La fiducie-libéralité

La fiducie-libéralité

Après plusieurs tentatives avortées, la fiducie a été introduite dans notre droit par la loi no 2007-211 du 19 février 2007 (JO 21 févr. 2007).
Pour des développements sur ce point, nous proposons ici des extraits des rapports des 104e et 107e Congrès des notaires de France :
106e Congrès des notaires de France, Bordeaux, p. 551 et s.
107e Congrès des notaires de France, Cannes, p. 894 et s.
Véritable révolution juridique initiée par le sénateur Philippe Marini, la possibilité de recourir à la fiducie est un progrès permettant d'assurer à notre droit une véritable compétitivité à l'international, notamment face au trust, alors même que la loi ne fait aucune référence au trust anglo-saxon.
On parle de « fiducie à la française », conçue comme complètement différente et indépendante de l'institution anglo-saxonne qui se réfère essentiellement à la Common Law.
Pour autant, la question de l'attractivité de la fiducie face au trust reste vive puisque les limites posées par la loi de 2007 ne permettent pas aux particuliers d'user de la fiducie avec autant de souplesse qu'ils le souhaiteraient pour gérer leur patrimoine.
Le législateur a introduit la fiducie dans notre droit, mais a laissé le poids fiscal – notamment dans le cas particulier de la fiducie-libéralité – peser partout où il entendait voir continuer s'appliquer l'ordre public.

