Les acquêts, par comparaison de valeurs : un régime matrimonial à remodeler ?

Les acquêts, par comparaison de valeurs : un régime matrimonial à remodeler ?

– Droit comparé. – Une fois le droit positif explicité, intéressons-nous désormais au droit comparé des régimes mixtes de participation aux acquêts. L'idée serait de s'inspirer de cette analyse afin de rendre ce régime matrimonial mixte plus compétitif dans le panorama français. Certains aménagements s'avéreront alors indispensables et seront préconisés aux notaires dans le cadre de la rédaction des contrats de mariage contenant adoption du régime de la participation aux acquêts. Surtout, il reviendra au législateur contemporain d'intervenir… peut-être.
En droit comparé, deux types de régimes de participation aux acquêts existent. Certains régimes prévoient, à l'image de la participation aux acquêts française, une comparaison entre les patrimoines final et originaire pour définir les acquêts. D'autres, notamment suisse et québécois, prévoient que les acquêts constituent un patrimoine distinct des biens propres des époux. Ces derniers ne seront pas étudiés ici, car ils ne reflètent pas la participation aux acquêts telle que nous l'entendons en France, mais plutôt la société d'acquêts.
– Forces et faiblesses de la conception allemande. – Inspiré de la conception allemande (§ I), ce mode de participation par comparaison entre le patrimoine final et le patrimoine originaire livre la clé de tout le système français, aussi bien dans son principe que dans ses conséquences. Ne serait-ce pas précisément sur ce dernier point, sur cette comptabilité trop précise et complexe que notre régime de participation aux acquêts présente des failles ? Une autre solution, celle de la participation en nature, serait-elle envisageable et à conseiller (§ II) ?

À l'image de l'Allemagne…

– Régime légal allemand : la participation aux acquêts. – La dénommée participation aux acquêts est le régime matrimonial légal en Allemagne.
Fondamentalement, la participation aux acquêts allemande correspond à une séparation de biens. Les biens de chaque époux n'entrent pas dans le patrimoine commun du couple. Il en est ainsi même pour les biens qu'un époux acquiert après la célébration du mariage. Les époux ne sont, en règle générale, pas soumis à des restrictions pour disposer de leurs biens et ne répondent pas des dettes de l'autre.
Cependant, l'accroissement de fortune que les époux réalisent pendant le mariage fait l'objet d'une péréquation lorsque le régime prend fin (par le divorce ou par le décès). L'époux dont les acquêts sont supérieurs à ceux de l'autre époux est obligé de payer la moitié de l'excédent à l'autre époux sous forme d'une créance de participation. Les acquêts respectifs sont calculés en déduisant le patrimoine initial du patrimoine final. Le montant de la créance de participation est limité à la valeur du patrimoine du débiteur existant après déduction des dettes.
– Régime franco-allemand de participation aux acquêts. – Le récent régime de participation aux acquêts adopté par la France et l'Allemagne le 4 février 2010 constitue une référence utile. À l'occasion du douzième Conseil des ministres franco-allemand, a été signé un accord entre les deux pays instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts : l'objectif était la création d'un nouveau régime matrimonial commun à la France et à l'Allemagne et qui s'ajoutait aux régimes en vigueur dans les deux États. Cet accord bilatéral, entré en vigueur le 1er mai 2013, est le fruit de la coopération de deux pays européens qui souhaitent faire face à l'accroissement du nombre de couples franco-allemands en leur permettant de ne pas choisir leur législation nationale respective.
En outre, et avec une terminologie simple, l'article 3.3 dudit accord garantit la liberté contractuelle des époux avec une portée considérable : « Le contrat peut déroger aux règles du chapitre V », c'est-à-dire à celles concernant la détermination de la créance de participation à la dissolution du régime (à savoir la composition et l'évaluation du patrimoine originaire et final, le droit à une créance de participation et les limites de la créance de participation). Au contraire, il n'est absolument pas envisageable de déroger aux règles de disposition et aux actes relevant de l'entretien du ménage, conformément au régime primaire du mariage en France.
Nous renvoyons sur ce point au rapport du 110e Congrès des notaires de France :
Rapport du 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 15/18 juin 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, 1re commission, nos 1064 à 1077, p. 36 à 43.

… un régime trop comptable ?

