Les acquêts, un patrimoine à part entière : un régime matrimonial à architecturer ?

Les acquêts, un patrimoine à part entière : un régime matrimonial à architecturer ?

– Droit comparé. – Le droit positif étant explicité, intéressons-nous maintenant au droit comparé des régimes mixtes de séparation de biens avec société d'acquêts. Certains régimes matrimoniaux, notamment suisse et québécois, prévoient que les acquêts constituent un patrimoine distinct des biens propres des époux.
L'idée serait de s'inspirer de cette analyse afin de rendre ce régime matrimonial mixte plus compétitif dans le panorama français. Certains aménagements s'avéreront alors indispensables et seront préconisés aux notaires dans le cadre de la rédaction des contrats de mariage contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts. Surtout, il reviendra au législateur contemporain d'intervenir, peut-être…
– Force des conceptions helvétique et québécoise. – Les modèles suisse et québécois (§ I) devraient pouvoir inspirer le législateur contemporain afin de créer un régime matrimonial mixte qui convienne mieux aux concitoyens français, et aux termes duquel l'ingénierie notariale pourrait pleinement s'exprimer, notamment par la possibilité d'aménagements.
Tous deux reposent sur l'existence d'un patrimoine représentant les acquêts de chaque époux, à côté de celui constitué de ses biens propres. N'est-ce pas notre régime de laséparation de biens avec société d'acquêts qui s'en dégage (§ II) ? Finalement, n'est-ce pas sur ce régime mixte que le législateur devrait intervenir ?

À l'image de la Suisse et du Québec…

– Régimes légaux. – Les régimes légaux de la Suisse (A) et du Québec (B), peu importe leur appellation (respectivement, participation aux acquêts et société d'acquêts), sont des régimes matrimoniaux aux termes desquels il existe quatre patrimoines distincts, dont ceux des acquêts et ceux des biens personnels de chaque époux.
Ces deux inspirations éventuelles méritent des développements tant avec des explications littérales qu'avec des schémas explicatifs.

Régime ordinaire suisse : la participation aux acquêts

– Principe. – Adopté par la loi du 5 octobre 1984 et entré en vigueur après référendum populaire favorable du 22 septembre 1985, le régime ordinaire (légal) suisse de la participation aux acquêts a remplacé celui de l'union de biens.
– Masses de biens en discours. – Dans le patrimoine de chaque époux, ses acquêts diffèrent de ses propres. Le régime de la participation aux acquêts suisse distingue deux types de biens pour chaque époux, donc quatre masses de biens.
D'une part, les biens propres sont les biens que chaque époux possédait avant le mariage (effets personnels, épargne, bijoux, terrain, bien immobilier, etc.) ou qu'il reçoit personnellement pendant le mariage à titre gratuit (héritage ou donation par exemple) ; le produit de la vente d'un bien propre reste un bien propre. À côté des biens propres qui le sont de plein droit, il peut y avoir, par l'effet d'un contrat de mariage, des biens propres conventionnels.
D'autre part, les acquêts représentent l'ensemble des biens acquis par chacun des deux époux pendant le mariage. Ils sont de plusieurs natures : le revenu professionnel et tout ce qui en découle (assurances sociales ou épargne par exemple), les biens matériels (mobilier, véhicule, objets divers) achetés avec le revenu professionnel, et les revenus des biens propres (loyers reçus de la location d'un bien propre). Chaque époux conserve la pleine propriété de ses acquêts.
– Masses de biens en schéma.
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Schéma représentant le régime orginaire suisse
– Liquidation du régime. – Afin de procéder à la liquidation du régime matrimonial, il convient d'inventorier quatre masses de biens distinctes : les biens propres d'un époux, les biens propres de l'autre époux, les acquêts d'un époux et les acquêts de l'autre époux. Ensuite, chaque époux reprend ses biens propres (y compris leur éventuelle plus-value). Quant aux acquêts, s'ils sont bénéficiaires les époux se les répartissent par parts égales. En revanche, si les acquêts d'un des époux sont déficitaires, seul l'époux concerné assume sa dette, sans que celle-ci passe à son conjoint.
– Aménagements du régime. – Les époux peuvent, tout en restant soumis au régime de la participation aux acquêts, apporter à celui-ci certaines modifications, indiquées (et limitées) par la loi. Ces modifications doivent faire l'objet d'un contrat de mariage notarié. Les époux peuvent notamment prévoir que, lors de la liquidation du régime matrimonial, le bénéfice des acquêts sera réparti dans une proportion autre que celle prévue par la loi ; dans la mesure où le couple n'a que des enfants communs, il peut même aller jusqu'à attribuer la totalité des acquêts au conjoint survivant. En outre, les époux peuvent décider que, contrairement à la présomption légale, les revenus des biens propres ne constitueront pas des acquêts mais resteront des biens propres, ou encore convenir que l'entreprise d'un des conjoints fera partie de ses biens propres. En revanche, le revenu que le conjoint propriétaire retirera de son entreprise (bien propre) constituera toujours des acquêts.

