Intérêts de la fiducie-transmission/libéralité

Intérêts de la fiducie-transmission/libéralité

– Outil d'anticipation. – Nous sommes fréquemment, dans notre pratique, questionnés par des clients soucieux d'encadrer la gestion des biens qu'ils souhaitent ou qu'ils auront à transmettre à leurs héritiers.
Les motifs de cette préoccupation sont généralement liés :
  • à l'existence d'un patrimoine complexe (transmission d'entreprises familiales par exemple) ;
  • au souci d'assurer la pérennité d'un patrimoine constitué de biens réunis dans un objectif particulier (collections, monuments historiques…) ;
  • à la présence d'héritiers qui ne disposent pas des compétences utiles à la bonne gestion des biens transmis ;
  • à la présence d'héritiers fragiles ou bénéficiant de mesure de protection.
Le recours à la fiducie-transmission/libéralité pourrait parfaitement répondre à ces objectifs. Alliant efficacité et sécurité de la gestion des biens placés en fiducie à la souplesse de la transmission, son introduction dans notre droit mériterait d'être enfin considérée et l'article 2013 du Code civil, qui pose une interdiction d'ordre public, revu.
Cela nous conduit à analyser les raisons de la ténacité dont fait preuve le législateur pour maintenir un principe de prohibition de la fiducie-libéralité (§ I), avant d'en analyser les intérêts (§ II).

Les raisons de la prohibition de la fiducie-libéralité

– La crainte de la fraude. – C'est donc seulement en 2007 que le législateur introduit dans notre droit la fiducie, sans doute mû par un souci d'attractivité de notre droit. Pourtant, le législateur reste très prudent notamment en excluant la fiducie-libéralité, par crainte de fraude, ce mot étant utilisé à maintes reprises, avec celui de « risque », dans le rapport de la commission des lois à l'Assemblée nationale.
Afin de restreindre le champ de la fiducie, il est notamment avancé que les outils de planification successorale existent déjà dans notre droit (A). Le détournement des règles du droit des successions (B) et la crainte de l'évasion fiscale (C) sont également mis en avant pour justifier que notre droit n'évolue pas sur cette question.

La fiducie-libéralité et les autres modes de planification successorale

Notre arsenal juridique comprend déjà divers outils qui permettent, même si la fiducie-libéralité pourrait utilement les compléter, des modes légaux (I) et conventionnels (II) de planification successorale.

