées ? Quelle forme pourraient prendre ces pactes de famille ?

De la vocation légale à la convention successorale ?

Aujourd'hui le droit successoral permet à des personnes, classées par ordre de successible et degrés, d'hériter ou non d'une autre personne. Les premières peuvent parfois être spécifiquement protégées par la loi (l'ordre public successoral : la réserve héréditaire), en leur attribuant une réserve dont elles ne peuvent être privées. Il s'agit des héritiers réservataires.
Aujourd'hui une personne peut disposer librement de son patrimoine pour le temps où elle ne sera plus. Mais là encore, dans cette espace de liberté, la loi protège l'individu contre lui-même ou contre les tiers, en l'empêchant de procéder de son vivant au partage de sa succession (l'ordre public successoral : la prohibition des pactes sur succession future).
Serait-il possible d'imaginer qu'avec l'accord de tous, un membre de la famille ne soit alloti, dans son intérêt, que de droits en usufruit dans la succession de son auteur, alors que ses frères et sœurs ne recevraient que des droits en nue-propriété ?
Indépendamment de la situation de handicap, le pacte de famille pourrait apporter des solutions aux patrimoines composés d'une entreprise familiale.
La première solution proposée, et qui est efficace, consiste à transformer l'entreprise familiale en société afin de pouvoir répartir aisément les titres sociaux entre tous les membres de la famille, et éviter toute difficulté d'atteinte à la réserve.
Mais la forme sociétaire ne correspond pas forcément au souhait des familles. Bien qu'attachés à l'entreprise familiale, certains des enfants ne veulent pas y prendre part, même en seule qualité d'associé.
Pourquoi les parents ne pourraient-ils pas réunir leurs enfants autour de la table, afin que chacun puisse aux mieux de ses intérêts et souhaits trouver une solution équitable et juste pour tous ? Il pourrait dès lors être décidé que l'entreprise familiale soit attribuée à l'enfant qui est le seul potentiel repreneur, et que les soultes dues autres héritiers soient aménagées dans leurs modalités de paiement, afin que celui qui reprend l'entreprise familiale n'ait pas immédiatement, outre la charge mentale de faire survivre le patrimoine familial, celle de devoir verser des sommes parfois importantes à ses frère et sœur.
Dans une telle situation, où se situe le risque ?
Si l'un des enfants n'est pas d'accord, le pacte familial ne sera pas possible, et l'entreprise sera vendue pour répartir le prix entre les héritiers.
S'il y a consensus, le pacte est signé. Certes, si l'entreprise familiale dépose finalement le bilan, les frère et sœur ne percevront pas la soulte qui leur était due… Toutefois, la solution aurait sans doute été la même si la famille avait opté pour la forme sociétaire. Les frère et sœur auraient été titulaires de titres d'une société qui finira par déposer le bilan.
Dans ces situations, le consensus familial n'a pas vocation à priver un enfant de ses droits ou de le léser ; au contraire, il permet d'éviter des solutions « bancales » créatrices d'iniquité entre les enfants. Le consensus familial permet d'aménager ou d'échelonner dans le temps la transmission et ses règles.
Le pacte de famille trouverait un tout autre cas d'application.
Il serait possible d'imaginer qu'un enfant ayant particulièrement bien réussi puisse, sans pour autant renoncer à ses droits successoraux, laisser à son frère ou sa sœur, ayant eu un parcours de vie plus chaotique, des revenus complémentaires dont lui-même n'a pas besoin. En laissant l'usufruit de sa quote-part d'héritage à son frère, il ne renonce pas à son héritage mais il permet d'assurer un revenu plus confortable à son frère ou sa sœur.
Plus qu'un nouveau pacte sur succession future autorisée, le pacte de famille est un aménagement des règles successorales, dans l'intérêt de tous. En tant que tel, ce pacte de famille tomberait aujourd'hui sous le coup de la prohibition. Mais on peut concevoir l'idée qu'il y a fondamentalement une différence entre cet aménagement conventionnel de l'application des règles successorales et un pacte sur succession future autorisé tel qu'il existe aujourd'hui (exemple de la RAAR, où il y a une véritable renonciation).

