Le juge, créateur d'une contribution aux charges du ménage des concubins

Le juge, créateur d'une contribution aux charges du ménage des concubins

– Principe légal. – Selon le Code civil, le concubinage n'est pas un lien de droit mais une simple union de fait. Le législateur a prévu une définition de ce mode de conjugalité uniquement depuis la loi no 99-944 du 15 novembre 1999. Il s'est contenté de le définir sans y adjoindre la moindre règle.
En principe, c'est toujours le droit commun qui s'applique pour les couples en union libre. Ce mode de conjugalité ne fait naître ni droit ni devoir. Par suite, les concubins sont considérés comme des étrangers l'un par rapport à l'autre.
Durant l'union, cette absence de régime se perçoit peu.
En revanche, lorsque cette union prend fin, en cas de séparation ou de décès, la liquidation des intérêts des concubins peut soulever quelques difficultés (notion de « couple a posteriori »). Dans ce cas, il convient de se référer au droit commun et à la jurisprudence.
Par application, le statut du concubinage se reporte aux textes de droit commun notamment concernant l'indemnisation de la rupture du couple, l'indivision et sa sortie par le partage, la reconnaissance de prêts voire de dons entre les concubins, et la reconnaissance d'une société créée de fait ou d'un enrichissement injustifié.
Dans le cadre de la liquidation des intérêts patrimoniaux des concubins, il n'existe aucune obligation légale. En principe, aucun compte ne doit être établi entre eux au moment de la séparation ou du décès : « les concubins ne se doivent rien ». Or, certains d'entre eux ayant été trop généreux pendant l'union peuvent le regretter. Dans les propos qui suivent, ces concubins seront qualifiés de « concubins trop généreux ». Ces derniers peuvent se baser sur plusieurs fondements de droit commun pour demander au juge de reconnaître leur indemnisation (Sous-section I).
– Évolution jurisprudentielle. – Dans plusieurs arrêts remarqués, les juges de la Haute juridiction nous invitent, peut-être, à considérer les concubins « à part », c'est-à-dire en dehors du droit commun. Effectivement, aux termes de ces décisions se dessine peu à peu une sorte de contribution aux charges du ménage des concubins (Sous-section II).
À la lumière de cette jurisprudence émergente, la fameuse affirmation attribuée à Napoléon selon laquelle « les concubins ignorent la loi, la loi ignore les concubins » ne semble plus vraiment d'actualité.

Les fondements de l'indemnisation des concubins trop généreux

– Code civil. – En l'absence de régime légal, et de convention conclue entre eux, les concubins désireux d'être indemnisés du fait de leur trop grande générosité envers leur concubin peuvent recourir au principe du tiers possesseur des travaux (§ I), au régime légal de l'indivision (§ II), ainsi qu'aux quasi-contrats (§ III).
En somme, cinq textes du Code civil peuvent être invoqués par les concubins trop généreux afin d'obtenir la compensation des dépenses réalisées, dès lors qu'aucune convention n'a été conclue entre les parties.

Le principe du tiers possesseur des travaux : l'article 555 du Code civil

– Premier fondement. – L'article 555 du Code civil, fondement du principe dit « du tiers possesseur des travaux », constitue le premier de ces textes.
Celui-ci sera invoqué par un concubin qui aura financé la construction d'un bien sur le terrain appartenant à l'autre concubin.
– Jurisprudence constante. – Il convient de préciser, à cet égard, que les tribunaux reconnaissent classiquement l'application de ce principe pour des concubins en l'absence de convention particulière réglant le sort des constructions. Selon une jurisprudence désormais constante, le concubin peut obtenir, en cas de rupture, une indemnisation pour les sommes qu'il a déboursées au titre d'une construction sur le terrain de l'autre quand ce dernier décide de le conserver. Le caractère exclusif de la participation du concubin au financement des travaux n'est pas requis. Seule compte l'absence de contrat conclu entre les parties.

