Les rédiger

Les rédiger

– Ingénierie notariale. – Il appartient à la pratique notariale de s'approprier la donation entre époux, en droit positif, avec les outils afférents (Raar et faculté de cantonnement) sans les dénaturer, afin de l'adapter aux situations rencontrées. Deux objectifs pourront être retenus par le notaire et le couple : soit augmenter les droits successoraux de son conjoint (§ I), soit éventuellement les réduire (§ II).

Augmenter les droits successoraux de son conjoint

– Double protection : le conjoint versus les descendants du disposant. – Les libéralités conjugales permettent d'augmenter les droits successoraux du conjoint survivant. Seront successivement étudiées la protection accordée par le disposant à son conjoint (A), et celle accordée par le législateur aux descendants du disposant (B).

La protection du conjoint survivant du disposant

– L'art et la manière de rédiger la donation entre époux de biens à venir. – Afin de protéger le conjoint survivant au travers d'une donation entre époux de biens à venir adaptée à la situation de chaque couple, il conviendra de répondre à deux interrogations : l'une porte sur le fond (I) et l'autre sur la forme (II).

Sur le fond : libre choix de la quotité au conjoint ou quotité imposée ?

Libre choix de la quotité au conjoint
– Donation entre époux alternative de quotités. – La donation entre époux alternative de quotités oblige le conjoint survivant à opter entre l'une des trois branches prévues à l'article 1094-1 du Code civil, savoir :
  • à hauteur de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété ;
  • à hauteur d'un quart en pleine propriété et des trois autres quarts en usufruit ;
  • à hauteur de la totalité en usufruit.

Donation entre époux alternative de quotités

Cette donation sera de la quotité disponible entre époux en vigueur au jour du décès.
Le choix, s'il y a lieu, appartiendra au survivant, qui pourra attendre jusqu'au partage pour exercer son option, sauf si les héritiers le mettent en demeure d'opter après écoulement du délai de quatre mois. Si le survivant n'exprime pas son option à la suite de cette mise en demeure ou s'il décède sans avoir opté, il sera censé l'avoir fait pour la quotité entre époux en usufruit seulement.
La quotité disponible sera calculée sur une masse formée conformément à la loi.
– Donation entre époux universelle. Principe. – La donation entre époux universelle place le conjoint survivant dans une situation équivalente à un légataire universel. Il sera susceptible de recueillir l'intégralité des biens successoraux sans qu'aucune indivision ne se crée entre lui et les héritiers réservataires.

Donation entre époux universelle

Cette donation sera de la toute propriété des biens qui composeront sa succession.
– Donation entre époux universelle. Clause de réduction facultative. – Dans le cas précédent, si une action en réduction sur le fondement de l'article 924 du Code civil est intentée par les héritiers réservataires du disposant, le choix établi à l'article 1094-1 du Code civil sera bel et bien maintenu. Le conjoint survivant pourra donc opter pour la plus forte quotité permise entre époux.
Néanmoins, ainsi que le souligne Rachel Dupuis-Bernard, « la réduction de son émolument interviendra en valeur. Elle s'effectuera au moyen du versement d'une indemnité correspondant à la valeur de la nue-propriété des ¾ de la succession. (…) À défaut de trésorerie disponible, le conjoint survivant a le choix d'une réduction en nature. Elle consistera alors à reconstituer la réserve des enfants par un retranchement opéré sur l'objet de la disposition excessive ».
C'est précisément la raison pour laquelle il est plutôt conseillé de rédiger la donation de biens à venir entre époux universelle, à l'aide d'une clause de réduction facultative.

Donation entre époux universelle. Clause de réduction facultative

Si l'époux prédécédé ne laisse pas d'héritier à réserve, cette donation sera de la toute propriété des biens qui composeront sa succession.
En cas d'existence d'héritiers à réserve, et si ceux-ci en demandent la réduction, la donation s'imputera sur l'une des trois quotités entre époux en vigueur au jour du décès. Le choix, s'il y a lieu, appartiendra au survivant, qui pourra attendre jusqu'au partage pour exercer son option, sauf si les héritiers le mettent en demeure d'opter après écoulement du délai de quatre mois. Si le survivant n'exprime pas son option à la suite de cette mise en demeure ou s'il décède sans avoir opté, il sera censé l'avoir fait pour la quotité entre époux en usufruit seulement.
La quotité disponible sera calculée sur une masse formée conformément à la loi.
– Donation entre époux universelle. Utiliser la renonciation anticipée à l'action en réduction (Raar). – Il peut être envisagé d'utiliser la renonciation anticipée à l'action en réduction pour sécuriser une donation entre époux. Si le disposant et ses descendants conviennent ensemble d'accorder au conjoint survivant une donation entre époux portant sur l'universalité des biens, la renonciation anticipée à l'action en réduction pourrait être l'une des solutions pour consolider cette libéralité de biens à venir.
Les avantages matrimoniaux pourraient également parvenir à ce même objectif ainsi qu'il sera indiqué ci-après. Néanmoins, cette solution peut présenter un coût plus faible ; il convient parfois de l'envisager.
Quotité imposée au conjoint
– Usufruit de la totalité des biens. – Classiquement, et surtout dans une famille recomposée, le disposant peut, à l'inverse, souhaiter que son conjoint survivant ne recueille aucun droit en pleine propriété. Son choix peut notamment se porter sur la totalité en usufruit de son patrimoine, avec ou sans clause de réduction automatique.

Donation entre époux portant sur l'usufruit de tous les biens

Cette donation est de l'usufruit de tous les biens qui composeront la succession du donateur, sans exception ni réserve.

Donation entre époux portant sur l'usufruit de tous les biens – Clause de réduction automatique

Si le donateur laisse un ou plusieurs enfants ou descendants, cette donation sera de l'usufruit des biens composant sa succession, sans exception ni réserve.
Si le donateur ne laisse aucun enfant ni descendant, cette donation sera de la pleine propriété de l'universalité des biens qui composeront sa succession, sans exception ni réserve.
– Usufruit de certains biens. – Le choix du disposant peut aussi être d'allotir son conjoint de l'usufruit de certains biens déterminés, et notamment uniquement sur la résidence principale.

Donation entre époux portant sur l'usufruit de certains biens, et la pleine propriété d'autres biens

Cette donation est de l'usufruit des biens et droits immobiliers par lesquels est assuré leur logement, pour en jouir pendant sa vie à compter du jour du décès dudit donateur ; ainsi que de la pleine propriété des meubles meublants garnissant ledit logement.
– Privation des droits légaux par testament. – Dans ces cas d'espèce, pour éviter toute complication ultérieure, il convient de priver le conjoint de ses droits légaux. Pour ce faire, la renonciation ne peut résulter d'une donation entre époux. Celle-ci doit, nécessairement, être complétée d'un testament.

Modèle de testament pour priver les droits légaux du conjoint

Je soussigné …., né à …. le …., établit mon testament de la manière suivante.
Je révoque toutes dispositions testamentaires antérieures à ce jour.
Je confirme les termes de la donation entre époux consentie à mon épouse, …., suivant acte reçu par Maître …., notaire à …., le ….
Toutefois, je déclare vouloir priver mon épouse de tout droit en pleine propriété qu'elle pourrait recueillir en vertu de la loi.
Fait à ….
Le ….
Signature

Sur la forme : testament ou acte authentique ?

– Question. – Faut-il recourir au testament olographe ou à l'acte authentique pour consentir une donation à son époux de biens à venir ?
En termes de sécurité juridique
– Aucune différence. – Ces considérations ne sont pas récentes, puisque le 84e Congrès des notaires de France qui s'est tenu à La Baule du 29 mai au 1er juin 1988 tentait déjà de répondre à cette interrogation : « Nous relaterons donc de manière simplement descriptive les deux modes de disposition constitués par la donation entre époux et par le testament tels qu'ils sont prévus par le droit positif et tels qu'ils sont utilisés par les praticiens, à la lumière de l'enquête menée par le notariat ».
La réponse reste encore et toujours la même : bien que les donations entre époux de biens à venir (autrement dit, donation au dernier vivant) sont largement utilisées par la pratique notariale, aucun argument juridique ne sous-tend une préférence. Donation entre époux et testament peuvent parfaitement contenir des dispositions de biens à venir au profit du conjoint survivant. Pour l'un comme pour l'autre, c'est la rédaction qui est primordiale ; donc le fond et aucunement la forme.
En termes de coût des actes
– Tableau comparatif de coût pour consentir une libéralité entre époux.

La protection des descendants du disposant, offerte par le législateur

– En fonction du choix effectué par le conjoint survivant. – En vertu de l'article 1094-1 du Code civil, l'époux qui laisserait des enfants ou descendants peut disposer en faveur de son conjoint de droits en pleine propriété (à hauteur de la quotité disponible ordinaire) (I), mais également de droits en usufruit (jusqu'à l'usufruit de la totalité des biens) (II).
Ce faisant, le législateur accorde aux descendants du de cujus une protection différente, en fonction du choix effectué par le conjoint survivant, puisque les risques diffèrent largement.

Choix en faveur de la pleine propriété

Principe
– Risque d'inégalité entre les enfants issus de parents différents. – L'octroi par le de cujus au profit de son conjoint de libéralités en propriété est propre à rompre l'égalité entre les descendants du défunt, au détriment des enfants non issus des deux époux.
Effectivement, seuls les descendants du conjoint survivant seront à même de récupérer, au jour de son décès, les biens qui lui avaient été transmis par le prédécédé, en pleine propriété. Au contraire, les enfants du disposant qui n'ont pas de lien de filiation avec le conjoint gratifié n'ont aucune vocation à sa succession. Ils seront, de fait, privés d'une partie du patrimoine successoral du premier défunt.

Droits en pleine propriété : exemple 1

Ainsi, prenons le cas d'un homme qui décède en laissant à sa survivance un enfant né d'une première union, et deux enfants issus d'une seconde union avec le conjoint survivant.
Ce dernier est bénéficiaire du legs de la propriété du quart des biens (c'est-à-dire de la quotité disponible ordinaire en présence de trois enfants).
Au décès de monsieur, les enfants reçoivent chacun un quart de la succession en propriété (ce qui correspond à leur réserve individuelle), et le conjoint survivant reçoit également un quart en pleine propriété.
Au décès de madame, seuls les enfants issus des deux époux se partageront le quart reçu par le conjoint survivant à hauteur d'un huitième chacun.
Au bilan, après le décès des deux époux, les droits sur les biens initialement transmis par le prédécédé se répartiront ainsi qu'il suit, savoir :
  • deux huitièmes pour l'enfant issu de la première union ;
  • et trois huitièmes pour chacun des enfants issus de l'union avec le conjoint survivant.
Protection accordée aux enfants non communs
– Faculté de substitution de l'article 1098 du Code civil. – Afin d'éviter d'arriver à une telle inégalité, l'article 1098, alinéa 1er du Code civil dispose que : « Si un époux a fait à son conjoint, dans les limites de l'article 1094-1, une libéralité en propriété, chacun des enfants qui ne sont pas issus des deux époux aura, en ce qui le concerne, sauf volonté contraire et non équivoque du disposant, la faculté de substituer à l'exécution de cette libéralité l'abandon de l'usufruit de la part de succession qu'il eût recueillie en l'absence de conjoint survivant ».
L'esprit de l'article 1098 du Code civil a été résumé par M. Grimaldi, en ces termes : « L'enfant dispose d'une option : soit il se contente de ce que la libéralité lui laisse enpleine propriété, et les biens recueillis par le conjoint lui échappent définitivement ; soit il renonce à ce reliquat de propriété pour une nue-propriété qui, étant égale à sa part ab intestat, lui assure à terme la propriété dont la libéralité tendait à le priver. À lui de choisir (…) entre une pleine propriété immédiate mais réduite et une pleine propriété plus étendue mais différée ».

Droits en pleine propriété : exemple 2

Reprenons l'exemple précédemment cité. En l'absence de conjoint survivant, l'enfant non issu des deux époux aurait recueilli un tiers de la succession en propriété.
En usant de sa faculté de substituer un tiers en usufruit à l'exécution de la libéralité en propriété du conjoint survivant, cet enfant sera titulaire d'un tiers en nue-propriété, les enfants issus des deux époux d'un quart chacun en pleine propriété, et le conjoint survivant d'un tiers en usufruit et de deux douzièmes, soit un sixième, en pleine propriété.
Ainsi, au décès de madame, l'usufruit s'éteignant, l'enfant issu du premier mariage sera plein propriétaire d'un tiers des biens, les deux douzièmes restant en pleine propriété se partageant entre les deux enfants issus de la seconde union, lesquels seront également propriétaires d'un tiers des biens chacun. L'égalité sera alors respectée entre les trois enfants.
– Conditions d'application. – Tout d'abord, depuis 2006, la faculté de l'article 1098 du Code civil est ouverte à tous les enfants « qui ne sont pas issus des deux époux ». Ainsi, la possibilité de substitution est offerte à chacun de ces enfants, ce qui signifie qu'elle peut être exercée individuellement par chacun d'eux.
Ensuite, la faculté de l'article 1098 du Code civil n'est pas d'ordre public. Aussi, le disposant peut priver chacun des enfants de la faculté de substituer l'abandon de son usufruit à l'exécution de la libéralité en propriété.
Enfin, celui qui souhaite user de la faculté de l'article 1098 du Code civil doit être à même de proposer une « monnaie d'échange » au conjoint survivant, ainsi que le souligne Georges Morin. De sorte que la faculté offerte par ledit article ne peut s'appliquer que dans le cas où la libéralité a été consentie dans les limites de la quotité disponible de droit commun en propriété, et non lorsque le disposant a ouvert à son conjoint l'option entre les trois quotités disponibles prévues par l'article 1094-1 du Code civil. En effet, dans ce dernier cas, le conjoint peut recueillir une libéralité d'un montant supérieur à l'usufruit de la totalité de la succession, et par là même exclut, sans équivoque, l'application de l'article 1098 dudit Code.

Choix en faveur du démembrement de propriété

– Privation de jouissance pour les enfants. – Les deux dernières branches de l'option (à hauteur d'un quart en pleine propriété et des trois autres quarts en usufruit ; à hauteur de la totalité en usufruit) offrent la possibilité pour le conjoint survivant de se maintenir le plus fréquemment dans son cadre de vie, voire de retirer des revenus des biens successoraux. C'est tout à son avantage.
Cependant, le choix en faveur de ces démembrements de propriété peut présenter de lourds inconvénients pour les descendants. Tel est particulièrement le cas lorsque le conjoint survivant est encore jeune. Dans certaines familles, recomposées ou non, les droits en usufruit du conjoint peuvent contribuer à priver les enfants de la jouissance de la succession pendant de nombreuses années.
– Double protection accordée à tous les descendants. – Conscient de cela, le législateur a organisé deux mécanismes protecteurs pour tous les descendants : le premier consiste à garantir la conservation de la nue-propriété des descendants, tandis que le second permet d'obtenir la conversion de l'usufruit du conjoint survivant en rente viagère.

Conservation de la nue-propriété des descendants

L'article 1094-3 du Code civil prévoit que : « Les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l'usufruit, qu'il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu'état des immeubles, qu'il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l'usufruitier, convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé ». Cette règle s'applique lorsqu'un époux a consenti à son conjoint une libéralité en usufruit plaçant les enfants du donateur/testateur en nus-propriétaires.
Premièrement, ces derniers bénéficient de mesures conservatoires, d'ordre public pour assurer la conservation de la substance de la chose. Peu importe la volonté contraire du disposant. Même si celui-ci prévoit de dispenser le conjoint de fournir les garanties prévues à l'article 1094-3 du Code civil, cette stipulation resterait sans effet.
Deuxièmement, par application du principe de l'égalité des filiations, tous les descendants du disposant sont en droit d'invoquer ces dispositions légales. Peu importe que la filiation soit établie par le sang ou par voie d'adoption (simple et plénière). À cet égard, les descendants ne sont pas obligés d'agir ensemble ; chacun peut, individuellement, se prévaloir de ces dispositions.
Troisièmement, il est conseillé d'établir un inventaire des meubles ou un état des immeubles pour fixer la consistance précise des biens soumis au démembrement de propriété à l'époque du décès. De même, si les descendants du de cujus veulent éviter les conséquences d'un quasi-usufruit, ils peuvent exiger l'emploi des sommes d'argent soumises à usufruit, et se protéger ainsi contre un éventuel défaut de restitution de la part de l'usufruitier, conjoint survivant du de cujus.

Conversion de l'usufruit du conjoint survivant en rente viagère

L'article 759 du Code civil prévoit que : « Tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu'il résulte de la loi, d'un testament ou d'une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rente viagère, à la demande de l'un des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint successible lui-même ». Cette règle s'applique sur toute libéralité en usufruit au profit du conjoint survivant, qu'elle résulte de la loi ou d'une libéralité à cause de mort – ce qui exclut les usufruits résultant des donations entre vifs.
Premièrement, la faculté de demander la conversion appartient aux héritiers (ou l'un d'eux) ou au conjoint successible (si l'usufruit s'avère trop lourd à gérer).
Deuxièmement, il résulte de l'article 759-1 du Code civil, d'une part, que le de cujus ne peut priver les cohéritiers de leur faculté de demander la conversion et, d'autre part, que cette faculté n'est pas susceptible de renonciation avant l'ouverture de la succession. Également l'article 759 dudit Code ne fait qu'accorder une faculté de demander la conversion, et non de l'imposer. Elle ne saurait donc résulter que d'un accord entre les parties. Par ailleurs, rien n'interdit de limiter l'accord à une partie seulement de l'usufruit du conjoint survivant.
Troisièmement, à défaut d'accord entre les parties, la demande de conversion pourra être soumise au juge, qui devra « apprécier l'opportunité de la demande en fonction des intérêts en présence ». À ce titre, en vertu de l'article 760 du Code civil : « À défaut d'accord entre les parties, la demande de conversion est soumise au juge. Elle peut être introduite jusqu'au partage définitif. S'il fait droit à la demande de conversion, le juge détermine le montant de la rente, les sûretés que devront fournir les cohéritiers débiteurs, ainsi que le type d'indexation propre à maintenir l'équivalence initiale de la rente à l'usufruit. Toutefois, le juge ne peut ordonner contre la volonté du conjoint la conversion de l'usufruit portant sur le logement qu'il occupe à titre de résidence principale, ainsi que sur le mobilier le garnissant ».
Quatrièmement, l'article 761 du Code civil prévoit que « par accord entre les héritiers et le conjoint, il peut être procédé à la conversion de l'usufruit du conjoint en un capital », et l'article 762 dudit Code que « la conversion de l'usufruit est comprise dans les opérations de partage. Elle ne produit pas d'effet rétroactif, sauf stipulation contraire des parties ».

Réduire les droits successoraux de son conjoint : la faculté de cantonnement

– Apparition. – Les libéralités conjugales permettent de réduire les droits successoraux du conjoint survivant, grâce à la faculté dite « de cantonnement ». L'origine de cet outil est attribuée à l'équipe de Jean Carbonnier qui voulait « guider les manifestations de volonté dont la faculté est offerte au conjoint » et lui permettre de « limiter l'effet de son acceptation à une partie seulement des biens et droits dont il a été gratifié ». L'idée qui domine est la suivante : il apparaît très difficile, dans une libéralité de biens à venir, de mesurer des années à l'avance quels seront les véritables besoins du gratifié. D'où le souhait de laisser au gratifié lui-même la possibilité d'ajuster l'assiette de son émolument. Ce faisant, le cantonnement est compris comme un véritable outil de paix familiale.
– Régime juridique. Sur ce point, nous renvoyons à l'étude effectuée par la troisième commission du rapport du 108e Congrès des notaires de France :
Rapport du 108e Congrès des notaires de France, Montpellier, 23/26 septembre 2012, La transmission, 3e commission, nos 3445 à 3495, p. 689 à 708.
– Ingénierie notariale. Illustrations. – Sur la faculté de cantonnement, les analyses doctrinales sont particulièrement nombreuses et divergent sur plusieurs points. La jurisprudence n'a pas encore été amenée à se positionner sur ces thèmes. Aussi cet outil n'a-t-il pas encore été soumis à l'épreuve du temps.
Seront successivement étudiées, au regard de l'ingénierie notariale qui peut être mise en œuvre, des illustrations de la faculté de cantonnement portant sur la résidence principale du couple, qu'il y ait eu des donations entre vifs par le défunt au profit de ses descendants ou non. En l'absence de jurisprudence en la matière, nous nous positionnons avec la doctrine majoritaire.

Absence de donation entre vifs

– Illustration d'un cantonnement sur la résidence principale. – Prenons le cas d'un couple, marié sans contrat de mariage sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, qui s'est consenti une donation entre époux. De leur union est né un enfant unique. Les époux sont propriétaires de ce patrimoine :
  • une résidence principale évaluée à 800 000,00 € ;
  • un outil professionnel (bien propre) évalué à 1 500 000,00 € ;
  • une résidence secondaire (bien propre reçu par succession) évaluée à 600 000,00 € ;
  • trois biens locatifs (biens propres acquis avant le mariage) évalués chacun à 200 000,00 € ;
  • des liquidités (biens communs) pour 1 000 000,00 €.
– Question posée. – Le conjoint survivant souhaite recevoir la pleine propriété de la résidence principale ainsi que l'usufruit de la résidence secondaire et d'un bien locatif. Il souhaite conserver 500 000,00 € au titre des liquidités du couple. Cela est-il envisageable avec la faculté de cantonnement sur la donation que lui a consentie son conjoint ? Si oui, comment ?
La faculté de cantonnement sera étudiée en considérant, d'une part, la résidence principale comme un bien commun (II) et, d'autre part, comme un bien propre au défunt (I). Les autres biens immobiliers sont des biens propres du défunt ; les liquidités sont des biens communs du couple ; aucune récompense n'est à déterminer.

La résidence principale est un bien propre du défunt

– Quotité disponible spéciale entre époux. – Le couple s'était consenti réciproquement une donation entre époux alternative de quotités, laquelle oblige le conjoint survivant à opter entre l'une des trois branches prévues à l'article 1094-1 du Code civil, savoir :
  • à hauteur de la totalité en usufruit ( a ) ;
  • à hauteur d'un quart en pleine propriété et des trois autres quarts en usufruit ( b ) ;
  • à hauteur de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété en l'espèce ( c ).
Le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € ;
  • au titre des droits successoraux : la totalité en usufruit de la résidence principale, de l'outil professionnel, de la résidence secondaire, des trois biens locatifs et de la moitié des liquidités.
Le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire et d'un bien locatif. Cela permet à son enfant d'avoir la pleine propriété des deux biens locatifs et de l'outil professionnel sans que ne soit régularisée une donation par le conjoint survivant sur ces biens. Toutefois, le conjoint survivant ne peut pas, avec cette option, avoir la totalité en pleine propriété de la résidence principale ; il n'en aura que l'usufruit.
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
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Schéma représentant les biens immobiliers : tous propres du défunt  lorsque le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
Le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € ;
  • au titre des droits successoraux : un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de la résidence principale (800 000,00 €), de l'outil professionnel (1 500 000,00 €), de la résidence secondaire (600 000,00 €), des trois biens locatifs (600 000,00 €) et de la moitié des liquidités (500 000,00 €) ; soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de 4 000 000,00 € ; soit 1 000 000,00 € en pleine propriété et 3 000 000,00 € en usufruit.
Comme souhaité, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire (600 000,00 €) et d'un bien locatif (200 000,00 €), ainsi que sur la pleine propriété de la résidence principale (800 000,00 €).
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple  lorsque le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
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Schéma représentant les biens immobiliers : tous propres du défunt lorsque le conjoint survivant opte pour un quart en pleine proriété et trois quarts en usufruit
Le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € ;
  • au titre des droits successoraux : la moitié en pleine propriété de la résidence principale (800 000,00 €), de l'outil professionnel (1 500 000,00 €), de la résidence secondaire (600 000,00 €), des trois biens locatifs (600 000,00 €) et de la moitié des liquidités (500 000,00 €) ; soit la moitié en pleine propriété de 4 000 000,00 € ; soit 2 000 000,00 € en pleine propriété.
Comme souhaité, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire (600 000,00 €) et d'un bien locatif (200 000,00 €), ainsi que sur la pleine propriété de la résidence principale (800 000,00 €).
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple  lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété
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Schéma représentant les biens immobiliers : tous propres du défunt  lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété

La résidence principale est un bien commun

Le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € et la moitié de la résidence principale ;
  • au titre des droits successoraux : la moitié en usufruit de la résidence principale et la totalité en usufruit de l'outil professionnel, de la résidence secondaire, des trois biens locatifs et de la moitié des liquidités.
Le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire et d'un bien locatif. Cela permet à son enfant d'avoir la pleine propriété des deux biens locatifs et de l'outil professionnel sans que ne soit régularisée une donation par le conjoint survivant sur ces biens. Toutefois, le conjoint survivant ne peut pas, avec cette option, avoir la totalité en pleine propriété de la résidence principale ; il n'en aura que la moitié en pleine propriété et la moitié en usufruit.
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
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Schéma représentant les biens immobiliers propres du défunt lorsque le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
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Schéma représentant les biens immobiliers communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour l'usufruit de la totalité des biens
Le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € et la moitié de la résidence principale ;
  • au titre des droits successoraux : un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de la moitié de la résidence principale (400 000,00 €), de l'outil professionnel (1 500 000,00 €), de la résidence secondaire (600 000,00 €), des trois biens locatifs (600 000,00 €) et de la moitié des liquidités (500 000,00 €) ; soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de 3 600 000,00 € ; soit 900 000,00 € en pleine propriété et 2 700 000,00 € en usufruit.
Comme souhaité, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire (600 000,00 €) et d'un bien locatif (200 000,00 €), ainsi que sur la pleine propriété de la résidence principale (800 000,00 €).
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple lorsque le conjoint opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
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Schéma représentant les biens immobiliers propres du défunt lorsque le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
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Schéma représentant les biens immobiliers communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
Le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété
– En discours. – Aux termes de cette option, le conjoint survivant reçoit :
  • au titre des régimes matrimoniaux : la moitié des liquidités pour 500 000,00 € et la moitié de la résidence principale ;
  • au titre des droits successoraux : la moitié en pleine propriété de la moitié de la résidence principale (400 000,00 €), de l'outil professionnel (1 500 000,00 €), de la résidence secondaire (600 000,00 €), des trois biens locatifs (600 000,00 €) et de la moitié des liquidités (500 000,00 €) ; soit la moitié en pleine propriété de 3 600 000,00 € ; soit 1 800 000,00 € en pleine propriété.
Comme souhaité, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur l'usufruit de la résidence secondaire (600 000,00 €) et d'un bien locatif (200 000,00 €), ainsi que sur la pleine propriété de la résidence principale (800 000,00 €).
– En schéma.
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Schéma représentant les liquidités : biens communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété
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Schéma représentant les biens immobiliers propres du défunt lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moitié en pleine propriété
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Schéma représentant les biens immobiliers communs du couple lorsque le conjoint survivant opte pour la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, soit la moiitié en pleine propriété
– Conclusion. – Que la résidence principale constitue un bien propre ou un bien commun, avec l'option un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit ou l'option de la quotité disponible ordinaire, le conjoint survivant parvient à ses fins en exerçant la faculté de cantonnement. Néanmoins, il apparaît qu'au cas présent, le patrimoine du couple permet de réunir toutes les conditions pour que cela fonctionne et que les vœux du conjoint survivant soient exaucés ; malheureusement, ce ne sera pas le cas de tous les époux.
La faculté de cantonnement permise suite à une donation entre époux de biens à venir offre la possibilité pour le conjoint survivant de réduire son émolument, éventuellement d'éviter une donation par le conjoint survivant aux descendants communs ; mais pas avec tous les patrimoines. L'aléa sur la consistance du patrimoine au jour du décès empêche toute anticipation successorale au regard de la faculté de cantonnement mise en œuvre sur une libéralité entre époux. En conséquence, les avantages matrimoniaux devraient mieux convenir aux époux qui ont de tels objectifs de leur vivant, ainsi qu'il sera démontré dans la section suivante.

Existence de donations entre vifs

– Le conjoint survivant opte pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, puis cantonnement sur la résidence principale. – Reprenons un exemple plus succinct. De son vivant, le défunt a consenti au bénéfice de son enfant unique commun une donation de son outil de travail estimé à 1 200 000,00 €. Au jour du décès, les biens existants ne valent cette fois que 400 000,00 € : une résidence principale en bien propre pour 300 000,00 € et 200 000,00 € de liquidités en biens communs, donc 100 000,00 € pour le défunt.
Il est nécessaire de composer la masse de calcul comme suit : aux biens existants (400 000,00 €), il convient de réunir fictivement les donations entre vifs (1 200 000,00 €).
Sur le total de 1 600 000,00 €, le conjoint survivant peut prétendre à un quart en propriété (400 000,00 €) et trois quarts en usufruit. Sauf que son usufruit ne saurait s'exercer sur les libéralités entre vifs ; ses droits représentent donc tous les biens existants en propriété. Le conjoint survivant recevra l'ensemble des biens héréditaire sans partage : résidence principale et liquidités.
– Faculté de cantonnement. – Sur la base de ce même exemple, si le conjoint survivant ne souhaite pas conserver l'intégralité des biens existants mais uniquement la résidence principale, il peut recourir à la faculté de cantonnement avec deux possibilités.
Soit le conjoint survivant cantonne son émolument sur une partie des biens, notamment sur la résidence principale en pleine propriété dans le cas d'espèce.
Soit le conjoint survivant cantonne son émolument sur les biens existants de la succession. Et dans ce cas, il aura droit à un quart en propriété et trois quarts en usufruit de 400 000,00 € ; il ne pourra prétendre à la totalité en pleine propriété de la résidence principale.