Pacte de famille : exemple

Imaginons une fratrie de trois enfants âgés de cinquante-deux, quarante-huit et quarante-quatre ans. Le cadet, en situation de handicap lourd, dont on sait qu'il n'aura jamais de descendant, vit actuellement chez ses parents, et une assistance importante devra être mise en place après leur décès pour l'accompagner.
Le patrimoine des parents est évalué à 800 000,00 €, composé d'une entreprise familiale évaluée à 250 000,00 € actuellement dirigée par l'aîné, d'une maison (résidence principale des parents) évaluée à 200 000,00 €, et de trois appartements (deux sont actuellement loués et estimés à 100 000,00 € chacun, le troisième est vacant et estimé à 100 000,00 €). Il se compose également d'une voiture estimée à 10 000 €, et de quelques liquidités (40 000 €) qui serviront essentiellement à payer les frais d'obsèques et de succession.
Biens existants :800 000,00 €
Biens réunis :0,00 €
Total :800 000,00 €
QDOH1 52H2 48H3 44 (usufruit = 60 %)
200200200200
En l'état actuel du droit, quelles solutions ont les parents ?
Placer les 40 000 € en assurance-vie au profit de H3, éventuellement vendre les appartements et placer le prix de vente en assurance-vie au profit de H3.
Cette solution, qui permet de protéger H3, prive à l'inverse H1 et H2 d'une partie de leurs droits successoraux (sans que l'ordre public successoral ne puisse les protéger, puisque les primes versées sur un contrat d'assurance-vie ne sont pas réunies aux biens existants pour la détermination d'une atteinte, sauf en cas de prime manifestement excessive).
Biens existants : 500 000,00 € (entreprise, maison, voiture et liquidités – les trois appartements ayant été vendus) :
Biens existants :500 000,00 €
Biens réunis :0,00 €
Total :500 000,00 €
QDOH1 52H2 48H3 44 (usufruit = 60 %)
125125125125
Les droits de chaque enfant dans la masse à partager seront de 166,66.
H1 se verra attribuer l'entreprise familiale : 250 et sera redevable d'une soulte de 83,33.
H2 se verra attribuer la maison : 200 et sera redevable d'une soulte de 33,33.
H3 se verra attribuer la voiture (10) et des liquidités (40), et les soultes de H1 et H2.
Cette solution permet d'assurer un capital à H3, dont il n'est pas certain qu'il ait la capacité de le gérer au mieux, et qui risque d'être une difficulté pour son tuteur.
H1 ne dispose peut-être pas des sommes suffisantes pour payer la soulte. Ce qui peut le contraindre à vendre l'entreprise familiale.
Le fait que tout n'ait peut-être pas été fait en concertation (en tout cas, le fait qu'il n'y ait pas eu d'obligation pour les parents d'inviter leurs deux aînés autour d'une table pour leur expliquer leur projet) peut laisser un sentiment d'inégalité et d'amertume à H1 et H2, qui pourtant n'étaient pas opposés à adapter la transmission aux besoins de chacun.
Nous pouvons penser que les sources de revenus réguliers générés par les trois appartements pourraient être plus adaptées à la situation de H3. Imaginons dès lors qu'aux termes d'un pacte de famille, réunissant tous les enfants et leur éventuel représentant autour d'une table, il soit collégialement convenu ce qui suit :
Biens existants :800 000,00 €
Biens réunis :0,00 €
Total :800 000,00 €
QDOH1 52H2 48H3 44 (usufruit = 60 %)
200200200200
Les droits de chacun sont de 266 666.
H1 pourrait se voir attribuer l'entreprise familiale évaluée à 250 000, sans qu'il lui soit nécessaire de verser une soulte, la nue-propriété d'un appartement (40 000) et une soulte (23 334) dont le paiement pourrait être échelonné ou retardé, voire même prendre la forme d'une rente mensuelle complémentaire pour H3.
H2 pourrait se voir attribuer la maison familiale évaluée à 200 000 (elle accepterait même aisément que son frère H3 bénéficie d'un droit d'occupation), la nue-propriété des deux appartements (80 000) et une soulte (13 334) dont le paiement pourrait être échelonné ou retardé, voire même prendre la forme d'une rente mensuelle complémentaire pour H3.
H3 pourrait se voir attribuer l'usufruit des trois appartements pour une valeur de 180 000, la voiture (10 000) qu'il pourra vendre, et une quote-part des liquidités, plus les deux soultes.
Cette solution permettrait d'allier au mieux les intérêts et les besoins de chacun, sans pour autant rompre l'équité entre les enfants (tel que ce fut le cas par le jeu de l'assurance-vie).
H1 et H2 concèdent à ne disposer en partie que de droits en nue-propriété, car ils savent qu'au décès de leur frère, le patrimoine de celui-ci leur reviendra ou reviendra à leurs propres héritiers.
Oui, il peut être reproché à cette solution le fait que H3 soit privé de sa capacité de disposer librement de son patrimoine au profit de tiers ou d'association. Mais H3, qui est en situation de handicap lourd, n'aurait pas pu librement disposer de son patrimoine. En outre, par le jeu de l'usufruit, ses parents, frère et sœur lui assurent des revenus réguliers et confortables, avec des charges limitées, puisque les nus-propriétaires devront supporter les grosses réparations, conformément à l'article 605 du Code civil
Aujourd'hui, et sauf erreur de notre part, aucun mécanisme ne permet réellement d'arriver à ce résultat. Même la Raar ne le permet pas car, d'une part, elle nécessite une libéralité (dans notre cas, il n'y en a pas) et, d'autre part, une renonciation partielle en démembrement de propriété reste impossible/contestable.

Vers une vocation successorale concertée de la souche ?

Au cours des deux dernières décennies, la notion de souche a connu une évolution majeure, par l'émergence d'un véritable concept de souche en droit successoral (§ 1), notamment par les réformes de 2001 et 2006, au point qu'il est possible de s'interroger, pour demain, sur la reconnaissance d'une souche, en tant que « successible » (§ 3), ce qui permettrait de répondre aux attentes de la société contemporaine (§ 2).

L'émergence du « concept de souche » en droit successoral

La dévolution successorale s'organise, traditionnellement, sur le principe d'une répartition par tête. Mais, quand un aléa vient mettre à mal, l'ordre normal des successions, la dévolution successorale s'organise, exceptionnellement, sur le principe d'une répartition par souche (A), pour assurer l'équité entre les différentes lignées du défunt. Or, les dernières réformes ont mis en exergue un nouveau « concept de souche », envisagé, semble-t-il, comme un successible à part entière (B) à protéger.

Une succession par tête, et exceptionnellement par souche

– Succession par tête : ordres et degrés. Aujourd'hui, et ce depuis aussi loin que les ouvrages historiques peuvent nous l'apprendre, la vocation successorale ab intestat est dévolue par ordres, et par degrés.
Les membres de la famille, au sens large, du défunt sont classés par catégories selon une hiérarchie tenant compte, semble-t-il, de supposées préférences affectives « naturelles ».
Ainsi, l'article 734 du Code civil nous apprend que les descendants en ligne directe (les enfants du défunt, et leur descendant) forment le premier ordre des successibles.
Ce premier ordre est, ensuite, suivi de celui des ascendants et collatéraux privilégiés (père et mère, frère/sœur du défunt), puis de celui des autres ascendants (grands-parents, arrière grands-parents, …), et enfin, celui des collatéraux ordinaires (oncle, tante, cousin, cousine, …).
La présence d'un héritier dans l'un de ces ordres écartera de la succession les ordres subséquents, et les héritiers qui pourraient s'y trouver.
Puis, à l'intérieur de l'ordre, l'héritier qui est le plus proche en degré évince celui qui est plus éloigné. C'est ainsi que dans le 1er ordre, le fils ou la fille du défunt évincera de la succession ses propres enfants, petits-fils ou petites-filles du défunt.
À l'intérieur du même ordre, et à degré équivalent, les héritiers ab intestat ont les mêmes droits. Il s'agit de la répartition par tête entre héritiers. En effet, l'alinéa 2 de l'article 744 du Code civil dispose qu' « à égalité de degré, les héritiers succèdent par égale portion et tête ».
Puis l'alinéa 3 du même article nous indique « le tout sauf ce qui sera dit ci-après de la division par branches et de la représentation ».
– Succession par souche : la représentation successorale. La représentation successorale est la fiction juridique qui a pour effet d'appeler à la succession, les représentants aux droits du représenté, selon les termes de l'article 751 du Code civil.
Ne seront pas évoquées les règles et les conditions de la représentation successorale, car l'objet du propos nous conduit à nous concentrer sur la conséquence juridique de ce mécanisme sur les règles de dévolution de la succession ab intestat.
La représentation conduit à substituer une dévolution par souche à une dévolution par tête. L'article 753 du Code civil précise que « Dans tous les cas où la représentation est admise, le partage s'opère par souche, comme si le représenté venait à la succession […]. »
Le partage par souche dans une succession se définit comme « le partage dans lequel en vertu de la représentation successorale, les représentants du successible prédécédé, ne venant pas de leur chef, ne sont pas comptés par tête mais reçoivent ensemble pour lot (à partager entre eux) la part dévolue à celui qu'ils représentent. »
Aussi, le mécanisme de la représentation met en exergue le principe de la dévolution par souche.
La renonciation n'est en réalité qu'une dérogation à la règle de la dévolution par degré, puisque des héritiers du même ordre, de degrés différents, vont venir concurremment à la succession du défunt.

L'évolution vers une consécration du « concept de souche », en qualité de successible

