– Sentiment de paradoxe. – « La société d'acquêts a toujours été entourée de mystère. Sa fonction même est essentiellement paradoxale, puisqu'elle consiste à contredire l'individualisme essentiel de la séparation de biens par l'introduction dans ce régime matrimonial d'une communauté de biens façonnée par la volonté des époux. Elle réalise, en somme, le mariage de la carpe et du lapin ». À l'inverse du paradoxe souligné par S. Gaudemet pour la participation aux acquêts, mais dans une même logique, le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts semble osciller entre le discours d'une doctrine majoritaire réticente (§ I) et la réalité d'un régime plutôt séduisant pour les concitoyens (§ II).
La séparation de biens avec société d'acquêts
La séparation de biens avec société d'acquêts
Un second régime matrimonial paradoxal
En théorie, l'échec de ce régime mixte ?
En théorie, l'échec de ce régime mixte
– Échec de longue date. – L'histoire nous apprend tout d'abord que l'origine de ce régime matrimonial de séparation de biens avec société d'acquêts est floue (A), puis qu'il a été totalement écarté par le législateur, celui-ci se refusant à le reconnaître comme régime conventionnel (B).
Afin de prendre la mesure de la situation, et plutôt que de paraphraser d'illustres auteurs, il sera reproduit ci-après plusieurs de leurs propos.
Origine floue de la société d'acquêts
– Propos de M. Clermon et P. Cenac. – « On trouve, dès le XII
e siècle, ses premières applications dans le sud de la France ! Mais c'est seulement au XIV
e siècle que la pratique notariale l'a réellement consacrée. En effet, sous l'empire du Code civil de 1804 et en s'inspirant de son article 1581, relatif au régime dotal avec société d'acquêts, la pratique notariale avait forgé la société d'acquêts, au profit des futurs époux désireux de concilier indépendance des époux et communauté d'intérêts ».
– Propos de C. Brenner et B. Savouré. – « L'origine historique de la société d'acquêts demeure assez obscure. Elle serait née de la pratique des pays du Sud-Ouest dans l'Ancien droit. En tout cas, la technique fut consacrée par le Code Napoléon dans le régime dotal [au sein de son article 1581], puis étendue par la pratique au régime de la séparation de biens avec l'aval de la jurisprudence (V. C. Frelon, Le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts : Rev. not. enreg. 1932, art. 24273. – P. Déprez, Société d'acquêts ou participation aux acquêts sous un régime de séparation de biens, thèse, Lille, 1950 ; cf. Cass. req., 25 janv. 1904 : DP 1904, 1, 105). De fait, elle fut, à ce qu'il paraît, assez pratiquée avant 1965, parce qu'elle permettrait alors d'éviter le droit de jouissance de la communauté sur les propres des époux : seuls les revenus économisés entraient en communauté et la femme mariée conservait ainsi la libre gestion de ses biens personnels sans perdre le bénéfice de la communauté.
Mais deux conceptions de la société d'acquêts s'opposaient alors. Dans une première conception, défendue notamment par Boulanger, les revenus perçus entraient en société, de sorte que le mari pouvait contraindre sa femme à verser à la masse commune les économies faites sur ses revenus (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil, t. 9, 2e éd., par J. Boulanger, no 1215, 1o). Dans une autre analyse, soutenue notamment par Fréjaville, la femme aurait conservé jusqu'à la dissolution du régime l'entière maîtrise de ses économies et biens acquis à leur moyen (ce serait des biens personnels), leur intégration à la masse ne devant se faire que dans le partage (Fréjaville, Les répercussions de la capacité de la femme sur le régime de séparation de biens avec société d'acquêts : JCP 1944, I, 397, no 4). En somme, dans cette seconde conception, la séparation de biens avec société d'acquêts aurait joué en nature le rôle actuellement dévolu au régime de la participation aux acquêts. À l'époque, la Cour de cassation avait tranché la question par interprétation de volonté, ce qui interdisait de poser en principe une solution (Cass. req., 17 nov. 1890 : DP 1891, 1, 477 [régime dotal]. – Cass. civ., 9 févr. 1897 : DP 1897, 1, 147 [idem].
(…) Plus généralement, on a pronostiqué le déclin de la société d'acquêts avec les réformes intervenues. En effet, a-t-il souvent été remarqué, la communauté légale assure aujourd'hui un juste équilibre entre l'indépendance des époux et la protection du conjoint pour ceux qui n'ont pas d'activité professionnelle risquée et, pour les autres, la participation aux acquêts est apte à concilier a posteriori les mêmes objectifs ».
