Les situations particulières

Les situations particulières

– Les incertitudes quant à l'incorporation d'une donation-partage antérieure. – Alors que la réincorporation d'une donation simple ne soulève pas beaucoup de difficultés puisque la réincorporation conduit à une révocation conventionnelle de celle-ci, la réincorporation d'une donation-partage antérieure est sujette à de nombreuses interrogations.
En effet, très rapidement, les praticiens se sont interrogés sur le fait de savoir s'ils devaient intégrer tous les lots donnés initialement (et ainsi révoquer totalement la donation-partage antérieure), ou s'ils pouvaient ne réintégrer que certains lots. L'incorporation doit-elle être totale ou peut-elle n'être que partielle ?
Par ailleurs, les praticiens se sont demandé qui devait être partie à l'acte prévoyant une incorporation. Tous les donataires initiaux doivent-ils nécessairement participer au nouvel acte, même s'ils ne sont pas concernés par l'incorporation ?
Évidemment, les mêmes incertitudes ont été soulevées au sujet de la donation-partage transgénérationnelle prévoyant une incorporation d'une donation-partage antérieure : l'incorporation peut-elle n'être que partielle ? Faut-il l'intervention de tous ?
Dans le schéma familial ci-dessous présenté, Jean peut avoir un intérêt à incorporer le lot initialement reçu de ses parents pour qu'il soit attribué à ses propres enfants, alors que Luc peut souhaiter conserver son lot initial.
Doit-on leur refuser le mécanisme de la donation-partage transgénérationnelle avec incorporation par un seul des enfants de son lot initial, si tous les enfants des donateurs ne réincorporent pas leur lot ?
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Schéma représentant la famille Moustache
Il est regrettable qu'aucune précision n'ait été apportée dans la réponse ministérielle Ceccaldi-Raynaud susvisée sur les modalités de réincorporation au sein d'une donation-partage transgénérationnelle.

La réincorporation partielle

– La réincorporation peut-elle être partielle ? – Il est légitime de se demander si la réincorporation d'une donation-partage antérieure doit porter obligatoirement sur tous les lots (et ainsi s'imposer à tous les donataires initiaux), ou si au contraire la réincorporation ne peut porter que sur un seul lot, ou encore sur des fractions d'un ou plusieurs lots.
Le caractère partiel d'une incorporation évoque en réalité deux sujets distincts :
  • l'incorporation peut être partielle car sur les deux donataires initiaux, l'un a accepté l'incorporation du lot reçu initialement ;
  • l'incorporation peut être partielle car le bien reçu en pleine propriété ne pourrait être incorporé que pour sa seule nue-propriété (le donataire initial se conservant ainsi par rétention un usufruit).

L'incorporation ne porte que sur certains lots de la donation-partage initiale ?

Cette position se justifie par la combinaison de deux idées :
1) une donation-partage peut être révoquée partiellement.
L'incorporation partielle aura pour conséquence de révoquer conventionnellement une partie de la donation-partage initialement consentie et de laisser perdurer l'autre partie. Cela est-il possible ?
En droit positif, il ne fait nul doute qu'une donation-partage puisse être partiellement résolue. Les exemples sont nombreux : la résolution judiciaire pour inexécution d'une charge ou pour indignité ne visera pas la donation-partage dans son intégralité, mais bien les seuls lots donnés au donataire fautif. Ou encore l'effet résolutoire du droit de retour légal, ou conventionnel en cas de prédécès du donataire est bien de nature à résoudre partiellement une donation-partage.
Aussi, une révocation conventionnelle d'une partie de la donation-partage initiale, par le jeu d'une incorporation, est tout à fait admissible en droit civil ;
Il y a donc lieu de considérer que la donation-partage initiale sera partiellement résolue et continuera à produire ses effets malgré sa révocation partielle.
En effet, nous pourrions avancer comme argument pour appuyer cette analyse que bien que la donation-partage ne contienne que des accords bilatéraux, il est nécessaire qu'ils soient complets (c'est-à-dire qu'il y ait bien autant d'accords bilatéraux que de couples donateur/donataire) pour que la libéralité prenne la forme d'une donation-partage. D'ailleurs, si l'un des enfants n'accepte pas son lot, la libéralité ne prendra pas la forme d'une donation-partage.
En outre, il est certain, lorsque les lots ne sont pas composés de biens de même nature, que chaque enfant porte une certaine attention aux lots des autres. L'accord bilatéral qui existe entre le donateur et le donataire est fortement empreint de ce qui se trouve dans les autres lots. Et il nous semble que l'accord ainsi donné l'a été en considération de la composition des autres lots.
À ce jour, et dans l'attente d'une précision par le législateur ou la jurisprudence, la position à adopter par le notaire devrait être la suivante :
1/ Envisager par priorité, quand cela est possible, une réincorporation totale de la donation-partage antérieure (solution la plus sage, car incontestable).
2/ Si la réincorporation totale n'est pas envisageable :
  • L'intervention à l'acte à recevoir, de tous les donataires initiaux est possible : prévoir l'intervention de tous les donataires initiaux (même si elle nous semble non obligatoire) ;
  • L'intervention de tous les donataires initiaux n'est pas possible ou inenvisageable pour le donataire réincorporant : selon nous, l'acte pourra être reçu, sans cette intervention, quand il s'agit de faire glisser le patrimoine de l'enfant pivot à ses enfants, car il n'y a aucune modification de la donation initiale.
– L'incorporation peut-elle ne porter que sur certains lots initialement donnés, et laisser perdurer la donation-partage initiale entre les autres donataires ? – Il est admis par plusieurs auteurs, dont Michel Grimaldi et Rémy Gentilhomme, que la réincorporation partielle est valable.
2) une donation-partage comprend autant d'accords bilatéraux qu'il y a de parties à l'acte. Chaque donataire (lors de la première donation-partage) accepte individuellement le lot qui lui est proposé. Il ne s'agit pas d'une acceptation unanime et collective de tous les lots par tous les donataires (en d'autres termes, Michel Grimaldi évoque une accumulation d'accords bilatéraux entre chaque donataire et chaque donateur de la composition de son lot). Aussi, la révocation conventionnelle portant sur un lot de la donation-partage suppose simplement l'accord de celui qui l'a donné et de celui qui l'a accepté ; et non l'accord de tous les intervenants de la donation-partage.
Toutefois, d'autre auteur qui admette également la validité d'une réincorporation partielle considère, que les seules interventions des donateur et donataire concernés ne sont pas suffisantes. L'accord de tous les donataires initiaux serait requis.

L'incorporation ne porte que sur une partie du lot, ou sur un seul des attributs du droit de propriété démembré ?

Il s'agit de savoir si le lot initialement constitué de biens différents peut être réincorporé pour une partie seulement, ou même si le lot initialement constitué de plusieurs titres sociaux peut être incorporé pour une partie seulement.
Il est admis que le donataire initial titulaire de la pleine propriété puisse incorporer la seule nue-propriété à une nouvelle donation-partage, tout en conservant l'usufruit dont il est titulaire.
Il est également admis que le donataire initial puisse incorporer une seule partie du lot initial, laissant ainsi subsister une partie de la précédente donation.

L'incorporation face au décès de l'un des donateurs initiaux

L'article 1078-1 du Code civil établit un lien entre la donation incorporée et la qualité du disposant. En effet, seules les donations consenties par le disposant (de la nouvelle donation-partage) peuvent être intégrées à une nouvelle donation-partage de celui-ci.
Exemple :
G1A et G1B ont donné à leurs trois enfants (G2C, G2D et G2E), il y a plus de quinze ans, des titres en nue-propriété de la société familiale aux termes d'une donation-partage. Les donateurs se sont chacun réservé un usufruit viager, et se sont réciproquement consenti un usufruit successif.
G1B est décédé.
Puis, son enfant, G2E est également décédé, laissant pour lui succéder un enfant mineur.
G1A envisage, aujourd'hui, avec ses enfants (G2C et G2D) d'effectuer une donation-partage transgénérationnelle au profit des petits-enfants, en intégrant à celle-ci la donation-partage des titres sociaux réalisés il y a quinze ans, reçus par G2C et G2D.
Il s'agit donc d'une donation-partage transgénérationnelle, avec réincorporation.
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Schéma représentant la famille G
Ce cas présente plusieurs difficultés, notamment celle d'une réincorporation partielle, dont on a vu ci-avant (V. supra, nos et s.) qu'elle est largement admise par la doctrine. La seconde difficulté est de savoir s'il est possible de réincorporer un bien commun donné par deux parents, après le décès de l'un d'eux.
L'article 1078-1 Code civil établit un lien entre la donation incorporée et la qualité du disposant. En effet, seules les donations déjà consenties par le disposant peuvent être intégrées à une nouvelle donation-partage de celui-ci.
Aussi, en cas de décès de l'un des deux donateurs, entre la donation-partage conjonctive initiale et la réincorporation, il semble falloir considérer que seuls les biens donnés par le survivant puissent encore faire l'objet d'une réincorporation dans une nouvelle donation-partage, car seul le survivant aura la qualité de disposant au sens de l'article 1078-1 du Code civil. Seuls les lots donnés par ce conjoint survivant dans la donation-partage initiale pourront être réincorporés.
Indépendamment de la réincorporation, un bien commun donné par deux époux est analysé, lors du règlement successoral, comme s'il avait été fictivement donné par moitié théorique par chaque donateur. Cette règle liquidative conduit à considérer que le bien commun a été transmis par moitié par le père et par moitié par la mère, alors que nous savons que les époux ne disposent pas de droit « indivis » sur les biens communs durant l'application du régime matrimonial de la communauté.
Tirant les conséquences de ces deux règles (une identité de donateur, et un bien transmis par moitié par chaque parent sur le plan liquidatif), la réincorporation dans sa totalité du bien précédemment donné par les deux donateurs n'est pas envisageable.
Toutefois le notaire, par son conseil et son anticipation, pourra proposer des solutions à ses clients en amont, c'est-à-dire dès la réalisation de la première donation-partage du vivant des deux parents.
Dans une telle situation il suffirait de prévoir, dans la donation-partage initiale, une clause d'imputation de la donation-partage dans la succession du second donateur.
Cependant, cette solution entraîne des conséquences liquidatives importantes au premier et au second décès, et qui pourraient ne pas être opportunes pour les clients notamment s'ils venaient à ne jamais réfléchir à une donation-partage transgénérationnelle par la suite.
Et s'il était envisagé une donation-partage transgénérationnelle cumulative, avec « incorporation » par la génération intermédiaire des biens reçus du prémourant aux termes de la donation-partage ?
Nous rappelons que la donation-partage cumulative est celle qui permet à un ascendant et ses enfants de reconstituer ensemble une masse composée, d'une part, des biens reçus par les enfants dans la succession du premier ascendant décédé et, d'autre part, des biens se trouvant actuellement dans le patrimoine de l'ascendant survivant, afin d'envisager la transmission et surtout un partage global desdits biens.
Immédiatement, on relèvera que la donation-partage cumulative porte sur des biens reçus par succession, alors que le mécanisme de la réincorporation porte, quant à lui, sur des biens reçus par donation simple ou par donation-partage. Cette distinction fondamentale pourrait conduire à écarter, hâtivement, cette solution (puisque dans notre cas, il s'agit de biens reçus par donation et non pas par succession).
Mais il nous semble nécessaire d'approfondir cette notion, car la solution pourrait bien se trouver dans le mécanisme de la cumulative.
Peut-on, donc, adjoindre à une donation-partage cumulative (transgénérationnelle) les biens que la génération intermédiaire a reçus non pas par succession mais par donation ?
Oui et non.
Non, s'il s'agit d'adjoindre des biens reçus par donation simple.
Et nous avons envie de croire que oui, s'il s'agit d'adjoindre des biens reçus par donation-partage. La donation-partage, pacte sur succession future par excellence, n'est autre qu'un partage d'ascendant qui a vocation à anticiper et à modifier les règles successorales normalement applicables à la succession du donateur. Cette dimension successorale de la donation-partage pourrait permettre de considérer que les biens reçus aux termes de ce partage successoral anticipé puissent être compris dans une donation-partage cumulative transgénérationnelle.
Aussi, alors que la réincorporation est exclue, l'adjonction dans une cumulative pourrait être envisagée.