Un régime de faveur contraint

Un régime de faveur contraint

– Un engagement de conservation. – La première des contraintes tient à la détention et à la conservation des titres. L'article 787 B du Code général des impôts subordonne le bénéfice de l'exonération partielle à la conclusion d'un engagement collectif de conservation de titres d'une durée minimale de deux ans, engagement qui doit être en cours au moment de la transmission des titres.
Cet engagement ne peut être pris que sur les titres d'une société opérationnelle telle que définie ci-dessus avec deux niveaux d'interposition maximum avec le donateur et le défunt.
– Une quotité de capital minimum. – Cet engagement doit porter sur un quota minimum de titres fixé actuellement à 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers pour les sociétés non cotées, et 20 % des droits de vote et 10 % des droits financiers pour les sociétés cotées.
Cela ne signifie pas qu'un actionnaire qui ne disposerait pas de cette quote-part de capital et de droits financiers ne puisse pas bénéficier du dispositif ; mais, dans ce cas, il faudra qu'il associe d'autres actionnaires afin que le pacte Dutreil engage au minimum les titres de la société dans les seuils ci-dessus fixés.
– Des pactes à géométrie variable. – Plusieurs pactes Dutreil portant sur les mêmes titres mais avec des quotités différentes de capital et de droits financiers pourront être conclus. L'intérêt est de pouvoir bénéficier, au moment de la transmission, d'un pacte Dutreil qui soit le plus adapté possible.
– Une fonction de direction encadrée. – L'article 787 B, d du Code général des impôts prévoit que l'exonération du dispositif Dutreil est subordonnée à la condition que l'un des associés membres de l'engagement collectif ou l'un des donataires, héritiers ou légataires exerce une fonction de direction au sein de la société dont les parts ou les actions font l'objet de l'engagement pendant la période de l'engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission des titres.
Dans ses derniers commentaires, l'administration admet expressément que la fonction de direction éligible puisse être exercée par un associé signataire de l'engagement unilatéral ou collectif de conservation des titres, y compris après la transmission de ses titres et alors même qu'il ne détiendrait plus aucun titre soumis à engagement.
En présence d'un engagement réputé acquis, la fonction de direction post-transmission doit être exercée par un des bénéficiaires de la transmission, et ce de façon effective, point sur lequel il conviendra d'être vigilant. Alors que l'administration, dans ses commentaires du 6 avril 2021, avait exclu toute possibilité pour un autre associé et notamment le donateur d'avoir également une fonction de direction, dans sa dernière publication du 21 décembre 2021 le BOFiP revient à sa position initiale en indiquant qu'à côté du bénéficiaire de la transmission, une fonction de direction peut également être exercée par un autre associé, y compris le donateur.
Enfin, lorsque les titres objet de la transmission et sous engagement Dutreil font l'objet d'un apport à une société holding, l'administration admet que la direction de la société holding bénéficiaire de l'apport puisse être assurée, durant l'engagement individuel de conservation, par le donateur des titres apportés à la holding.
– L'apport à une société holding des titres soumis à engagement. – Si, comme nous le voyons, le bénéfice du dispositif Dutreil engendre des contraintes, il n'empêche pas toute restructuration capitalistique, et notamment celle consistant à apporter les titres reçus soumis à engagement à une société holding.
Là encore, les derniers commentaires de l'administration sont venus préciser et sécuriser le dispositif.
Pour que l'apport de titres soumis à engagement de conservation ne soit pas traité comme une cession remettant en cause le bénéfice de l'exonération partielle accordée au bénéficiaire de la transmission, deux conditions cumulatives doivent être remplies :
  • en premier lieu, l'apport doit être effectué au bénéfice d'une société dont la valeur réelle de l'actif brut est, après l'apport et jusqu'au terme des engagements de conservation, composée à plus de 50 % de participations dans la société faisant l'objet des engagements. Dans les derniers commentaires, le seuil de 50 % se fait sur la base de tous les titres de la société, à savoir aussi bien ceux qui sont soumis à engagement que ceux qui n'y sont pas soumis ;
  • en second lieu, la société holding bénéficiaire de l'apport doit être détenue à hauteur de 75 % de son capital et de ses droits de vote par les personnes qui sont soumises aux engagements de conservation (collectifs ou unilatéraux et individuels). Les 25 % restants peuvent être détenus par n'importe quel associé et notamment par le donateur.
