Le juge, défenseur de la contribution aux charges du ménage des époux séparés de biens

Le juge, défenseur de la contribution aux charges du ménage des époux séparés de biens

– Principe légal. – Selon le premier alinéa de l'article 214 du Code civil : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ».
Cet article, inclus dans le régime primaire impératif qui gouverne tous les époux, engendre un devoir : celui de contribuer au financement des charges du ménage, quel que soit le régime matrimonial choisi.
La contribution aux charges du mariage peut se définir ainsi : « tout ce qui est nécessaire aux besoins de la vie familiale ».
La notion de charges du mariage est entendue largement et dépend du train de vie que les époux se sont donné d'un commun accord. Sont concernés les dépenses de nourriture, de logement, de vêtements des époux et des enfants, de transport, ainsi que les frais d'entretien et d'éducation des enfants.
Toutefois, il ne faut absolument pas s'en tenir à l'existence de dépenses nécessaires. Sont aussi des charges du mariage les dépenses ayant pour objet l'agrément de la vie ou l'aménagement de son cadre, notamment les frais d'installation de l'habitation familiale, les frais de vacances ou de loisirs, ainsi que les cotisations de retraite d'une employée de maison. Ces solutions extensives s'expliquent par le fait que, par son fondement et par son but, l'obligation de contribution aux charges du mariage se distingue de l'obligation alimentaire.
– Évolutions jurisprudentielles. – Depuis 2013, les juges de la Haute juridiction, dans plusieurs arrêts remarqués, proposent une définition étendue des charges du mariage (Sous-section I). Aux termes de ces décisions, le régime de la séparation de biens s'est, peu à peu, vu imprégner d'un esprit communautaire.
En parallèle, lesdits juges se sont prononcés sur le caractère simple ou irréfragable de la présomption relative à la contribution aux charges du ménage insérée dans le contrat de mariage des époux séparés de biens (Sous-section II). Ces décisions méritent d'être prises en compte rapidement par la pratique notariale. De bonnes pratiques doivent immédiatement être préconisées.

Les contours de la contribution aux charges du mariage

– Jurisprudence contemporaine. – Le Code civil ne définissant pas précisément quelles sont ces charges du ménage, autrement appelées les « dépenses de la vie courante », les juges ont été amenés à le faire.
De fait, il est dorénavant possible d'établir une synthèse particulièrement précise de la jurisprudence afférente à la contribution aux charges du mariage. Le doute n'est plus permis.
Depuis l'année 2013, les arrêts de la Cour de cassation ont été attendus de tous afin de savoir quelles dépenses sont considérées comme une contribution aux charges du ménage pour les époux (§ I) et celles qui ne le sont pas (§ II).

Les dépenses considérées comme une contribution aux charges du mariage

– Décisions jurisprudentielles de l'année 2013. – Deux décisions prises par la première chambre civile de la Cour de cassation au cours de l'année 2013 ont considéré que le remboursement de l'emprunt par un époux séparé de biens au-delà de sa quotité de propriété sur un prix d'acquisition devait être considéré comme une contribution aux charges du ménage.
En pratique, la conséquence est fâcheuse pour lui, puisqu'il ne peut obtenir le remboursement de son surfinancement. Une créance entre les époux ne sera alors pas admise.
Dans la première décision, il était question d'un prêt contracté pour le financement de l'acquisition du logement familial (A). Tandis que dans la seconde décision, il s'agissait d'un prêt contracté pour le financement de l'acquisition d'une résidence secondaire à vocation familiale (B).

Les dépenses d'investissement concernant un logement familial

– Jurisprudence constante. – La Cour de cassation a admis que les dépenses afférentes au financement du logement de la famille, au moyen d'un emprunt, étaient une modalité d'exécution de son obligation de contribution aux charges du mariage par l'époux financeur.
On peut, dans un premier temps, citer un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 14 mars 2006. Dans un second temps, par une décision encore plus marquante du 12 juin 2013, la cour a pris pour acquise la qualification de contribution aux charges du mariage d'une dépense de remboursement de l'emprunt pour l'acquisition du logement familial.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses d'investissement – résidence principale

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Oui, un remboursement de l'emprunt par versements successifs est considéré comme une dépense d'investissement.
  • Est-ce que la dépense effectuée par B a excédé ses facultés contributives, au regard des revenus perçus par chaque époux pendant les années du mariage, ainsi que les économies réalisées par A ?
Si non, alors B assume le financement du bien à hauteur de 100 % et A à hauteur de 0 %. Il ne reçoit aucune indemnité de A.
Si oui, alors une créance pourra être constatée afin que B n'assume pas le financement du bien à hauteur de 100 %.

Les dépenses d'investissement concernant une résidence secondaire à vocation familiale

– Jurisprudence constante. – La Cour de cassation intègre les dépenses d'agrément, de vacances et de loisirs dans la contribution aux charges du mariage dès lors que la dépense est conforme aux ressources globales du ménage. C'est également le cas du remboursement de l'emprunt d'une résidence secondaire. La destination du bien immobilier acquis à l'usage de la famille est indispensable, ainsi que le confirme un arrêt de la première chambre civile du 3 octobre 2018.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses d'investissement – résidence secondaire

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de résidence secondaire au couple et à la famille. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit d'une résidence secondaire à vocation familiale.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Oui, un remboursement de l'emprunt par versements successifs est considéré comme une dépense d'investissement.
  • Est-ce que la dépense effectuée par B a excédé ses facultés contributives, au regard des revenus perçus par chaque époux pendant les années du mariage, ainsi que les économies réalisées par A ?
Si non, alors B assume le financement du bien à hauteur de 100 % et A à hauteur de 0 %. Il ne reçoit aucune indemnité de A.
Si oui, alors une créance pourra être constatée afin que B n'assume pas le financement du bien à hauteur de 100 %.

Les dépenses non considérées comme une contribution aux charges du mariage

– Décisions jurisprudentielles et articles 214 et 815-13 du Code civil. – Des décisions postérieures à celles de 2013 ont posé certaines limites à la contribution aux charges du mariage (A), tandis que d'autres décisions ont précisé les contours de l'article 815-13 du Code civil (B). En effet, si la dépense n'est pas considérée comme une contribution aux charges du mariage au sens de l'article 214 du Code civil, il convient de déterminer la nature de la créance pour l'indivisaire qui a surcontribué par rapport à sa quotité de propriété : créance contre l'indivision de l'article 815-13 du Code civil ou créance entre indivisaires ?

Jurisprudence de l'article 214 du Code civil

– Dépenses exclues de l'article 214 du Code civil. – Les dépenses d'emprunt pour un bien locatif (I) et les dépenses en capital (II) ont été exclues de l'article 214 du Code civil par la jurisprudence.
Les dépenses d'investissement concernant un bien locatif destiné à constituer une épargne
– Jurisprudence constante. – Depuis une décision de sa première chambre civile du 16 octobre 2016, la Cour de cassation indique que le remboursement du prêt n'est pas considéré comme une contribution aux charges du ménage dès lors que le prêt contracté a pour objet le financement de l'acquisition d'un bien locatif destiné à constituer une épargne.
Aucune distinction n'est à opérer en fonction du train de vie des époux. La constitution d'un patrimoine pour l'épargne du ménage n'est pas reconnue comme une contribution aux charges du mariage.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses d'investissement – immeuble de rapport

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert d'investissement locatif pour les époux. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
• Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Non, dès lors qu'il s'agit d'un bien locatif destiné à constituer une épargne. Par suite, une créance sera admise.
Les dépenses en capital
– Jurisprudence constante. – Une décision prise par la première chambre civile de la Cour de cassation au cours de l'année 2019, une deuxième en 2021 et une troisième en 2022 ont déterminé le sort des apports en capital. Une dépense en capital provenant de la vente de biens personnels, effectuée par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l'acquisition d'un bien indivis, n'est pas considérée comme une contribution aux charges du mariage.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses en capital – résidence principale

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Finalement, l'emprunt est soldé par anticipation uniquement par B, par un versement en capital unique, avant paiement des échéances.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Non, contrairement au remboursement de l'emprunt par versements successifs qui est une dépense d'investissement, en l'espèce il s'agit d'une dépense en capital. Par suite, une créance sera admise.

Jurisprudence de l'article 815-13 du Code civil

– Nature de la créance. – Concernant ces dépenses qui sont exclues de la contribution aux charges du mariage, il convient de vérifier la nature de la créance pour l'indivisaire qui aura financé au-delà de sa quote-part de propriété. Pourra-t-il se prévaloir d'une créance au titre de l'article 815-13 du Code civil ?
Pour rappel, les dispositions de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil visent les seules dépenses de conservation ou d'amélioration d'un bien indivis, à l'exclusion des dépenses d'acquisition. Aussi, la jurisprudence se prononce depuis quelques années sur les contours de ces dépenses, et notamment lorsque la surcontribution résulte d'un apport initial d'une somme d'argent (II) ou du remboursement des échéances de l'emprunt (I).
Lorsque le surfinancement résulte du remboursement des échéances d'emprunt
– Créance contre l'indivision. – Dès lors qu'un indivisaire a financé le bien au-delà de sa quote-part de propriété, et ce par le remboursement des échéances d'un prêt, la Cour de cassation a admis à son profit l'existence d'une créance contre l'indivision sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil.
Les conséquences pour celui qui a surfinancé sont les suivantes : d'une part, dès qu'est établie une dépense qui excède la quotité, le droit à créance est présumé ; d'autre part, s'agissant d'une créance contre l'indivision et non d'une créance entre indivisaires, l'intégralité des dépenses d'acquisition engagées par chacun des indivisaires doit être portée en compte.
Le calcul de la créance sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil sera égal à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite, ainsi que l'a confirmé la Haute juridiction.
– Exemples chiffrés.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses d'investissement – immeuble de rapport – créance contre l'indivision

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert d'investissement locatif pour les époux. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B. Au jour de la rupture, le bien est évalué à 125 000,00 €.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
• Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Non, dès lors qu'il s'agit d'un bien locatif destiné à constituer une épargne. Par suite, une créance sera admise.
Pour déterminer la nature et le montant de cette créance, il convient de répondre à cette question :
• Était-ce une dépense de conservation ou d'amélioration d'un bien indivis ? Oui, dès lors que la surcontribution résulte du remboursement des échéances de l'emprunt. Par suite, une créance sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil sera admise.
Ladite créance sur l'indivision sera égale à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite. Et cela vaut pour chacun des deux indivisaires.
Dépense faite de A = 0,00 €.
Dépense faite de B = 100 000,00 € (négligeons les intérêts d'emprunts supposés d'un taux insignifiant).
Profit subsistant de A = (Financement total de l'indivisaire) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 0,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 0,00 €.
Profit subsistant de B = (Financement total de l'indivisaire) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 100 000,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 125 000,00 €.
On retiendra par conséquent pour A l'absence de créance contre l'indivision, et pour B une créance contre l'indivision égale au profit subsistant, soit la somme de 125 000,00 € ; laquelle somme sera portée à l'actif du compte individuel de B et au passif du compte général d'indivision.
L'actif brut indivis est de 125 000,00 €, valeur du bien au jour de la liquidation. L'actif net indivis s'élève donc à 125 000,00 – 125 000,00 = 0. Il est à partager en deux, soit zéro à chacun.
A trouvera donc 0 dans l'indivision et B trouvera 125 000,00 €.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses d'investissement – immeuble de rapport – créance contre l'indivision

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert d'investissement locatif pour les époux. Finalement, l'emprunt est remboursé par B à hauteur de 75 000,00 € et par A à hauteur de 25 000,00 €. Au jour de la rupture, le bien est évalué à 125 000,00 €.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
• Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Non, dès lors qu'il s'agit d'un bien locatif destiné à constituer une épargne. Par suite, une créance sera admise.
Pour déterminer la nature et le montant de cette créance, il convient de répondre à cette question :
• Était-ce une dépense de conservation ou d'amélioration d'un bien indivis ? Oui, dès lors que la surcontribution résulte du remboursement des échéances de l'emprunt. Par suite, une créance sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil sera admise.
Ladite créance sur l'indivision sera égale à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite. Et cela vaut pour chacun des deux indivisaires.
Dépense faite de A = 25 000,00 € (négligeons les intérêts d'emprunts supposés d'un taux insignifiant).
Dépense faite de B = 75 000,00 € (négligeons les intérêts d'emprunts supposés d'un taux insignifiant).
Profit subsistant de A = (Financement total de l'indivisaire) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 25 000,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 31 250,00 €.
Profit subsistant de B = (Financement total de l'indivisaire) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 75 000,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 93 750,00 €.
On retiendra par conséquent pour A comme pour B une créance contre l'indivision égale au profit subsistant, pour A la somme de 31 250,00 € et pour B la somme de 93 750,00 € ; lesquelles sommes seront portées à l'actif de leurs comptes individuels respectifs et au passif du compte général d'indivision.
L'actif brut indivis est de 125 000,00 €, valeur du bien au jour de la liquidation. L'actif net indivis s'élève donc à 125 000,00 – (31 250,00 + 93 750,00) = 0. Il est à partager en deux, soit zéro à chacun.
A trouvera donc 31 250,00 € dans l'indivision et B trouvera 93 750,00 €.
Lorsque le surfinancement résulte de l'apport initial d'une somme d'argent
– Créance entre indivisaires. – Dès lors qu'un indivisaire a financé le bien au-delà de sa quote-part de propriété, et ce par un apport personnel initial, la Cour de cassation avait autrefois admis à son profit l'existence d'une créance contre l'indivision sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil.
Toutefois, par un arrêt du 26 mai 2021, la première chambre de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en considérant désormais la créance comme une créance entre indivisaires.
Il en résulte que l'apport en capital en vue d'acquérir un bien indivis ne constitue plus une dépense de conservation juridique de ce bien. Me Stéphane David souligne l'intérêt de cette décision en ces termes : la Cour de cassation a « remis l'église au milieu du village ».
Le calcul de la créance sera égal, par application de l'article 1543 du Code civil, qui renvoie à l'article 1479, lequel renvoie à l'article 1469 dudit Code, s'agissant d'une créance entre époux séparés de biens, à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
Enfin, la prescription sera celle des dettes entre époux, laquelle, en vertu des dispositions spécifiques de l'article 2236 du Code civil, est suspendue tant que dure l'union.
– Exemples chiffrés.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses en capital – résidence principale – créance entre indivisaires

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, par un apport initial de B à concurrence de 50 000,00 € et le surplus au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Au jour de la rupture, le bien est évalué à 125 000,00 €.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Non, contrairement au remboursement de l'emprunt par versements successifs qui est une dépense d'investissement, en l'espèce il s'agit d'une dépense en capital. Par suite, une créance sera admise.
Pour déterminer la nature et le montant de cette créance, il convient de répondre à cette question :
• Était-ce une dépense de conservation ou d'amélioration d'un bien indivis ? Non, dès lors que la surcontribution résulte d'un apport en capital initial. Par suite, une créance sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil ne sera pas admise en application de la dernière jurisprudence. Il s'agira d'une créance entre époux séparés de biens de l'article 1543 du Code civil.
Ladite créance entre indivisaires, par A à B, sera égale à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite, par application combinée des articles 1479 et 1469, troisième alinéa, du Code civil.
Profit subsistant de B = (Financement au-delà de sa quote-part) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 25 000,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 31 250,00 €.
Dépense faite de B au-delà de sa quote-part = 25 000,00 €.
Soit une créance entre indivisaires, par A à B, d'un montant de 31 250,00 €, égale au profit subsistant.

La contribution aux charges du mariage – immeuble indivis des époux séparés de biens – dépenses en capital – résidence principale – créance entre indivisaires

Au cours de l'union, A et B, époux séparés de biens, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, par un apport initial de B de 100 000,00 €. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Au jour de la rupture, le bien est évalué à 125 000,00 €.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une triple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Non, contrairement au remboursement de l'emprunt par versements successifs qui est une dépense d'investissement, en l'espèce il s'agit d'une dépense en capital. Par suite, une créance sera admise.
Pour déterminer la nature et le montant de cette créance, il convient de répondre à cette question :
• Était-ce une dépense de conservation ou d'amélioration d'un bien indivis ? Non, dès lors que la surcontribution résulte d'un apport en capital initial. Par suite, une créance sur le fondement de l'article 815-13, alinéa 1er du Code civil ne sera pas admise en application de la dernière jurisprudence. Il s'agira d'une créance entre époux séparés de biens de l'article 1543 du Code civil.
Ladite créance entre indivisaires, par A à B, sera égale à la plus forte des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite, par application combinée des articles 1479 et 1469, troisième alinéa, du Code civil.
Profit subsistant de B = (Financement au-delà de sa quote-part) × (Valeur du bien au jour de la liquidation de l'indivision) / (Valeur initiale du bien indivis) = 50 000,00 × 125 000,00 / 100 000,00 = 62 500,00 €.
Dépense faite de B au-delà de sa quote-part = 50 000,00 €.
Soit une créance entre indivisaires, par A à B, d'un montant de 62 500,00 €, égale au profit subsistant.

Les aménagements contractuels de la contribution aux charges du mariage

– Clauses visant la contribution aux charges du mariage. – Les dispositionsde l'article 214 du Code civil concernant la contribution aux charges du mariage, contrairement à toutes les autres dispositions qui régissent le régime primaire, ne sont pas impératives. D'où la possibilité pour les futurs époux (au sein d'un contrat de mariage) ou les époux eux-mêmes (à l'occasion d'un changement de régime) de prévoir conventionnellement comment ils entendent s'acquitter de leur obligation.
– Pratique notariale. – Dès lors, l'analyse de la jurisprudence contemporaine relative à la contribution aux charges du mariage serait incomplète sans l'étude des décisions concernant les aménagements conventionnels issus de la pratique notariale.
Les clauses usuelles (§ I) des contrats de mariage relatives à la contribution aux charges du mariage doivent être réécrites puisque les juges de la Haute juridiction ont soumis leur interprétation à l'appréciation des juges du fond.
Faute de clarté, la responsabilité notariale pourrait être recherchée par l'époux qui s'estime avoir été insuffisamment informé par le notaire rédacteur. Des nouvelles clauses doivent être utilisées (§ II).

Des clauses usuelles inadaptées pour les époux séparés de biens

– Article 1537 du Code civil. – En vertu de l'article 1537 du Code civil, « les époux [séparés de biens] contribuent aux charges du mariage suivant les conventions contenues en leur contrat ; et, s'il n'en existe point à cet égard, dans la proportion déterminée à l'article 214 ». Cet article confirme le caractère supplétif de l'article 214 du Code civil.
La pratique notariale a, par application de cette disposition, mis en place de façon automatique une clause usuelle dans les contrats de mariage.
– Clause notariale usuelle et son contenu. – La clause issue de la pratique notariale, initialement destinée à éviter tout contentieux liquidatif entre les époux, est devenue de style. Son contenu est le suivant : « Les époux contribuent aux charges du mariage, en proportion de leurs revenus et gains respectifs. Chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet aucune quittance l'un de l'autre ».
Au regard du contentieux relatif à la revendication d'une créance par l'un des époux qui prétend avoir excédé son obligation contributive aux charges du mariage lors de l'acquisition du logement de la famille notamment, cette clause n'a pas eu l'effet escompté. Pire, l'effet dégénère en effet pervers.
– Contentieux de cette clause. – Afin d'éteindre le contentieux afférent au respect de l'obligation de contribution aux charges du mariage, l'outil juridique employé est la présomption. Les juges de la Haute juridiction, dans plusieurs arrêts remarqués, ont considéré la présomption relative à la contribution aux charges du ménage insérée dans le contrat de mariage des époux séparés de biens comme étant une présomption irréfragable.
Dans tous ces arrêts, la Cour de cassation rappelle que les juges du fond jouissent d'un pouvoir souverain d'appréciation s'agissant du caractère simple ou irréfragable de la présomption prévue par les époux en matière de contribution aux charges du mariage.
La conséquence est évidente en pratique : si la présomption est simple, la démonstration d'une surcontribution est possible ; si elle est irréfragable, elle prive les époux de tout recours, et toute demande de contribution est neutralisée.
Deux décisions prises par la première chambre civile de la Cour de cassation depuis mai 2020 sont allées encore plus loin.
– Première décision. – La première décision prise par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 mai 2020 a considéré que ladite clause, autrement nommée « Clause de présomption d'acquittement des charges du mariage », avait la qualification de clause de non-recours. Celle-ci conduit à une fin de non-recevoir d'origine conventionnelle.
Il en résulte qu'une action d'un époux qui souhaiterait obtenir, rétrospectivement, une indemnité sur le fondement de la contribution aux charges du mariage n'est pas possible.
Néanmoins, pendant la durée du mariage, cet époux peut contraindre en justice son conjoint à remplir, pour l'avenir, son obligation de contribution aux charges du mariage. Une telle clause de présomption d'acquittement des charges du mariage ne constitue aucunement une autorisation à la non-contribution aux charges du mariage.
En somme, cette clause vise uniquement à éviter que des comptes réciproques ne puissent être établis.
– Seconde décision. – La seconde décision, en date du 18 novembre 2020, sans utiliser le terme exact de « clause de non-recours », aboutit au même résultat.
Les juges confirment le caractère irréfragable de la présomption réputant la contribution aux charges du mariage fournie au jour le jour. Il en résulte qu'une action d'un époux qui souhaiterait obtenir, rétrospectivement, une indemnité sur le fondement de la contribution aux charges du mariage n'est pas possible.

Des nouvelles clauses à adopter

– Ordonnance du 10 février 2016. – En vertu de l'article 1356 du Code civil, « les contrats sur la preuve (…) ne peuvent davantage établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable ». L'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a donc supprimé la possibilité de conférer un caractère irréfragable à une présomption conventionnelle. La majorité de la doctrine a interprété ce texte en confirmant qu'il s'applique même si cette présomption bénéficie à l'ensemble des parties.
Il en résulte que, désormais, la présomption d'accomplissement de l'obligation de contribution aux charges du mariage prévue dans le contrat de mariage ne peut être que simple, contrairement à ce que prévoit actuellement la Cour de cassation.
– Constat. – Force est de constater que ce caractère simple de la présomption ne solutionne malheureusement en rien la problématique.
La pratique notariale avait d'ores et déjà tenté d'affiner, au cours des dernières années, cette clause de style afin d'instituer une présomption simple. L'objectif poursuivi par cette nouvelle rédaction était de ne pas empêcher de faire les comptes a posteriori, mais de prévoir que les époux sont censés avoir contribué selon leurs facultés. Celui qui soutient avoir contribué au-delà – ou en deçà, peu importe – de sa part contributive devra en apporter la preuve, de manière factuelle et matérielle.
Quelle que soit la charge de la preuve, finalement, le contentieux aura bien lieu. La présomption simple n'atteint pas l'objectif poursuivi, celui d'éviter les comptes d'apothicaires ; pas plus que la présomption irréfragable.
Ce n'est donc pas sur le terrain de la présomption qu'il faut se positionner pour contrecarrer la construction prétorienne. De nouvelles pratiques doivent être adoptées par notre profession, voire engagées par le législateur.