Le notaire et le greffier du tribunal de commerce

Le notaire et le greffier du tribunal de commerce

Au nombre des attributions confiées par le législateur au notaire, certaines s'apparentent aux missions du greffier du tribunal de commerce, notamment sur le terrain de la société européenne (Sous-section I) et en matière de fusion transfrontalière (Sous-section II).

Le notaire et la société européenne

Le statut de la société européenne, issu du règlement européen no 2157/2001 du 8 octobre 2001, complété par la directive 2001/86 du 8 octobre 2001, a entraîné dans son cortège de nouvelles attributions pour le notaire, en lui conférant une mission de contrôle de légalité dans plusieurs hypothèses : à l'occasion du transfert du siège de la société dans un autre État membre (§ I), de la constitution d'une société européenne par voie de fusion (§ II), ou encore s'agissant d'une société coopérative européenne (§ III).
Les articles L. 229-1 et suivants et R. 229-1 et suivants du Code de commerce ainsi que les articles L. 2351-1 et suivants et D. 2351-1 et suivants du Code du travail organisent la mise en œuvre de ces dispositions européennes en France.

Le rôle du notaire en cas de transfert de siège dans un autre État membre de l'Union

– L'absence de nationalité. – La société européenne (dite societas europaea) n'adopte pas la nationalité de l'État membre dans lequel est établi son siège social. Ce caractère supranational rend, en théorie, ce statut attractif puisque la société peut librement transférer son siège social sans encourir les conséquences d'une liquidation ou d'un changement de nationalité. Ce statut permet également à l'entreprise de renforcer son identité et d'accroître sa visibilité sur le marché européen.
On notera, toutefois, que le siège statutaire et l'administration centrale effective de la société doivent être établis dans le même État membre.
– Un succès pourtant modéré. – L'Alliance for Societas Europaea Promotion (Asep) a publié le 18 mai 2018 une note instructive.
L'Asep note que de 2004 – date à laquelle ce nouveau statut est devenu opérationnel – à 2013, le nombre de constitutions de sociétés européennes a augmenté très rapidement, pour progresser, depuis, à un rythme moins soutenu d'environ 10 % par an. Au 12 mars 2018, l'Asep recensait 3 000 sociétés européennes. À la mi-2020, 3 330 sociétés européennes étaient immatriculées.
Ces chiffres masquent, en réalité, d'importantes disparités d'un État membre à l'autre. La République tchèque représentait à elle seule, en 2018, 68 % des sociétés européennes créées.
Le recours à ce statut ne semble pas en lien avec le degré d'activité de la structure économique, puisque si seules 17,7 % des sociétés européennes employaient plus de cinq personnes en 2018 (ce qui laisse entendre que ce statut peut convenir à des PME), trente-six sociétés européennes, à pareille date, employaient au total, à elles seules, plus de 1,5 million de salariés.
– Les raisons du désintérêt. – Sans prétendre à l'exhaustivité, peut-être peut-on mentionner, au nombre des raisons pour lesquelles la société européenne remporte peu de succès, les points suivants :
  • des coûts de constitution élevés ;
  • de lourdes contraintes qui entourent ce statut ainsi qu'un dispositif visant à informer les salariés et à les associer à la gestion de l'entreprise ;
  • l'exigence d'un capital minimal important (120 000 €) ;
  • et un manque d'uniformité des règles applicables, par renvois aux législations nationales selon la terre d'élection.
– Le spectre de l'évasion fiscale. – Cette mobilité a fait craindre que la société européenne ne se transforme en un vecteur privilégié d'évasion fiscale. Or, à en croire les statistiques publiées par l'Asep, les pays à fiscalité attractive que sont le Luxembourg, l'Irlande ou Chypre, par exemple, n'enregistraient, à la date de cette étude, que 6 % des sociétés européennes.
– Peu de transferts recensés. – De 2004 à 2018, seules 4,7 % des sociétés européennes avaient transféré leur siège social, les pays les plus volatils étant le Luxembourg et le Royaume-Uni, le plus stable l'Allemagne.
– La procédure de transfert de siège et le rôle du notaire. – En cas de transfert du siège statutaire, il est ici rappelé que l'administration centrale de la société devra pareillement être transférée à la nouvelle adresse d'élection.
Le transfert peut, en théorie, intervenir à tout moment à de rares exceptions près. En effet, pourraient faire obstacle à un transfert du siège statutaire :
  • la dissolution, la liquidation ou encore l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société européenne ;
  • la transformation concomitante d'une SA en SE.
Le transfert n'emportera ni dissolution ni création d'une personne morale nouvelle.
Aucun mode alternatif ne semble prévu. Il s'agit d'une compétence exclusive, non partagée.
L'article L. 229-2 du Code de commerce énonce les modalités de transfert du siège d'une société européenne dans un autre État membre de l'Union européenne. À lalecture de cet article, au vu des formalités décrites comme devant être accomplies, on ne peut qu'être saisi par la sobriété du dernier alinéa ainsi libellé : « Un notaire délivre un certificat attestant de manière concluante l'accomplissement des actes et formalités préalables au transfert ».
– Un certificat dont l'établissement nécessite des investigations approfondies. – Le notaire est effectivement, notamment, garant de la protection des créanciers sociaux. Tel est son rôle.
L'article R. 229-12 du Code de commerce énonce les pièces devant a minima être remises par la société européenne au notaire chargé d'effectuer ce contrôle de légalité : les statuts de la société, un exemplaire du projet de transfert, une copie des avis publiés, une copie des procès-verbaux des organes sociaux visés par le texte, ainsi que « des indications relatives aux conséquences du transfert sur l'implication des travailleurs au sens des articles L. 439-25 à L. 439-50 du Code du travail ». L'obtention d'un certificat de coutume paraît indispensable.
Le notaire doit être d'une impartialité sans faille.
L'article R. 229-2 du Code de commerce précise, en effet, que « le notaire qui procède aux contrôles prévus au dernier alinéa de l'article L. 229-2 et au deuxième alinéa de l'article L. 229-3 ne peut avoir ni instrumenté, ni rédigé d'actes sous seing privé, ni donné des consultations juridiques à l'occasion de l'opération pour laquelle le contrôle est effectué. Il ne peut davantage exercer dans une société ou dans un office qui aurait instrumenté, rédigé des actes sous seing privé ou donné des consultations juridiques à l'occasion de cette opération ».