Quand bien même l'ensemble des titres sont attribués à un seul enfant, le dispositif Dutreil va s'appliquer à la totalité des titres, et donc indirectement à la valeur de la soulte remise aux frère et sœur.
Cet apport de titres à une société holding, issu de la loi de finances pour 2009, a véritablement ouvert la piste aux transmissions familiales en présence d'enfants repreneurs et non repreneurs. C'est ce que deux auteurs, reconnus en la matière, ont appelé le « LBO familial ».
De façon très schématique, l'opération permet de transmettre une entreprise à l'enfant repreneur, à charge pour celui-ci de verser une soulte à ses frère et sœur. Cet enfant repreneur va avoir la possibilité d'apporter les titres reçus, mais également la soulte, à une société holding, laquelle devient redevable de la soulte à l'égard des frère et sœur.
– Les conséquences du non-respect de l'engagement collectif. – Si le pacte est figé quant à son périmètre pendant la période de l'engagement collectif, tant qu'aucune transmission n'a eu lieu son non-respect n'a pas d'incidence directe si ce n'est qu'il faudra en conclure un nouveau et repartir pour une nouvelle période de deux ans au moins. Seules sont autorisées les cessions entre les membres du pacte des titres qui y sont inclus. Un assouplissement a eu lieu à l'occasion de la loi de finances rectificative pour 2011 qui a prévu la possibilité pour les signataires du pacte d'intégrer de nouveaux associés à condition que l'engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans.
– Des ouvertures en l'absence d'engagement collectif. – Au fil des lois de finances successives, l'engagement collectif formel de deux ans a connu de nombreux assouplissements.
– Un engagement unilatéral. – Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité de conclure un engagement collectif seul dès lors que l'associé, personne physique ou personne morale, dispose de la quotité suffisante de capital et de droit de vote.
– Un engagement réputé acquis. – Il s'agit, ensuite, de la possibilité pour le bénéficiaire de la transmission de se prévaloir de « l'engagement réputé acquis », et ce lorsque les titres ont été détenus depuis plus de deux ans par le donateur ou le défunt, seul ou avec son conjoint, partenaire civil ou concubin notoire, et qu'il atteignait les seuils requis pour conclure un engagement collectif.
Le bénéfice de ce dispositif s'applique tant en cas de détention directe que de détention indirecte.
En revanche, il est impératif que le donateur ou le défunt ait été dirigeant au jour de la transmission ou qu'il ait exercé son activité professionnelle au sein de la société depuis au moins deux ans.
– Un engagement post mortem . – Enfin, dans l'hypothèse d'une transmission par décès, un ou plusieurs héritiers ou légataires pourront, dans les six mois du décès, conclure entre eux ou avec d'autres associés un engagement collectif ou unilatéral de conservation des titres reçus.
Cette hypothèse doit être réservée à la situation où le dirigeant n'a pas pris le soin de conclure par anticipation un engagement collectif.
– Un engagement individuel ensuite d'un engagement collectif. – À compter de la transmission, le bénéfice de l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit va être subordonné à un engagement individuel pris par chacun des bénéficiaires de la transmission, et ce pour une durée de quatre ans.
Cet engagement commencera à courir à la fin de l'engagement collectif de deux ans minimum. Il conviendra donc, dans la majorité des cas, de bien dénoncer l'engagement collectif, sauf s'il a été conclu pour deux ans ferme non renouvelables et non prorogeables.
L'engagement individuel est souscrit dans l'acte de donation ou dans la déclaration de succession.
L'engagement individuel peut ne porter que sur une partie des titres si le donataire ou l'héritier sait qu'il devra céder des titres avant la fin des engagements collectif et individuel. Cela évitera une remise en cause de l'exonération partielle sur la totalité des titres.