Éviction par le législateur de la séparation de biens avec société d'acquêts comme régime conventionnel
– Propos de Cornu. – « Autrefois prévue comme une modalité du régime dotal, cette stipulation n'a plus aujourd'hui de support dans aucun texte. Mais elle n'est pas interdite. La séparation de biens avec société d'acquêts était simplement trop proche de la nouvelle communauté légale pour mériter dans la loi une mention expresse comme modalité conventionnelle ».
– Propos des rédacteurs du
Journal des notaires et des avocats
. – « Certains contrats de mariage établis antérieurement à la réforme comportent l'adjonction d'une société d'acquêts.
Cette clause n'a pas été prévue par la loi du 13 juillet 1965, mais la correction conventionnelle du régime de la séparation de biens par l'adjonction d'une société d'acquêts reste cependant possible en vertu du principe de la liberté des conventions matrimoniales, cependant on ne saurait la conseiller, en raison des difficultés qu'elle engendre et parce que les époux obtiendront le même résultat en adoptant le régime légal ».
– Propos de F. Collard. – « D'apparence contradictoire, la société d'acquêts correspond à des époux qui souhaitent tout à la fois les avantages du régime de séparation de biens et de la communauté mais sans leurs contrariétés. Avant la loi du 13 juillet 1965, parachevée par celle du 23 décembre 1985, la société d'acquêts permettait d'octroyer une indépendance patrimoniale aux époux tout en associant l'épouse à la prospérité du mari ; et ce, sur un même pied d'égalité. Si sa similitude avec le régime légal actuel, a conduit le législateur à ne pas consacrer ce régime dans le Code civil, le principe de liberté des conventions matrimoniales posé à l'article 1387 du Code civil permet d'adopter ce régime composite ».
– Propos de M. Clermon et P. Cenac. – « Sans être alors consacré par les réformes de 1965 et de 1985, [ce régime matrimonial] a connu un certain déclin trouvant difficilement sa place entre le nouveau régime légal de communauté réduite aux acquêts et celui de la participation aux acquêts.
En effet, dans son utilisation traditionnelle, le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts, que l'on appellera « quantitative », il s'agissait davantage de communautariser des flux de revenus : « Les futurs époux adoptent pour base de leur union le régime de la séparation de biens tel qu'il est établi par les articles 1536 et suivants. Par exception, les revenus des époux provenant soit de l'exercice d'une profession soit de leurs biens personnels serviront à supporter les charges du mariage. L'excédent de ces revenus appartiendra à la société d'acquêts que les futurs époux constituent entre eux et qui sera régie et liquidée conformément aux articles 1400 et suivants… ». Or, le nouveau régime légal, supplantant le régime de la communauté de biens meubles et acquêts, s'est fortement inspiré par ce régime hybride. La loi de 1965 ne l'ayant même pas prévu comme régime conventionnel, le notariat l'a naturellement délaissé.
Toutefois, ce régime a retrouvé récemment un certain écho en doctrine (Proposition du 75e et du 84e Congrès des notaires. J.-F. Pillebout a notamment proposé quelques formules, Société d'acquêts limitée au logement familial : JCP N 1998, p. 1214), dans une variante plus « qualitative ». (…) En toute hypothèse, la discussion naît le plus souvent d'une part de cette confusion entre société d'acquêts « quantitative » et « qualitative » et d'autre part dans les lacunes rédactionnelles des contrats dans ce régime sans loi. Sur ce dernier point, il est clair « la séparation de biens avec société d'acquêts suppose un contrat de mariage parfaitement rédigé afin de savoir exactement ce qui entre ou non dans la masse commune. À défaut, le risque évident est celui d'un contentieux de qualification, surtout en cas de divorce, un époux cherchant à tirer avantage de la qualification de bien commun, alors que l'autre opposera la qualification de bien personnel (comp. J.-L. Fillette, À propos des récentes tentatives de résurrection de la séparation de biens avec société d'acquêts : Defrénois 1996, art. 36369, étude critique) » ».
En pratique, le succès de ce régime mixte ?
– Question. – Pour reprendre une célèbre maxime, un schéma (B) vaut-il mieux qu'un long discours (A) ?
