Le notaire et la vente aux enchères de titres et de rompus

Le notaire et la vente aux enchères de titres et de rompus

Les situations dans lesquelles le notaire est amené à organiser une adjudication ayant pour objet des parts sociales ou des actions sont, en théorie, diverses. Le notaire peut être saisi par un créancier, bénéficiant ou non d'un nantissement sur les titres, par le liquidateur d'un associé ayant fait mauvaise fortune, par un héritier ou une indivision d'origine successorale ou autre.
Mais il existe également des situations, moins connues, dans lesquelles la société elle-même peut être amenée à saisir un notaire à des fins d'organisation d'une vente aux enchères de titres donnant accès à son capital : en cas de défaut de libération des apports en capital, en numéraire, dans les sociétés par actions (Sous-section I), en présence de rompus (Sous-section II) ou encore de titres en déshérence (Sous-section III).

Le défaut de libération des apports en numéraire

Nous avons vu précédemment que les apports en numéraire réalisés à l'occasion de la constitution d'une société à responsabilité limitée ou d'une société par actions étaient étroitement encadrés.
Dans les sociétés par actions, il est rappelé que les apports en numéraire doivent effectivement être immédiatement libérés, dès la constitution de la société, à hauteur de la moitié au moins de leur montant, le solde devant l'être, éventuellement de façon fractionnée, dans les cinq années suivant l'immatriculation de la société, sur appel du dirigeant social. Il est précisé, pour mémoire, que les actions qui ne sont pas intégralement libérées doivent obligatoirement revêtir la forme nominative et que l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société rend immédiatement le montant non encore libéré exigible.
– Les sanctions encourues en cas de défaut de libération. – Les sanctions encourues en cas de manquement de la part du souscripteur sont diverses.
Un intérêt de retard est exigible de plein droit, calculé au taux mentionné dans les statuts ou à défaut au taux légal, ces intérêts continuant à courir en cas de dissolution jusqu'au jour de la liquidation. Cette défaillance peut également donner lieu au versement de dommages et intérêts par l'apporteur au profit de la société. Enfin cette défaillance peut entraîner l'exclusion du souscripteur concerné si cette procédure a été prévue dans les statuts.
Dans une société par actions, le défaut de libération des apports en numéraire donne lieu par ailleurs à des sanctions spécifiques : la déchéance des droits d'accès et de vote en assemblée générale, la suspension des droits aux dividendes et du droit préférentiel de souscription, ainsi que la mise en vente aux enchères des actions non libérées. Ces sanctions sont applicables à l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la mise en demeure de régulariser cette situation adressée par la société à l'actionnaire récalcitrant.
– La vente aux enchères des actions non libérées à bonne date du fait de l'apporteur. – Cette procédure est prévue à l'article L. 228-27 du Code de commerce.
La société doit, en premier lieu, adresser une mise en demeure à l'actionnaire défaillant par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. En cas de mise en demeure infructueuse, la société peut alors poursuivre la vente forcée des actions non libérées, sans autorisation judiciaire.
Une mesure de publicité est préalablement requise dans un journal d'annonces légales du ressort du département dans lequel se trouve le siège social, trente jours au moins après la mise en demeure, mentionnant le nombre d'actions proposées à la vente. L'actionnaire défaillant est informé de cette démarche par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La vente ne peut pas intervenir avant l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la parution de l'annonce. Un notaire peut être mandaté à cet effet dans les conditions prévues à l'article L. 211-21 du Code monétaire et financier.

