Le régime impératif de gestion durable de la forêt française

Le régime impératif de gestion durable de la forêt française

– Tradition nationale et influence du droit international. – Nous l'avons vu dans les propos introductifs de cette section, la politique forestière française est issue d'une longue tradition nationale remontant au moins au XIV e siècle. Néanmoins, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un grand mouvement international de protection des forêts s'est peu à peu créé, principalement à l'initiative de l'Organisation des Nations unies. La convention de Rio de 1992, sous l'égide de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, marque sur ce point un tournant : la déclaration des principes intégrait en effet l'engagement (certes non contraignant juridiquement) des pays signataires envers une gestion durable des forêts. Concernant l'Union européenne, s'il n'existe pas de politique forestière continentale en tant que telle, cette dernière a néanmoins adopté en 1998 une stratégie forestière, mais qui s'exerce de manière fragmentaire à travers les politiques communautaires relatives à la protection de l'environnement, à la production d'énergies renouvelables, ou encore à l'agriculture. Même si l'influence du droit international n'est apparue que tardivement dans notre ordre juridique, le droit positif actuel de la forêt française en est aujourd'hui inspiré.
L'objectif de gestion durable de nos forêts est donc un objectif national (Sous-section I) auquel les propriétaires privés sont largement associés (Sous-section II).

La gestion durable de la forêt : un objectif national

– Une stratégie nationale. – La politique forestière française est une politique nationale dont les objectifs sont fixés par le Code forestier. Trois grands textes contemporains déterminent cette politique :
  • la loi d'orientation sur la forêt no 2001-602 du 9 juillet 2001 ;
  • l'ordonnance no 2012-92 du 26 janvier 2012 ;
  • la loi « Climat et résilience » no 2021-1104 du 22 août 2021.
L'autre texte établissant la compétence de l'État en matière de détermination de la politique forestière est le premier alinéa de l'article L. 121-1 du Code forestier, lequel indique que : « La politique forestière relève de la compétence de l'État. Ses orientations, ses financements et ses investissements s'inscrivent dans le long terme et sont conformes aux principes mentionnés au présent article ».
Le Code forestier pose donc le principe de la compétence de l'État dans la détermination de la politique forestière, révélant donc l'importance du sujet pour les pouvoirs publics.
Il résulte du premier alinéa de l'article L. 112-1 du Code forestier que « les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers ». Cette rédaction est par ailleurs très étonnante puisqu'elle reprend mot pour mot les termes de la loi du 11 décembre 1789, rétablissant en outre la notion d'usage collectif de la forêt, qui n'avait cessé de diminuer depuis la promulgation du Code forestier en 1827. Ces droits d'usage sont effectivement peu nombreux aujourd'hui et directement issus de droits coutumiers. Citons par exemple le droit de pacage, d'affouage ou de glandée.
– Le principe de gestion durable. – La loi pose clairement le principe selon lequel la transition écologique ne peut être réalisée sans une politique forestière tournée vers cet objectif. Tout d'abord l'article L. 112-1 du Code forestier, dans son alinéa 2, définit l'intérêt général porté par la forêt, et notamment ses fonctions en matière de protection de la biodiversité et de stockage de carbone.
Pour l'intégralité du texte de cet article :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000025244092/LEGISCTA000025245733/?anchor=LEGIARTI000043975456#LEGIARTI000043975456">Lien.
En outre, le premier alinéa de l'article L. 121-1 du même code fixe à l'État l'obligation de veiller à cette gestion durable, notamment en ce qui concerne le maintien de la biodiversité et l'optimisation du stockage de carbone dans les bois et forêts.
Pour l'intégralité du texte de cet article :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047809378">Lien.
– Stratégie nationale mais mise en place contractuelle. – La grande originalité de cette politique est qu'elle est mise en place par la méthode contractuelle. Cela est précisé par le premier alinéa de l'article L. 121-2 du Code forestier : « La politique forestière privilégie les mesures incitatives et contractuelles, notamment à l'égard des propriétaires organisés en groupement. Elle favorise la recherche de contreparties pour les services rendus en matière environnementale et sociale par les bois et forêts qui présentent une garantie de gestion durable ». Les propriétaires privés sont donc directement associés, dans le cadre de leur gestion privée, à la protection de l'intérêt général, cette gestion privée étant déterminée par un cadre impératif.
– Propriété publique et propriété privée. – Environ un quart de la superficie forestière française est détenue par l'État ou les collectivités. Le reste est détenu par des propriétaires privés. Le régime des forêts détenues par les collectivités publiques est celui du régime forestier, défini par les articles L. 211-1 et suivants du Code forestier. Les forêts privées quant à elles font donc l'objet d'un régime juridique particulier dont l'élaboration a été faite au fil du temps, la force particulière du droit de propriété et de ses caractères « inviolables et sacrés », héritage direct de la Révolution française, ne s'accordant guère avec une intervention massive de la puissance publique dans sa gestion. Pourtant, ce régime existe aujourd'hui, et il contraint les propriétaires à œuvrer eux aussi dans le sens d'une gestion durable et soucieuse des intérêts environnementaux.