Le régime légal de l'indivision : l'article 815-13 du Code civil

– Deuxième fondement. – Dans le chapitre du Code civil relatif au régime légal de l'indivision (contenant les articles 815 à 815-18), l'article 815-13, fondement de l'amélioration d'un bien indivis par un indivisaire, constitue le deuxième de ces textes.
Celui-ci sera invoqué par un concubin qui aura engagé des dépenses d'amélioration, de conservation ou de construction sur un bien indivis. Il sera également invoqué si le concubin a personnellement réalisé des travaux à frais communs sur un bien indivis.
– Jurisprudence constante. – Il convient de préciser, à cet égard, que les tribunaux reconnaissent que les dépenses, qui ne sont considérées ni comme des dépenses de conservation, ni comme des dépenses d'amélioration, mais comme des dépenses d'entretien, n'ouvrent pas droit à indemnisation sur ce fondement.
Nous renvoyons sur ce point au rapport du 106e Congrès des notaires de France :
Rapport du 106e Congrès des notaires de France, Bordeaux, 30 mai au 2 juin 2010, Couples, Patrimoine, les défis de la vie à 2, 3e commission, no 3448, p. 787 à 789.">Lien

Prescription des dettes sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil et concubinage

Cour de cassation, 1re chambre civile, 14 avril 2021, no 19-21.313.
Pour les couples de concubins, en qualité d'indivisaires concernés par les dispositions de l'article 815-13 du Code civil, se posait la question de savoir à quel moment ils peuvent exiger le paiement de la créance.
Celle-ci doit-elle faire l'objet d'une entrée en compte, différant son exigibilité, ou son paiement peut-il être immédiat, en dehors de tout compte ?
Cette question était débattue en doctrine.
La Cour de cassation a pris position en retenant que « la créance revendiquée par [l'indivisaire ayant seul remboursé le prêt] était exigible dès le paiement de chaque échéance de l'emprunt immobilier, à partir duquel la prescription commençait à courir ».
Il en résulte que le paiement de chaque échéance de l'emprunt bancaire fait naître la créance contre l'indivision et sert de point de départ à la prescription quinquennale. L'indivisaire n'est donc pas tenu d'attendre le partage pour solliciter le paiement de sa créance.
En pratique, les concubins doivent être particulièrement vigilants afin de demander, au bon moment, le paiement de leurs créances sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil. S'ils ne le font pas au fur et à mesure, alors, sur la durée, tout ou partie des paiements de la créance ne pourront plus être exigés en raison de la prescription.
Pour résumer, est repris ci-après un tableau récapitulatif du régime juridique du recouvrement des créances patrimoniales dans le cadre des diverses unions :
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Tableau représentant le récapitulatif du régime juridique du recouvrement des créances patrimoniales dans le cadre des diverses unions

Les quasi-contrats

– Trois fondements. – Les concubins peuvent enfin se rabattre sur les quasi-contrats pour obtenir la compensation des dépenses réalisées au profit de l'autre. Deux d'entre eux sont habituellement sollicités : la société créée de fait (A) et l'enrichissement injustifié (B). « L'étude du contentieux révèle toutefois que leurs chances de succès sont réduites : au cantonnement progressif de la société créée de fait s'ajoute l'admission aléatoire de l'enrichissement sans cause ».
Heureusement, la récente réforme du droit des quasi-contrats a consacré un troisième fondement ; il s'agit de la gestion d'affaires intéressée (C).

La société créée de fait : l'article 1873 du Code civil

– Troisième fondement : « quasi-contrat partage » . – L'article 1873 du Code civil, fondement de la société créée de fait, constitue le troisième de ces textes.
Celui-ci sera invoqué par un concubin qui estimera avoir participé à l'enrichissement de son concubin par suite d'un travail commun. Il n'aura dans le cadre dudit travail perçu aucune rémunération pendant l'union.
– Jurisprudence constante. – Il convient de préciser, à cet égard, que les tribunaux reconnaissent son existence si plusieurs éléments sont réunis, notamment apports, participation aux bénéfices et aux pertes, affectio societatis. Ce fondement est peu invoqué, et plus rarement admis.
À plusieurs reprises, il n'a pu être retenu lorsqu'un concubin construit sur le terrain appartenant à l'autre ou améliore un immeuble appartenant à l'autre. Notamment, les juges de la Haute juridiction ont relevé qu'il n'existait « aucun élément de nature à démontrer une intention de s'associer distincte de la mise en commun d'intérêts inhérente à la vie maritale », ou encore que « l'intention de s'associer en vue d'une entreprise commune ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier ».

