Après avoir évoqué les tendances en France (§ I), celles d'Europe et d'ailleurs seront étudiées (§ II).
L'évolution sociétale : tour d'horizon de la société contemporaine
L'évolution sociétale : tour d'horizon de la société contemporaine
Les tendances en France
Les tendances en France
– Un esprit communautaire – 1965 et 1985. – Dans le cadre de l'élaboration du projet de loi réformant les régimes matrimoniaux en 1965, le gouvernement avait souhaité une enquête d'opinion publique afin de connaître les diverses tendances de la population française sur la problématique des régimes matrimoniaux.
Une première enquête avait été réalisée en novembre 1963 par l'Institut français d'opinion publique sur un échantillon de 2 621 personnes. Ce premier sondage a été complété en avril 1964 par une étude qualitative.
Il en ressort deux idées majeures. L'une en matière de pouvoirs et d'administration des biens, afin de promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes, et la seconde relative au régime légal en tant que tel, puisqu'il résulte de cette étude qu'« en ce qui concerne la répartition des biens, les Français restent profondément attachés aux principes communautaires ».
En effet, 44 % des personnes interrogées souhaitaient que le régime légal tende vers « une plus grande communauté de biens ». L'enquête faisait, en outre, apparaître que cette position était partagée par la majorité des sondés, sans qu'il y ait de distinction de sexe, d'âge, de région, ou de catégorie socio-professionnelle.
Cet attachement à la communauté était tel que parmi les régimes légaux proposés aux personnes interrogées, 37 % auraient souhaité une communauté universelle, 23 % une communauté réduite aux acquêts (régime qui fut retenu par le législateur), 14 % la séparation de biens, et seulement 11 % le régime en place (communauté de meubles et acquêts) ; 15 % n'ayant pas répondu.
À cette époque, à peu près 35 à 40 % des femmes exerçaient une activité professionnelle dans l'industrie ou le commerce.
En 1985, une nouvelle enquête a confirmé le fort attachement des Français au régime communautaire. Mais est-ce toujours le cas ?
D'ailleurs, certains auteurs, notamment Gérard Champenois, s'interrogeaient déjà en 2009 de savoir si cela était toujours vrai.
– Un esprit séparatiste – 2010. – À défaut d'enquête d'opinion publique récente, à notre connaissance, sur le rapport qu'entretiennent les Français avec le régime matrimonial légal, il est tout de même possible d'obtenir quelques réponses sur l'état d'esprit des époux en analysant, notamment, les chiffres recensés dans une enquête de l'Insee de 2013 sur les régimes matrimoniaux.
Depuis plusieurs décennies, une évolution des comportements en matière de régimes matrimoniaux est constatée ; évolution qui s'explique par un changement de la société et des modes de conjugalité. Deux périodes peuvent être évoquées : de 1980 à 1992 ; de 1992 à 2010.
Alors que la communauté de biens réduite aux acquêts était prépondérante pour les couples formés entre 1980 et 1992 (elle l'était également pour ceux mariés avant 1980), les tendances actuelles laissent penser qu'elle ne serait plus la forme commune pour les couples formés plus récemment (années 2010).
En 1992, 68,51 % des couples se mariaient, et parmi eux 10,96 % optaient pour un régime séparatiste. En 2010, le mariage ne représentait plus que 44,05 % des unions, et parmi eux désormais, 14,23 % optaient pour un régime séparatiste.
Il y a bien un double mouvement, que ces chiffres mettent en évidence.
D'une part, une baisse du nombre de mariages (une baisse de plus de 24 points en dix-huit ans) accentuée, d'autre part, une augmentation pour les couples mariés du recours à la séparation de biens.
On se marie moins et parmi ceux qui se marient, le recours à la séparation de biens est plus fréquent.
– Le rôle de la réforme du Pacs. – En parallèle, il faut également constater que certains couples qui ne se marient plus, ou qui se marient plus tardivement, optent désormais pour le Pacte civil de solidarité (Pacs), créé en 2001.
Cet intérêt pour le Pacs s'est accru à partir de 2007 (77 347 Pacs en 2006, puis 101 992 Pacs en 2007 [+31,86 % par rapport à 2006], et 145 938 en 2008 [+30,11 % par rapport à 2007]). Cette augmentation du nombre de Pacs enregistrés semble coïncider avec la modification du régime légal du Pacs passant de l'indivision à celui de la séparation de biens, depuis la loi no 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007.
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Cet intérêt s'explique aussi par l'évolution des mentalités et l'attrait des couples hétérosexuels pour ce nouveau contrat de vie.
– Une société plus individualiste. – Cette évolution de mentalité des futurs époux (qui choisissent la séparation de biens) résulte de plusieurs facteurs :
1) une augmentation du nombre de divorces. Aujourd'hui les jeunes couples n'ignorent pas qu'un jour leur union pourra prendre fin par un divorce, qui aura des conséquences (financières, et éventuellement conflictuelles) ;
2) une augmentation des remariages (les divorcés qui se remarient optent majoritairement pour le régime de la séparation de biens) ;
3) une modification sociétale : évolution des patrimoines personnels et inégalités entre les conjoints, travail des femmes… On se rencontre plus tard, on se marie plus tard, à une époque où chacun des futurs époux possède déjà un patrimoine personnel qui est le fruit de son travail.
L'émancipation des femmes, notamment par le travail (au sens d'activité rémunérée) est l'une des principales explications de ce changement de mentalité.
Alors que c'était, en partie, la question de l'épouse inactive et dépendante qui avait conduit les rédacteurs du Code civil à retenir un régime communautaire en 1804, car il était important d'assurer à la femme (inactive professionnellement) un enrichissement (qui découlerait de l'enrichissement du couple), il semble que ce soit ce même rôle sociétal de la femme, active cette fois, qui conduise aujourd'hui à préférer la séparation de biens.
Les tendances en Europe et ailleurs
Les tendances en Europe et ailleurs
Il semblerait que le régime légal unique soit majoritairement retenu. En effet, seuls neuf pays (essentiellement du continent africain, et quelques pays d'Amérique centrale) permettent un choix entre deux régimes, sur option ou déclaration lors de la célébration du mariage.
Ensuite, parmi les régimes légaux uniques, le nombre de pays ayant adopté un régime communautaire est à peu près équivalent à celui des pays ayant opté pour un régime séparatiste. Nous pouvons, en effet, compter soixante-trois pays ayant un régime communautaire (autre que communauté universelle) contre soixante-sept pays ayant fait le choix d'un régime séparatiste.
Les régimes dits « hybrides », tels que la participation aux acquêts, ont été choisis dans un peu moins de dix pays.
Après avoir dressé le bilan de deux cent dix-huit années d'un régime matrimonial de communauté, supplétif de volonté et sans notaire, nous nous intéresserons aux raisons historiques qui ont conduit les rédacteurs du Code civil à opérer un tel choix en 1804.