– Une évolution du droit vers une plus grande légitimité de la souche. Le mécanisme de la représentation n'avait, à l'origine, que pour objectif de maintenir l'égalité entre les héritiers, lorsque l'ordre naturel des décès n'avait pas été respecté, c'est-à-dire lorsqu'un enfant était décédé avant son auteur.
La représentation avait donc pour objectif de corriger la dévolution successorale face à l'aléa d'un décès précoce, et ainsi assurer une égalité entre toutes les lignées de l'auteur commun.
Puis, « les réformes de 2001 et 2006 ont profondément transformé la représentation, au point même de la dénaturer » car désormais l'indigne et le renonçant peuvent, également, être représentés à la succession de leur auteur.
Alors qu'à l'origine, il s'agissait de neutraliser le hasard des décès, la dénaturation évoquée par le professeur M. Grimaldi se comprend, par le fait qu'il ne s'agit plus de corriger un aléa conduisant à une inégalité. À l'évidence, il a été souhaité une protection des héritiers de degrés subséquents face à la volonté ou un fait de l'héritier de 1er degré.
Il en transparait, ici, une volonté délibérée de protéger les espérances successorales, en permettant à des petits-enfants de venir à la succession de leur grands-parents, au lieu et place de leur auteur, et ce quelle que soit la raison pour laquelle leur auteur n'héritera pas : décès, indignité, et même renonciation. Ainsi, les petits-enfants pourront recevoir ce qu'il aurait pu espérer recevoir dans la succession de leur père/mère, s'il avait participé à la succession du défunt.
Il s'agit d'une évolution de la notion même de souche, en considérant celle-ci comme une entité qui aurait des droits.
Pourquoi cette évolution voulue par le législateur en 2001, puis en 2006 ?
Cette évolution s'explique, selon nous, par le fait que le lien d'affection présent dans les ordres où la représentation joue (le 1er et le 2e ordre) ne se compte pas en degré. Il parait, désormais, tout à fait justifiable que des petits-enfants puissent espérer prendre part à un héritage familial, sans considération des fautes (indignité) ou de la volonté (renonciation) de leur auteur.
Il résulte que la souche prend une autre dimension dans le droit des successions.
À l'évidence, la logique de souche a dérivé du terrain de simple correctif légitime de la règle de dévolution par degré en présence d'un décès, vers le terrain de la reconnaissance d'un droit à succéder pour des héritiers de degrés subséquents, c'est-à-dire de la protection et de la prise en compte des attentes successorales de la souche.
Désormais, « le devoir de famille comme l'affection présumée s'apprécient, non pas envers chacun des enfants ou frères ou sœurs considérées isolément, mais envers les souches que chacun d'eux forme avec sa propre descendance ».
Les réformes successives de la représentation successorale, en élargissant tour à tour les cas où la représentation peut jouer ne sont pas les seules preuves de l'émergence de cette nouvelle conception de la souche.
– Une consécration du « concept de souche » avec la donation-partage transgénérationnelle. Il ne faut pas oublier que l'article 1078-6 du Code civil dispose, en matière de transmission transgénérationnelle, que « lorsque des descendants de degrés différents concourent à la même donation-partage, le partage s'opère par souche. Des attributions différentes peuvent être faites à des descendants de degrés différents dans certaines souches et non dans d'autres ».
En effet, la loi de 2006 en instituant la donation-partage transgénérationnelle, sans doute l'une des plus grande innovation de cette loi, a également participé à la consécration d'une nouvelle conception de la souche.
Cette réforme a même poussé à son paroxysme le concept de souche, puisque désormais, parce que l'enfant au 1er degré y consent, les héritiers au 2e degré dans sa lignée pourront recevoir de leur auteur commun des biens, qui à l'ouverture de la succession du donateur s'imputeront sur la réserve héréditaire de l'héritier au 1er degré.
Ici, la souche est analysée comme une entité autonome composée de plusieurs héritiers de degrés différents, qui par le consensus, vont décider ensemble de la transmission dupatrimoine, et même de l'imputation sur la réserve de l'héritier de 1er degré, alors qu'il n'a rien reçu.