L'enrichissement injustifié : l'article 1303 du Code civil

– Quatrième fondement : « quasi-contrat échange » . – L'article 1303 du Code civil, fondement de l'enrichissement injustifié autrefois dénommé « enrichissement sans cause », constitue le quatrième de ces textes.
Celui-ci sera invoqué par un concubin qui estimera avoir participé à l'enrichissement de son concubin dès lors qu'aucun autre fondement ne pourra être utilisé.
En qualité d'action à caractère subsidiaire, la notion d'enrichissement injustifié doit être invoquée à titre principal, conformément à l'article 1303-3 du Code civil. Elle ne peut pas l'être en tant que demande subsidiaire dans l'hypothèse où le recours à un autre mécanisme se révélerait inopérant en raison d'un obstacle de droit.
– Jurisprudence constante. – Il convient de préciser, à cet égard, que les tribunaux apprécient souverainement les faits afin de vérifier que les conditions sont remplies. Le concubin doit alors prouver que l'enrichissement de l'autre n'est pas causé, notamment par l'existence d'une contrepartie patrimoniale, ou d'une participation à la vie commune (contraire à l'article 1303-1 du Code civil), ou encore d'une intention libérale (idem) ou personnelle (contraire à l'article 1303-2 du Code civil). L'issue d'une telle action s'avère aléatoire, même si la rupture d'une union libre fournit très souvent l'occasion d'exercer une action sur ce fondement.
À plusieurs reprises, l'enrichissement injustifié a pu être retenu lorsqu'un concubin construit sur le terrain appartenant à l'autre ou améliore un immeuble appartenant à l'autre.

Prescription de l’enrichissement injustifié et concubinage

Absence de suspension du délai de prescription de l'action de in rem verso pour les concubins.
Avant la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'action de in rem verso se prescrivait par trente ans à compter du jour de l'enrichissement (C. civ., art. 2262 ancien).
Depuis, elle est soumise au délai de prescription quinquennal qui court à compter du jour où l'appauvri a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son action. En outre, si le délai de prescription n'avait pas fini de courir au jour de l'entrée en vigueur de la réforme le 18 juin 2008, un nouveau délai de cinq ans courait jusqu'au 18 juin 2013.
Par suite, dans le cas de travaux réalisés par un concubin sur le fonds appartenant à l'autre concubin, si la rénovation est intervenue, savoir :
  • avant le 18 juin 2008, l'action de in rem verso est a priori prescrite ;
  • après le 18 juin 2008, l'action est soumise au délai de prescription quinquennal qui court à compter de la réalisation des travaux ; en effet, l'appauvri savait pertinemment qu'il n'était pas propriétaire du bien et que, ce faisant, il enrichissait son concubin.
Néanmoins, un délai de prescription peut être suspendu ou interrompu. Parmi les causes de suspension du délai ne figure pas le concubinage, contrairement au Pacs et au mariage. Le fait que le couple ait vécu en concubinage au moment des travaux est donc indifférent quant à la prescription de l'action de in rem verso.
En définitive, sauf preuve d'une cause interruptive ou suspensive de la prescription, l'action en paiement du concubin trop généreux sur le fondement de l'enrichissement injustifié sera prescrite dans le délai quinquennal à compter de la réalisation des travaux.
Son recours sera donc généralement bloqué si la rupture litigieuse intervient plus de cinq ans après la réalisation des travaux. En effet, en pratique, il est peu probable que, pendant la vie du couple, le concubin trop généreux actionne l'autre pour indemnisation sur ce fondement. Généralement, ce dernier s'en préoccupe lors d'une séparation, voire d'un décès.