Des discours pour illustrer ce mécanisme juridique : une nécessaire rigueur rédactionnelle
– Propos de F. Collard. – « La société d'acquêts a une philosophie bien différente du régime de communauté et répond pleinement aux aspirations contemporaines des époux. Elle n'a pas vocation à être alimentée, mais seulement à assouplir le double absolutisme que représente la séparation pure et simple en favorisant uniquement l'enrichissement et le renouvellement des biens personnels (R. Savatier, La séparation de biens en droit français, Dalloz-Defrénois, 1973, no 10. – B. Beignier, Séparation de biens avec société d'acquêts : la solution québécoise : Dr. famille 1997, chron. 1) et le régime communautaire (V. not. B. Beignier, préc. note 7. – R. Brochard, Le renouveau du régime de séparation de biens avec société d'acquêts : Brochure Cridon Ouest 1998. – H. Lécuyer et L. Taudin, Utilité, opportunité et actualité de la séparation de biens avec société d'acquêts : Rev. Lamy dr. civ. 2004, 4, no 43. – Ch. Le Martret, La société d'acquêts à objet restreint : un régime « sur mesure » à redécouvrir : Bull. Cridon Paris déc. 2013, p. 6. – Dossier spécial publié au Defrénois 2012, p. 1247 et s.) en absorbant tous les biens acquis et créés. Quant au régime de la participation aux acquêts, les complications qu'il induit et les questions toujours en suspens ne favorisent pas son essor, alors que dans le même temps la société d'acquêts apporte une réponse appropriée et sécurisée aux parties (sur ce point, B. Beignier, Manuel de droit des régimes matrimoniaux, PUF, 2003, no 105). Pour autant, l'adoption de ce régime n'est pas sans écueil. La rédaction du contrat ne doit pas souffrir d'incertitudes, d'autant que la Cour de cassation a tendance à lui appliquer les règles du régime de communauté (V. par ex. à propos de l'exigence des formalités de 1434 du Code civil en cas d'emploi ou de remploi, Cass. req., 25 janv. 1904 : S. 1904, 1, 305, note Lyon-Caen ; DP 1904, 1, 105, note Guillouard. – Cass. civ., 5 mai 1905 : DP 1907, 1, 316. – Cass. 1re civ., 15 mai 1974 : Bull. civ. 1974, I, no 148 ; JCP N 1975, II, 17910, obs. A. Ponsard. – Rappr. de la jurisprudence belge, Y.-H. Leleu, Examen de jurisprudence concernant les contrats de mariage : RCJB 1998, no 188, p. 337) même si cela va à l'encontre de son esprit (C. Aubry et C. Rau, préc. note 5, t. VIII, 6e éd., par P. Esmein, § 522, 3o. – Fréjaville, préc. note 6. – Contra, A. Ponsard, préc. note 5, § 532, no 357) à moins que les règles de composition et de fonctionnement y invitent. S'agissant d'un correctif de la séparation de biens, le magistrat doit être invité à lire les clauses sous ce prisme (pour une telle préconisation en droit belge, Ph. de Page, Le régime matrimonial, Bruylant, 2e éd., 2008, p. 335). L'emploi des termes ne doit pas donner lieu à confusion. Toute référence à des notions tirées d'un régime communautaire est à proscrire ; les termes « biens personnels » et « acquêts de société », par exemple, sont préférables. Et tout renvoi global au régime légal ne présenterait aucun intérêt, autant se soumettre directement à un régime de communauté (A. et Ph. Rieg et Fr. Lotz, Technique des régimes matrimoniaux, Litec, 3e éd., 1993, no 98. – G. Champenois et J. Combret, Quelle place pour la société d'acquêts dans les régimes matrimoniaux ? : Defrénois 2012, p. 1247).
Ce contrat sur-mesure oblige donc à tout prévoir. Mais – c'est là tout son attrait – il met en exergue les qualités de rédaction du notaire afin d'être au plus près de la vision que se font les époux de leur couple. Dans la limite de l'ordre public matrimonial (F. Niboyet, L'ordre public matrimonial, préf. J. Revel, LGDJ, t. 494), la liberté insufflée par ce régime autorise le rédacteur à définir la composition et l'administration des masses de biens. C'est aussi l'occasion d'optimiser les règles de liquidation et de partage en s'inspirant (ou non) des autres régimes ».