– Principe et exception. – En Allemagne comme en France, le principe est que la participation s'opère en valeur (A), non en nature (B).

La participation en valeur et ses limites

– Principe : règlement en argent de la créance de participation. – Conformément à l'article 1576, alinéa 1er du Code civil, le règlement de la créance de participation s'effectue en argent. Ce principe est conforme au mode participatif en valeur qui caractérise le régime de la participation aux acquêts à la française. Le montant de la créance de participation est immédiatement exigible et relève du droit commun des obligations.
L'époux créancier, chirographaire, a la possibilité d'inscrire dans l'année qui suit la dissolution du régime matrimonial (s'il ne l'a pas fait avant) une hypothèque légale pour garantir sa créance. Toutefois, l'article 1576 du Code civil prévoit que : « Si l'époux débiteur rencontre des difficultés graves à s'en acquitter entièrement dès la clôture de la liquidation, les juges peuvent lui accorder des délais qui ne dépasseront pas cinq ans, à charge de fournir des sûretés et de verser des intérêts ».
Lorsque les biens de l'époux débiteur sont insuffisants pour acquitter la créance de participation, l'article 1577 du Code civil institue une variété d'action paulienne (C. civ., art. 1578, al. 4) permettant à l'époux créancier de recouvrer sa créance, en commençant par les aliénations les plus récentes, sur les biens de l'article 1573 du Code civil (c'est-à-dire les acquêts) aliénés par donation entre vifs ou en fraude des droits du conjoint.
– Limites. – En France comme en Allemagne, la part d'un époux se concrétise en une somme d'argent que l'autre époux lui doit :
  • d'une part, le titulaire du droit de participation apparaît comme le créancier de son époux ; créancier d'une somme d'argent ;
  • d'autre part, l'autre époux, simple débiteur d'une somme d'argent, conserve la propriété exclusive de ses biens.
« Les parties à la liquidation n'y viennent pas comme « copartageants », mais comme créancier et débiteur. Au moins en principe, le mode de participation emprunte sa technique au droit du paiement des obligations et non au droit du partage des successions et communautés. (…)
Négativement, un tel système exclut, même à la dissolution du régime, la formation d'une masse commune qui constituerait la masse partageable. La liquidation du régime ne passe pas par la réunion réelle de biens en nature au partage desquels les époux seraient appelés. Le régime de la participation aux acquêts se différencie par-là, en toute netteté, des systèmes de communauté posthume, qui font suivre la dissolution du régime de la constitution différée mais effective d'une masse à partager en nature.
Corrélativement, la liquidation prend le caractère qui fait son originalité. Purement comptable, elle repose, pour chaque époux, sur la comptabilisation globale de tout son patrimoine, et cette comptabilité se dédouble pour chaque patrimoine, puisqu'elle consiste à reconstituer son état originaire, et à saisir son état final, afin d'en comparer la valeur.
Et si c'était précisément ici, dans son approche « trop comptable » à l'image du régime allemand, la faille de ce régime matrimonial mixte ? Une complexité injustifiée pour rendre ce régime matrimonial compétitif sur le territoire français. Avant d'envisager une modification législative de ce régime matrimonial conventionnel, le règlement de la créance de participation en nature peut-il être envisagé et préconisé ? Serait-ce suffisant ?
La nouveauté et la complexité du système liquidatif justifient que le législateur ait consacré toutes les autres dispositions à le réglementer, dans tous ses détails ».

La participation en nature et ses limites

– Exception : règlement en nature de la créance de participation. – Conformément à l'article 1576, alinéa 2 du Code civil, le règlement de la créance de participation peut « donner lieu à un règlement en nature, soit du consentement des deux époux, soit en vertu d'une décision du juge, si l'époux débiteur justifie de difficultés graves qui l'empêchent de s'acquitter en argent ».
Effectivement, contrairement au modèle allemand le régime français admet que la créance de participation donne lieu à un règlement en nature. Dans ce cas, l'époux créancier est rempli de sa part non plus par le versement d'une somme d'argent, mais par l'attribution d'un bien en nature.
– Ingénierie notariale. – En vertu des alinéas 2 et 3 de l'article 1581 du Code civil, le règlement en nature de la créance de participation peut être prévu par des conventions matrimoniales. Les époux « peuvent notamment convenir d'une clause de partage inégal, ou stipuler que le survivant d'eux ou l'un d'eux s'il survit, aura droit à la totalité des acquêts nets faits par l'autre.
Il peut également être convenu entre les époux que celui d'entre eux qui, lors de la liquidation du régime, aura envers l'autre une créance de participation, pourra exiger la dation en paiement de certains biens de son conjoint, s'il établit qu'il a un intérêt essentiel à se les faire attribuer ».
Deux clauses peuvent ainsi être envisagées par la pratique notariale : celle d'attribution des acquêts de l'époux prédécédé et celle d'attribution intégrale des biens de l'époux prédécédé.