Historique de la fiducie

D'origine romaine, la fiducie permet :
  • la gestion d'un patrimoine, fiducia cum amico ;
  • la garantie d'une créance, fiducia cum creditore.
À Rome, la fiducie se présente comme un transfert volontaire de propriété (mancipio) auquel on adjoint un pacte (pactum fiducia) qui détermine les conditions dans lesquelles le bien doit être retransféré.
Le mécanisme a évolué, mais les principes restent les mêmes : le titulaire d'un droit sur un patrimoine, le constituant, consent un transfert de propriété de tout ou partie de ses droits à un tiers, le fiduciaire, au bénéfice d'une troisième personne, le bénéficiaire, qui peut très bien être le constituant lui-même.
Au Moyen Âge et notamment durant les croisades, la fiducie permet aux croisés de transmettre la propriété de leurs terres à un tiers, à charge pour lui de les restituer à leur retour ou de les transférer à ses héritiers s'il ne rentrait pas de Terre sainte.
Elle se manifeste ensuite sous la forme de substitutions fidéicommissaires permettant ainsi d'obliger l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les transférer au décès du constituant à un tiers désigné à l'avance.
Le Code civil l'ignore, y voyant une réminiscence féodale qui ne visait qu'à éviter le morcellement des plus grands patrimoines.
La thèse de doctorat de M. Witz montre qu'il existe bien dans notre droit des mécanismes juridiques qui se rapprochent dans leurs caractéristiques de la fiducie (cession Dailly, cession-bail...). La doctrine s'intéresse à la question via divers colloques poussant également la pratique à militer pour une consécration législative.
La signature par la France de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985, relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (qui n'est toujours pas ratifiée à ce jour...) accélère cette consécration : comment serait-il possible de reconnaître un trust légalement constitué à l'étranger et de continuer à ignorer l'institution de la fiducie en droit interne ?
Plusieurs avant-projets de loi, en 1989, 1992 et 1994 ont été rédigés, tendant à instaurer un régime général de la fiducie. Devant l'opposition systématique de l'administration fiscale, ces projets n'ont pas abouti.
Il faut attendre la loi no 2007-211 du 19 février 2007 pour que la fiducie soit enfin reconnue et entre dans le Code civil.
On réservait initialement la constitution d'une fiducie aux seules personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés.
Cette limite en restreignait singulièrement l'usage et a suscité de vives critiques de la doctrine.
Parallèlement à cette reconnaissance de la fiducie, le législateur a édicté un principe de neutralité fiscale et ainsi donné à cette technique toutes les chances de succès.
La loi a, en outre, écarté de manière non équivoque toute utilisation de la fiducie à des fins de libéralités.
La loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (JO 5 août 2008) a opportunément aménagé la fiducie afin :
  • d'étendre la qualité des constituants de fiducies aux personnes physiques et à toutes personnes morales, quel que soit leur régime d'imposition et selon le principe susvisé de neutralité fiscale ;
  • de porter à quatre-vingt-dix-neuf ans la durée maximale de la fiducie ;
  • d'ouvrir aux avocats la possibilité d'exercer les fonctions de fiduciaire.
Ces aménagements appelaient des mesures d'accompagnement, et le Parlement a alors habilité le gouvernement à compléter la réforme par voie d'ordonnances.
Ainsi une ordonnance no 2008-1345 du 18 décembre 2008 introduit la fiducie dans différents articles du Code de commerce relatifs aux procédures collectives, et lui confère une relative efficacité comme garantie face à l'insolvabilité d'un débiteur.
Une seconde ordonnance no 2009-112 du 30 janvier 2009 vise à protéger les personnes physiques contre les risques éventuels de cet instrument, notamment lorsqu'elles sont amenées à transférer dans un patrimoine fiduciaire un bien commun ou un bien indivis. Cette ordonnance précise également les règles applicables à la fiducie constituée à titre de sûreté, afin d'en garantir l'efficacité tout en préservant l'équilibre des intérêts tant du débiteur que du créancier.
La loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (JO 13 mai 2009) édicte une exception au principe de cessation anticipée de la fiducie en cas de décès du constituant personne physique dans les hypothèses de fiducie-sûreté.
– Définition de la fiducie. – L'article 2011 du Code civil, intégré dans un titre XIV « De la fiducie », définit la fiducie de la manière suivante : « La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».
Le sénateur Philippe Marini, après l'adoption de la loi du 19 février 2007, tente de définir l'institution fiduciaire : « Il s'agit d'un contrat synallagmatique translatif de propriété à titre temporaire et pour une fin déterminée, impliquant une relation triangulaire. Un constituant transfère ainsi des biens ou droits de son patrimoine à un fiduciaire qui s'engage à les gérer au profit d'un bénéficiaire et à les restituer au terme du contrat. Ce bénéficiaire n'est pas, en tant que tel, partie au contrat, mais peut être le constituant, le bénéficiaire ou un tiers.
Ce transfert en pleine propriété est cependant doublement limité, dans le temps et dans sa substance, par les stipulations du contrat de fiducie, de sorte que la fiducie constitue, pour reprendre l'expression de mon collègue Henri de Richemont, rapporteur de ma proposition de loi au Sénat, une « propriété dégradée ». Le fiduciaire ne dispose pas, en effet, de l'intégralité des prérogatives d'un propriétaire, puisqu'il doit agir dans un « but déterminé » par le constituant et emportant des obligations contractuelles.
Les grandes caractéristiques de ce contrat spécial à vocation transversale ouvrent un champ potentiellement large d'applications en droit patrimonial et en droit des affaires, pour trois grandes opérations que sont la transmission, la garantie et la gestion ».
La fiducie est donc, en principe, une opération triangulaire ou tripartite faisant intervenir un constituant, un fiduciaire et un bénéficiaire. En réalité, dans un certain nombre d'hypothèses, l'opération sera dénuée du caractère tripartite pour demeurer bipartite (le constituant ou le fiduciaire pouvant cumuler leur qualité avec celle de bénéficiaire, tel que le prévoit l'article 2016 du Code civil). Elle peut aussi faire intervenir une multiplicité d'acteurs. Notamment le tiers protecteur de l'article 2017 du Code civil désigné, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie, par le constituant pour s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat. On peut aussi avoir un contrat qui met en présence plusieurs constituants, fiduciaires au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires, comme le permet l'article 2011 du Code civil.
– Un patrimoine d'affectation. – L'objet de la fiducie consiste à transférer des biens, des droits ou des sûretés, voire un ensemble de biens, droits ou sûretés, présents ou futurs. Ce transfert de propriété est de nature particulière : la propriété fiduciaire est différente de la propriété ordinaire, notamment parce que l'article 2011 du Code civil consacre le patrimoine d'affectation. Cet article précise ainsi que le ou les fiduciaires seront obligés de tenir les biens, droits ou sûretés transférés dans un patrimoine séparé de leur patrimoine propre. La théorie de l'unicité du patrimoine est donc remise en cause en 2007.
Pour la finalité de la fiducie, le législateur reste très large, l'article 2011 du Code civil se contentant d'indiquer que le ou les fiduciaires, au profit desquels s'effectue le transfert fiduciaire, agissent dans un but déterminé, au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. De fait, la finalité de la fiducie relèvera de la seule volonté des parties contractuellement fixée.
– Différents types de fiducie. – Malgré l'imprécision de l'article 2011 du Code civil, il est possible de distinguer différents types de fiducie :
  • la fiducie-gestion, qui permet au fiduciaire de recevoir en propriété des biens qu'il se charge de gérer, selon les modalités fixées par le contrat de fiducie, pour le compte soit du constituant soit d'un bénéficiaire, et qu'il est tenu de rétrocéder au terme du contrat de fiducie ;
  • la fiducie-sûreté, par laquelle un débiteur transfère au fiduciaire, qui peut être le créancier lui-même, la propriété d'un bien afin de garantir le paiement de sa dette ;
  • et la fiducie-transmission, consistant à transférer des biens à un fiduciaire chargé de les transmettre, à titre gratuit ou onéreux, à un tiers bénéficiaire dans un délai prédéterminé.
– L'interdiction de la fiducie-libéralité. – Cependant, si l'opération fiduciaire correspond à un but déterminé, la liberté n'est pour autant pas totale puisque l'article 2013 du Code civil émet une réserve notable en déclarant nuls « d'ordre public » les contrats de fiducie procédant d'une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité absolue des fiducies-libéralités témoigne de la persistance d'une défiance ancienne et lui ôte, par là même, partie de son intérêt.
L'article 2013 du Code civil doit être complété par :
  • l'article 2029 du même code qui prévoit une révocation de plein droit de la fiducie par le décès du constituant personne physique ;
  • l'article 792 bis du Code général des impôts qui caractérise l'intention libérale par la transmission dénuée de contrepartie réelle, ou quand l'avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le cadre de la gestion du patrimoine fiduciaire.
La fiducie ne peut donc, d'une manière ou d'une autre, profiter à un bénéficiaire, constituant ou tiers, à titre gratuit et ne saurait se prolonger au-delà du décès. Or c'est justement le but du trust étranger.
Pourtant, dès 1992, la Chancellerie avait déposé un projet de loi visant à instituer la fiducie qui aurait « pour objet la transmission de biens et droits à un ou des bénéficiaires autres que le constituant » y compris à titre gratuit. Aucune restriction n'était donc prévue dans un premier temps en matière d'usage de la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit, même si la fiducie testamentaire était prohibée.
Le professeur Grimaldi, commentant le projet de loi, désignait alors la fiducie comme une institution polyvalente et rayonnante irradiant le droit des contrats, des biens, des libéralités, des sûretés, déjà présente sous des formes plus ou moins masquées dans notre droit positif d'alors (libéralités avec charges, mandats, cession à titre de garantie des créances professionnelles…).
Dans ce commentaire, il précisait, au sujet de la fiducie-libéralité, qu'elle n'ébranlait pas les principes d'ordre public du droit des successions et des libéralités : « elle ne ruinerait nullement la réserve héréditaire, car le réservataire, fondé à revendiquer une réserve libre de charge, serait en droit de demander la réduction ou le cantonnement de celle qui excéderait la quotité disponible ; elle ne menacerait pas la prohibition des pactes sur succession future, car elle ne pourrait porter que sur les biens présents du fiduciant. (…) Ainsi, introduite dans notre droit, la fiducie ne pourrait s'y déployer aussi amplement que le trust dans les pays de Common Law. Elle y serait bridée par les principes d'ordre public, notamment de droit de la famille, qui, lui étant extérieurs, ne seraient pas remis en cause par sa consécration ».
Pourtant la fiducie-libéralité est toujours prohibée et il convient donc de s'interroger sur les intérêts que présenterait un élargissement à la fiducie-libéralité (Sous-section I) avant d'analyser les diverses contraintes à lever pour l'autoriser (Sous-section II).

