Les utilités de l'obligation réelle environnementale

Les utilités de l'obligation réelle environnementale

– Les typologies d'ORE. – La création relativement récente de ce dispositif ne permet pas encore de pouvoir effectuer un retour d'expérience exhaustif, mais on peut déjà identifier deux types d'obligations réelles environnementales : les ORE patrimoniales, c'est-à-dire celles souscrites par un propriétaire dans un but exclusif de protection de l'environnement et de la biodiversité, et les ORE de compensation souscrites par un opérateur dans le but de compenser des atteintes à l'environnement ou à la biodiversité générées par un projet d'aménagement ou de construction.
Un rapport du gouvernement au Parlement de janvier 2021 a permis d'établir un premier bilan de la mise en œuvre des ORE.
Pour une version intégrale de ce rapport :

Mise en œuvre des ORE au 31 décembre 2019

La partie chiffrée de ce bilan, arrêtée au 31 décembre 2019, établit les constats suivants :
  • on dénombre à cette date douze contrats signés en matière d'ORE patrimoniales pour une durée moyenne de soixante-cinq ans, pour une surface totale de 150 hectares ;
  • dans le cadre d'opérations de compensation, cinq contrats ont été signés pour une durée moyenne d'environ quarante ans ;
  • en outre, et également en matière de compensation, sept projets d'aménagement routiers ont fait l'objet de près de cent vingt promesses d'ORE pour une superficie totale de 300 hectares et une durée moyenne de vingt-huit ans.

L'obligation réelle environnementale à vocation patrimoniale

– Un succès mitigé. – Les chiffres repris ci-dessus le montrent : on ne peut pas dire que l'ORE suscite un réel enthousiasme de la part des propriétaires fonciers qui seraient susceptibles de s'engager. Il faut donc tenter de comprendre cette réticence générale.
Le rapport précité du gouvernement remis au Parlement pointe un certain nombre de raisons expliquant, selon ses rédacteurs, ce faible succès : le caractère novateur du dispositif nécessitant un temps d'appropriation par les acteurs, l'existence d'autres dispositifs contractuels en matière environnementale, la difficulté à disposer des compétences nécessaires, notamment.
Une raison nous semble cependant plus décisive : la possible perte de valeur du bien grevé de l'ORE. Cela peut facilement se comprendre, car outre les engagements pris par le propriétaire et transmissibles au cessionnaire, la durée potentiellement longue du contrat peut également être un frein important à la possibilité de céder au meilleur prix l'assiette foncière sur laquelle elle repose.
– Un régime fiscal favorable mais insuffisant. – Ainsi que nous l'avons vu, le régime fiscal des ORE présente une relative attractivité, du moins au moment de sa souscription, puisque sa régularisation est exonérée de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, ainsi que de la contribution de sécurité immobilière. Il faut cependant croire que ces dispositifs favorables ne suffisent pas. Signalons également la possibilité d'exonération des terrains grevés d'une ORE de la part communale des taxes foncières aux intercommunalités à fiscalité propre, mais à la condition que le dispositif ait fait l'objet d'une délibération en ce sens.
– Pistes de réflexion pour améliorer l'attractivité de l'ORE patrimoniale. – L'avantage fiscal semblant donc insuffisant, un certain nombre de suggestions ont été faites, parmi lesquelles une proposition portée par le 114e Congrès des notaires de France visant à exonérer de toute imposition la contrepartie reçue par le propriétaire du fonds supportant une ORE. Si la proposition a été adoptée en séance de ce congrès, il faut avouer qu'elle a été fraîchement accueillie par les pouvoirs publics : visée dans le rapport du gouvernement au Parlement sur la mise en œuvre du mécanisme d'obligations réelles environnementales et sur les moyens d'en renforcer l'attractivité (précité), voici la réponse apportée par le gouvernement : « Cette proposition (…) se heurte à l'obstacle majeur que constitue l'hétérogénéité de la qualité ou de l'ambition des mesures pouvant figurer dans un contrat ORE, ce qui est problématique pour justifier la dépense fiscale. Ainsi exonérer de toute imposition (ou prévoir un abattement ou un crédit d'impôt) la contrepartie versée, le cas échéant au propriétaire du terrain support d'une ORE n'est d'aucune efficacité pour la préservation de l'environnement sans garantie sur le contenu du contrat. Àl'inverse, l'exonération paraît excessive au regard de la modestie potentielle des obligations prévues par un contrat ORE ».
Plusieurs objections peuvent être apportées selon nous à cette réponse pour le moins contestable :
  • si l'on comprend bien, les auteurs du rapport critiquent le virtuel manque d'ambition du régime de l'ORE (l'hétérogénéité de la qualité ou de l'ambition…) pour en tirer l'argument de l'impossibilité d'y affecter des ressources budgétaires. Pourtant ce régime dépend d'un seul article du Code de l'environnement, et l'on aurait pu s'attendre à ce que la proposition soit mieux accueillie dans son principe, et accompagnée d'une recommandation d'amélioration législative du texte comme préalable nécessaire à l'octroi d'un régime fiscal de faveur. Comme par exemple une proposition d'élaboration d'un vrai régime de l'ORE comprenant une liste, même non exhaustive, d'engagements susceptibles de faire l'objet de contrepartie financière. Cela nous semblerait plus cohérent ;
  • les auteurs du rapport reprochent également l'absence de garantie sur le contenu du contrat. Là encore, à défaut de dispositions législatives sur le sujet, le reproche paraît injuste, et rien n'empêcherait une modification du texte à cet égard. Il est vrai que le droit commun de l'ORE ne prévoit pas de sanction pour le propriétaire ne respectant pas ses obligations nées de l'ORE régularisée avec un cocontractant habilité à le faire. Pourtant, là encore, et sans qu'il soit besoin de modifier le texte, on pourrait très bien imaginer qu'un régime de sanctions soit contractuellement déterminé pour chaque contractant selon les engagements souscrits, dont on rappelle qu'ils doivent être réciproques selon le texte. Le rôle du notaire, en tant qu'ingénieur de la convention, sera alors renforcé dans l'élaboration du contrat d'ORE car il devra imaginer les sanctions pouvant être contractualisées, leur mise en œuvre, et les moyens de contrôle.
Il nous semble donc que le meilleur moyen de renforcer l'attractivité de l'ORE patrimoniale est encore l'avantage fiscal l'accompagnant. Àce titre, nous pouvons citer à nouveau l'exemple des conservation easements en droit américain : dans ce cadre légal, le propriétaire bénéficie de différents régimes de faveur en matière de fiscalité, allant de la déduction d'impôt foncier au bénéfice d'un crédit d'impôt, en passant par une déduction sur les revenus imposables.
Dans le même registre, une extension du régime de faveur applicable aux transmissions de bois et forêts, tel que nous l'avons étudié dans le chapitre précédent, pourrait être utilement prévue. La conclusion d'une ORE pourrait donc entraîner la soumission à ce régime de faveur en matière de détention (IFI) ou en matière de transmission à titre gratuit. Notons toutefois, là encore, le refus du gouvernement d'envisager cette solution.