– Propos de J.-M. Mathieu. – « La liberté des conventions matrimoniales (en France, 16 % des couples établissent un contrat au moment du mariage et 3 % dans les années qui suivent [Source : CSN]) peut permettre de mettre en place un régime original (C. Bitbol, Le choix du régime matrimonial : une liberté encadrée : AJF 2008, p. 72). Dans cette recherche d'un régime optimal l'adjonction d'une société d'acquêts peut être l'une des solutions (pour une étude récente et d'actualité V. 106e Congrès des notaires de France, Bordeaux, 30 mai-2 juin 2010 : rapport p. 474. – V. égal. Débats animés lors de la deuxième commission : JCP N 18 juin 2010, no hors-série, p. 13). (…) La société d'acquêts est le fruit de la pratique notariale, elle n'a d'ailleurs de société que le nom. (…) Cette pratique est très ancienne, elle se retrouve dans les pays septentrionaux, elle est connue sous le nom de clause « bordelaise » (V. Hilaire, Les régimes des biens entre époux dans la région de Montpellier du début du XIII
e siècle à la fin du XVI
e siècle, contribution aux études d'histoire du droit écrit, thèse, Montpellier, 1957, p. 217. – V. aussi, Tessier, Traité de la société d'acquêts, Librairie H. Duthu, 2e éd., 1957. – V. égal. Maurin, De la séparation des biens avec société d'acquêts, thèse, Dijon, imprimerie de l'est, Besançon, 1925). Elle a été développée après le Code civil de 1804 afin d'assurer l'indépendance des époux tout en maintenant une communauté. (…)
Elle a par ailleurs été en partie abandonnée par une partie de la pratique en raison de sa complexité liquidative et de la difficulté de rédaction des clauses (…). Ces arguments ne sont pas pertinents, la société d'acquêts permet de faire un régime équilibré suivant les souhaits des parties, permettant de combiner dans un régime matrimonial les règles du régime de la séparation de biens et les règles du régime de la communauté évitant le système « maximaliste » (« évite ainsi le système maximaliste du régime légal (toute création pendant le mariage constitue un acquêt) tout autant que le système minimaliste du régime de séparation classique (tout enrichissement demeure personnel) » (J. Casey, Les régimes matrimoniaux, Ellipses, no 316-1) du régime légal, tout en combinant le système « minimaliste » du régime de la séparation de biens (auteurs partisans de ce régime : Corpechot, Rapport au 75e Congrès des notaires de France in Le statut matrimonial des Français, t. 1. – J. Leroy, Perspectives sur le devenir du régime de la séparation de biens : RTD civ. 1985, p. 31, spéc. p. 68. – B. Beignier, Manuel du droit des régimes matrimoniaux, PUF, 2003, no 150. – F. Rouvière, Les multiples facettes de la séparation de biens avec société d'acquêts : Defrénois 2006, art. 38413).
La société d'acquêts ne permettrait-elle pas par ailleurs de créer le régime idéal correspondant aux souhaits et à l'intérêt des époux ? Le professeur Beignier, nous dit (Cass. 1re civ., 25 nov. 2003, no 02-12.942 : JurisData no 2003-021056 ; Dr. famille 2004, comm. 8, obs. B. Beignier) que la société d'acquêts est « le régime conventionnel par excellence ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle depuis quelques années ce régime connaît un nouvel engouement (J.-Fr. Pillebout, Formules particulières de contrat de mariage. Une séparation de biens limitée : JCP N 1993, I, p. 141. – R. Brochard, Le renouveau du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts : Bull. Cridon Ouest janv. 1998. – H. Lécuyer et L. Taudin, Utilité, opportunités et actualité de la séparation de biens avec société d'acquêts : Rev. Lamy dr. civ. avr. 2004, p. 43) avec des discussions animées tant en pratique qu'en doctrine (V. tout récemment les débats lors du 106e Congrès des notaires de France et plus spécialement ceux de la deuxième commission). Outre la création d'une masse commune, l'adjonction d'une société d'acquêts est la possibilité de faire porter sur les biens qui y figurent les mêmes clauses qui peuvent être prévues pour un régime de communauté (préciput, partage inégal, règles de liquidation alternatives, etc.), ce qui présente aussi de nombreux intérêts dans le cadre d'un divorce ou d'un décès (V. infra). Ce régime sur mesure permettra de pallier s'agissant de l'outil de travail les conséquences du régime légal en cas de divorce ou de faillite (…).