Régime légal québécois : la société d'acquêts

– Principe. – Sous le nom de « société d'acquêts » et prévu aux articles 480 à 524 du Code civil du Québec, le nouveau régime légal est empreint de séparatisme.
– Masses de biens en discours. – Dans le patrimoine de chaque époux, ses biens propres diffèrent de ses biens acquêts. Chacun des époux a la gestion de ses biens propres et de ses acquêts. Le régime de la société d'acquêts québécois distingue ainsi deux types de biens pour chaque époux, donc quatre masses de biens.
D'une part, chaque époux détient ses biens propres. Au sens de l'article 450 du Code civil québécois « [s]ont propres à chacun des époux :
  • Les biens dont il a la propriété ou la possession au début du régime ;
  • Les biens qui lui échoient au cours du régime, par succession ou donation et, si le testateur ou le donateur l'a stipulé, les fruits et revenus qui en proviennent ;
  • Les biens qu'il acquiert en remplacement d'un propre de même que les indemnités d'assurance qui s'y rattachent ;
  • Les droits ou avantages qui lui échoient à titre de titulaire subrogé ou à titre de bénéficiaire déterminé d'un contrat ou d'un régime de retraite, d'une autre rente ou d'une assurance de personnes ;
  • Ses vêtements et ses papiers personnels, ses alliances, ses décorations et ses diplômes ;
  • Les instruments de travail nécessaires à sa profession, sauf récompense s'il y a lieu ».
Chaque conjoint supporte également ses propres dettes.
D'autre part, les acquêts de chaque époux comprennent tous les biens non déclarés propres par la loi et, notamment, le produit de son travail au cours du régime et les fruits et revenus échus ou perçus au cours du régime, provenant de tous ses biens, propres ou acquêts.
La plus-value acquise par un bien ne doit pas être assimilée à des fruits et revenus ; il s'agit de capital qui suivra la qualification du bien auquel il se rattache.
Souhaitant favoriser le partage, le législateur établit une présomption d'acquêts.
– Masses de biens en schéma.
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Schéma représentant le régime légal québécois
– Liquidation du régime. – Au jour de la dissolution du mariage, il convient de déterminer un droit de créance sur les acquêts. Chaque époux a une option en cas de divorce : il peut accepter ou renoncer au partage des acquêts de son conjoint. En cas d'acceptation, le partage par moitié des acquêts s'opère en nature, à moins que le titulaire du patrimoine ne préfère en tout ou en partie désintéresser son conjoint en valeur.

… un régime idéal…

… à rédiger ?

– Bulle communautaire sur-mesure. – En Suisse et au Québec, comme en France, dans le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts, le contenu de cette bulle communautaire est primordial.
En droit positif français, plusieurs types de société d'acquêts coexistent ; finalement, ce qui diffère considérablement, c'est la composition de ce patrimoine. Certains privilégient la quantité en communautarisant des flux de revenus, tandis que d'autres privilégient la qualité en ne communautarisant qu'un bien particulier.
Des débats doctrinaux ont, fatalement, surgi à l'égard de ce régime non codifié ; ceux-ci sont nés, d'une part, de cette confusion entre des acquêts en quantité ou en qualité, et d'autre part, dans les lacunes rédactionnelles des contrats. Effectivement, ce régime mixte « suppose un contrat de mariage parfaitement rédigé afin de savoir exactement ce qui entre ou non dans la masse commune. À défaut, le risque évident est celui d'un contentieux de qualification, surtout en cas de divorce, un époux cherchant à tirer avantage de la qualification de bien commun, alors que l'autre opposera la qualification de bien personnel ».
– Question ouverte : une logique à inverser ? – Dans les régimes étrangers susvisés, les acquêts sont parfois tous les biens non déclarés propres par la loi. Les acquêts peuvent donc être déterminés négativement, contrairement à ce qui existe généralement dans les contrats français de séparation de biens avec société d'acquêts.
Classiquement, en France, dans les contrats de mariage contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts, on définit « les acquêts ». Pour autant, ne serait-il pas plus opportun de définir les biens personnels à chaque époux, plutôt que les biens qui composent la société d'acquêts ? La question est ouverte suite à cette distinction majeure entre notre régime de séparation de biens avec société d'acquêts et ceux des autres pays analysés ci-avant.
– Ingénierie notariale. – La liberté dans la composition de cette société d'acquêts a été affirmée par une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2003 en ces termes : « la Cour d'appel a décidé à bon droit que les époux ayant adopté le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts peuvent convenir de clauses relatives à la consistance de la masse commune ». Au demeurant, il est essentiel de déterminer, dans le contrat des époux, les biens et les ressources qui composent cette société d'acquêts.
Aussi, afin d'accompagner le lecteur dans la rédaction de ce contrat de mariage, les propos qui suivent consisteront à détailler chaque clause qui le compose : quel est le régime matrimonial choisi par les futurs époux (I), quels sont les biens qui composent la société d'acquêts (II), et quelles sont les règles d'administration de la société d'acquêts (III) ?