La gestion d'affaires : l'article 1301 du Code civil

– Cinquième fondement. – L'article 1301 du Code civil, issu de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, fondement de la gestion d'affaires intéressée, constitue le cinquième et dernier de ces textes. Celui-ci pourra être invoqué par un concubin qui aura engagé des dépenses d'amélioration, de conservation ou de construction sur un bien appartenant à l'autre concubin.
À cet égard, le professeur Chénedé souligne que ce fondement est, pour l'heure, très rarement invoqué dans le cadre de la liquidation patrimoniale des concubins. Néanmoins, l'ordonnance no 2016-131 pourrait l'avoir remis en vogue.
– Conditions. – Selon l'article 1301 du Code civil, les conditions de cette action sont remplies dès lors que, savoir :
  • le concubin généreux n'est pas légalement tenu de financer l'immeuble de son concubin. Son action doit être spontanée ;
  • le concubin généreux gère sciemment l'affaire de son concubin. Son action doit être consciente ;
  • le concubin généreux gère utilement l'affaire de son concubin. Son action ne doit pas nécessairement retirer un profit ; tant que la gestion apporte une opportunité au concubin, le critère de l'utilité de la gestion sera rempli.
En outre, la générosité des concubins peut porter sur le logement du couple ou de la famille sans que cela ne fasse échec à la mise en œuvre de cette action. Effectivement, l'article 1301-4 du Code civil vient à leur secours, puisqu'en son premier alinéa il précise, contrairement à l'article 1303-2 du même Code pour l'enrichissement injustifié, que « l'intérêt personnel du gérant à se charger de l'affaire d'autrui n'exclut pas l'application des règles de la gestion d'affaires ».

L'émergence d'une contribution aux charges du ménage pour les concubins

– Intervention du juge. – « Comme le Code civil n'élabore pas de règles régissant l'union patrimoniale des concubins, devant cette vacance légale, c'est le juge qui, à travers son pouvoir créateur du droit, répond à cet office. Il édifie le droit patrimonial des concubins ».
Le juge a apporté de nombreuses réponses à certaines situations particulières. Il se charge de combler plusieurs vides juridiques, à l'instar de celui afférent à la liquidation des comptes existants entre les concubins lors de la rupture, et plus précisément celui des concubins trop généreux.
– Création prétorienne. – De ce fait, l'émergence depuis plusieurs années dans la jurisprudence d'une sorte de contribution aux charges du ménage pour les concubins interroge.
Les concubins trop généreux se voient de plus en plus refuser l'application de certains fondements développés précédemment (§ I).
Face aux obstacles auxquels ces derniers sont dorénavant confrontés, les juges de la Haute juridiction sont invités à confirmer leur jurisprudence, mais également à admettre l'application de l'article 1301 du Code civil aux concubins (§ II). Le recours à la gestion d'affaires leur permettrait d'obtenir une indemnisation. L'objectif serait également de dire « stop » à la logique du « tout ou rien », et d'encourager une indemnisation sur la base d'une valeur médiane.

Les obstacles à l'application de certains fondements pour les concubins trop généreux

– Trois fondements en cause. – L'étude des dernières décisions jurisprudentielles démontre à quel point l'indemnisation des concubins trop généreux devient exceptionnelle.
Le durcissement progressif des conditions de l'enrichissement injustifié (C) ainsi que la non-application, pour des concubins, des articles 555 (B) et 815-13 (A) du Code civil, vont dans ce sens.
– Principe jurisprudentiel de la contribution aux charges du ménage des concubins. – Ce contentieux gravite autour de la contribution aux charges du ménage pour des concubins, dont les principes ont été posés en jurisprudence.
Depuis longtemps, le juge rappelle le principe selon lequel il n'existe aucune disposition légale réglant la contribution aux charges du ménage des concubins. Ainsi, ils doivent être considérés comme des « étrangers », contrairement aux époux (C. civ., art. 214) et aux partenaires (C. civ., art. 515-4), pour lesquels le législateur a prévu des dispositions sur le sort des dettes ménagères.
Dès lors, en l'absence de convention prévoyant les modalités de contribution aux charges de la vie commune, chacun des concubins doit supporter seul et définitivement les dépenses de la vie courante qu'il a engagées. Compte tenu des principes de la séparation de leurs patrimoines et de l'indépendance financière qui leur sont propres, la volonté commune des concubins d'effectuer seuls ces dépenses est le critère unique retenu depuis longtemps par la Haute juridiction.