Cependant l'adjonction d'une société d'acquêts à un régime n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Les difficultés de ce régime ont depuis longtemps (V. Fréjaville, Les répercussions de la capacité de la femme sur le régime de séparation de biens avec société d'acquêts : JCP 1944, I, 397. – Deprez, Société d'acquêts ou participation aux acquêts sous un régime de séparation de biens, thèse, Lille, 1950. – Planiol et Ripert, t. 9, par Boulanger, no 1212. – Beudant et Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 10 bis, par Raynaud, no 967. – Aubry et Rau, t. 8, 7e éd., par Ponsard, no 357) été soulignées (Si le contrat contient des clauses ambiguës il conviendra de l'interpréter, les juges pouvant se fonder sur les termes du contrat et en cas de difficultés sur les circonstances de la cause). Le notaire devra tout d'abord, en véritable « architecte du régime », vérifier la volonté des époux, il devra analyser les conséquences de chaque clause (R. Savatier, Les clauses pouvant aujourd'hui dans le contrat de mariage accompagner le régime de séparation de biens : Defrénois 1973, p. 417) ; qui n'interviendront que beaucoup plus tard lors du fonctionnement du régime ou de sa liquidation (lors d'un divorce ou lors du décès des époux) ».
– Propos de X. Grosjean. – « Les possibilités sont nombreuses. Société d'acquêts à titre universel d'abord qui est conçue largement en excluant uniquement tel ou tel actif de son assiette, comme l'outil professionnel ; société d'acquêts à titre particulier ensuite, laquelle est cantonnée à une catégorie de biens, voire à un bien déterminé, le plus souvent logement de la famille, dans le but d'assurer la protection du survivant ».
Des schémas pour illustrer ce mécanisme juridique : une nécessaire rigueur pédagogique
– Trois masses de biens. – Le mécanisme juridique réside dans le fait de créer un espace de communauté, sans pour autant adopter un régime communautaire, et ainsi permettre aux époux de conserver l'indépendance dans la gestion et l'organisation de leurs patrimoines respectifs. Adjoindre une société d'acquêts génère la création d'un espace de communauté conventionnelle qui doit rester l'accessoire de celui de la séparation de biens.
Cette adjonction d'une société d'acquêts à un régime de séparation de biens crée deux catégories de biens : les biens personnels de chaque époux (patrimoines jaune et bleu du schéma ci-dessous), et certains biens ou catégories de biens qui constitueront des acquêts (patrimoine vert du schéma ci-après).
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– Application distributive des règles des régimes matrimoniaux classiques. – Ce régime matrimonial mixte de la séparation de biens avec société d'acquêts répond à une application distributive des règles de la communauté (pour les biens formant des acquêts – patrimoine vert du schéma ci-dessus) et des règles de la séparation de biens (pour les biens personnels de chaque époux – patrimoines bleu et jaune du schéma ci-dessus).
« L'application distributive des règles de communauté et de séparation permet l'adoption d'un régime « deux en un », équilibré et lisible. (…) Souvent les clients visualisent même son fonctionnement au travers de schémas réalisés par les praticiens isolant entre les époux une « bulle communautaire ». Ajouter au contrat de mariage une clause de reprise en cas de divorce et une clause de préciput ou d'attribution intégrale en cas de décès, le tour est joué : le professionnel est compris, le client… séduit ! ».
Les acquêts, un patrimoine à part entière : un régime matrimonial à architecturer ?
– Droit comparé. – Le droit positif étant explicité, intéressons-nous maintenant au droit comparé des régimes mixtes de séparation de biens avec société d'acquêts. Certains régimes matrimoniaux, notamment suisse et québécois, prévoient que les acquêts constituent un patrimoine distinct des biens propres des époux.
L'idée serait de s'inspirer de cette analyse afin de rendre ce régime matrimonial mixte plus compétitif dans le panorama français. Certains aménagements s'avéreront alors indispensables et seront préconisés aux notaires dans le cadre de la rédaction des contrats de mariage contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts. Surtout, il reviendra au législateur contemporain d'intervenir, peut-être…
– Force des conceptions helvétique et québécoise. – Les modèles suisse et québécois (§ I) devraient pouvoir inspirer le législateur contemporain afin de créer un régime matrimonial mixte qui convienne mieux aux concitoyens français, et aux termes duquel l'ingénierie notariale pourrait pleinement s'exprimer, notamment par la possibilité d'aménagements.
Tous deux reposent sur l'existence d'un patrimoine représentant les acquêts de chaque époux, à côté de celui constitué de ses biens propres. N'est-ce pas notre régime de laséparation de biens avec société d'acquêts qui s'en dégage (§ II) ? Finalement, n'est-ce pas sur ce régime mixte que le législateur devrait intervenir ?