Les propriétaires privés au service de l'objectif national

– L'obligation de gestion durable. – La loi no 63-810 du 6 août 1963, dite « loi Pisani » a imposé aux propriétaires de forêts privées d'une superficie supérieure à 25 hectares une obligation de gestion durable. Cette obligation se traduit par l'élaboration d'un plan simple de gestion devant comprendre : une brève analyse des enjeux économiques, environnementaux et sociaux de la forêt, un programme d'exploitation des coupes, un programme des travaux de reconstitution d'après coupes et, le cas échéant, des travaux d'amélioration obligatoires.
Ce seuil peut être abaissé dans certains départements par décision du ministre chargé des forêts, sans pouvoir aller au-dessous de 10 hectares. Il n'est pas nécessaire que les parcelles constituent une unité foncière, le plan de gestion pouvant également comprendre des parcelles discontinues, tant qu'elles sont situées dans une même zone géographique définie par décret.
– Élaboration du plan simple de gestion. – Ce plan simple de gestion (PSG) est établi par le propriétaire, qui peut éventuellement se faire aider par un expert forestier, mais le coût de l'intervention de ce dernier restera à sa charge. Le plan devra ensuite être agréé par le centre régional de propriété forestière dont dépend la forêt. La durée de ce plan est de dix ans au minimum, sans pouvoir excéder vingt ans.
Ce plan est en outre opposable au cessionnaire du propriétaire l'ayant établi, sauf à ce que ce dernier établisse un nouveau plan simple de gestion. La mention d'un PSG est d'ailleurs obligatoire dans l'acte de vente, sous peine de nullité dudit acte.

L'omission de l'existence d'un plan simple de gestion dans la vente d'une parcelle forestière

La continuation du PSG étant impérative pour l'acquéreur d'une parcelle pour laquelle un tel plan a été établi, le Code forestier prévoit comme sanction de l'omission de l'existence de ce plan dans l'acte de vente la nullité de ce dernier. Il appartient donc au notaire en charge de la régularisation d'une telle vente de veiller scrupuleusement à interroger le vendeur sur ce point. Si la parcelle est d'une superficie supérieure à 25 hectares, le plan est obligatoirement souscrit, ce qui facilitera le contrôle. En revanche, si la parcelle vendue est issue de la division d'une plus grande unité forestière, mais elle-même d'une superficie inférieure à ce seuil, il faudra faire preuve d'une grande vigilance.
– Une obligation renforcée de gestion durable. – Les objectifs de gestion durable de la forêt française, qu'il s'agisse de la forêt détenue par les personnes publiques ou celle détenue par les personnes privées, sont définis, nous l'avons vu, par l'article L. 121-1 du Code forestier. Cet article a été modifié par la loi no 2021-1104 du 22 août 2021, laquelle a modifié ce texte dans une vision plus « environnementaliste » encore. En effet, l'objectif de neutralité carbone du pays en 2050 est inséré dans le 4o du 1er alinéa de l'article, de même que la prise en compte du changement climatique dans la détermination de l'objectif de résilience des forêts. Par conséquent, les plans de gestion qui ont été, sont ou seront élaborés depuis l'entrée en vigueur de cette loi devront l'être sous ces nouvelles contraintes, faute de quoi le plan ne sera pas agréé par l'autorité compétente en la matière.
– Dérogation. – Ce régime est impératif, mais supporte toutefois une dérogation strictement encadrée par les articles L. 122-5 et R. 312-2 du Code forestier. Deux conditions cumulatives à cela :
  • la forêt offre de faibles potentialités économiques ;
  • elle ne présente en outre pas d'intérêt écologique important.
Le propriétaire peut alors substituer un règlement-type de gestion qui lui permettra de conserver le bénéfice des garanties de gestion durable.
Ces garanties de gestion durable sont fondamentales dans le régime des bois et forêts privés, puisque ce sont elles qui permettent de bénéficier de mécanismes incitatifs que nous allons maintenant étudier.