Les obstacles de l'article 815-13 du Code civil

– Jurisprudence constante. – À plusieurs reprises, les juges de la Cour de cassation se sont prononcés sur la non-application de l'article 815-13 du Code civil pour l'admission des créances au profit des concubins trop généreux. Ce fut particulièrement le cas lors d'une acquisition en indivision, par un couple vivant en union libre, de leur résidence principale au moyen d'un emprunt bancaire.
Il a été jugé qu'« après avoir constaté que l'emprunt immobilier avait été contracté par les deux concubins, que l'immeuble constituait le logement du couple et de leur enfant commun, qu'au cours de la vie commune, M. X… remboursait les échéances de cet emprunt, outre d'autres charges, mais que ses revenus déclarés étaient insuffisants pour faire face à l'ensemble de ces dépenses, tandis que Mme Y…, qui disposait d'un salaire, payait également des frais de nourriture et d'habillement, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'il existait une volonté commune de partager les dépenses de la vie courante, justifiant que M. X… conservât la charge des échéances du crédit immobilier ». On retrouve la même solution dans un arrêt du 7 février 2018.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du ménage des concubins – immeuble indivis des concubins – dépenses d'investissement – résidence principale

Au cours de l'union, A et B, concubins, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une quadruple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Oui, un remboursement de l'emprunt par versements successifs est considéré comme une dépense d'investissement.
  • Existait-il une volonté commune des concubins que le prêt soit pris en charge uniquement par B ? Si oui, passer à la question suivante.
  • Est-ce que la dépense effectuée par B a excédé ses facultés contributives, au regard des revenus perçus par chaque concubin pendant les années du concubinage, ainsi que les économies réalisées par A ?
Si non, alors B assume le financement du bien à hauteur de 100 % et A à hauteur de 0 %. Il ne reçoit aucune indemnité de A.
Si oui, alors une créance pourra être constatée afin que B n'assume pas le financement du bien à hauteur de 100 %.
– Constat. – Le principe de la contribution aux charges du ménage pour des concubins fait donc échec à l'admission d'une créance sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil pour ces concubins trop généreux.

Les obstacles de l'article 555 du Code civil

– Jurisprudence récente. – La Cour de cassation, dans un arrêt rendu par sa première chambre civile le 2 septembre 2020, fait application du principe de la « contribution aux dépenses de la vie courante des concubins ». Elle écarte, à cet effet, celui du tiers possesseur des travaux au sens de l'article 555 du Code civil.
Dans cette décision, deux personnes vivant en concubinage avaient souscrit deux emprunts pour financer les travaux d'une maison d'habitation qu'ils ont édifiée sur le terrain dont l'un d'eux était seul propriétaire. En l'espèce, la Haute juridiction considère que le financement de la maison est assimilé à une dépense de la vie courante. L'analyse précise de la fonctionnalité de la dépense effectuée au regard de la situation globale du couple fonde le raisonnement in concreto des juges. Ensuite, ces derniers se basent sur l'existence d'une volonté commune du couple pour décider que ces dépenses doivent rester définitivement à la charge de celui qui les avait exposées. Désormais, la Cour de cassation admet que cet accord soit implicite pour permettre d'établir cette volonté commune.
– Exemple chiffré.