À l'image de la Suisse et du Québec…
– Régimes légaux. – Les régimes légaux de la Suisse (A) et du Québec (B), peu importe leur appellation (respectivement, participation aux acquêts et société d'acquêts), sont des régimes matrimoniaux aux termes desquels il existe quatre patrimoines distincts, dont ceux des acquêts et ceux des biens personnels de chaque époux.
Ces deux inspirations éventuelles méritent des développements tant avec des explications littérales qu'avec des schémas explicatifs.
Régime ordinaire suisse : la participation aux acquêts
– Principe. – Adopté par la loi du 5 octobre 1984 et entré en vigueur après référendum populaire favorable du 22 septembre 1985, le régime ordinaire (légal) suisse de la participation aux acquêts a remplacé celui de l'union de biens.
– Masses de biens en discours. – Dans le patrimoine de chaque époux, ses acquêts diffèrent de ses propres. Le régime de la participation aux acquêts suisse distingue deux types de biens pour chaque époux, donc quatre masses de biens.
D'une part, les biens propres sont les biens que chaque époux possédait avant le mariage (effets personnels, épargne, bijoux, terrain, bien immobilier, etc.) ou qu'il reçoit personnellement pendant le mariage à titre gratuit (héritage ou donation par exemple) ; le produit de la vente d'un bien propre reste un bien propre. À côté des biens propres qui le sont de plein droit, il peut y avoir, par l'effet d'un contrat de mariage, des biens propres conventionnels.
D'autre part, les acquêts représentent l'ensemble des biens acquis par chacun des deux époux pendant le mariage. Ils sont de plusieurs natures : le revenu professionnel et tout ce qui en découle (assurances sociales ou épargne par exemple), les biens matériels (mobilier, véhicule, objets divers) achetés avec le revenu professionnel, et les revenus des biens propres (loyers reçus de la location d'un bien propre). Chaque époux conserve la pleine propriété de ses acquêts.
– Masses de biens en schéma.
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– Liquidation du régime. – Afin de procéder à la liquidation du régime matrimonial, il convient d'inventorier quatre masses de biens distinctes : les biens propres d'un époux, les biens propres de l'autre époux, les acquêts d'un époux et les acquêts de l'autre époux. Ensuite, chaque époux reprend ses biens propres (y compris leur éventuelle plus-value). Quant aux acquêts, s'ils sont bénéficiaires les époux se les répartissent par parts égales. En revanche, si les acquêts d'un des époux sont déficitaires, seul l'époux concerné assume sa dette, sans que celle-ci passe à son conjoint.
– Aménagements du régime. – Les époux peuvent, tout en restant soumis au régime de la participation aux acquêts, apporter à celui-ci certaines modifications, indiquées (et limitées) par la loi. Ces modifications doivent faire l'objet d'un contrat de mariage notarié. Les époux peuvent notamment prévoir que, lors de la liquidation du régime matrimonial, le bénéfice des acquêts sera réparti dans une proportion autre que celle prévue par la loi ; dans la mesure où le couple n'a que des enfants communs, il peut même aller jusqu'à attribuer la totalité des acquêts au conjoint survivant. En outre, les époux peuvent décider que, contrairement à la présomption légale, les revenus des biens propres ne constitueront pas des acquêts mais resteront des biens propres, ou encore convenir que l'entreprise d'un des conjoints fera partie de ses biens propres. En revanche, le revenu que le conjoint propriétaire retirera de son entreprise (bien propre) constituera toujours des acquêts.
Régime légal québécois : la société d'acquêts
– Principe. – Sous le nom de « société d'acquêts » et prévu aux articles 480 à 524 du Code civil du Québec, le nouveau régime légal est empreint de séparatisme.
– Masses de biens en discours. – Dans le patrimoine de chaque époux, ses biens propres diffèrent de ses biens acquêts. Chacun des époux a la gestion de ses biens propres et de ses acquêts. Le régime de la société d'acquêts québécois distingue ainsi deux types de biens pour chaque époux, donc quatre masses de biens.