Les solutions pratiques présagées par le concept de la vocation successorale de souche

– Constats. L'allongement de la durée de vie est une évidence. Une conséquence de ce constat est qu'on hérite de ses parents de plus en plus tard, souvent quand on est installé et même quand l'heure de la retraite est déjà arrivée…alors que de leur côté, nos enfants (voire nos petits-enfants) démarrent dans la vie, investissent dans leur outil professionnel ou leur résidence principale, doivent faire face aux frais liés à la poursuite de leurs études par leurs propres enfants.
Aujourd'hui, cet héritier quinquagénaire ou sexagénaire n'a comme possibilité que :
  • de renoncer à la succession de son auteur en intégralité, afin que ses enfants viennent à la succession de leur grand parent de leur chef, ou par représentation s'ils sont en concours avec d'autres enfants de 1er degré (oncle et tante) ;
  • d'accepter purement et simplement la succession, et d'envisager ensuite une transmission à ses enfants (donation ordinaire, ou donation-partage) ;
  • de cantonner son émolument, pour le cas où il aurait été institué légataire par le défunt avec les autres enfants, aux termes d'un testament.
Quelle solution proposer aux clients qui ne souhaite conserver qu'une partie de la succession (un bien qui peut avoir une valeur sentimentale), mais n'a aucunement besoin des liquidités ou des portefeuilles de valeurs mobilières ?
Aucune, sauf à envisager dans un second temps, après avoir hériter, de consentir une donation à ses enfants, ou une donation-partage transgénérationnelle à ses petits-enfants.
L'Offre de loi expliquait déjà très bien ce phénomène qui n'a cessé de s'accentuer depuis : « Lorsque […] l'enfant donataire a atteint l'âge de cinquante-soixante ans, il est parfois plus rationnel d'attribuer les biens aux petits-enfants, fut-ce en nue-propriété seulement, l'enfant se contentant de l'usufruit »
– Solutions pratiques envisagées. En raison de l'émergence d'une nouvelle conception de la souche, qui n'est plus la conséquence d'un mécanisme, celui de la représentation, mais bien une véritable entité autonome, à l'instar des libéralités transgénérationnelles, ne serait-il pas opportun de réfléchir à une succession qui pourrait, dorénavant, être dévolue par souche : une vocation successorale de souche ?
Finalement, les réformes de la représentation, et la consécration de la donation-partage transgénérationnelle ont ouvert la route à la reconnaissance d'une vocation successorale de souche. Il n'y a désormais qu'un pas à franchir pour reporter la logique qui anime la donation-partage transgénérationnelle à la vocation successorale ab intestat.
L'objectif est de répondre aux attentes des concitoyens, et permettre une plus grande concertation familiale de la transmission.
Ainsi, si l'enfant au 1er degré le décide, et si ses enfants (2ieme degré) l'acceptent, ils pourront ensemble hériter de leur auteur commun, au nom de la souche de l'enfant au 1er degré.
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Schéma de la famille Moustache
Au sein de la souche, enfant et petits-enfants pourront décider ensemble de se répartir entre eux les biens successoraux, ce qui permet une plus grande souplesse de la transmission successorale, et laisse une place importante à la concertation et au consensus familial, ce dont on ne peut que se féliciter. En outre, et à l'évidence, un tel mécanisme correspond aux aspirations de la société, en facilitant la transmission du patrimoine et des richesses, aux générations qui en ont le plus besoin. Le phénomène des biens dits de mains mortes s'en trouvera réduit, ce qui sera un avantage pour l'économie en général.
La vocation successorale de souche permettrait de considérer comme héritier la souche, en tant que telle.
Puis, dans un second temps, à l'intérieur de la souche, les biens seront répartis entre les différents membres de la souche suite à une concertation et une entente familiale.
Il peut être imaginé que l'héritier au premier degré de la souche une décide de se voir attribuer la maison familiale, tout en laissant l'ensemble des liquidités à lui échoir revenir à ses propres enfants qui auront, eux-mêmes, accepté individuellement la succession.
Il est même imaginable d'envisager des attributions en démembrement de propriété, entre les différents membres de la souche.
Cette solution, qui ne contrevient pas aux grands principes fondamentaux du droit des successions, invite les familles à réfléchir après le décès de leur auteur aux besoins de chacun, et ainsi à s'entendre ensemble sur la meilleure répartition du patrimoine entre eux. Cela permet également de mettre à disposition de la génération active, celle qui dépense et investit, le patrimoine.
Il s'agit d'offrir la possibilité aux familles qui n'ont pas eu le temps ou l'occasion de mener ces réflexions du vivant de leur auteur, en songeant à la donation-partage transgénérationnelle, de le faire au moment du décès. Il existe déjà des règles spécifiques à certains dispositifs fiscaux de faveur, tel que le pacte Dutreil pour ne citer que lui, permettant à des familles de souscrire au dispositif fiscal, après le décès de l'auteur, comme une sorte de rattrapage. En l'occurrence, il ne s'agit que de réfléchir à la mise en place d'un tel dispositif de rattrapage au plan civil, pour la donation-partage transgénérationnelle ?

Une option successorale de souche, corolaire de la vocation successorale de souche