La contribution aux charges du ménage des concubins – immeuble appartement à l'un des concubins – dépenses d'investissement – résidence principale

Au cours de l'union, B effectue une dépense de 100 000,00 € pour la réhabilitation d'un immeuble appartenant à A et servant de logement au couple.
Lors de la rupture, il convient de répondre à une quadruple question successivement (si oui à une question, passer à la suivante ; si non à une question, pas besoin de répondre aux questions suivantes, une créance sera admise) :
  • Le bien acquis est-il destiné à l'usage de la famille ? Oui, dès lors qu'il s'agit du logement du couple ou de la famille.
  • Était-ce une dépense d'investissement ? Oui, un remboursement de l'emprunt par versements successifs est considéré comme une dépense d'investissement.
  • Existait-il une volonté commune des concubins que cette dépense soit effectuée uniquement par B ? Si oui, passer à la question suivante.
  • Est-ce que la dépense effectuée par B a excédé ses facultés contributives, au regard des revenus perçus par chaque concubin pendant les années du concubinage, ainsi que les économies réalisées par A ?
Si non, alors B assume le financement du bien à hauteur de 100 % et A à hauteur de 0 %. Il ne reçoit aucune indemnité de A.
Si oui, alors une créance pourra être constatée afin que B n'assume pas le financement du bien à hauteur de 100 %.
– Constat. – En somme, une dépense effectuée par un concubin pour la construction d'un bien sur le terrain appartenant à l'autre concubin n'est plus, de droit, qualifiée de dépense d'une construction relevant de l'article 555 du Code civil.
La Haute juridiction tente, de ce fait, de définir les contours de la notion de tiers possesseur des travaux. L'objectif majeur est d'en exclure le concubin, afin d'éviter que l'article 555 du Code civil ne devienne le texte de référence des rapports patrimoniaux entre concubins.
Ce faisant, en refusant explicitement d'appliquer un texte de droit commun (C. civ., art. 555), la Cour de cassation donne une importance accrue au principe de la contribution aux charges du ménage pour les couples en union libre. Il semble donc que les concubins ne doivent plus vraiment être considérés comme des étrangers. Ils seraient désormais soumis à une véritable obligation aux dépenses de la vie courante, qui « ne tirerait pas sa source des dispositions du Code civil. Elle serait de l'essence même du concubinage ».
Voilà comment les juges érigent, au fil du temps, un droit patrimonial des concubins. Cette décision, qui devra être confirmée, s'inscrit dans la logique de la jurisprudence afférente à l'enrichissement injustifié, et présente le même écueil. L'émergence de cette contribution aux charges du ménage pour les concubins entérine une vraie logique « du tout ou rien (admission ou rejet de l'indemnisation), dont l'issue apparaît plus souvent défavorable que favorable pour le concubin demandeur ».

Les obstacles de l'enrichissement injustifié

– Jurisprudence établie et conditions légales. – Au fil du temps, les juges de la Haute juridiction, puis le législateur en 2016, ont posé diverses conditions restrictives à l'action de in rem verso, lesquelles deviennent un véritable obstacle à son succès.
Les premières conditions posées par la jurisprudence ont été reprises par l'ordonnance du 10 février 2016 : la participation financière du concubin sur le bien de l'autre ne doit pas être justifiée par une intention libérale et personnelle. Spécialement lorsque l'immeuble financé ou rénové assure le logement des concubins ou de leur famille, cette condition n'est pas réputée être remplie. Ensuite, la participation financière du concubin sur le bien de l'autre doit dépasser la « simple entraide » ou les « frais de la vie commune ».
Certes les concubins, contrairement aux époux (C. civ., art. 214) et aux partenaires (C. civ., art. 515-4), ne connaissent pas d'obligation légale aux charges du ménage. Or, à plusieurs reprises, la Cour de cassation a considéré qu'existe entre eux une certaine obligation morale équivalente. Elle l'a confirmé dans un arrêt du 10 février 2016. En définitive, le recours à l'action de l'enrichissement injustifié est désormais très limité pour les concubins trop généreux. Cette action s'inscrit également aujourd'hui dans la fameuse logique « du tout ou rien (admission ou rejet de l'indemnisation) ».
– Exemple chiffré.

L'enrichissement injustifié pour le cas des concubins trop généreux – immeuble appartenant à l'un des concubins – cas où il n'a pas été admis

Au cours de l'union, B effectue une dépense de 100 000,00 € pour la réhabilitation d'un immeuble appartenant à A et servant de logement au couple.
Lors de la rupture, comme il s'agit d'une dépense sur le logement du couple ou de la famille, la participation financière est justifiée par une intention personnelle. L'enrichissement injustifié ne sera pas appliqué. Par suite, B ne reçoit aucune indemnité de A. Donc B assume la dépense à hauteur de 100 % et A à hauteur de 0 %.
– Indemnité. – Toutefois, cette affirmation pourrait être limitée par la jurisprudence récente concernant les règles de calcul de l'indemnité due par l'enrichi de l'article 1303 du Code civil. L'indemnisation, si elle est acceptée sur ce fondement, pourrait être d'une valeur inférieure aux sommes déboursées.
En effet, pour la première fois la Cour de cassation s'est prononcée sur le calcul de l'indemnité de l'enrichissement injustifié en se fondant sur le nouvel article 1303 du Code civil. Les juges de la Haute juridiction ont confirmé que celui qui s'est enrichi du fait de la construction sur son terrain d'une piscine financée par son ex-concubin lui doit une indemnité égale à la plus faible des deux sommes entre le coût des travaux et la plus-value immobilière. Ils censurent la décision de la cour d'appel, car celle-ci aurait dû rechercher le montant de la plus-value immobilière apportée au bien de l'ex-concubine pour fixer l'indemnité à la moins élevée des deux sommes représentatives de l'enrichissement du débiteur et de l'appauvrissement du créancier.
Cette décision reprend les règles fixées par la jurisprudence avant la réforme.
– Exemples chiffrés.

L'enrichissement injustifié pour le cas des concubins trop généreux – immeuble appartenant à l'un des concubins – cas où il a été admis – plus-value immobilière supérieure à la dépense faite

Au cours de l'union, B effectue une dépense de 100 000,00 € pour la réhabilitation d'un immeuble appartenant à A et ne servant pas de logement au couple ou à la famille.
Lors de la rupture, comme il ne s'agit pas d'une dépense sur le logement du couple ou de la famille, la participation financière n'est pas justifiée par une intention personnelle. L'enrichissement injustifié peut être appliqué.
Les parties doivent déterminer le montant de la plus-value immobilière apportée par la réhabilitation sur le bien. Par exemple : 120 000,00 €.
Par suite, B reçoit de A une indemnité à hauteur de la moins élevée des deux sommes représentatives de l'enrichissement de A (120 000,00 €) et de l'appauvrissement de B (100 000,00 €), soit une indemnité de 100 000,00 €. Donc B assume la dépense à hauteur de 0 % et A à hauteur de 100 %.

L'enrichissement injustifié pour le cas des concubins trop généreux – immeuble appartenant à l'un des concubins – cas où il a été admis – plus-value immobilière inférieure à la dépense faite

Au cours de l'union, B effectue une dépense de 100 000,00 € pour la réhabilitation d'un immeuble appartenant à A et ne servant pas de logement au couple ou à la famille.
Lors de la rupture, comme il ne s'agit pas d'une dépense sur le logement du couple ou de la famille, la participation financière n'est pas justifiée par une intention personnelle. L'enrichissement injustifié peut être appliqué.
Les parties doivent déterminer le montant de la plus-value immobilière apportée par la réhabilitation sur le bien. Par exemple : 80 000,00 €.
Par suite, B reçoit de A une indemnité à hauteur de la moins élevée des deux sommes représentatives de l'enrichissement de A (80 000,00 €) et de l'appauvrissement de B (100 000,00 €), soit une indemnité de 80 000,00 €. Donc B assume la dépense à hauteur de 20 % et A à hauteur de 80 %.