Clause d'attribution des acquêts de l'époux prédécédé

Conformément à l'article 1581 du Code civil et à titre de convention de mariage, les futurs époux stipulent qu'en cas de dissolution du régime par le décès de l'un d'eux, l'époux survivant conservera l'intégralité des acquêts qu'il aura réalisés et aura droit, en outre, à la totalité des acquêts nets de l'époux prédécédé, à charge d'acquitter toutes les dettes de l'époux prédécédé autres que celles grevant ses biens originaires.
Cette stipulation constitue un avantage matrimonial visé à l'article 1527 du Code civil. Elle s'appliquera qu'il existe ou non des enfants du mariage.

Clause d'attribution intégrale des biens de l'époux prédécédé

Conformément à l'article 1581 du Code civil et à titre de convention de mariage, les futurs époux stipulent qu'en cas de dissolution du régime par le décès de l'un d'eux, l'époux survivant conservera l'intégralité des biens dont il sera propriétaire et aura droit, en outre, à la totalité des biens de l'époux prédécédé en toute propriété à charge d'acquitter le passif dont il sera grevé.
Cette stipulation constitue un avantage matrimonial visé à l'article 1527 du Code civil. Elle s'appliquera qu'il existe ou non des enfants du mariage.
– Limites fiscales. – Si le règlement en nature s'analyse normalement comme une dation en paiement, le législateur, pour différentes raisons (et notamment fiscales), l'a qualifié d'acte de partage.
Ainsi, lorsque la créance est payée au moyen d'immeubles, titres ou biens inscrits à un actif professionnel, une nouvelle problématique se pose. Doit-on estimer, lorsque le règlement est considéré par la loi civile comme une opération de partage, que les règles fiscales des partages s'appliquent ?
Aux termes d'une réponse ministérielle, l'administration avait dans un premier temps refusé le régime de faveur en matière de droit de partage (CGI, art. 748) au règlement de la créance de participation, pour dans un second temps admettre l'application des règles de droit commun (CGI, art. 746 et 747) sur le fondement de l'article 1576 du Code civil.
– Limites civiles. – L'article 1576, alinéa 4 du Code civil précise que « la liquidation n'est pas opposable aux créanciers des époux : ils conservent le droit de saisir les biens attribués au conjoint de leur débiteur », accordant ainsi un droit de suite (prérogative classiquement accordée aux titulaires de droits réels) à des créanciers chirographaires, titulaires d'un droit personnel.
L'époux bénéficiaire d'un règlement en nature est sacrifié. Il suffit de comparer la situation qui aurait été la sienne en cas de règlement en argent. Dans le premier cas, il sera primé par les créanciers qui bénéficieront d'une cause de préférence sur les biens attribués, donc d'un véritable privilège. Dans le second, tous les créanciers, y compris le conjoint, sont traités de manière égalitaire.
Cette règle exorbitante se justifie par la sauvegarde de l'indépendance des époux au cours du fonctionnement du régime. En effet, sans cette règle, les créanciers, craignant de voir leur gage disparaître lors de la liquidation du régime en cas de règlement en nature, risqueraient de systématiquement requérir le consentement du conjoint. Dans ce cas, l'intérêt du régime de la participation aux acquêts serait réduit à néant. Économiquement, cette règle paraît malheureusement justifiée.
Une fois ces dispositions connus et maitrisés, et à condition de procéder à une réelle ingénierie notariale lors de la rédaction du contrat de mariage (voire du changement de régime matrimonial), il n'y a plus lieu de détourner les époux du règlement en nature, et plus généralement de ce régime matrimonial mixte qu'est la participation aux acquêts selon le modèle français actuel.