– Deux tempéraments à l'engagement de conservation. – Tout d'abord, la transmission par succession de titres reçus dans le cadre d'un engagement Dutreil n'est pas remise en cause si les héritiers ou légataires reprennent les engagements de leur auteur.
Ensuite, de la même façon, une donation de titres reçus dans le cadre du dispositif Dutreil est possible sans remise en cause si les donataires poursuivent l'engagement individuel de leur auteur jusqu'à son terme.
– Une exigence liée à la direction de la société. – Outre les engagements de conservation ci-dessus étudiés, le dispositif Dutreil impose que l'un des souscripteurs du pacte ou l'un des bénéficiaires de la transmission exerce effectivement dans la société sur laquelle porte l'engagement son activité professionnelle principale lorsqu'il s'agit d'une société de personnes, ou une fonction de direction limitativement énumérée lorsqu'il s'agit d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés.
Cette fonction de direction doit être exercée pendant toute la durée de l'engagement collectif ou unilatéral et pendant les trois ans qui suivent la transmission.
La fonction de direction peut être exercée par une personne physique ou une personne morale, dès lors qu'elle est signataire du pacte.
Au cours de cette période, il peut y avoir un changement de la fonction de direction pourvu que son titulaire remplisse les conditions ci-dessus énoncées.
– Les difficultés liées à l'interposition d'une société. – L'interposition d'une société va induire des difficultés supplémentaires à deux niveaux :
  • au niveau de la chaîne de participations entre le détenteur des titres de la société holding et la société opérationnelle sur laquelle porte l'engagement Dutreil ;
  • sur le calcul du prorata éligible au dispositif Dutreil.
L'administration prévoit que certaines opérations puissent avoir lieu, notamment une augmentation de capital, dès lors que le nombre de titres inclus dans l'engagement reste identique et que cette augmentation de capital ne fasse pas descendre la participation des titres à l'engagement Dutreil en dessous des seuils minimums.
Sur le calcul du prorata, en vertu de l'article 787 B, 3, b du Code général des impôts, l'exonération partielle n'est applicable qu'aux titres soumis à un engagement collectif. En conséquence, en présence de la transmission d'une société interposée, l'abattement de 75 % ne jouera que sur la participation qu'elle détient dans la société opérationnelle et qui est engagée dans un pacte Dutreil. Si la société holding interposée détient d'autres actifs (type immobilier, trésorerie, placements), ceux-ci ne bénéficieront donc pas de l'abattement de 75 %.
A × (B/C)
où :
A = valeur des titres de la société interposée ;
B = valeur de la participation soumise à l'engagement collectif de conservation ;
C = valeur vénale de l'actif brut de la société interposée.
Pour ce qui concerne la chaîne de participations, l'exonération est subordonnée à la condition que les participations, en nombre de titres, demeurent inchangées à chaque niveau d'interposition pendant toute la durée de l'engagement collectif puis individuel.
C'est ainsi que l'administration fiscale nous indique que la fraction de la valeur des titres de la société interposée susceptible de bénéficier de l'exonération partielle s'obtient par la formule suivante :
– Les obligations déclaratives. – Une dernière contrainte tient aux obligations déclaratives. Même si celles-ci ont été allégées, il n'en demeure pas moins que leur non-respect serait de nature à remettre en cause l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit dont a pu bénéficier le donataire ou l'héritier.
Depuis la loi de finances pour 2019, les obligations déclaratives ont été réduites aux deux périodes suivantes :
  • lors de la transmission, le donataire ou l'héritier doit joindre à la donation ou à la déclaration de succession une attestation de la société éligible certifiant qu'un engagement collectif ou unilatéral de conservation des titres portant sur le quota de titres requis pour le bénéfice de l'exonération est en cours ;
  • dans les trois mois suivant la fin de l'engagement individuel, le bénéficiaire de l'exonération sera également tenu de transmettre à l'administration une attestation établie par la société certifiant que toutes les conditions d'application tenant aux engagements de conservation et à l'exercice de la fonction de direction ont été respectées jusqu'à leur terme.