Investissement international et ingénierie notariale : quelques points de vigilance fiscaux

Investissement international et ingénierie notariale : quelques points de vigilance fiscaux

– Plan. – Dans un contexte fiscal international, il nous est nécessaire d'être particulièrement vigilants et d'attirer l'attention de nos clients sur les sources de contentieux et difficultés. Nous prendrons ici les exemples de la qualification des parts de société civile immobilière selon les pays (§ I et § II), du recours à la technique du démembrement de propriété (§ III), et des donations franco-belges (§ IV), le tout dans un contexte international.

Parts de société civile, contexte franco-belge et évolution de la jurisprudence

– La qualification des parts de SCI et l'arrêt du Conseil d'État du 24 février 2020. – Dans un arrêt du 24 février 2020, le Conseil d'État a qualifié les titres de sociétés à prépondérance immobilière de biens immobiliers au sens de la convention fiscale franco-belge en matière d'impôt sur les revenus et plus-values.
Sur le plan civil, les titres de sociétés (même à prépondérance immobilière) constituent des biens meubles. Lesquels actifs mobiliers sont en principe soumis à une imposition exclusivement par l'État du domicile du détenteur desdits biens. Mais sur le plan fiscal, le droit interne français assimile les titres de sociétés (translucides) à prépondérance immobilière à des biens immeubles pour ce qui concerne le calcul des plus-values et en matière de droits de mutation à titre gratuit notamment. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres systèmes fiscaux étrangers.
– La renégociation en cours de certaines conventions fiscales. – Plusieurs conventions fiscales sont en cours de renégociation à cet égard, la France souhaitant qu'elles prévoient que les parts de sociétés à prépondérance immobilière soient conventionnellement considérées comme des biens immobiliers.
– Le cas franco-belge. – Les conventions existant entre la France et la Belgique en matière d'impôt sur le revenu (et d'impôt sur les successions) ne prévoyaient pas jusqu'à récemment de définition des sociétés à prépondérance immobilière. La Cour de cassation belge ayant elle-même jugé le 29 septembre 2016 que les dispositions de la convention franco-belge n'empêchent pas la Belgique d'imposer les revenus attribués par les sociétés civiles semi-transparentes au profit de leurs associés résidents belges (que ce versement soit imposable ou non en France).
– Conséquences de la qualification des parts de SCI. – L'assimilation par le Conseil d'État des parts d'une SCI (détenant un bien immobilier en France) à des biens immobiliers entraîne l'imposition en France de leur cession par des résidents belges.
– Nouvelle convention fiscale franco-belge signée le 9 novembre 2021. – Signée le 9 novembre 2021 (avec une entrée en vigueur au plus tôt au 1er janvier 2023), la nouvelle convention fiscale franco-belge en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune introduit la notion de « prépondérance immobilière » et met donc fin à l'incertitude qui existait en France depuis l'arrêt du Conseil d'État du 24 février 2020. C'est donc désormais la France qui aura le pouvoir de taxer les plus-values sur titres de SCI (alors qu'en Belgique cette même plus-value est exonérée d'impôt sous certaines conditions et notamment si l'opération relève de la gestion normale du patrimoine privé).

SCI et résidents belges

Structurer un investissement immobilier en France par le biais d'une société civile semi-transparente n'est pas toujours opportun pour un résident belge, en raison du risque de double imposition.

Parts de société civile et pays du Golfe

– Une qualification mobilière des parts de SCI évitant toute taxation. – Avec certains pays du Golfe, et notamment les Émirats arabes unis, il existe des conventions fiscales, mais qui ne prennent pas en compte la notion de société à prépondérance immobilière.
– Ingénierie notariale et intérêt d'acquérir via une société pour des résidents de pays du Golfe. – En structurant l'investissement par le biais d'une société et non via une acquisition en direct, on évite ainsi la taxation en France de la cession des parts, puisque s'agissant de la cession de biens mobiliers elle ne sera imposable que dans l'État du domicile du cédant, étant entendu qu'il n'y aura pas non plus de taxation dans ces pays-là.

Démembrement de propriété et pays de Common Law

– Vigilance lors de la mise en place d'un démembrement de propriété dans un contexte international. – Lorsqu'il sera conseillé à des clients étrangers de recourir à la technique du démembrement de propriété dans le cadre d'un investissement immobilier en France afin d'optimiser la transmission de l'immeuble, il conviendra d'être vigilant pour remplir pleinement notre devoir de conseil et d'anticipation du contentieux.
Cette vigilance devra notamment porter sur deux points :
  • la vérification des conventions fiscales signées par la France, pour déterminer si une taxation aura lieu dans le pays de résidence du défunt lors de la transmission de l'usufruit, et ainsi bien informer les parties ;
  • la vérification de la réception de ce démembrement de propriété dans le pays d'origine des clients, et notamment sur un plan fiscal.
En effet, si l'usufruit est connu de la plupart des pays de droit latin (Portugal, Grèce, Suisse, Belgique par exemple), ce n'est pas le cas des pays de Common Law, qui taxeront donc la transmission de l'usufruit au décès.
Nous renvoyons ici aux travaux du 115e Congrès des notaires de France :

Réserve d'usufruit et contexte international

Le recours au démembrement de propriété doit être bien réfléchi dans un contexte international. L'usufruit peut être connu par le droit étranger mais faire l'objet d'un traitement fiscal différent : il conviendra d'avoir anticipé les conséquences fiscales du démembrement de propriété à l'étranger. Par exemple, et en application de la notion de retained interests, le système américain de Common Law considère que le droit d'usufruit devra être ajouté au patrimoine de l'usufruitier lors du règlement de la succession de ce dernier (alors qu'en France la réunion de l'usufruit ne donnera lieu à aucune taxation, en vertu de l'article 1133 du Code général des impôts).
Ce problème se posera également en cas de donation de la nue-propriété avec réserve d'usufruit par des non-résidents donateurs ou donataires.

Donations dans un contexte franco-belge

– Donation de somme d'argent en Belgique. – La donation mobilière par don manuel par un résident belge n'est soumise en Belgique à aucune obligation d'enregistrement, et aucun droit de donation n'est alors dû. Toutefois, si la donation n'a pas été enregistrée et que le donateur décède dans les trois ans (cinq ans en Région wallonne depuis le 1er janvier 2022) de la donation, celle-ci doit être mentionnée dans la déclaration de succession, et des droits de succession (plus élevés que les droits de donation) seront dus sur le montant de la donation.
– La fin de la « route du fromage ». – Depuis le 15 décembre 2020, les donations faites devant un notaire étranger doivent obligatoirement être enregistrées en Belgique, avec paiement de l'impôt sur les donations dans la région du domicile fiscal du donateur (en Belgique les droits de donation ne sont pas les mêmes dans les trois Régions : Bruxelles-Capitale, Flandre et Wallonie), au taux de 3 à 7 % selon la Région compétente et le lien de parenté entre le donateur et le donataire.
Appelé poétiquement la « route du fromage », ce système permettait aux donateurs belges de procéder à une donation de somme d'argent devant un notaire étranger (souvent néerlandais ou suisse, d'où la référence au fromage…) pour éviter qu'elle ne soit taxée en Belgique.
– Donation en Belgique et acquisition en France. – Lorsqu'une acquisition en France est envisagée par des résidents belges en démembrement de propriété, avec un financement de la nue-propriété au moyen d'une donation consentie par l'usufruitier, il conviendra de combiner la présomption prévue en Belgique à l'article 9 du Code des droits de succession et celle de l'article 751 du Code général des impôts français. Il faudra réaliser la donation de somme d'argent en Belgique devant notaire, lui donner date certaine et la porter à la connaissance de l'administration fiscale française (comme expliqué supra, no ) en l'enregistrant en France auprès du service des impôts des non-résidents (de Noisy-le-Grand). Si la donation a lieu entre non-résidents, elle ne sera pas imposable en France (aucun des critères de taxation de l'article 750 ter du Code général des impôts ne trouvant à s'appliquer). Il sera nécessaire de veiller à relater l'origine des fonds dans l'acte d'acquisition de la nue-propriété en France.
– Donation de parts de SCI française par des résidents belges. – Un acte de donation entre résidents belges portant sur des parts de société civile immobilière française, s'il est reçu par un notaire français, sera obligatoirement imposé en France. Depuis l'entrée en vigueur le 15 décembre 2020 en Belgique de la loi spéciale du 13 décembre 2020 précitée, il devra également être enregistré (et taxé) en Belgique. Le résultat sera identique en cas de réception du même acte de donation par un notaire belge : d'une part, un enregistrement obligatoire (et donc une taxation) en Belgique et, d'autre part, une obligation déclarative en France (au service des impôts des non-résidents), avec taxation en France (la donation portant sur des biens français). Àdéfaut de convention préventive de double imposition conclue entre la France et la Belgique en matière de donation, il y aura taxation cumulative.