Application dans le temps de l’ordonnance n 2016-131

Droit transitoire.
Faits antérieurs au 1er octobre 2016.
– Instance introduite postérieurement. L'entrée en vigueur de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 a été fixée au 1er octobre 2016, en vertu de son article 9. En l'absence de disposition transitoire concernant les quasi-contrats, lorsqu'une instance a été introduite après cette date, les règles de conflit de lois dans le temps sont celles du droit commun : la loi ne dispose que pour l'avenir et elle n'a point d'effet rétroactif (C. civ., art. 2).
Dès lors que la loi applicable aux conditions d'existence de l'enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s'applique immédiatement à la détermination et au calcul de l'indemnité, même pour des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur.
Par suite, pour des travaux réalisés en 2014 et 2015 par un concubin sur le terrain de l'autre concubin, c'est-à-dire antérieurement à l'entrée en vigueur de la réforme, la Cour de cassation juge que l'article 1303 du Code civil est applicable.

L'opportunité de la gestion d'affaires intéressée pour les concubins trop généreux

– Logique du juste milieu. – Une fois de plus, l'article 1301-4 du Code civil, propre à la gestion d'affaires intéressée vient au secours des concubins. Si les concubins trop généreux ne peuvent plus se prévaloir de l'enrichissement injustifié ainsi que du principe du tiers possesseur des travaux, ils pourraient se baser sur la gestion d'affaires intéressée.
Ce fondement présente un intérêt majeur puisque le second alinéa de l'article 1301-4 du Code civil précise que « la charge des engagements, des dépenses et des dommages se répartit à proportion ». Cette règle constitue une réelle opportunité en ce sens qu'elle « traduit le passage d'un mécanisme commutatif, qui justifie la compensation des pertes subies (gestion d'affaires désintéressée, quasi-contrat échange), à un mécanisme distributif, qui commande leur répartition (gestion d'affaires intéressée, quasi-contrat partage) ».
En pratique, admettre ce fondement permettrait d'évincer la logique du « tout (indemnisation totale à hauteur des sommes déboursées) ou rien (refus total de l'indemnisation) » et permettre une voie médiane, celle du juste milieu, à condition que la loi ou le contrat détermine ses modalités d'exécution de manière précise.
– Exemples chiffrés.

La gestion d'affaires pour le cas des concubins trop généreux – immeuble indivis des concubins

Au cours de l'union, A et B, concubins, acquièrent un bien immobilier en indivision, à hauteur de moitié chacun. Le bien est acquis pour 100 000,00 €, sans apport, au moyen d'un prêt bancaire commun. Ledit bien sert de logement au couple et à la famille. Finalement, l'emprunt est remboursé uniquement par B.
Lors de la rupture, les parties doivent déterminer et justifier la proportion de leurs intérêts dans l'affaire commune, afin de déduire du droit à indemnisation de B :
  • le montant de l'obligation naturelle de B de contribuer aux charges du ménage (aucune compensation possible) ; par exemple : 25 000,00 € ;
  • le montant de l'intérêt personnel de B d'être hébergé dans le bien appartenant pour moitié à A ; par exemple, la moitié : 50 000,00 €.
Par suite, B reçoit de A une indemnité de 25 000,00 € (= 100 000,00 – 25 000,00 – 50 000,00), équivalente au quart restant. Donc B assume le financement du bien à hauteur de 75 % et A à hauteur de 25 %.

La gestion d'affaires pour le cas des concubins trop généreux – immeuble appartenant à l'un des concubins

Au cours de l'union, B effectue une dépense de 100 000,00 € pour la réhabilitation d'un immeuble appartenant à A et servant de logement au couple ou à la famille.
Lors de la rupture, les parties doivent déterminer et justifier la proportion de leurs intérêts dans l'affaire commune, afin de déduire du droit à indemnisation de B :
  • le montant de l'obligation naturelle de B de contribuer aux charges du ménage (aucune compensation possible) ; par exemple : 25 000,00 € ;
  • le montant de l'intérêt personnel de B d'être hébergé dans le bien appartenant à A ; par exemple, la moitié : 50 000,00 €.
Par suite, B reçoit de A une indemnité de 25 000,00 € (= 100 000,00 – 25 000,00 – 50 000,00), équivalente au quart restant. Donc B assume la dépense à hauteur de 75 % et A à hauteur de 25 %.