Le notaire et la vente aux enchères de rompus

Le notaire est apparu récemment au nombre des prestataires de services pouvant prêter son concours à la vente aux enchères de rompus et à la distribution du prix résultant de l'adjudication.
– La notion de rompus. – Certaines opérations sur titres telles que des échanges dans le cadre de fusions, de scissions par exemple, mais aussi telles que des augmentations ou des réductions de capital ou encore telles que des divisions, des regroupements de titres ou des attributions gratuites ne permettent pas toujours d'attribuer aux actionnaires, prenant part à cette opération, un nombre entier de titres. Ces opérations peuvent aboutir à l'apparition de rompus, c'est-à-dire donner naissance à des fractions de titres n'ayant pas d'autonomie en tant que telle, et ne pouvant pas, en l'état, être attribuées à un actionnaire pris individuellement. Mathématiquement, nous serons en présence de rompus toutes les fois où la règle de la parité ou le rapport d'échange n'aura pas pu être respecté(e), ou encore toutes les fois où le nombre de titres nouvellement émis n'aura pas été un multiple du nombre de titres en circulation.
Il est, dès lors, nécessaire pour la société de statuer sur le sort de ces rompus.
– Le décret du 18 mai 2015. – Le décret no 2015-545 du 18 mai 2015, pris en application de l'ordonnance du 31 juillet 2014, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er juin 2015, est venu préciser le sort des rompus.
L'objectif de cette ordonnance était notamment de simplifier la procédure de vente des rompus en considération de la dématérialisation des titres. Cela s'est essentiellement traduit, dans les textes, par une réduction du délai dans lequel la vente peut intervenir et par un accroissement des prestataires de services ayant qualité à intervenir. C'est dans ce contexte que le notaire est apparu au nombre des professionnels qualifiés pour ce faire.
– Deux régimes distincts. – Le décret distingue deux régimes selon la nature de l'opération ayant donné lieu à l'apparition de rompus : un régime s'appliquant en cas d'augmentation de capital par incorporation de réserves, de bénéfices ou encore de primes d'émission, et un régime s'appliquant aux opérations d'attribution ou d'échanges de titres.
Dans la première hypothèse, la vente résulte d'une décision de l'assemblée générale ; dans la seconde, elle est rendue obligatoire par l'effet de la loi sauf pour les sociétés non cotées dont les titres ne sont pas admis aux opérations d'un dépositaire central pour lesquelles la vente conserve un caractère optionnel.
– Sort des rompus résultant d'une augmentation de capital. – En cas de rompus issus d'une augmentation de capital par incorporation de réserves, de bénéfices ou de primes d'émission, l'assemblée générale peut les déclarer incessibles et non négociables et en ordonner la vente. La vente doit alors intervenir « dans un délai de trente jours à compter de la plus tardive des dates d'inscription, au compte des titulaires des droits, du nombre entier de titres de capital attribués ».
L'apport des dispositions entrées en vigueur en 2015 pour le notariat est que, selon le type de titres dont il s'agit, le notaire peut être mandaté à l'effet de procéder à cette vente par application du 4e alinéa de l'article R. 228-12 du Code de commerce ainsi libellé : « Lorsque les titres ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé ni sur un système multilatéral de négociation, la vente de ces titres est réalisée par la société émettrice ou peut être faite aux enchères publiques par un prestatairede services d'investissement autre qu'une société de gestion de portefeuille ou par un notaire, conformément aux dispositions de l'article L. 211-21 du Code monétaire et financier ».
En cas de rompus issus d'une augmentation de capital par incorporation de réserves, de bénéfices ou de primes d'émission, le notaire peut donc prêter son concours, qu'il s'agisse de titres non cotés admis aux opérations d'un dépositaire central ou non.
– Sort des rompus résultant d'une attribution ou d'un échange de titres. – Dans cette hypothèse, les rompus correspondant à des titres non cotés mais admis aux opérations d'un dépositaire central suivront le même régime que ceux correspondant à des titres cotés, admis sur un marché réglementé ou aux négociations d'un système multilatéral de négociation (SMN). Cela impacte le délai dans lequel la vente doit légalement intervenir. S'agissant de ces titres, tout comme en présence de rompus résultant d'une augmentation de capital, la vente doit intervenir dans un délai de trente jours à compter de la plus tardive des dates d'inscription, au compte des titulaires des droits, du nombre entier de titres de capital attribués.
En présence de rompus correspondant à des titres non cotés mais également non admis aux opérations d'un dépositaire central, ce délai est porté à un an à compter de la publicité qui est faite de la décision de l'organe de gestion de procéder à cette vente, cette dernière conservant, on le rappelle, un caractère optionnel au sein de ces sociétés. Un avis doit paraître dans deux journaux à diffusion nationale, mettant en demeure les titulaires de droits de les faire valoir dans un délai d'un an, faute de quoi ils seront vendus. Cet avis doit également préciser que le produit net de la vente sera à leur disposition, pendant dix ans, sur un compte bloqué dans les livres d'un établissement de crédit. À l'issue de ce délai de dix ans, l'établissement de crédit pourra se dessaisir des fonds au profit de la Caisse des dépôts et consignations, laquelle les conservera vingt années de plus avant qu'ils ne soient remis à l'État.
Tout comme en cas de rompus issus d'une augmentation de capital par incorporation de réserves, de bénéfices ou de primes d'émission, si les rompus sont issus d'une attribution ou d'un échange de titres, le notaire peut être mandaté pour cette vente, qu'il s'agisse de titres non cotés admis aux opérations d'un dépositaire central ou non.