D'une part, chaque époux détient ses biens propres. Au sens de l'article 450 du Code civil québécois « [s]ont propres à chacun des époux :
- Les biens dont il a la propriété ou la possession au début du régime ;
- Les biens qui lui échoient au cours du régime, par succession ou donation et, si le testateur ou le donateur l'a stipulé, les fruits et revenus qui en proviennent ;
- Les biens qu'il acquiert en remplacement d'un propre de même que les indemnités d'assurance qui s'y rattachent ;
- Les droits ou avantages qui lui échoient à titre de titulaire subrogé ou à titre de bénéficiaire déterminé d'un contrat ou d'un régime de retraite, d'une autre rente ou d'une assurance de personnes ;
- Ses vêtements et ses papiers personnels, ses alliances, ses décorations et ses diplômes ;
- Les instruments de travail nécessaires à sa profession, sauf récompense s'il y a lieu ».
Chaque conjoint supporte également ses propres dettes.
D'autre part, les acquêts de chaque époux comprennent tous les biens non déclarés propres par la loi et, notamment, le produit de son travail au cours du régime et les fruits et revenus échus ou perçus au cours du régime, provenant de tous ses biens, propres ou acquêts.
La plus-value acquise par un bien ne doit pas être assimilée à des fruits et revenus ; il s'agit de capital qui suivra la qualification du bien auquel il se rattache.
Souhaitant favoriser le partage, le législateur établit une présomption d'acquêts.
– Masses de biens en schéma.
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– Liquidation du régime. – Au jour de la dissolution du mariage, il convient de déterminer un droit de créance sur les acquêts. Chaque époux a une option en cas de divorce : il peut accepter ou renoncer au partage des acquêts de son conjoint. En cas d'acceptation, le partage par moitié des acquêts s'opère en nature, à moins que le titulaire du patrimoine ne préfère en tout ou en partie désintéresser son conjoint en valeur.
… un régime idéal…
… à rédiger ?
– Bulle communautaire sur-mesure. – En Suisse et au Québec, comme en France, dans le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts, le contenu de cette bulle communautaire est primordial.
En droit positif français, plusieurs types de société d'acquêts coexistent ; finalement, ce qui diffère considérablement, c'est la composition de ce patrimoine. Certains privilégient la quantité en communautarisant des flux de revenus, tandis que d'autres privilégient la qualité en ne communautarisant qu'un bien particulier.
Des débats doctrinaux ont, fatalement, surgi à l'égard de ce régime non codifié ; ceux-ci sont nés, d'une part, de cette confusion entre des acquêts en quantité ou en qualité, et d'autre part, dans les lacunes rédactionnelles des contrats. Effectivement, ce régime mixte « suppose un contrat de mariage parfaitement rédigé afin de savoir exactement ce qui entre ou non dans la masse commune. À défaut, le risque évident est celui d'un contentieux de qualification, surtout en cas de divorce, un époux cherchant à tirer avantage de la qualification de bien commun, alors que l'autre opposera la qualification de bien personnel ».
– Question ouverte : une logique à inverser ? – Dans les régimes étrangers susvisés, les acquêts sont parfois tous les biens non déclarés propres par la loi. Les acquêts peuvent donc être déterminés négativement, contrairement à ce qui existe généralement dans les contrats français de séparation de biens avec société d'acquêts.
Classiquement, en France, dans les contrats de mariage contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts, on définit « les acquêts ». Pour autant, ne serait-il pas plus opportun de définir les biens personnels à chaque époux, plutôt que les biens qui composent la société d'acquêts ? La question est ouverte suite à cette distinction majeure entre notre régime de séparation de biens avec société d'acquêts et ceux des autres pays analysés ci-avant.
– Ingénierie notariale. – La liberté dans la composition de cette société d'acquêts a été affirmée par une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2003 en ces termes : « la Cour d'appel a décidé à bon droit que les époux ayant adopté le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts peuvent convenir de clauses relatives à la consistance de la masse commune ». Au demeurant, il est essentiel de déterminer, dans le contrat des époux, les biens et les ressources qui composent cette société d'acquêts.
Aussi, afin d'accompagner le lecteur dans la rédaction de ce contrat de mariage, les propos qui suivent consisteront à détailler chaque clause qui le compose : quel est le régime matrimonial choisi par les futurs époux (I), quels sont les biens qui composent la société d'acquêts (II), et quelles sont les règles d'administration de la société d'acquêts (III) ?
Quel régime matrimonial ?
Régime adopté – Séparation de biens avec société d'acquêts (1/3)
Les futurs époux adoptent le régime de la SÉPARATION DE BIENS tel qu'il est établi par les articles 1536 à 1543 du Code civil, sauf les modifications résultant du présent acte et spécialement la constitution d'une SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS comprenant les biens et droits ci-après désignés, et tous biens et droits acquis durant le régime en remploi.