– « N'est héritier qui ne veut » . Ainsi se justifie l'existence d'une option successorale. Le successible est de plein droit saisi par la mort de son auteur. Pour autant, personne n'est contraint d'hériter.
Il est d'ailleurs des successions dont un successible préfère s'écarter, pour des raisons financières (succession déficitaire) ou plus simplement, pour des raisons d'ordre morales ou affectives.
« L'option successorale est la faculté que la loi, après l'ouverture de la succession, confère à l'héritier de choisir, suivant les formes et avec les effets propres à chacun des trois partis, entre l'acceptation pure et simple de la succession, l'acceptation à concurrence de l'actif net et la renonciation, […] »
L'option, rappelons-le, est libre et indivisible. Elle est également individuelle, et pure et simple.
A première vue, une option successorale de souche, corolaire de la vocation légale de souche, peut paraître contradictoire avec certaines caractéristiques de l'option successorale susvisées, savoir :
• L'option est libre : Chaque successible est libre de choisir, comme il lui plait, son option successorale.
La liberté cède-t-elle face au consensus ? Non, l'héritier au 1er degré sera toujours libre, soit de trouver un consensus familial avec ses héritiers, constitutifs de sa souche, sur l'option successorale de la souche, soit d'effectuer, seul, son option en tant qu'individu.
L'option successorale de la souche offre en réalité plus de liberté au successible de 1er degré, d'aménager au mieux avec ses propres enfants, la transmission du patrimoine familial au sein de la souche.
• L'option est individuelle : Chaque successible a, individuellement, la possibilité de choisir son option, sans considération des options des autres successibles. Ainsi, la succession pourra être acceptée purement et simplement par le premier enfant, alors que le second pourra librement y renoncer.
En ce sens, une option successorale de souche semble tout à fait admissible, puisque la souche du 1er enfant pourra renoncer à la succession, alors que le deuxième enfant du défunt (ou également, la souche du 2e enfant, le cas échéant) pourra l'accepter.
La souche étant reconnue comme une entité une et entière, autonome de l'héritier en tant qu'individu, l'option est individuelle au niveau de la souche.
• L'option est indivisible : L'article 769 du Code civil érige en principe le caractère indivisible de l'option. La justification de cette indivisibilité est simple : par la volonté d'un héritier, une succession ne peut pas se trouver partiellement vacante, c'est-à-dire qu'une partie de la succession ne serait acceptée par aucun des successibles. Cette caractéristique de l'option joue un rôle primordial, bien que la possibilité du cantonnement ouvert au conjoint, sans condition que la succession ne soit acceptée par un autre, ait pu porter atteinte au principe de l'indivisibilité de l'option successorale.
Il faut bien comprendre que cette caractéristique de l'option successorale est sans doute l'une des principales, et permet de confirmer que le droit des successions retient le principe d'une succession de personnes, et non une succession en biens. Le successible poursuit la personne du défunt, et reçoit donc l'universalité de son patrimoine.
Une option de souche ne contrevient pas, selon nous, à cette caractéristique, dans la mesure où l'option de souche nécessite un consensus des membres de la souche. En quelque sorte, la souche se substitue à l'héritier individuel. La souche exercera de façon indivisible l'option successorale.
C'est seulement, à l'intérieur de la souche, qu'il pourra y avoir des acceptations différentes et une divisibilité de l'option, non visible à l'extérieur de la souche. Ainsi, l'enfant au 1er degré pourra accepter « partiellement » sa vocation successorale, si au minimum l'un de ses enfants acceptent le reste.
Dans cet esprit, l'option de souche pourrait se limiter, à l'instar de la donation-partage transgénérationnelle au 1er et 2e degré de l'ordre des descendants.
Une réflexion pourrait, également, être menée sur l'opportunité de ne pas limiter la souche au 1er et 2e degré, c'est-à-dire inclure dans la notion de l'option de la souche, les arrière-petits-enfants s'il en existe. Toutefois, il nous semble que dès lors, l'option successorale de souche présentera quelques inconvénients liés à la minorité de certains des membres de la souche, et aux inconvénients pratiques de l'option successorale par le mineur (délai, et procédure…).
Finalement, cette option successorale de souche ne serait pas si différente de l'option successorale accordée aux représentants du renonçant, ou de l'indigne, ou du prédécédé. L'option appartenant ainsi à la souche s'exercerait de la même manière, par tête et individuellement à l'intérieur de la souche.

Une nouvelle réserve héréditaire ?

Rapport sur la réserve héréditaire

Ce rapport propose, notamment, une modification de la réserve héréditaire. L'évolution proposée serait de modifier le quantum de la quotité disponible ordinaire (QDO) pour l'augmenter et, ainsi, réduire la réserve héréditaire.
Ce n'est pas le parti que nous avons décidé de prendre, pour les raisons suivantes :
  • la modification du quantum de la quotité disponible ordinaire n'a pour objectif que de donner plus de liberté afin de disposer librement de son patrimoine, plus de liberté pour gratifier des associations, certes, mais également plus de liberté pour rompre l'égalité entre ses enfants, plus de liberté pour le chantage à la succession ;
  • la modification du quantum de la quotité disponible ordinaire n'apporte pas, selon nous, de réponses ou de solutions aux demandes des clients qui poussent la porte des études. Elle ne répond pas à l'évolution et aux mœurs de la société.
D'ailleurs, les notaires qui ont été sondés dans les allées de la dernière édition du Congrès des Notaires de France à Nice en 2021 ont indiqué à 56,2 % être défavorables à une augmentation de la quotité disponible ordinaire (210 notaires ayant été questionnés).
À l'instar de la prohibition des pactes sur succession future, l'idée développée ici ne serait pas de modifier à la marge la réserve, mais, peut-être, de réfléchir à une adaptation, une évolution de la réserve héréditaire.
– Rapport sur la réserve héréditaire. – En décembre 2020, à la demande du ministère de la Justice, ont été auditionnés un certain nombre de grands professeurs de droit au sujet de la réserve héréditaire. Ce rapport comprend cinquante-quatre recommandations et un projet de modifications.

La voie d'une réserve de souche ?

Il est possible de relever que les dernières évolutions du droit successoral ont eu pour effet de faire émerger ou de mettre en lumière la souche ou la lignée, là où auparavant il n'y avait de place que pour l'héritier en tant qu'individu, ainsi qu'il a pu l'être plus amplement détaillé ci-avant au sujet de la vocation successorale de souche.
En effet, la représentation de l'indigne ou du renonçant a mis en lumière que la lignée avait une place tout aussi importante dans la transmission successorale.
La donation-partage transgénérationnelle renforce encore cette idée que l'auteur puisse gratifier les petits-enfants dans une lignée, avec l'accord de l'enfant. À l'ouverture de la succession, la réserve héréditaire de l'enfant pivot n'est plus individuelle, elle est à l'évidence une réserve de souche puisque la libéralité transgénérationnelle reçue par les petits-enfants s'imputera sur la réserve héréditaire de l'enfant pivot.
D'ailleurs, n'importe quel ouvrage de droit civil que l'on peut ouvrir précisera en préambule que la réserve héréditaire est collective, et d'ordre public.
« La réserve a été conçue comme une part de la succession, collectivement assignée à l'ensemble des héritiers réservataires : hier comme aujourd'hui, le Code civil ne procède pas à une répartition de la réserve collective entre chaqueréservataire ».
Certes, ce caractère collectif de la réserve héréditaire a été altéré par les dernières réformes. Initialement, la réserve était dite collective, notamment parce que la perte de qualité de successible par l'un des héritiers, et la perte de sa réserve héréditaire, étaient sans incidence sur le montant de la réserve globale. En d'autres termes, la réserve héréditaire de celui qui n'était plus successible venait accroître les droits à réserve héréditaire des autres héritiers réservataires acceptant (et non seulement accroitre leur vocation successorale).
L'indigne ou le renonçant quand la représentation n'était pas admise, comptait toujours comme un hériter pour déterminer la quotité disponible et la réserve collective, qui ensuite se répartissait entre les héritiers réservataires acceptant (à l'exclusion de l'indigne ou du représentant). Désormais, la réserve héréditaire du renonçant, ou de l'indigne, profite à ses enfants acceptants. Et à défaut d'héritier subséquent acceptant, le renonçant, l'indigne ou le prédécédé ne sont plus comptabilisés comme héritier pour la détermination de la quotité disponible et de la réserve globale.
Toutefois, n'est-ce pas, ici, une voie à explorer pour permettre d'adapter la réserve héréditaire à la société contemporaine et aux attentes des concitoyens, sans porter atteinte au dispositif de la réserve héréditaire ?
Une réserve de lignée ou de souche, qui pourrait permettre d'allotir des petits-enfants, voire des arrière-petits-enfants, et priver son enfant (de 1er degré) auteur de cette lignée, de tout ou partie de sa réserve, dès lors que la souche de cet enfant est bien allotie de sa réserve.
Il ne s'agirait que d'une extrapolation du mécanisme de la donation-partage transgénérationnelle à la vocation successorale.
Pour ne pas heurter les sensibilités, cette modification de la réserve (de réserve individuelle à réserve de souche) pourrait être conventionnelle et n'être qu'un pacte de famille, tel que présenté ci-avant. Mais si nous voulions aller au bout du raisonnement, il nous semblerait efficace qu'elle puisse s'imposer sous l'autorité du chef de famille.