Le rôle du notaire en cas de fusion visant à créer une société européenne

– Divers modes de constitution. – Quatre modes de constitution d'une société européenne sont prévus par les textes : la fusion de sociétés anonymes, la création d'une holding, la création d'une filiale ou encore la transformation d'une société existante, de droit national.
Toutefois l'intervention du notaire n'est requise, de façon alternative, qu'en cas de fusion.
– La création d'une société européenne par fusion. – En matière de constitution d'une société européenne par fusion de sociétés anonymes établies, pour au moins deux d'entre elles, dans des États membres de l'Union européenne distincts, le rôle dévolu au notaire est défini à l'article L. 229-3 du Code de commerce. On notera toutefois qu'en matière de fusion, la compétence du notaire n'est pas exclusive, le greffier du tribunal pouvant pareillement effectuer ce contrôle de légalité.
Chaque société participant à la fusion doit remettre au notaire une attestation de conformité dans un délai de six mois à compter de sa délivrance ainsi qu'un dossier comportant, par application de l'article D. 229-13-1 du Code de commerce, a minima les documents suivants : les statuts de la société européenne, le projet commun de fusion, les avis publiés, une copie des procès-verbaux des assemblées visés par le texte, ainsi qu'un document attestant que « les sociétés qui fusionnent ont approuvé le projet de fusion dans les mêmes termes et qu'ont été fixées les modalités relatives à l'implication des travailleurs conformément aux articles L. 2351-1 à L. 2354-4 du Code du travail ». Là encore, l'obtention d'un certificat de coutume paraît indispensable.
Le notaire dispose alors d'un délai de quinze jours pour contrôler que les sociétés, parties à l'opération, ont valablement approuvé le projet de fusion et que la procédure d'implication des salariés a été respectée.
Le notaire doit, par ailleurs, contrôler la conformité de la constitution de cette société européenne au regard des règles trouvant à s'appliquer au régime de la fusion.
On notera que l'article R. 229-2 du Code de commerce trouve également à s'appliquer en cas de fusion.
L'immatriculation de la société européenne, créée par voie de fusion de sociétés anonymes, ne pourra être enregistrée qu'à l'appui du certificat délivré par le notaire chargé du contrôle de légalité.

La société coopérative européenne (SCE)

Cette forme de société n'étant pas fréquemment adoptée, nous ne lui consacrerons pas de développement. Il est à noter, toutefois, que les règles énoncées ci-dessus en matière de transfert du siège d'une société européenne ou encore en matière de création d'une société européenne par voie de fusion lui sont transposables, et que par conséquent un notaire peut être mandaté à l'effet de procéder à un contrôle de légalité à l'occasion de telles opérations.
La société européenne n'est pas le seul domaine dans lequel le notaire intervient à la façon d'un greffier. Il peut également être sollicité en cas de fusion transfrontalière.

Le notaire et la fusion transfrontalière

La directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 a rendu possible la fusion transfrontalière, qu'il s'agisse d'une fusion-absorption ou d'une fusion donnant naissance à une nouvelle entité. La transposition en a été faite, en France, aux articles L. 236-25 et suivants du Code de commerce.
– Les sociétés éligibles. – Seules les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés européennes immatriculées en France, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions simplifiées peuvent participer à une fusion transfrontalière.
– Le régime applicable. – Tout comme le dispositif concernant la société européenne, le régime de la fusion transfrontalière fonctionne par renvois aux législations nationales applicables aux sociétés, parties à l'opération.
– Deux contrôles. – Doivent être effectués deux contrôles. Tout d'abord, un contrôle exercé par « le greffier du tribunal dans le ressort duquel la société participant à l'opération est immatriculée », prescrit à l'article L. 236-29 du Code de commerce. Ce dernier est appelé à délivrer une attestation de conformité des actes et des formalités préalables à la fusion.
Puis intervient à nouveau le notaire, sur un mode alternatif, à l'occasion du deuxième contrôle prescrit à l'article L. 236-30 du Code de commerce ainsi rédigé :
« Un notaire ou le greffier du tribunal dans le ressort duquel la société issue de la fusion sera immatriculée contrôle, dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, la légalité de la réalisation de la fusion et de la constitution de la société nouvelle issue de la fusion.
Il contrôle en particulier que les sociétés qui fusionnent ont approuvé un projet de fusion dans les mêmes termes et que les modalités relatives à la participation des salariés ont été fixées conformément au titre VII du livre III de la deuxième partie du code du travail ».
La fusion transfrontalière par voie d'absorption ne pourra prendre effet ni antérieurement au contrôle de légalité, ni postérieurement à la clôture de l'exercice comptable au cours duquel ce contrôle aura été réalisé.
Les missions confiées, à ce jour, par le législateur au notaire sont, nous le constatons, plurielles et diverses, motivées par un souci de protection des épargnants, des tiers et de lutte contre la fraude et le blanchiment.
Quelle pourrait en être demain l'évolution ?