Quel régime matrimonial ?

Régime adopté – Séparation de biens avec société d'acquêts (1/3)

Les futurs époux adoptent le régime de la SÉPARATION DE BIENS tel qu'il est établi par les articles 1536 à 1543 du Code civil, sauf les modifications résultant du présent acte et spécialement la constitution d'une SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS comprenant les biens et droits ci-après désignés, et tous biens et droits acquis durant le régime en remploi.
EN CONSÉQUENCE, à l'exception des biens compris dans la société d'acquêts ci-après définie, les époux conserveront respectivement la propriété des biens, meubles et immeubles qui leur appartiennent et de ceux qui pourront leur advenir par la suite, à quelque titre que ce soit. Il s'agit des biens personnels des futurs époux.
Chacun d'eux conservera l'administration, la jouissance, et la libre disposition de ses biens personnels. Toutefois, les futurs époux ne pourront l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels sera assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il sera garni.
Les futurs époux ne seront pas tenus des dettes de l'un de l'autre, créées avant ou pendant le mariage, ou grevant les successions et libéralités recueillies par chacun d'eux. Cependant, ils seront solidaires de toute dette contractée par l'un d'eux pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, conformément à l'article 220 du Code civil.

Quels biens dans la société d'acquêts ?

Contenu de la société d'acquêts (2/3)

À ce régime susvisé, les futurs époux conviennent d'adjoindre une société d'acquêts qui sera composée exclusivement des biens et droits mobiliers et immobiliers acquis à compter de ce jour avec leurs gains et salaires ou les revenus des biens propres, savoir :
1o/ Les droits par lesquels sera assuré le logement de la famille, que ces droits consistent, savoir :
  • en une maison d'habitation, ou en un appartement dans un immeuble en copropriété, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits biens et droits dans la société d'acquêts, aux termes d'une déclaration qui devra être insérée dans l'acte authentique d'acquisition ;
  • en des parts ou actions de société immobilière donnant vocation à la jouissance ou à la propriété d'un local d'habitation, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdites parts ou actions dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
2o/ Les meubles meublants et objets mobiliers de quelque nature qu'ils soient, sans exception, qui garniront le logement de la famille.
3o/ Les biens et droits immobiliers acquis à compter de ce jour par les époux en indivision entre eux par égales parts, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits biens dans la société d'acquêts aux termes d'une déclaration qui devra être insérée dans l'acte authentique d'acquisition, ainsi que tous droits dans des sociétés immobilières détenues de la même manière, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdites parts ou actions dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
4o/ Les biens meubles, objets mobiliers et effets personnels se trouvant dans lesdits biens et droits immobiliers ou leur remploi, ainsi que les objets sur lesquels aucun droit de propriété ne serait justifié, quelles que soient leurs valeur et consistance.
5o/ Tous actifs monétaires et financiers détenus par les époux sur tout compte joint ou tout support financier joint.
6o/ Les véhicules automobiles appartenant à l'un et l'autre des époux qu'ils possèdent actuellement ou pourront posséder dans l'avenir, et qui ont été acquis au moyen de deniers déposés sur tout compte joint.
7o/ Tous droits et titres sociaux détenus dans toutes sociétés civiles et/ou commerciales, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits droits et titres sociaux dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
Par ailleurs, la société d'acquêts comprendra passivement toutes les dettes liées aux biens et droits mobiliers et immobiliers dont il est ci-dessus parlé.

Quelles règles d'administration de la société d'acquêts ?

Administration de la société d'acquêts (3/3)

La société d'acquêts est administrée par les deux époux conformément aux dispositions des articles 1421 à 1425 du Code civil.
Chaque époux peut passer seul les actes d'administration et de disposition concernant les biens de la société d'acquêts, sous réserve de l'application des dispositions prévues par les articles 1422 à 1425 du Code civil.

… à codifier ?

– Une rédaction admise ? – Et malheureusement, en l'état du droit positif, une telle rédaction reste particulièrement controversée. L'ingénierie notariale est bringuebalante sur cette thématique. Faut-il rédiger des contrats de mariage de la sorte avec un tel régime matrimonial sans loi ? En l'état actuel, cela revient à bâtir un château sur du sable mouvant. Qui s'y risquera ?
Dès lors, faut-il soumettre au législateur une proposition tenant à sécuriser les contrats de mariage ou les changements de régimes matrimoniaux contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts ? L'objectif consisterait à obtenir un socle juridique solide afin de consolider l'ingénierie notariale propre à ce régime matrimonial attractif pour les concitoyens.
Si cette codification devait intervenir, il convient de rester vigilant à ce qu'un tel régime matrimonial conserve un vaste espace de liberté pour les parties et la pratique notariale.

Codifier un régime matrimonial attractif

Codifier le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts.