La vente du site ICPE après cessation de l'exploitation

La vente du site ICPE après cessation de l'exploitation

– Plan. – La cession d'un site ayant supporté une ICPE, après la cessation d'activité, nécessite une vigilance accrue du notaire en charge du dossier, qu'il s'agisse de vérifier la bonne exécution des obligations de l'exploitant (Sous-section I) ou la régularité du transfert de ces dernières au profit du cessionnaire quand cela est possible (Sous-section II).

Les obligations de l'exploitant dans le cadre de la cessation de son activité

– Évolutions législatives. – L'obligation de remise en état d'un site ayant supporté une ICPE (ou sa réhabilitation, pour reprendre la terminologie de la loi no 2020-1525 du 7 décembre 2020 dite « loi Asap ») est le fruit d'une construction législative par plusieurs strates : décret no 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976, loi no 2003-699 du 30 juillet 2003, loi no 2014-366 du 24 mars 2014, loi Asap du 7 décembre 2020 citée ci-dessus, ainsi que la loi Climat et résilience du 22 août 2021 dont nous avons déjà évoqué certains points. Ces textes ont organisé la création et le régime de l'obligation administrative de remise en état du site par son exploitant. Il importe de s'intéresser tout d'abord au contenu de cette obligation (§ I), avant d'analyser le rôle de contrôle et de prévention du notaire dans la cession de l'immeuble ayant fait l'objet d'une telle procédure (§ II).

Le contenu de l'obligation de remise en état

  • concernant les ICPE autorisées ou enregistrées devant être mises à l'arrêt définitivement, l'exploitant doit faire attester par une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués de la mise en sécurité du site au moyen de mesures appropriées, d'une part, et de l'adéquation des mesures proposées en vue de la réhabilitation du site et de leur mise en œuvre, d'autre part ;
  • concernant les ICPE soumises à simple déclaration, leur mise à l'arrêt définitive doit faire l'objet d'une attestation délivrée par une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués établissant la mise en sécurité du site.
Cette obligation implique plusieurs intervenants : l'exploitant bien évidemment, le préfet, le maire de la commune siège de l'ICPE ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme, et le propriétaire du terrain s'il n'est pas l'exploitant.
– Obligation administrative. – L'idée de ces développements n'est pas de relater dans le détail la procédure d'arrêt d'exploitation d'une ICPE et de remise en état (ou réhabilitation) du site, mais simplement de rappeler les obligations de l'exploitant, les grandes étapes de la procédure, et quelques définitions permettant de bien appréhender la matière. Il convient tout d'abord de rappeler que cette obligation, à la charge de l'exploitant, est une obligation administrative dont le régime diffère selon que l'ICPE a été autorisée ou enregistrée, d'une part, ou simplement déclarée, d'autre part :
– Définitions. – L'un des apports importants de la loi « Asap » no 2020-1525 et de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 est de définir précisément les notions les plus importantes du droit des installations classées :
  • cessation d'activité (C. env., art. R. 512-75-1) : « ensemble d'opérations administratives et techniques effectuées par l'exploitant d'une ou plusieurs ICPE afin de continuer à garantir les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 lorsqu'il n'exerce plus les activités justifiant le classement de ces installations au titre de la nomenclature sur une ou plusieurs parties d'un même site » ;
  • usage (C. env., art. L. 556-1 A) : « L'usage est défini comme la fonction ou la ou les activités ayant cours ou envisagées pour un terrain ou un ensemble de terrains donnés, le sol de ces terrains ou les constructions ou installations qui y sont implantées » ;
  • remise en état ou réhabilitation (C. env., art. R. 512-75-1, VI) : « consiste à placer le ou les terrains d'assiette d'une ou plusieurs installations classées pour la protection de l'environnement dans un état permettant un usage futur du site déterminé ».
  • au moins trois mois avant la fin de l'exploitation, l'exploitant informe le préfet de la cessation d'activité en indiquant les mesures prises pour la mise en sécurité du site ;
  • dans le même temps, et si le futur usage n'a pas été déterminé par l'arrêté d'autorisation ou d'enregistrement de l'ICPE, l'exploitant communique au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale ainsi qu'au propriétaire du terrain les études et rapports environnementaux adressés au préfet ainsi que ses propositions en matière d'usage futur du site. Une copie de ses propositions est transmise au préfet :
  • si l'usage futur est incompatible avec l'usage futur de la zone tel qu'il résulte des documents d'urbanisme, le maire ou le président de l'EPIC informe le préfet, l'exploitant et le propriétaire de cette incompatibilité. Le préfet doit alors se prononcer sur cette incompatibilité, et doit le cas échéant fixer les usages qui devront être pris en compte ;
  • si le futur usage du site a été déterminé aux termes de l'arrêté d'autorisation ou d'enregistrement, l'exploitant transmet alors un mémoire précisant les mesures prises pour la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du Code de l'environnement.
– Mise en œuvre de la procédure de réhabilitation. – Dans le cadre des ICPE soumises à autorisation ou enregistrement, cette procédure est établie par les articles R. 512-39-1 et suivants et R. 512-46-25 et suivants du Code de l'environnement. Les principes sont les suivants :

Le rôle du notaire dans la cession du terrain support d'une ICPE ayant fait l'objet d'une cessation d'activité

– Obligation générale d'information du vendeur. – L'élément fondamental de la vente d'un immeuble ayant supporté une ICPE est l'obligation spécifique d'information dont est débiteur le vendeur. Cette obligation est définie par l'article L. 514-20 du Code de l'environnement. La portée de cet article a été renforcée par la loi no 2014-366 du 24 mars 2014 dite « loi Alur », puisque la sanction en cas de non-révélation de l'existence d'une ICPE, et en cas de pollution avérée, peut aller de la restitution d'une partie du prix de vente à la résolution de cette dernière. Le notaire en charge d'un dossier de vente de ce type devra tout d'abord interroger son client sur la nature de l'activité exercée sur le terrain. Enfin, la consultation des bases de données Basiol, Basias, SIS, ainsi que la consultation du site internet http://www.georisques.gouv.fr">Lien doivent aujourd'hui constituer une démarche préalable nécessaire.
– Anticipation du contentieux. – Dans le cadre de la vente d'un terrain ayant supporté une ICPE, et afin de prévenir les risques pouvant attenter à la sécurité juridique de l'opération, il sera nécessaire de connaître les intentions de l'acquéreur quant à l'usage qu'il souhaitera donner au bien acquis. Une fois connus l'historique du site et les intentions de l'acquéreur, le notaire devra en outre, et selon nous avant toute signature d'avant-contrat, disposer de la documentation suivante :
  • arrêté préfectoral d'autorisation ou d'enregistrement de l'ICPE allant ou venant de cesser son activité : il est en effet fondamental d'identifier l'activité qui était exercée sur le site, et ce d'autant plus qu'en principe, depuis le 1er janvier 2004, l'arrêté d'autorisation d'exploiter doit prévoir l'usage futur après cessation de l'exploitation ;
  • copie de la notification de cessation d'activité adressée par l'exploitant au préfet ;
  • copie des pièces communiquées au maire et au propriétaire en vue de la cessation d'activité et du changement d'usage : études et rapports environnementaux, propositions d'usage ;
  • attestation du bureau d'étude justifiant de la réalisation des travaux de mise en sécurité du site ;
  • attestation du bureau d'étude justifiant de l'adéquation des mesures de réhabilitation proposées par l'exploitant avec l'état du terrain ;
  • accord des personnes consultées (préfet, mairie et propriétaire) sur le changement d'usage et les mesures de réhabilitation proposées ;
  • attestation du bureau d'étude justifiant de la réalisation des travaux de réhabilitation ;
  • justification de la transmission de cette attestation aux destinataires légaux : préfet, maire et propriétaire ;
  • et enfin la justification qu'il n'a pas été pris par le préfet d'arrêté prescrivant des mesures de surveillance ou de restriction d'usage.
Les évolutions proposées par les lois Asap et Climat facilitent la gestion de tels dossiers par le notaire puisque l'intervention d'un bureau d'étude spécialisé, devant faire l'objet « d'une certification des sites et sols pollués ou disposant de compétence équivalentes en matière de prestation de services dans ce domaine », permet d'établir à chaque étape de la procédure administrative de cessation d'activité la réalisation des travaux rendus obligatoires, par l'exploitant. Cette procédure sera applicable à compter du 1er juin 2022.
– Responsabilité du propriétaire non-exploitant à titre subsidiaire. – Si la cession par le vendeur-exploitant permet de simplifier la recherche préalable des renseignements relatifs à l'installation ICPE, et si le principe de la responsabilité unique du dernier exploitant est également source de simplification, il faut toutefois garder à l'esprit que la loi Alur a créé un régime de responsabilité subsidiaire pour le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués « s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution ». Bien que longtemps refusé par la jurisprudence administrative, une première brèche avait été ouverte par le Conseil d'État, sur la base de la réglementation relative aux déchets, reconnaissant ainsi la responsabilité du propriétaire ayant fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain où s'il ne pouvait en ignorer l'existence.
Il conviendra donc, notamment dans le cas d'une ancienne installation ICPE abandonnée par l'exploitant depuis un certain nombre d'années, et dès lors que le vendeur ne sera pas en mesure de fournir la documentation ci-dessus, de faire établir un audit environnemental du terrain objet de la cession afin d'écarter tout risque de mise en jeu de la responsabilité du propriétaire. Cela étant, il faut ici rappeler, comme nous l'avons vu en première partie de nos développements (V. supra, nos et s.), que malgré leurs avancées les lois Asap et Climat n'ont pas proposé de définition des termes « dépollution » ou « terrain dépollué ». Par conséquent, il nous semble impératif de bannir ces termes de l'acte de vente, le risque étant, rappelons-le, de voir la responsabilité du vendeur engagée au titre d'un manquement à son obligation de délivrance conforme, lequel manquement est sanctionné par la résolution de la vente.

Le transfert de l'obligation de réhabilitation au cessionnaire

– Un principe et une exception. – En matière d'obligation administrative d'un site ICPE, toute convention sur le transfert de cette obligation est inopposable à l'administration (§ I), sauf dans le cas précis de la procédure du tiers demandeur, création de la loi Alur (§ II).

Le principe de l'indisponibilité de l'obligation de remise en état

– Nature de l'obligation de remise en l'état et technique contractuelle. – L'idée que le débiteur de cette remise en état puisse transférer son obligation a pu pendant un certain temps susciter quelques initiatives, mais ces dernières se sont rapidement heurtées au refus du Conseil d'État d'admettre que le contrat de cession de cette obligation pouvait être opposable à l'administration. Le principe de cette inopposabilité a été posé par un arrêt de cette juridiction en date du 24 mars 1978, et a été confirmé par la Cour de cassation. Un auteur a pu parler au sujet de l'obligation de remise en état d'une obligation certes « transmissible », mais dont l'exploitant en titre ne « dispose pas ».
– La précarité des clauses de transfert. – Il faut donc spécialement attirer l'attention du rédacteur du contrat sur ce point : certes, les parties pourront toujours convenir d'une prise en charge financière par l'acquéreur des travaux de remise en état. Mais le dernier exploitant restera le seul responsable aux yeux de l'administration en cas de faute commise par le cessionnaire dans l'exécution des travaux, et il ne pourra pas, en outre, contester un arrêté préfectoral prescrivant par exemple des travaux complémentaires ou des mesures de surveillance complémentaires, ne pouvant disposer d'un intérêt à agir.

L'exception au principe d'indisponibilité : le dispositif du « tiers demandeur »

– Une innovation législative. – Nouveauté portée par la loi Alur et son décret d'application no 2015-1004 du 18 août 2015, l'article L. 512-21 du Code de l'environnement permet à un « tiers demandeur » de se substituer au dernier exploitant pour réaliser tout ou partie des travaux de réhabilitation d'un site en fonction de l'usage que ce tiers envisage pour le site concerné. Toutefois, le transfert au tiers demandeur n'est pas définitif : en effet, en cas de défaillance de ce dernier, le dernier exploitant retrouve sa qualité de débiteur de l'obligation de remise en état.
Pour la version complète de l'article L. 512-21 du Code de l'environnement :
  • le tiers demandeur doit obtenir l'accord du dernier exploitant sur l'usage envisagé, mais également celui du maire de la commune et du propriétaire du terrain lorsque l'usage envisagé n'est pas celui initialement prévu ;
  • il doit solliciter ensuite une demande d'accord préalable auprès du préfet ;
  • si le préfet donne son accord, le tiers demandeur lui transmet alors un dossier de demande de substitution ;
  • si le dossier est accepté, le préfet prend alors un arrêté de substitution qui, outre les travaux de réhabilitation, fixe également le montant et la durée des garanties financières et le délai de réalisation des travaux ;
  • enfin, une fois les travaux effectués, ceux-ci sont constatés par un procès-verbal de l'inspecteur de l'environnement qui aura pour effet de lever les garanties financières.
– Procédure. – Il faut tout d'abord rappeler que la loi prévoit que le tiers demandeur doit disposer de « capacités techniques suffisantes et de garanties financières couvrant la réalisation de travaux de réhabilitation ». La procédure de désignation du tiers demandeur a été légèrement modifiée par la loi Asap précitée, et comprend aujourd'hui cinq étapes qu'il n'est pas nécessaire de détailler ici, mais que l'on peut résumer ainsi :
– Les problématiques du lien contractuel entre le dernier exploitant et le tiers demandeur. – Ainsi que nous l'avons vu, le transfert de l'obligation de remise en état n'acquiert pas de caractère définitif, et le dernier exploitant retrouvera sa qualité de débiteur en cas de défaillance du tiers demandeur. Dans la plupart des cas, le tiers demandeur sera également l'acquéreur de l'unité foncière siège de l'ICPE, dans le but d'y développer une opération d'aménagement ou de promotion. Dès lors, comment organiser la relation contractuelle entre le tiers demandeur et le dernier exploitant, lorsque ce dernier est également le vendeur ?
C'est selon nous sur ce point que le notaire en charge de l'opération devra mettre en œuvre un certain nombre de mécanismes permettant d'assurer la meilleure sécurité juridique de l'opération et la bonne fin des opérations de réhabilitation du site.
– Points d'attention. – Il existe selon nous deux points d'attention sur lesquels l'acte de vente devra impérativement prévoir des stipulations particulières :
  • la répartition des responsabilités entre le tiers demandeur et le dernier exploitant : les travaux mis à la charge du tiers demandeur, également acquéreur, ne peuvent être que ceux de réhabilitation prescrits par l'arrêté préfectoral de substitution. Cela signifie donc que, par exemple, les travaux de mise en sécurité du site ne peuvent être transférés au tiers demandeur. Il conviendra, en conséquence, d'identifier parfaitement dans l'acte de vente les travaux de réhabilitation dont l'acquéreur sera débiteur vis-à-vis de l'autorité administrative. Et bien évidemment, il faudra que soit justifiée, aux termes de l'acte, la bonne exécution des travaux de mise en sécurité du site, au moyen de l'attestation produite par le bureau d'étude ;
  • la défaillance du tiers demandeur : elle n'est évidemment pas à exclure, même si les garanties financières ont par définition été constituées afin de permettre à l'autorité administrative de délivrer l'arrêté de substitution. Il conviendra néanmoins, selon nous, de s'assurer à nouveau, et préalablement au transfert de propriété, de la bonne constitution de ces garanties, et de les rappeler dans l'acte. Àce titre, et comme nous l'avons préconisé en matière de démantèlement d'unités de production d'énergie renouvelable (nous renvoyons ici à nos développements précédents : V. supra, nos et s.), la consignation d'une somme d'argent d'un montant équivalent au montant des travaux de réhabilitation nous semble constituer la garantie la plus efficace, car la plus simple à mettre en œuvre.