Les modes légaux de planification successorale

– Des modes de planification qui ne répondent qu'imparfaitement aux préoccupations de nos clients. – Il a été fréquemment avancé que la réforme des successions opérée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 aurait permis de doter notre droit d'outils efficaces pour organiser une planification successorale. Ainsi la création du mandat à effet posthume et la libéralisation des libéralités graduelles et résiduelles répondraient aux préoccupations d'organisation successorale de nos contemporains. L'exposé des motifs de la loi du 23 juin 2006 précise d'ailleurs que ces nouvelles techniques allaient « répondre aux besoins que satisfait, dans d'autres pays, la fiducie successorale ».
Cependant, si ces mécanismes permettent d'anticiper le règlement de la succession par l'organisation de la transmission de ses biens, ils peuvent à divers égards sembler nettement insuffisants.
Le mandat à effet posthume, tel que défini aux articles 812 et suivants du Code civil (outil qui permet de confier à une ou plusieurs personnes le mandat de gérer tout ou partie des biens d'une succession pour le compte et dans l'intérêt des héritiers), en substituant à la saisine naturelle des héritiers une administration des biens de la succession organisée par le disposant, doit ainsi être justifié par un intérêt sérieux et légitime, parfois difficile à démontrer et par conséquent générateur de contentieux.
Il ne peut, par ailleurs, être conclu que pour une durée de deux ans (exceptionnellement cinq ans en justifiant de l'inaptitude ou de l'âge des héritiers, ou de la nécessité de gérer des biens professionnels), ce qui, dans certains cas, est insuffisant compte tenu des particularités d'un patrimoine qu'il est utile d'organiser sur le long terme pour assurer une transmission sur plusieurs générations.
Les pouvoirs du mandant sont ensuite limités aux actes conservatoires ou d'administration : les héritiers conservent ainsi le droit de vendre les biens objets du mandat, ce qui rend ce dernier inefficace. Le bon vouloir des héritiers peut donc facilement réduire à néant la volonté du mandant.
Le mandataire à titre posthume n'est donc qu'un simple administrateur temporaire de biens.
Pour améliorer l'efficacité du mandat à effet posthume, on peut avoir recours aux techniques sociétaires qui peuvent alors permettre au mandant de confier au mandataire des pouvoirs étendus au-delà de simples pouvoirs de gestion et d'administration. Le pouvoir de gestion d'une société pouvant aller jusqu'à disposer des actifs sociaux si le mandat porte sur des parts de société à laquelle les actifs successoraux ont été préalablement apportés, on peut échapper à l'interdiction de principe posée au mandataire de disposer des biens dont la gestion lui est confiée. Un travail sur les statuts de la société sera alors nécessaire pour aménager les pouvoirs en assemblée (règles de quorum ou de majorité, droit de veto créé au profit du mandataire,…), ou pour adapter les clauses d'agrément.
Reste que la durée du mandat est limitée au maximum à cinq ans, ce qui constitue une contrainte forte et demeure incompatible avec le souci de transmission et de pérennisation d'un patrimoine familial manifesté par nos concitoyens.
Les donations graduelles et résiduelles ont également été présentées en 2006 comme ayant une finalité proche de la fiducie. Mais, si ces donations permettent d'assurer une double transmission successive en organisant le transfert des biens au décès du premier bénéficiaire au bénéfice du second gratifié, elles ne permettent pas d'organiser la gestion des biens par le premier bénéficiaire pour le compte du second. Elles ne permettent pas davantage d'assurer au second gratifié la distribution ou le maintien de revenus. Aucun tiers n'intervient pour administrer et gérer les biens transmis.
La donation graduelle comporte une double obligation de conservation et de transmission, mais ne permet pas la souplesse de la fiducie. La donation résiduelle n'oblige pas quant à elle le premier gratifié à conserver les biens reçus, et seuls les biens subsistants seront transmis. Il n'y a pour le premier gratifié aucune obligation de gestion et donc pour le second aucune garantie de recevoir le bien ou de le recevoir en bon état.
Ces donations présentent par ailleurs deux contraintes importantes :
  • la première résulte de l'article 1049 du Code civil, puisque la donation ne peut produire ses effets que sur des biens identifiables à la date de la transmission : meuble corporel ou incorporel, immeuble, droits sociaux, créances…Si la libéralité porte sur une somme d'argent, certaines précautions sont à prendre pour assurer l'efficacité de la clause graduelle :
  • la seconde contrainte est précisée à l'article 1054 du Code civil qui dispose que « si le grevé est héritier réservataire du disposant, la charge ne peut être imposée que sur la quotité disponible ».
De même, la libéralité résiduelle ne peut, en principe, porter sur la réserve du premier gratifié. C'est pourquoi l'alinéa 3 de l'article 1059 du Code civil précise que le premier gratifié, héritier réservataire, conserve la possibilité de disposer entre vifs ou à cause de mort des biens qui lui ont été donnés en avancement de part successorale. Mais, contrairement aux règles régissant la donation graduelle, il n'existe aucune disposition limitant l'efficacité d'une clause résiduelle portant sur la réserve du grevé et permettant à celui-ci d'accepter qu'une telle charge grève sa part de réserve. Si la donation résiduelle porte sur la réserve du grevé, celui-ci peut demander le cantonnement de la charge, sauf à ce que le premier gratifié fasse une renonciation anticipée à l'action en réduction dans les conditions de l'article 929 du Code civil.
La libéralité graduelle ne doit donc pas porter sur la réserve du premier gratifié. Si la charge imposée par la donation graduelle risque d'affecter tout ou partie de la réserve du premier gratifié, le bénéficiaire peut agir en cantonnement : on individualise dans un partage deux masses de biens. Ceux qui dépendent de la réserve et sur lesquels le premier gratifié retrouve ses droits de disposition complets. Ceux qui dépendent de la quotité disponible, qui demeurent grevés de la charge.
Que se passe-t-il si la charge porte sur un bien indivisible ? Il est alors impossible de cantonner et la charge disparaît. Le bénéficiaire pourra aussi renoncer par anticipation à demander la réduction de ladite donation, soit dans l'acte de donation lui-même, soit dans un acte postérieur en respectant les conditions de forme de l'article 930 du Code civil afin de garantir l'efficacité de la donation.
En cas de legs graduel, le légataire dispose d'un délai d'un an à compter du jour où il a eu connaissance du testament pour demander que sa part de réserve soit libérée de la charge qui la grève, à défaut il doit en assumer l'exécution. Le rôle de conseil du notaire est alors primordial, car il ne doit pas omettre d'informer son client que l'efficacité d'un legs graduel portant sur tout ou partie de la réserve du premier gratifié dépend de la volonté de ce dernier. La loi ajoute à l'article 1054, alinéa 4 du Code civil que si la part de réserve est grevée avec l'accord du bénéficiaire, la charge pèse de plein droit sur les enfants nés ou à naître et il n'y a donc plus de liberté dans la désignation du second gratifié.
L'ensemble de ces dispositifs ont une utilité indéniable, mais ils restent insuffisants comme ne répondant pas aux attentes de nos concitoyens.
La fiducie devrait alors s'imposer comme un outil complémentaire au mandat ou aux donations graduelles et résiduelles. En effet avec ce dispositif, les pouvoirs du fiduciaire peuvent être parfaitement adaptés sur une durée pouvant aller jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, ce qui permet l'organisation d'une transmission transgénérationnelle.
Surtout, les biens objets de la fiducie sont isolés dans un patrimoine étanche par rapport au patrimoine du fiduciaire et à l'abri de toute aliénation souhaitée par le constituant et même de ses créanciers, sauf bien entendu transfert fiduciaire reconnu comme frauduleux.

Les modes contractuels de planification successorale

D'autres outils peuvent être utilisés pour organiser la gestion de son patrimoine pour le compte de ses héritiers.
La société civile immobilière est facilement utilisée pour organiser la transmission contrôlée d'un patrimoine immobilier complexe.
Cela nécessite de prévoir dans les statuts la nomination d'un gérant de confiance à qui il est conféré des pouvoirs très adaptés aux objectifs poursuivis. Cela se révélera délicat quand il s'agit d'organiser les conditions dans lesquelles les fonds à la disposition de la SCI, ou ses revenus, seront remis aux descendants devenus associés en fonction de leurs besoins propres.
Par ailleurs, le coût du transfert des biens immobiliers détenus par l'ascendant associé à la SCI (apports, plus-values) peut être dissuasif.
Si la fiducie ne peut être l'objet d'une libéralité, il a pu être imaginé de procéder à la donation du contrat de fiducie lui-même.
Selon les promoteurs de ce montage : « Le constituant crée une fiducie-gestion dont il est bénéficiaire, puis la transmet à titre gratuit, entre vifs ou par décès, aux ayants-droit qu'il a choisis. La fiducie-gestion sert alors de « réceptacle » aux actifs à gérer, qui sont confiés au fiduciaire, lequel se voit assigner des missions précises par le contrat concernant la gestion du patrimoine, ainsi que les prestations à délivrer au profit des bénéficiaires. Le contrat de fiducie n'est alors aucunement par lui-même le vecteur de la transmission, il en est l'objet. La situation est comparable à la donation ou à la transmission successorale d'un contrat de capitalisation (…) la transmission effectuée à titre gratuit au décès ou par donation porte alors sur la créance existant dans le patrimoine du constituant bénéficiaire sur le fiduciaire. Plus précisément, ce sont les droits du constituant qui font l'objet de la transmission, laquelle emprunterait la forme classique d'une donation ou d'une succession. Autrement dit, le contrat de fiducie n'est pas dénoué, il se poursuit avec un nouveau constituant bénéficiaire, et n'est donc en aucune façon le vecteur d'une libéralité par lui-même ».
Il s'agirait dans ce cas d'organiser la transmission du contrat de fiducie : ce sont les droits du constituant qui font l'objet de la transmission, laquelle pourrait alors prendre la forme classique d'une donation ou d'un legs. Le contrat de fiducie-gestion dont le constituant est désigné bénéficiaire pourrait lui-même contenir une clause selon laquelle le contrat sera transmis à ses héritiers en cas de décès. Ainsi le contrat de fiducie ne sera pas dénoué et se poursuivra avec un nouveau bénéficiaire, soumis à la gestion prévue par le contrat de fiducie. Les héritiers auront alors vocation à recueillir la propriété du patrimoine fiduciaire, mais ils seront privés de tout pouvoir de gestion sur ce patrimoine tant que durera la fiducie.
L'idée peut paraître séduisante, mais les praticiens prudents ne manqueront pas de soulever, pour ne pas s'aventurer dans un tel montage, que l'article 2029 du Code civil dispose que le contrat prend fin par le décès du constituant, d'une part, et que l'article 2030 du même code prévoit le retour du patrimoine fiduciaire dans sa succession, d'autre part. Mais cette règle est-elle d'ordre public ? La fiducie peut-elle survivre au décès du constituant ? Ce schéma n'est-il pas contraire à la dévolution d'une réserve héréditaire libre de charge ?
Les partisans d'une telle pratique avancent plusieurs arguments pour la fonder juridiquement :
  • la fiducie étant un contrat, le principe est que les dispositions légales ont un caractère supplétif, sauf mention expresse de leur impérativité. Or l'article 2029 du Code civil n'énonce pas son caractère d'ordre public. Il est également à noter qu'en matière de fiducie-sûreté, le décès du constituant est écarté comme cause d'extinction de la fiducie. Si le texte n'est pas impératif, le contrat de fiducie pourrait alors prévoir d'écarter le décès comme cause d'extinction du contrat, celui-ci se poursuivant avec les héritiers jusqu'à l'arrivée du terme prévu initialement ;
  • la transmission du contrat au décès n'est que l'application de la règle selon laquelle les héritiers, comme successeurs universels de leur auteur, sont de plein droit saisis de ses droits et obligations ;
  • les biens étant soumis au contrat de fiducie avant leur transmission, il n'y a pas de risque d'atteinte au principe de la dévolution d'une réserve héréditaire libre de charge ; seule la création d'une nouvelle charge lors de la transmission à titre gratuit serait en contrariété avec la réserve ;
  • le contrat n'étant pas dénoué lors du décès, il ne serait pas lui-même vecteur de transmission mais seulement l'objet de la transmission.
Or, d'après l'opinion doctrinale dominante et selon le professeur Witz, les articles 2029 et 2030 du Code civil sont bel et bien d'ordre public et la nature contractuelle de la fiducie ne saurait justifier de dérogation.
La rédaction de l'article 2029 du Code civil, précisément créé pour empêcher la fiducie-libéralité interdite par l'article 2013, est claire : le contrat de fiducie s'éteint par le décès du constituant. Faire perdurer le contrat après le décès reviendrait à reconnaître une transmission indirecte. Quant à l'article 2030 du Code civil, il précise que « lorsqu'il prend fin par le décès du constituant, le patrimoine fiduciaire fait de plein droit retour à la succession » : s'il est fait de plein droit retour à la succession, c'est bien en relation avec le caractère impératif de l'article 2029 du Code civil.
Civilement, la fiducie-libéralité frappée de nullité est constituée si elle procède d'une intention libérale : la transmission du contrat de fiducie emporte transmission indirecte du patrimoine fiduciaire, et il paraît difficile de justifier une transmission au profit de ses héritiers en cas de décès autrement que par une intention libérale. Cette intention est caractérisée dès lors que la transmission répond à l'un des critères posés par l'article 792 bis du Code général des impôts qui, utilisant le terme « notamment », laisse par ailleurs toute possibilité à l'administration ou aux tribunaux pour caractériser l'intention libérale.
L'objectif du constituant est bien de restreindre le pouvoir de gestion de ses héritiers par une transmission patrimoniale indirecte. Sans contrepartie, cette transmission risque bien d'être qualifiée de fiducie-libéralité.
Une donation avec charge de constituer une fiducie est aussi une hypothèse avancée par certains professionnels de la gestion de patrimoine, qui ont été renforcés dans leur imagination à trouver des solutions aux préoccupations de leurs clients depuis la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1216). Dans ce schéma, le donateur impose aux donataires, comme charge déterminante de la libéralité, d'apporter en fiducie les biens reçus en donation.
Selon certains auteurs, rien ne s'oppose à ce qu'une donation prévoie une charge ou soit soumise à une condition contraignant le donataire à conclure un contrat de fiducie-gestion relatif aux biens transférés à titre gratuit selon les modalités prévues dans la libéralité, voire qu'un legs soit grevé de la charge de constituer une fiducie. Une telle libéralité avec charge ne contreviendrait pas à l'article 2013 du Code civil : dès lors que la fiducie ne procède pas de la volonté du constituant mais de celle du disposant, l'intention libérale du premier est écartée par son obligation d'exécuter la charge. Le bénéficiaire de la fiducie-gestion est bien le constituant lui-même, c'est-à-dire celui qui a recueilli les biens à titre gratuit et non un tiers gratifié par le constituant d'une fiducie.
Ce montage trouvera cependant sa limite dans l'application de l'article 912 du Code civil : la constitution d'une fiducie imposée par le donateur ne devrait pouvoir priver le donataire de la libre disposition des biens composant sa réserve héréditaire, lorsque la succession du donateur sera ouverte. Même si, sur ce point, il n'existe pas de jurisprudence, il est sans doute possible de raisonner par analogie avec les décisions rendues sur les clauses d'inaliénabilité ou d'inaliénabilité conditionnelle. Il convient alors de vérifier la conformité de ces clauses avec les exigences posées à l'article 900-1 du Code civil. De même, l'analyse de la jurisprudence exclut le legs à charge pour le légataire de constituer une fiducie, dès lors que ce legs porte sur la réserve héréditaire.
Si une telle possibilité de donation à charge de fiducie était admise, il faudrait également qu'elle soit conforme aux dispositions de l'article 900-2 du Code civil traitant de la révision judiciaire des charges affectant la donation.
Ces deux solutions, donation du contrat de fiducie et donation avec charge de constituer une fiducie, sont donc à manier avec grande prudence tant les sanctions civiles de nullité et leurs conséquences fiscales sont lourdes. Les risques d'atteinte à la réserve par ces biais doivent également être étudiés avec beaucoup de précaution. Si la fiducie-libéralité devait continuer à être aussi contrainte dans notre droit, l'interprétation de la jurisprudence sur de telles pratiques est donc attendue pour les pérenniser.

La fiducie-libéralité et le contournement des règles du droit des successions

– Un moyen de contourner les règles de la réserve héréditaire. – La raison principale de la prohibition de la fiducie-libéralité est énoncée dans son rapport par Henri de Richemont, quand il précise que « cette décision permet d'éviter que la fiducie soit utilisée dans le seul but de détourner les règles, récemment modifiées, relatives aux libéralités et à la dévolution successorale ».
L'argument reste difficile à comprendre, tant la jurisprudence a toujours veillé à condamner l'utilisation frauduleuse du trust pour tenter de modifier les règles impératives de dévolution du droit français.
Pourtant, le trust ne se cantonne pas à l'étranger mais a également des effets en France. La jurisprudence a recours le plus souvent à une requalification en un mécanisme connu du droit français.
Cependant, il arrive parfois qu'elle considère le trust en tant que tel. Il ressort de la jurisprudence une analyse au cas par cas des faits pour apprécier la requalification ou non du trust.
La question de la reconnaissance du trust pose question, puisque son utilisation pourrait permettre de détourner l'article 912 du Code civil.
Le droit français a aussi déjà été confronté, notamment avec l'assurance-vie, à la nécessité de trouver un équilibre entre respect de la réserve héréditaire et sort des sommes écartées par ce biais du patrimoine successoral du défunt. La jurisprudence de la Cour de cassation justifie sur ce point des atteintes à la réserve héréditaire qui, sur le plan juridique, ont pu paraître difficilement cohérentes. Or un certain nombre de contrats d'assurance-vie sont très proches des mécanismes de la fiducie : l'assureur reçoit des deniers, avec mission de les placer pour en restituer le produit à l'échéance au souscripteur ou au bénéficiaire désigné.
Par ailleurs on peut constater, en droit comparé, que certains États parviennent à articuler les impératifs d'une réserve légale avec les spécificités du trust.
C'est le cas à l'île Maurice qui connaît le bi-juridisme : les relations privées entre les personnes relèvent du droit continental, quand les relations commerciales et l'organisation juridique et administrative relèvent de la Common Law. Le notaire mauricien applique donc le droit civil, mais peut aussi établir des trusts. Si c'est un Mauricien qui le constitue, la réserve héréditaire devra être protégée. Si c'est un citoyen d'un pays qui ne connaît pas la réserve, il pourra transmettre tous ses biens, via le trust, à qui bon lui semble.
C'est aussi le cas du Québec, province canadienne, qui connaît un droit « mixte ».
Enfin, la loi elle-même prévoit un encadrement tel à la fiducie qu'il paraît difficile d'envisager comment on pourrait ne pas maîtriser les risques de détournement de l'ordre public successoral.
Ainsi l'article 2019 du Code civil, qui prévoit que tout acte de fiducie initial ou modificatif doit être enregistré dans le délai d'un mois et publié s'il porte sur des biens et droits immobiliers au service de la publicité foncière ; ou l'article 2020 dudit code qui prévoit la tenue d'un registre national des fiducies.
Le contrat de fiducie-libéralité, compte tenu de son objet, serait en tout état de cause, pour être conforme aux dispositions du Code civil, reçu par un notaire. Qui pourrait être mieux sensibilisé que lui aux questions de respect de la réserve ?

La fiducie-libéralité et la crainte de l'évasion fiscale

– La fraude fiscale. – En 2007, la crainte principale face à la fiducie-libéralité émanait de l'administration.
Elle redoutait en effet qu'elle soit utilisée à des fins d'évasion fiscale en matière de droits de mutation à titre gratuit. Les sanctions fiscales prévues aux articles 792 bis et 1729-c du Code général des impôts et à l'article L. 64 C du Livre des procédures fiscales sont la démonstration de cette défiance.
Or le Code général des impôts permet à l'administration de taxer des mécanismes équivalents en matière de droits de mutation à titre gratuit lors de la délivrance de capitaux décès dépendant d'un contrat d'assurance-vie, ou lors de transmissions à titre gratuit réalisées via des trusts.
L'examen de la jurisprudence depuis 2007 démontre que la fiducie n'est pas source de contentieux. Le fait que la loi réserve à des professionnels la possibilité d'être fiduciaire constitue par ailleurs un frein important à la fraude. L'article 2026 du Code civil prévoit ainsi que le fiduciaire répond sur son patrimoine personnel « des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission ».
Au regard des expériences étrangères, le risque d'une utilisation de la fiducie à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme ne paraît pas plus grave que celui permis par la constitution de structures sociétaires. Il est utile ici de rappeler, une fois encore, que la cession des parts des sociétés à prépondérance immobilière échappe au contrôle des notaires, très engagés avec Tracfin contre la lutte contre le blanchiment. Une fiducie constituée par acte authentique permettrait sur ce point d'apporter des garanties supplémentaires à l'administration fiscale.

Les intérêts de la fiducie-libéralité

– L'anticipation de la transmission pour un contexte familial apaisé. – La fiducie-libéralité consisterait à transférer des biens à un fiduciaire chargé de les transmettre, à titre gratuit, au terme d'une durée déterminée, à un tiers bénéficiaire.
Dans le cadre de l'organisation d'une succession, la fiducie-libéralité pourrait présenter de nombreux avantages, notamment en évitant le partage de patrimoines complexes tant par leur consistance que leur gestion délicate.
On ne retrouve pas dans notre droit d'outils bénéficiant de la souplesse et l'efficacité de la fiducie-libéralité. L'un de ses intérêts majeurs réside spécialement dans son utilisation dans un contexte successoral.
Avec la fiducie, les héritiers sont déchargés de la gestion d'un patrimoine qui peut se révéler complexe ou pour lequel des qualifications particulières sont nécessaires. Le chef d'entreprise prévoyant peut, avec la fiducie, anticiper et assurer la pérennité de son entreprise en confiant la gestion à des professionnels qualifiés tout en ayant défini par avance les modalités de cette fiducie.
– La prévention des conflits. – On peut ainsi noter que la fiducie permettrait de prévenir les conflits familiaux, car elle pourrait autoriser à :
  • différer les conséquences d'un décès en évitant l'indivision à l'issue de laquelle la mésentente peut contraindre à une vente forcée du patrimoine ou au partage d'un ensemble de biens parfois acquis pour être conservés (collection d'art, monuments historiques et mobilier…) ;
  • conserver le patrimoine intact et garantir aux bénéficiaires le même niveau de revenus, alors que le partage conduit à l'éclatement du patrimoine et donc à une baisse de revenus ;
  • favoriser les transmissions transgénérationnelles entre grands-parents et petits-enfants de manière à éviter la prodigalité ou la mauvaise gestion des parents ;
  • assurer la pérennité d'une entreprise ;
  • décharger les héritiers de la gestion d'un patrimoine complexe afin de leur permettre d'être assistés, voire protégés contre leur propre prodigalité ou incompétence ;
  • déjudiciariser la gestion du patrimoine des personnes vulnérables qui ne seraient pas en mesure de gérer leurs biens par manque de maturité, soucis de santé, grand âge, sans pour autant que le constituant soit placé sous l'un des régimes de protection prévus par la loi ;
  • permettre à des personnes atteintes par le grand âge qui souhaitent rester maîtresses de leur destin d'organiser la gestion de leur patrimoine ;
  • assurer à la personne handicapée le maintien de son niveau de vie après la disparition de ses auteurs, et permettre à ces derniers d'organiser la transmission du patrimoine familial sans en compromettre la consistance.
– Une réponse au trust. – Une véritable réforme de la fiducie doit donc être envisagée, notamment pour améliorer l'attractivité du droit français par rapport au droit anglo-saxon : admettre la validité de la fiducie-libéralité permettrait d'éviter le recours aux montages actuels qui passent par la constitution de trusts étrangers, source d'insécurité et donc de contentieux. Elle permettrait, contrairement à ce qui était avancé lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi du 19 février 2007, de garantir de manière transparente le respect des règles impératives du droit français des successions, le recours aux institutions étrangères n'étant plus utile.