L'obligation réelle environnementale comme outil de compensation écologique

– La compensation écologique, un nouvel enjeu. – Nous avons vu dans nos développements précédents (V. supra, nos et s.) le rôle désormais majeur de la compensation environnementale dans la conduite de projets d'aménagement ou de construction. Cette tendance est illustrée par l'intégration progressive dans le cadre réglementaire de la séquence « Éviter-Réduire-Compenser », et le choix (pas toujours assumé) des opérateurs de négliger les deux premiers termes de la séquence pour s'orienter principalement vers des solutions compensatoires plutôt que d'évitement ou de réduction.
La définition de la compensation écologique est portée par l'article R. 122-13 du Code de l'environnement : « Les mesures compensatoires mentionnées au I de l'article L. 122-1-1 ont pour objet d'apporter une contrepartie aux incidences négatives notables, directes ou indirectes, du projet sur l'environnement qui n'ont pu être évitées ou suffisamment réduites. Elles sont mises en œuvre en priorité sur le site affecté ou à proximité de celui-ci afin de garantir sa fonctionnalité de manière pérenne. Elles doivent permettre de conserver globalement et, si possible, d'améliorer la qualité environnementale des milieux ».
Les travaux du 114e Congrès des notaires ayant déjà largement explicité les mécanismes et principes de compensation environnementale, nous ne procéderons donc pas à une étude exhaustive de cette notion. Il nous semble toutefois intéressant, une fois rappelées dans leurs grandes lignes les méthodes de compensation (§ I), de tenter de voir de quelle manière l'ORE peut constituer un outil décisif en la matière (§ II).

Les méthodes de compensation

– Dualité des méthodes de compensation. – On distingue deux méthodes de compensation, dont le cadre réglementaire est défini par les décrets no 2011-2019 du 29 décembre 2011 et no 2017-265 du 28 février 2017 : la compensation par la demande et la compensation par l'offre.