EN CONSÉQUENCE, à l'exception des biens compris dans la société d'acquêts ci-après définie, les époux conserveront respectivement la propriété des biens, meubles et immeubles qui leur appartiennent et de ceux qui pourront leur advenir par la suite, à quelque titre que ce soit. Il s'agit des biens personnels des futurs époux.
Chacun d'eux conservera l'administration, la jouissance, et la libre disposition de ses biens personnels. Toutefois, les futurs époux ne pourront l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels sera assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il sera garni.
Les futurs époux ne seront pas tenus des dettes de l'un de l'autre, créées avant ou pendant le mariage, ou grevant les successions et libéralités recueillies par chacun d'eux. Cependant, ils seront solidaires de toute dette contractée par l'un d'eux pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, conformément à l'article 220 du Code civil.
Quels biens dans la société d'acquêts ?
Contenu de la société d'acquêts (2/3)
À ce régime susvisé, les futurs époux conviennent d'adjoindre une société d'acquêts qui sera composée exclusivement des biens et droits mobiliers et immobiliers acquis à compter de ce jour avec leurs gains et salaires ou les revenus des biens propres, savoir :
1o/ Les droits par lesquels sera assuré le logement de la famille, que ces droits consistent, savoir :
- en une maison d'habitation, ou en un appartement dans un immeuble en copropriété, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits biens et droits dans la société d'acquêts, aux termes d'une déclaration qui devra être insérée dans l'acte authentique d'acquisition ;
- en des parts ou actions de société immobilière donnant vocation à la jouissance ou à la propriété d'un local d'habitation, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdites parts ou actions dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
2o/ Les meubles meublants et objets mobiliers de quelque nature qu'ils soient, sans exception, qui garniront le logement de la famille.
3o/ Les biens et droits immobiliers acquis à compter de ce jour par les époux en indivision entre eux par égales parts, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits biens dans la société d'acquêts aux termes d'une déclaration qui devra être insérée dans l'acte authentique d'acquisition, ainsi que tous droits dans des sociétés immobilières détenues de la même manière, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdites parts ou actions dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
4o/ Les biens meubles, objets mobiliers et effets personnels se trouvant dans lesdits biens et droits immobiliers ou leur remploi, ainsi que les objets sur lesquels aucun droit de propriété ne serait justifié, quelles que soient leurs valeur et consistance.
5o/ Tous actifs monétaires et financiers détenus par les époux sur tout compte joint ou tout support financier joint.
6o/ Les véhicules automobiles appartenant à l'un et l'autre des époux qu'ils possèdent actuellement ou pourront posséder dans l'avenir, et qui ont été acquis au moyen de deniers déposés sur tout compte joint.
7o/ Tous droits et titres sociaux détenus dans toutes sociétés civiles et/ou commerciales, dès lors que les époux ont manifesté ensemble leur volonté de faire intégrer lesdits droits et titres sociaux dans la société d'acquêts aux termes des statuts.
Par ailleurs, la société d'acquêts comprendra passivement toutes les dettes liées aux biens et droits mobiliers et immobiliers dont il est ci-dessus parlé.
Quelles règles d'administration de la société d'acquêts ?
Administration de la société d'acquêts (3/3)
La société d'acquêts est administrée par les deux époux conformément aux dispositions des articles 1421 à 1425 du Code civil.
Chaque époux peut passer seul les actes d'administration et de disposition concernant les biens de la société d'acquêts, sous réserve de l'application des dispositions prévues par les articles 1422 à 1425 du Code civil.
… à codifier ?
– Une rédaction admise ? – Et malheureusement, en l'état du droit positif, une telle rédaction reste particulièrement controversée. L'ingénierie notariale est bringuebalante sur cette thématique. Faut-il rédiger des contrats de mariage de la sorte avec un tel régime matrimonial sans loi ? En l'état actuel, cela revient à bâtir un château sur du sable mouvant. Qui s'y risquera ?
Dès lors, faut-il soumettre au législateur une proposition tenant à sécuriser les contrats de mariage ou les changements de régimes matrimoniaux contenant adoption du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts ? L'objectif consisterait à obtenir un socle juridique solide afin de consolider l'ingénierie notariale propre à ce régime matrimonial attractif pour les concitoyens.
Si cette codification devait intervenir, il convient de rester vigilant à ce qu'un tel régime matrimonial conserve un vaste espace de liberté pour les parties et la pratique notariale.
Codifier un régime matrimonial attractif
Codifier le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts.