Les dispositifs statutaires

Les dispositifs statutaires

Comme nous l'avons vu lors de l'étude des clauses des pactes extrastatutaires, un certain nombre de dispositions pourront trouver leur place soit dans un tel pacte, soit directement dans les statuts, le choix étant bien souvent guidé par des préoccupations de confidentialité.
En dehors des mentions obligatoires, les statuts vont pouvoir contenir des dispositions en matière de droits politiques, économiques et financiers, notamment au travers des actions de préférence (V. supra, no ), mais aussi en matière de contrôle des organes de gestion et de décision (Sous-section I) et de contrôle de la géographie du capital (Sous-section II).

Un contrôle des organes de gestion et de décision

– Le contrôle des organes de la société. – S'il est bien un domaine qui relève des statuts, c'est le contrôle des organes de la société.
L'objet social, tout d'abord, va donner une image de l'étendue des engagements possibles de la société. Rappelons qu'une société sera engagée par les actes accomplis par son dirigeant dès lors qu'ils rentrent dans l'objet social, quand bien même les statuts contiendraient des clauses limitatives des pouvoirs du dirigeant.
Les statuts vont également organiser les modalités de nomination, de renouvellement ou de révocation des organes de direction. Les statuts vont donc déterminer les personnes habilitées à engager la société.
Très souvent, en présence d'un investisseur minoritaire, celui-ci voudra avoir un certain contrôle sur le processus de nomination des membres du conseil de surveillance ou des administrateurs. Il pourra donc être prévu dans les statuts que parmi les membres devront figurer des actionnaires détenant des actions de la catégorie de celles souscrites par l'investisseur.
De la même façon, les actions détenues par l'investisseur pourront lui donner un droit d'opposition sur certaines décisions.
En matière de quorum, dans certains cas, celui-ci pourra être renforcé, tout en prenant garde de ne pas aboutir à une situation de blocage.
Pour ce qui concerne les majorités, en fonction de la forme sociale retenue, des rigidités pourront empêcher des aménagements.

Organiser les règles de gouvernance en cas d’incapacité ou de décès

Très souvent, il sera négligé, lors de la création de statuts, de s'intéresser aux conséquences d'une incapacité ou d'un décès d'un dirigeant. Or, le rôle du notaire en la matière peut être primordial.
En matière d'incapacité, l'article 1160 du Code civil dispose que : « Les pouvoirs du représentant cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction ».
Plus spécifiquement :
  • pour les sociétés civiles, l'article 1846 a été complété d'un alinéa qui dispose que : « Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d'un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants » ;
  • pour les SARL, l'article L. 223-27 du Code de commerce a été complété de la façon suivante : « Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant ou si le gérant unique est placé en tutelle, le commissaire aux comptes ou tout associé convoque l'assemblée des associés à seule fin de procéder, le cas échéant, à la révocation du gérant unique et, dans tous les cas, à la désignation d'un ou de plusieurs gérants » ;
  • enfin, pour la SA, plusieurs articles du Code de commerce traitent de la question :
Ces dispositions légales interpellent et posent plusieurs questions :
  • À partir de quand la démission est-elle actée ?
  • Rien n'est prévu sur le remplacement des personnes démissionnaires ?
  • Quelles sont les conséquences en matière de couverture sociale, de retraite, de rémunération ?
  • Rien n'est prévu en cas de curatelle, d'habilitation familiale ou de déclenchement d'un mandat de protection future ?
Au regard de cette analyse, nous ne pouvons donc que conseiller une anticipation pour éviter de se retrouver dans une impasse tant pour la société que pour le dirigeant.
Toutes les formes sociales permettent d'anticiper le décès ou l'incapacité du dirigeant en prévoyant d'ores et déjà des modalités de nomination d'un nouveau dirigeant.
C'est ainsi qu'il pourra être prévu dans les statuts que la société a la possibilité de nommer un gérant successif (en cas de décès du gérant actuel) ou substitutif (les pouvoirs du gérant incapable étant suspendus le temps de son incapacité qui aura été définie) et de prévoir d'ores et déjà une assemblée générale qui acte cette nomination. Bien entendu, l'entrée en fonction de ce dirigeant successif/substitutif n'interviendra qu'à partir du moment où l'événement s'est produit.
Il peut aussi être envisagé de confier la nomination du nouveau dirigeant à un comité ad hoc préalablement constitué.
En la matière, le notaire aura toute latitude pour déployer son ingénierie afin de proposer les orientations qui sembleront les plus appropriées au contexte donné.

Un contrôle de la géographie du capital

La géographie du capital pourra être organisée dans les statuts sous différentes formes.
– La clause d'agrément. – Tout d'abord il s'agira de la classique clause d'agrément qui empêche un associé de céder ses titres à un tiers que la société n'a pas agréé, à charge pour elle de faire acquérir ces titres par quelqu'un d'autre ou de les acquérir elle-même.
Elle devra être rédigée avec une grande attention afin de bien définir les personnes visées par celle-ci sachant que, pour les sociétés anonymes, la nouvelle rédaction de l'article L. 228-23 du Code de commerce autorise depuis 2004 les clauses d'agrément même pour les cessions d'actions entre actionnaires.
– La clause de préemption. – Cette clause, qui va permettre à tous les actionnaires ou à certains d'entre eux d'acheter par priorité les actions dont la cession est envisagée par l'un d'entre eux, a été reconnue valable par un arrêt de la cour d'appel de Paris.
Cette clause peut s'appliquer à toutes les cessions, y compris entre actionnaires. Elle peut également ne s'appliquer qu'à certains actionnaires.
– La clause d'exclusion forcée . – Comme nous l'avons fait pour la partie consacrée aux pactes extrastatutaires, nous allons conclure la partie consacrée aux règles statutaires par la clause d'exclusion forcée.
Si nous avons vu qu'une telle clause, incluse dans un pacte extrastatutaire, peut interroger, il faut maintenant étudier la portée de cette clause lorsqu'elle est incluse dans les statuts.
– Une reconnaissance jurisprudentielle. – Si la validité d'une clause d'exclusion contenue dans les statuts a été débattue en doctrine, elle a été reconnue valable par la jurisprudence. Cette position se justifie par le fait que l'associé sait dès l'origine qu'il s'expose à une exclusion dans certaines hypothèses. En revanche, l'insertion d'une clause d'exclusion en cours de vie sociale est plus délicate. Pour le moins, ne faut-il l'admettre que dans l'hypothèse où elle a été votée à l'unanimité des associés.
Depuis, la jurisprudence a eu l'occasion de se prononcer à de nombreuses reprises sur cette clause. Trois arrêts de la Cour de cassation ont été rendus en octobre et novembre 2018 à propos de l'application de la clause d'exclusion.
– L'associé exclu peut être exclu du vote. – Dans la première affaire, nous étions en présence d'une société civile dans laquelle il était stipulé que « lorsque la société comprend au moins trois associés, l'assemblée générale, statuant à l'unanimité moins les voix de l'associé mis en cause, peut, sur proposition d'un associé, exclure tout membre de la société » pour divers motifs énumérés.
Un associé demande l'annulation de son exclusion, prononcée par application de cette clause, dont il prétend qu'elle serait contraire aux dispositions impératives du Code civil selon lesquelles, nonobstant toute disposition contraire des statuts, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.
La Cour de cassation rejette la demande de l'associé exclu au motif que la clause ne contrevient pas aux dispositions du Code civil dans la mesure où l'associé exclu a été convoqué à l'assemblée générale et a pu prendre part au vote.
– La procédure d'exclusion doit être appliquée. – Dans la deuxième affaire, une clause des statuts d'une société civile stipulait qu'un associé peut être exclu par l'assemblée générale « statuant à l'unanimité des voix moins celles de l'associé mis en cause ».
Menacé d'exclusion, un associé de cette société saisit le juge des référés pour être autorisé à prendre part à la décision de l'assemblée générale et demande que soit déclarée non valable toute décision prise sans sa participation qui aboutirait à son exclusion.
Le juge des référés valide la demande de l'associé mais la Cour de cassation, saisie du litige, casse pour le motif suivant : même pour prévenir un dommage imminent, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'ordonner que l'assemblée générale des associés prenne ses décisions selon des modalités différentes de celles fixées par les statuts, seraient-elles illicites.
Par sa généralité, cet arrêt a vocation à s'appliquer à l'ensemble des sociétés, civiles et commerciales.
– Un motif grave. – Dans la troisième et dernière affaire, les statuts d'une société civile à capital variable donnaient à l'assemblée générale le droit de décider l'exclusion d'un associé pour tout motif souverainement apprécié par elle.
Une délibération d'associé a décidé d'exclure un associé, lequel a contesté cette décision sur le fondement d'une absence de motif grave.
La Cour de cassation a donné droit à l'arrêt de la cour d'appel en considérant l'exclusion comme abusive dans la mesure où il n'existait aucun motif grave justifiant l'exclusion de l'associé.
– Synthèse. – Pour être reconnue valable, une clause d'exclusion forcée doit préalablement définir les hypothèses et les modalités dans lesquelles l'exclusion s'opérera. Les motifs justifiant une exclusion doivent être objectifs et légitimes afin de parer à tout arbitraire. Il pourra s'agir de la violation d'obligations à la charge de l'associé comme, par exemple, le non-respect des statuts, la transgression d'une obligation de non-concurrence, la perte d'une qualité jugée indispensable, ou encore d'un changement des organes de direction d'une société actionnaire ou du contrôle. En revanche, l'invocation de motifs vagues, telle la perte de confiance de l'associé ou la commission d'un acte susceptible de nuire aux intérêts de la société, ne saurait être admise, et moins encore une exclusion ad nutum.
Enfin, la clause doit prévoir la procédure d'exclusion et notamment l'entité chargée de la mettre en œuvre. Ce peut être l'organe de direction ou l'assemblée générale, sachant qu'en tout état de cause les droits de la défense de l'associé et le principe du contradictoire devront être respectés. Enfin, l'indemnisation de l'exclusion, c'est-à-dire les modalités de rachat des titres, doit être clairement définie.
– Une reconnaissance légale. – À côté de la consécration par la jurisprudence, la loi envisage aujourd'hui des cas d'exclusion principalement lorsque l'associé a failli à ses obligations. C'est en particulier le cas de la libération des actions, du défaut de conservation de titres au porteur en titre nominatifs, du défaut de présentation des titres à l'échange en cas de fusion, de réduction de capital. Dans le cas d'une entreprise en difficulté, le tribunal peut ordonner la cession des parts ou actions d'un ou de plusieurs dirigeants lorsque la survie de la société l'implique ou en cas de faillite personnelle des intéressés.
– L'exclusion possible en fonction de la forme sociale. – Certaines formes sociales prévoient expressément des hypothèses d'exclusion, comme les sociétés coopératives, les sociétés à capital variable, les sociétés d'exercice libéral, les sociétés européennes n'offrant pas leurs titres au public.
– La clause d'exclusion au sein d'une SAS. – Le législateur a prévu deux hypothèses d'exclusion. La première, résultant de l'article L. 227-16 du Code de commerce, prévoit une faculté générale d'exclusion d'un associé, sans restriction de telle sorte que les statuts en définissent librement le contour. La seconde prévoit une exclusion ciblée tenant au changement de contrôle d'une société associée dont le départ peut être requis pour préserver la stabilité de la société.
– Articulation entre pacte d'associés et clause statutaire. – Le pacte extrastatutaire peut être très utile pour préciser les conditions d'une exclusion que l'on ne souhaiterait pas voir figurer dans les statuts. C'est ainsi qu'un arrêt de cour d'appel a estimé qu'un associé pouvait être valablement exclu d'une société sur le fondement d'une clause d'exclusion incluse dans les statuts et renvoyant aux motifs d'éviction contenus dans un pacte extrastatutaire.