La compensation par la demande

– Définition. – La compensation par la demande est celle opérée par le maître de l'ouvrage sur un terrain dont il a la maîtrise, ce dernier en effectuant lui-même les travaux et opérations visant à compenser les dégradations de son projet. Si son projet détruit un habitat important pour une espèce, il doit compenser cette perte d'habitat. Il devra dès lors créer sur le site ou à défaut à proximité du site dégradé un habitat similaire avec un ratio minimum de 1 pour 1. Par exemple, pour un hectare de lande détruit, un hectare de lande doit être réaménagé.
– Mise en œuvre. – Elle nécessite pour le maître de l'ouvrage de maîtriser une assiette foncière permettant d'exécuter les mesures compensatoires. Il peut en être soit propriétaire, soit bénéficier d'un contrat avec le propriétaire, lequel contrat définira la nature des mesures de compensation, leurs modalités de mise en œuvre et la durée. Il peut également déléguer l'exécution des mesures compensatoires à un opérateur de compensation, mais restera responsable de la bonne exécution, car rappelons que la réalisation de l'opération de compensation est assortie d'une obligation de résultat.

La compensation par l'offre

– Innovation récente. – La compensation par l'offre est une innovation de la loi no 2016-1087 du 8 août 2016. Il s'agit d'un système dans lequel un opérateur de compensation acquiert une unité foncière dans un site naturel de compensation pour y mener des actions en faveur de la protection de la biodiversité, notamment par des mesures de restauration et de conservation des habitats. Cet opérateur pourra ensuite céder des unités de compensation à des maîtres d'ouvrage soumis à cette obligation.
Il faut ici préciser qu'un contrôle administratif est réalisé en amont, puisque les sites retenus comme sites naturels de compensation doivent faire l'objet d'un agrément par l'État.

L'intérêt de l'obligation réelle environnementale dans une opération de compensation

– Le rôle du notaire. – Une opération de compensation écologique suppose une opération d'aménagement ou de construction portant des dégradations environnementales qu'il n'a pas été possible d'éviter ou de réduire. Le notaire qui accompagne le maître d'ouvrage dans son opération d'aménagement ou de promotion doit selon nous s'emparer de cette question, car le conseil qu'il doit à son client peut être étendu à tous les aspects de l'opération. Une compensation mal maîtrisée, compte tenu de l'obligation de résultat à laquelle est astreint le maître d'ouvrage, peut avoir des conséquences financières importantes.
Compte tenu de la nature contractuelle de l'ORE et de la possibilité de recourir au contrat pour permettre à l'aménageur d'exécuter son obligation de compensation, le notaire devrait, dès le démarrage du projet, et plus précisément en amont de la régularisation des promesses de vente, s'emparer du sujet et anticiper, avec son client maître d'ouvrage, les solutions de compensation envisageables.
– Le contrat, outil nécessaire à l'exécution de l'obligation de compensation. – En sa qualité de spécialiste du contrat et de sa conception, le notaire peut faciliter la mise en place de mesures de compensation, notamment dans le cas d'un aménageur ne disposant pas de l'unité foncière proche du terrain supportant son projet. Dans ce cas, un propriétaire voisin, dans le cadre d'une compensation par la demande, pourrait être disposé à régulariser avec le maître d'ouvrage un contrat de compensation moyennant une contrepartie financière. Mais il conviendra alors de s'assurer de la bonne exécution du contrat, car seul ce dernier sera responsable vis-à-vis de l'autorité administrative ayant prescrit les mesures.
Le notaire peut alors intervenir pour conseiller aux parties, et notamment au propriétaire du terrain, de régulariser avec une personne habilitée à le faire une ORE contenant les mêmes engagements que ceux pris vis-à-vis du maître de l'ouvrage concernant les mesures compensatoires. Enfin, pour « boucler la boucle » contractuelle, un contrat pourra être régularisé entre le maître d'ouvrage et la collectivité cocontractante pour faire correspondre les obligations de compensation, d'une part, et les obligations de l'ORE (notamment la durée), d'autre part. Une relation tripartite entre l'ensemble des acteurs pourra alors s'imposer.
– Le notaire prescripteur de l'ORE dans le cadre de la compensation par l'offre. – Ainsi que nous venons de le voir, la compensation par l'offre implique qu'au préalable la qualification de site naturel de compensation ait fait l'objet d'un agrément administratif. Dans ce cadre, le notaire peut exercer une mission de conseil, non pas au profit de son client aménageur, mais au profit d'un client propriétaire désireux de mettre en valeur ses terres pour le cas où celles-ci ne constitueraient pas pour lui une source de revenus suffisante. Notamment, dans le cas où un aménageur serait désireux de développer une opération sans bénéficier de terrains disponibles pour organiser une compensation à la demande.
En effet, une fois l'agrément obtenu, le propriétaire pourra régulariser une ou plusieurs ORE portant sur des engagements similaires à ceux imposés pour la compensation, et céder ensuite à l'aménageur devenu maître de l'ouvrage les unités de compensation nécessaires.
Le rôle du notaire sera ici essentiel compte tenu, d'une part, de sa maîtrise de la production contractuelle mais également, d'autre part, de la connaissance de son territoire.