Le notaire et la vente aux enchères de titres en déshérence

Il n'est pas rare qu'au fil des années, la société ait perdu de vue certains de ses actionnaires, en raison de la tenue approximative du registre des mouvements de titres, ou consécutivement à un déménagement ou un décès par exemple.
– Difficultés rencontrées en présence de titres en déshérence. – Au premier abord, ces actionnaires fantômes peuvent ne pas paraître très dérangeants. Mais, à y regarder de plus près, cette situation peut causer préjudice à la société. Songeons à des opérations de cession de l'intégralité des actions, de restructuration, de fusions simplifiées par exemple : les actions ne pourront pas être regroupées pour en faciliter la réalisation.
De même, la transformation d'une société en SAS ou sa fusion avec une SAS, supposant l'accord unanime des associés, ne pourra pas être envisagée.
– Les solutions à la disposition des entreprises. – S'agissant des sociétés cotées, le législateur a depuis longtemps endigué ce risque, en autorisant la procédure de squeeze out, permettant à l'actionnaire majoritaire, détenant plus de 95 % du capital, de racheter le surplus.
Pour les sociétés non éligibles, la vente aux enchères de titres en déshérence pouvait, jusqu'en 2006, être envisagée dans le cadre exclusivement d'une fusion, d'une scission, d'une réduction de capital ou encore d'un regroupement d'actions.
Ça n'est qu'à l'appui de l'ordonnance no 2004-604 du 24 juillet 2004, dont la mise en œuvre a été rendue possible par le décret no 2006-1566 du 11 décembre 2006, que la vente aux enchères d'actions en déshérence mais également de toutes autres valeurs mobilières en déshérence émises par des sociétés par actions est devenue possible quelle que soit l'opération envisagée.
La vente aux enchères de titres en déshérence s'inscrivant naturellement dans le prolongement de la vente de rompus, le décret no 2015-545 du 18 mai 2015 en a également simplifié les modalités.
– La vente aux enchères de titres en déshérence. – La société peut décider de vendre les titres dont les titulaires n'ont pas pu être identifiés par le teneur de comptes depuis dix années révolues, en dépit de convocations, régulières en la forme, aux assemblées générales.
Le dispositif applicable est alors celui correspondant à la vente de rompus issus d'une attribution de titres nouvellement émis ou d'un échange.
Le notaire veillera toutefois à ce que deux conditions préalables à la vente aient été observées : le respect des formalités de convocation aux assemblées générales, d'une part, et l'accomplissement de toutes diligences par le teneur de compte visant à identifier les titulaires ou à défaut leurs ayants-droit, d'autre part.
Il recommandera au dirigeant social la conservation des lettres de convocation retournées avec la mention d'absence de délivrance et de retrait ainsi que des justificatifs afférents aux diligences accomplies.