La fiducie et le trust

À défaut de disposer d'une définition officielle du trust, on peut se reporter à l'article 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, qui définit cette institution de droit anglo-saxon comme « les relations juridiques créées par une personne, le constituant - par acte entre vifs ou à cause de mort - lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé.
Le trust présente les caractéristiques suivantes :
a) Les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;
b) Le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d'une autre personne pour le compte du trustee ;
c) Le trustee est investi du pouvoir et chargé de l'obligation, dont il doit rendre compte, d'administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.
Le fait que le constituant conserve certaines prérogatives ou que le trustee possède certains droits en qualité de bénéficiaire ne s'oppose pas nécessairement à l'existence d'un trust ».
Nous renvoyons ici à l'étude du rapport du 115e Congrès des notaires de France :
115e Congrès des notaires de France, nos 2560 et s.">Lien
Plusieurs éléments sont donc communs aux deux institutions du trust et de la fiducie :
  • le transfert de propriété par le constituant (settlor of the trust) au profit du fiduciaire (trustee) ;
  • les biens de la fiducie constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du fiduciaire ;
  • l'obligation de gérer les biens de la fiducie selon les termes du contrat de fiducie.
Reste que deux points importants permettent de différencier les deux institutions :
  • la fiducie est un contrat entre le constituant et le fiduciaire quand le trust est constitué par acte unilatéral du constituant (settlor of the trust) ;
  • la fiducie ne peut être utilisée comme instrument de transmission à titre gratuit quand le trust est un mode usuel d'organisation des successions dans les pays anglo-saxons.
Nous renvoyons sur ce point à la Proposition no 3 effectuée par la troisième commission du 115e Congrès des notaires de France, « Pour la ratification par la France de la Convention de La Haye sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance » :
Proposition no 3, 3e commission du 115e Congrès des notaires de France « Pour la ratification par la France de la Convention de La Haye sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance ».">Lien

Intérêts de la fiducie-transmission/libéralité

– Outil d'anticipation. – Nous sommes fréquemment, dans notre pratique, questionnés par des clients soucieux d'encadrer la gestion des biens qu'ils souhaitent ou qu'ils auront à transmettre à leurs héritiers.
Les motifs de cette préoccupation sont généralement liés :
  • à l'existence d'un patrimoine complexe (transmission d'entreprises familiales par exemple) ;
  • au souci d'assurer la pérennité d'un patrimoine constitué de biens réunis dans un objectif particulier (collections, monuments historiques…) ;
  • à la présence d'héritiers qui ne disposent pas des compétences utiles à la bonne gestion des biens transmis ;
  • à la présence d'héritiers fragiles ou bénéficiant de mesure de protection.
Le recours à la fiducie-transmission/libéralité pourrait parfaitement répondre à ces objectifs. Alliant efficacité et sécurité de la gestion des biens placés en fiducie à la souplesse de la transmission, son introduction dans notre droit mériterait d'être enfin considérée et l'article 2013 du Code civil, qui pose une interdiction d'ordre public, revu.
Cela nous conduit à analyser les raisons de la ténacité dont fait preuve le législateur pour maintenir un principe de prohibition de la fiducie-libéralité (§ I), avant d'en analyser les intérêts (§ II).

Les raisons de la prohibition de la fiducie-libéralité

– La crainte de la fraude. – C'est donc seulement en 2007 que le législateur introduit dans notre droit la fiducie, sans doute mû par un souci d'attractivité de notre droit. Pourtant, le législateur reste très prudent notamment en excluant la fiducie-libéralité, par crainte de fraude, ce mot étant utilisé à maintes reprises, avec celui de « risque », dans le rapport de la commission des lois à l'Assemblée nationale.
Afin de restreindre le champ de la fiducie, il est notamment avancé que les outils de planification successorale existent déjà dans notre droit (A). Le détournement des règles du droit des successions (B) et la crainte de l'évasion fiscale (C) sont également mis en avant pour justifier que notre droit n'évolue pas sur cette question.

La fiducie-libéralité et les autres modes de planification successorale

Notre arsenal juridique comprend déjà divers outils qui permettent, même si la fiducie-libéralité pourrait utilement les compléter, des modes légaux (I) et conventionnels (II) de planification successorale.
Les modes légaux de planification successorale
– Des modes de planification qui ne répondent qu'imparfaitement aux préoccupations de nos clients. – Il a été fréquemment avancé que la réforme des successions opérée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 aurait permis de doter notre droit d'outils efficaces pour organiser une planification successorale. Ainsi la création du mandat à effet posthume et la libéralisation des libéralités graduelles et résiduelles répondraient aux préoccupations d'organisation successorale de nos contemporains. L'exposé des motifs de la loi du 23 juin 2006 précise d'ailleurs que ces nouvelles techniques allaient « répondre aux besoins que satisfait, dans d'autres pays, la fiducie successorale ».
Cependant, si ces mécanismes permettent d'anticiper le règlement de la succession par l'organisation de la transmission de ses biens, ils peuvent à divers égards sembler nettement insuffisants.
Le mandat à effet posthume, tel que défini aux articles 812 et suivants du Code civil (outil qui permet de confier à une ou plusieurs personnes le mandat de gérer tout ou partie des biens d'une succession pour le compte et dans l'intérêt des héritiers), en substituant à la saisine naturelle des héritiers une administration des biens de la succession organisée par le disposant, doit ainsi être justifié par un intérêt sérieux et légitime, parfois difficile à démontrer et par conséquent générateur de contentieux.
Il ne peut, par ailleurs, être conclu que pour une durée de deux ans (exceptionnellement cinq ans en justifiant de l'inaptitude ou de l'âge des héritiers, ou de la nécessité de gérer des biens professionnels), ce qui, dans certains cas, est insuffisant compte tenu des particularités d'un patrimoine qu'il est utile d'organiser sur le long terme pour assurer une transmission sur plusieurs générations.
Les pouvoirs du mandant sont ensuite limités aux actes conservatoires ou d'administration : les héritiers conservent ainsi le droit de vendre les biens objets du mandat, ce qui rend ce dernier inefficace. Le bon vouloir des héritiers peut donc facilement réduire à néant la volonté du mandant.
Le mandataire à titre posthume n'est donc qu'un simple administrateur temporaire de biens.
Pour améliorer l'efficacité du mandat à effet posthume, on peut avoir recours aux techniques sociétaires qui peuvent alors permettre au mandant de confier au mandataire des pouvoirs étendus au-delà de simples pouvoirs de gestion et d'administration. Le pouvoir de gestion d'une société pouvant aller jusqu'à disposer des actifs sociaux si le mandat porte sur des parts de société à laquelle les actifs successoraux ont été préalablement apportés, on peut échapper à l'interdiction de principe posée au mandataire de disposer des biens dont la gestion lui est confiée. Un travail sur les statuts de la société sera alors nécessaire pour aménager les pouvoirs en assemblée (règles de quorum ou de majorité, droit de veto créé au profit du mandataire,…), ou pour adapter les clauses d'agrément.
Reste que la durée du mandat est limitée au maximum à cinq ans, ce qui constitue une contrainte forte et demeure incompatible avec le souci de transmission et de pérennisation d'un patrimoine familial manifesté par nos concitoyens.
Les donations graduelles et résiduelles ont également été présentées en 2006 comme ayant une finalité proche de la fiducie. Mais, si ces donations permettent d'assurer une double transmission successive en organisant le transfert des biens au décès du premier bénéficiaire au bénéfice du second gratifié, elles ne permettent pas d'organiser la gestion des biens par le premier bénéficiaire pour le compte du second. Elles ne permettent pas davantage d'assurer au second gratifié la distribution ou le maintien de revenus. Aucun tiers n'intervient pour administrer et gérer les biens transmis.
La donation graduelle comporte une double obligation de conservation et de transmission, mais ne permet pas la souplesse de la fiducie. La donation résiduelle n'oblige pas quant à elle le premier gratifié à conserver les biens reçus, et seuls les biens subsistants seront transmis. Il n'y a pour le premier gratifié aucune obligation de gestion et donc pour le second aucune garantie de recevoir le bien ou de le recevoir en bon état.
Ces donations présentent par ailleurs deux contraintes importantes :
  • la première résulte de l'article 1049 du Code civil, puisque la donation ne peut produire ses effets que sur des biens identifiables à la date de la transmission : meuble corporel ou incorporel, immeuble, droits sociaux, créances…Si la libéralité porte sur une somme d'argent, certaines précautions sont à prendre pour assurer l'efficacité de la clause graduelle :
  • la seconde contrainte est précisée à l'article 1054 du Code civil qui dispose que « si le grevé est héritier réservataire du disposant, la charge ne peut être imposée que sur la quotité disponible ».
De même, la libéralité résiduelle ne peut, en principe, porter sur la réserve du premier gratifié. C'est pourquoi l'alinéa 3 de l'article 1059 du Code civil précise que le premier gratifié, héritier réservataire, conserve la possibilité de disposer entre vifs ou à cause de mort des biens qui lui ont été donnés en avancement de part successorale. Mais, contrairement aux règles régissant la donation graduelle, il n'existe aucune disposition limitant l'efficacité d'une clause résiduelle portant sur la réserve du grevé et permettant à celui-ci d'accepter qu'une telle charge grève sa part de réserve. Si la donation résiduelle porte sur la réserve du grevé, celui-ci peut demander le cantonnement de la charge, sauf à ce que le premier gratifié fasse une renonciation anticipée à l'action en réduction dans les conditions de l'article 929 du Code civil.
La libéralité graduelle ne doit donc pas porter sur la réserve du premier gratifié. Si la charge imposée par la donation graduelle risque d'affecter tout ou partie de la réserve du premier gratifié, le bénéficiaire peut agir en cantonnement : on individualise dans un partage deux masses de biens. Ceux qui dépendent de la réserve et sur lesquels le premier gratifié retrouve ses droits de disposition complets. Ceux qui dépendent de la quotité disponible, qui demeurent grevés de la charge.
Que se passe-t-il si la charge porte sur un bien indivisible ? Il est alors impossible de cantonner et la charge disparaît. Le bénéficiaire pourra aussi renoncer par anticipation à demander la réduction de ladite donation, soit dans l'acte de donation lui-même, soit dans un acte postérieur en respectant les conditions de forme de l'article 930 du Code civil afin de garantir l'efficacité de la donation.
En cas de legs graduel, le légataire dispose d'un délai d'un an à compter du jour où il a eu connaissance du testament pour demander que sa part de réserve soit libérée de la charge qui la grève, à défaut il doit en assumer l'exécution. Le rôle de conseil du notaire est alors primordial, car il ne doit pas omettre d'informer son client que l'efficacité d'un legs graduel portant sur tout ou partie de la réserve du premier gratifié dépend de la volonté de ce dernier. La loi ajoute à l'article 1054, alinéa 4 du Code civil que si la part de réserve est grevée avec l'accord du bénéficiaire, la charge pèse de plein droit sur les enfants nés ou à naître et il n'y a donc plus de liberté dans la désignation du second gratifié.
L'ensemble de ces dispositifs ont une utilité indéniable, mais ils restent insuffisants comme ne répondant pas aux attentes de nos concitoyens.
La fiducie devrait alors s'imposer comme un outil complémentaire au mandat ou aux donations graduelles et résiduelles. En effet avec ce dispositif, les pouvoirs du fiduciaire peuvent être parfaitement adaptés sur une durée pouvant aller jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, ce qui permet l'organisation d'une transmission transgénérationnelle.
Surtout, les biens objets de la fiducie sont isolés dans un patrimoine étanche par rapport au patrimoine du fiduciaire et à l'abri de toute aliénation souhaitée par le constituant et même de ses créanciers, sauf bien entendu transfert fiduciaire reconnu comme frauduleux.
Les modes contractuels de planification successorale
D'autres outils peuvent être utilisés pour organiser la gestion de son patrimoine pour le compte de ses héritiers.
La société civile immobilière est facilement utilisée pour organiser la transmission contrôlée d'un patrimoine immobilier complexe.
Cela nécessite de prévoir dans les statuts la nomination d'un gérant de confiance à qui il est conféré des pouvoirs très adaptés aux objectifs poursuivis. Cela se révélera délicat quand il s'agit d'organiser les conditions dans lesquelles les fonds à la disposition de la SCI, ou ses revenus, seront remis aux descendants devenus associés en fonction de leurs besoins propres.
Par ailleurs, le coût du transfert des biens immobiliers détenus par l'ascendant associé à la SCI (apports, plus-values) peut être dissuasif.
Si la fiducie ne peut être l'objet d'une libéralité, il a pu être imaginé de procéder à la donation du contrat de fiducie lui-même.
Selon les promoteurs de ce montage : « Le constituant crée une fiducie-gestion dont il est bénéficiaire, puis la transmet à titre gratuit, entre vifs ou par décès, aux ayants-droit qu'il a choisis. La fiducie-gestion sert alors de « réceptacle » aux actifs à gérer, qui sont confiés au fiduciaire, lequel se voit assigner des missions précises par le contrat concernant la gestion du patrimoine, ainsi que les prestations à délivrer au profit des bénéficiaires. Le contrat de fiducie n'est alors aucunement par lui-même le vecteur de la transmission, il en est l'objet. La situation est comparable à la donation ou à la transmission successorale d'un contrat de capitalisation (…) la transmission effectuée à titre gratuit au décès ou par donation porte alors sur la créance existant dans le patrimoine du constituant bénéficiaire sur le fiduciaire. Plus précisément, ce sont les droits du constituant qui font l'objet de la transmission, laquelle emprunterait la forme classique d'une donation ou d'une succession. Autrement dit, le contrat de fiducie n'est pas dénoué, il se poursuit avec un nouveau constituant bénéficiaire, et n'est donc en aucune façon le vecteur d'une libéralité par lui-même ».
Il s'agirait dans ce cas d'organiser la transmission du contrat de fiducie : ce sont les droits du constituant qui font l'objet de la transmission, laquelle pourrait alors prendre la forme classique d'une donation ou d'un legs. Le contrat de fiducie-gestion dont le constituant est désigné bénéficiaire pourrait lui-même contenir une clause selon laquelle le contrat sera transmis à ses héritiers en cas de décès. Ainsi le contrat de fiducie ne sera pas dénoué et se poursuivra avec un nouveau bénéficiaire, soumis à la gestion prévue par le contrat de fiducie. Les héritiers auront alors vocation à recueillir la propriété du patrimoine fiduciaire, mais ils seront privés de tout pouvoir de gestion sur ce patrimoine tant que durera la fiducie.
L'idée peut paraître séduisante, mais les praticiens prudents ne manqueront pas de soulever, pour ne pas s'aventurer dans un tel montage, que l'article 2029 du Code civil dispose que le contrat prend fin par le décès du constituant, d'une part, et que l'article 2030 du même code prévoit le retour du patrimoine fiduciaire dans sa succession, d'autre part. Mais cette règle est-elle d'ordre public ? La fiducie peut-elle survivre au décès du constituant ? Ce schéma n'est-il pas contraire à la dévolution d'une réserve héréditaire libre de charge ?
Les partisans d'une telle pratique avancent plusieurs arguments pour la fonder juridiquement :
  • la fiducie étant un contrat, le principe est que les dispositions légales ont un caractère supplétif, sauf mention expresse de leur impérativité. Or l'article 2029 du Code civil n'énonce pas son caractère d'ordre public. Il est également à noter qu'en matière de fiducie-sûreté, le décès du constituant est écarté comme cause d'extinction de la fiducie. Si le texte n'est pas impératif, le contrat de fiducie pourrait alors prévoir d'écarter le décès comme cause d'extinction du contrat, celui-ci se poursuivant avec les héritiers jusqu'à l'arrivée du terme prévu initialement ;
  • la transmission du contrat au décès n'est que l'application de la règle selon laquelle les héritiers, comme successeurs universels de leur auteur, sont de plein droit saisis de ses droits et obligations ;
  • les biens étant soumis au contrat de fiducie avant leur transmission, il n'y a pas de risque d'atteinte au principe de la dévolution d'une réserve héréditaire libre de charge ; seule la création d'une nouvelle charge lors de la transmission à titre gratuit serait en contrariété avec la réserve ;
  • le contrat n'étant pas dénoué lors du décès, il ne serait pas lui-même vecteur de transmission mais seulement l'objet de la transmission.
Or, d'après l'opinion doctrinale dominante et selon le professeur Witz, les articles 2029 et 2030 du Code civil sont bel et bien d'ordre public et la nature contractuelle de la fiducie ne saurait justifier de dérogation.
La rédaction de l'article 2029 du Code civil, précisément créé pour empêcher la fiducie-libéralité interdite par l'article 2013, est claire : le contrat de fiducie s'éteint par le décès du constituant. Faire perdurer le contrat après le décès reviendrait à reconnaître une transmission indirecte. Quant à l'article 2030 du Code civil, il précise que « lorsqu'il prend fin par le décès du constituant, le patrimoine fiduciaire fait de plein droit retour à la succession » : s'il est fait de plein droit retour à la succession, c'est bien en relation avec le caractère impératif de l'article 2029 du Code civil.
Civilement, la fiducie-libéralité frappée de nullité est constituée si elle procède d'une intention libérale : la transmission du contrat de fiducie emporte transmission indirecte du patrimoine fiduciaire, et il paraît difficile de justifier une transmission au profit de ses héritiers en cas de décès autrement que par une intention libérale. Cette intention est caractérisée dès lors que la transmission répond à l'un des critères posés par l'article 792 bis du Code général des impôts qui, utilisant le terme « notamment », laisse par ailleurs toute possibilité à l'administration ou aux tribunaux pour caractériser l'intention libérale.
L'objectif du constituant est bien de restreindre le pouvoir de gestion de ses héritiers par une transmission patrimoniale indirecte. Sans contrepartie, cette transmission risque bien d'être qualifiée de fiducie-libéralité.
Une donation avec charge de constituer une fiducie est aussi une hypothèse avancée par certains professionnels de la gestion de patrimoine, qui ont été renforcés dans leur imagination à trouver des solutions aux préoccupations de leurs clients depuis la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1216). Dans ce schéma, le donateur impose aux donataires, comme charge déterminante de la libéralité, d'apporter en fiducie les biens reçus en donation.
Selon certains auteurs, rien ne s'oppose à ce qu'une donation prévoie une charge ou soit soumise à une condition contraignant le donataire à conclure un contrat de fiducie-gestion relatif aux biens transférés à titre gratuit selon les modalités prévues dans la libéralité, voire qu'un legs soit grevé de la charge de constituer une fiducie. Une telle libéralité avec charge ne contreviendrait pas à l'article 2013 du Code civil : dès lors que la fiducie ne procède pas de la volonté du constituant mais de celle du disposant, l'intention libérale du premier est écartée par son obligation d'exécuter la charge. Le bénéficiaire de la fiducie-gestion est bien le constituant lui-même, c'est-à-dire celui qui a recueilli les biens à titre gratuit et non un tiers gratifié par le constituant d'une fiducie.
Ce montage trouvera cependant sa limite dans l'application de l'article 912 du Code civil : la constitution d'une fiducie imposée par le donateur ne devrait pouvoir priver le donataire de la libre disposition des biens composant sa réserve héréditaire, lorsque la succession du donateur sera ouverte. Même si, sur ce point, il n'existe pas de jurisprudence, il est sans doute possible de raisonner par analogie avec les décisions rendues sur les clauses d'inaliénabilité ou d'inaliénabilité conditionnelle. Il convient alors de vérifier la conformité de ces clauses avec les exigences posées à l'article 900-1 du Code civil. De même, l'analyse de la jurisprudence exclut le legs à charge pour le légataire de constituer une fiducie, dès lors que ce legs porte sur la réserve héréditaire.
Si une telle possibilité de donation à charge de fiducie était admise, il faudrait également qu'elle soit conforme aux dispositions de l'article 900-2 du Code civil traitant de la révision judiciaire des charges affectant la donation.
Ces deux solutions, donation du contrat de fiducie et donation avec charge de constituer une fiducie, sont donc à manier avec grande prudence tant les sanctions civiles de nullité et leurs conséquences fiscales sont lourdes. Les risques d'atteinte à la réserve par ces biais doivent également être étudiés avec beaucoup de précaution. Si la fiducie-libéralité devait continuer à être aussi contrainte dans notre droit, l'interprétation de la jurisprudence sur de telles pratiques est donc attendue pour les pérenniser.

La fiducie-libéralité et le contournement des règles du droit des successions

– Un moyen de contourner les règles de la réserve héréditaire. – La raison principale de la prohibition de la fiducie-libéralité est énoncée dans son rapport par Henri de Richemont, quand il précise que « cette décision permet d'éviter que la fiducie soit utilisée dans le seul but de détourner les règles, récemment modifiées, relatives aux libéralités et à la dévolution successorale ».
L'argument reste difficile à comprendre, tant la jurisprudence a toujours veillé à condamner l'utilisation frauduleuse du trust pour tenter de modifier les règles impératives de dévolution du droit français.
Pourtant, le trust ne se cantonne pas à l'étranger mais a également des effets en France. La jurisprudence a recours le plus souvent à une requalification en un mécanisme connu du droit français.
Cependant, il arrive parfois qu'elle considère le trust en tant que tel. Il ressort de la jurisprudence une analyse au cas par cas des faits pour apprécier la requalification ou non du trust.
La question de la reconnaissance du trust pose question, puisque son utilisation pourrait permettre de détourner l'article 912 du Code civil.
Le droit français a aussi déjà été confronté, notamment avec l'assurance-vie, à la nécessité de trouver un équilibre entre respect de la réserve héréditaire et sort des sommes écartées par ce biais du patrimoine successoral du défunt. La jurisprudence de la Cour de cassation justifie sur ce point des atteintes à la réserve héréditaire qui, sur le plan juridique, ont pu paraître difficilement cohérentes. Or un certain nombre de contrats d'assurance-vie sont très proches des mécanismes de la fiducie : l'assureur reçoit des deniers, avec mission de les placer pour en restituer le produit à l'échéance au souscripteur ou au bénéficiaire désigné.
Par ailleurs on peut constater, en droit comparé, que certains États parviennent à articuler les impératifs d'une réserve légale avec les spécificités du trust.
C'est le cas à l'île Maurice qui connaît le bi-juridisme : les relations privées entre les personnes relèvent du droit continental, quand les relations commerciales et l'organisation juridique et administrative relèvent de la Common Law. Le notaire mauricien applique donc le droit civil, mais peut aussi établir des trusts. Si c'est un Mauricien qui le constitue, la réserve héréditaire devra être protégée. Si c'est un citoyen d'un pays qui ne connaît pas la réserve, il pourra transmettre tous ses biens, via le trust, à qui bon lui semble.
C'est aussi le cas du Québec, province canadienne, qui connaît un droit « mixte ».
Enfin, la loi elle-même prévoit un encadrement tel à la fiducie qu'il paraît difficile d'envisager comment on pourrait ne pas maîtriser les risques de détournement de l'ordre public successoral.
Ainsi l'article 2019 du Code civil, qui prévoit que tout acte de fiducie initial ou modificatif doit être enregistré dans le délai d'un mois et publié s'il porte sur des biens et droits immobiliers au service de la publicité foncière ; ou l'article 2020 dudit code qui prévoit la tenue d'un registre national des fiducies.
Le contrat de fiducie-libéralité, compte tenu de son objet, serait en tout état de cause, pour être conforme aux dispositions du Code civil, reçu par un notaire. Qui pourrait être mieux sensibilisé que lui aux questions de respect de la réserve ?

La fiducie-libéralité et la crainte de l'évasion fiscale

– La fraude fiscale. – En 2007, la crainte principale face à la fiducie-libéralité émanait de l'administration.
Elle redoutait en effet qu'elle soit utilisée à des fins d'évasion fiscale en matière de droits de mutation à titre gratuit. Les sanctions fiscales prévues aux articles 792 bis et 1729-c du Code général des impôts et à l'article L. 64 C du Livre des procédures fiscales sont la démonstration de cette défiance.
Or le Code général des impôts permet à l'administration de taxer des mécanismes équivalents en matière de droits de mutation à titre gratuit lors de la délivrance de capitaux décès dépendant d'un contrat d'assurance-vie, ou lors de transmissions à titre gratuit réalisées via des trusts.
L'examen de la jurisprudence depuis 2007 démontre que la fiducie n'est pas source de contentieux. Le fait que la loi réserve à des professionnels la possibilité d'être fiduciaire constitue par ailleurs un frein important à la fraude. L'article 2026 du Code civil prévoit ainsi que le fiduciaire répond sur son patrimoine personnel « des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission ».
Au regard des expériences étrangères, le risque d'une utilisation de la fiducie à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme ne paraît pas plus grave que celui permis par la constitution de structures sociétaires. Il est utile ici de rappeler, une fois encore, que la cession des parts des sociétés à prépondérance immobilière échappe au contrôle des notaires, très engagés avec Tracfin contre la lutte contre le blanchiment. Une fiducie constituée par acte authentique permettrait sur ce point d'apporter des garanties supplémentaires à l'administration fiscale.

Les intérêts de la fiducie-libéralité

– L'anticipation de la transmission pour un contexte familial apaisé. – La fiducie-libéralité consisterait à transférer des biens à un fiduciaire chargé de les transmettre, à titre gratuit, au terme d'une durée déterminée, à un tiers bénéficiaire.
Dans le cadre de l'organisation d'une succession, la fiducie-libéralité pourrait présenter de nombreux avantages, notamment en évitant le partage de patrimoines complexes tant par leur consistance que leur gestion délicate.
On ne retrouve pas dans notre droit d'outils bénéficiant de la souplesse et l'efficacité de la fiducie-libéralité. L'un de ses intérêts majeurs réside spécialement dans son utilisation dans un contexte successoral.
Avec la fiducie, les héritiers sont déchargés de la gestion d'un patrimoine qui peut se révéler complexe ou pour lequel des qualifications particulières sont nécessaires. Le chef d'entreprise prévoyant peut, avec la fiducie, anticiper et assurer la pérennité de son entreprise en confiant la gestion à des professionnels qualifiés tout en ayant défini par avance les modalités de cette fiducie.
– La prévention des conflits. – On peut ainsi noter que la fiducie permettrait de prévenir les conflits familiaux, car elle pourrait autoriser à :
  • différer les conséquences d'un décès en évitant l'indivision à l'issue de laquelle la mésentente peut contraindre à une vente forcée du patrimoine ou au partage d'un ensemble de biens parfois acquis pour être conservés (collection d'art, monuments historiques et mobilier…) ;
  • conserver le patrimoine intact et garantir aux bénéficiaires le même niveau de revenus, alors que le partage conduit à l'éclatement du patrimoine et donc à une baisse de revenus ;
  • favoriser les transmissions transgénérationnelles entre grands-parents et petits-enfants de manière à éviter la prodigalité ou la mauvaise gestion des parents ;
  • assurer la pérennité d'une entreprise ;
  • décharger les héritiers de la gestion d'un patrimoine complexe afin de leur permettre d'être assistés, voire protégés contre leur propre prodigalité ou incompétence ;
  • déjudiciariser la gestion du patrimoine des personnes vulnérables qui ne seraient pas en mesure de gérer leurs biens par manque de maturité, soucis de santé, grand âge, sans pour autant que le constituant soit placé sous l'un des régimes de protection prévus par la loi ;
  • permettre à des personnes atteintes par le grand âge qui souhaitent rester maîtresses de leur destin d'organiser la gestion de leur patrimoine ;
  • assurer à la personne handicapée le maintien de son niveau de vie après la disparition de ses auteurs, et permettre à ces derniers d'organiser la transmission du patrimoine familial sans en compromettre la consistance.
– Une réponse au trust. – Une véritable réforme de la fiducie doit donc être envisagée, notamment pour améliorer l'attractivité du droit français par rapport au droit anglo-saxon : admettre la validité de la fiducie-libéralité permettrait d'éviter le recours aux montages actuels qui passent par la constitution de trusts étrangers, source d'insécurité et donc de contentieux. Elle permettrait, contrairement à ce qui était avancé lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi du 19 février 2007, de garantir de manière transparente le respect des règles impératives du droit français des successions, le recours aux institutions étrangères n'étant plus utile.

Les contraintes à lever pour autoriser la fiducie-libéralité

Les contraintes à lever pour autoriser la fiducie-libéralité

– Améliorer l'attractivité du droit français. – Malgré l'introduction de la fiducie dans le Code civil en 2007, la concurrence face au trust reste vive. La volonté du législateur d'alors de ne pas accueillir dans notre droit la fiducie-libéralité n'est pas étrangère à cette rivalité, au détriment du droit continental…
Face au problème de law shopping, il est temps de s'interroger sur une réforme qui envisagerait que des protections suffisantes soient mises en place en droit français pour vaincre les réticences et autoriser la fiducie-libéralité. Cela permettrait, enfin, d'améliorer l'attractivité du droit français et d'éviter le recours à des montages passant par la constitution de trusts étrangers utilisés pour des personnes et des biens situés en France.
Robert Badinter, lors des discussions parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi sur la fiducie en 2007, constatait que le refus d'introduire la fiducie-libéralité en droit français sur la seule base des risques de fraude auxquels cela pourrait conduire, entraînait une paralysie dans la progression de notre droit. Une réécriture de l'article 2013 du Code civil permettrait une grande avancée, ouvrant ainsi l'opportunité aux praticiens en gestion de patrimoine de participer au développement de la fiducie et donc à une meilleure anticipation de la transmission de ses biens par le constituant. Cette anticipation serait aussi un moyen de limiter les conflits en matière successorale, notamment en évitant des indivisions, sources de tant de difficultés.
Les récentes réflexions menées autour de la réserve héréditaire et sur la déjudiciarisation de la gestion des biens des majeurs vulnérables sont l'occasion de s'interroger sur les contraintes à lever pour permettre de déverrouiller la fiducie-libéralité, tant en droit civil (§ I) que d'un point de vue fiscal (§ II).

Les contraintes à lever en droit civil

– Une atteinte à l'ordre public successoral. – Comme indiqué ci-dessus, l'un des arguments avancés en 2007 pour refuser de reconnaître la fiducie-libéralité est qu'elle risquerait de porter atteinte aux règles de droit successoral, et notamment à la réserve héréditaire.
Les plus réticents à accepter le principe de la fiducie-libéralité rappelaient en effet que l'article 912 du Code civil dispose que la réserve héréditaire doit être délivrée libre de charges. Autoriser la fiducie-libéralité serait donc porter atteinte à cet article et à l'ordre public successoral.
La lecture de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de droit international privé peut cependant permettre de penser que cet ordre public pourrait être assoupli. Deux arrêts de la Cour de cassation ont en ce sens précisé que « la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ». Dans ces deux affaires les enfants, privés de leur réserve héréditaire par application d'une loi étrangère au règlement de la succession, avaient saisi les juridictions françaises pour faire reconnaître que la réserve héréditaire pouvait être sauvegardée par l'exception de l'ordre public international. La question se posait de savoir si, pour la mise en œuvre de la professio juris , une loi étrangère ne connaissant pas l'institution de la réserve devait être considérée comme contraire à l'ordre public international français. Cette question avait été débattue en doctrine à l'occasion de l'entrée en application du règlement européen sur les successions. Certains auteurs estimaient que les règles de la réserve n'étaient pas d'ordre public. D'autres, insistant sur le fait que la réserve héréditaire était le reflet de la solidarité familiale, soulignaient qu'elle devait garantir un minimum d'égalité entre les enfants et qu'elle touchait donc aux fondements mêmes de notre société.
Dans ces deux affaires, la Cour de cassation apporte une réponse nuancée : si le résultat produit par l'application de la loi étrangère, appréciée in concreto, s'avère inadmissible, l'exception d'ordre public international pourra développer ses effets. La cour précise le seuil de déclenchement de cet ordre public international en reprenant les termes d'un arrêt de la cour d'appel de Paris de 2015, dans lequel elle indique notamment que les héritiers privés de droit ne se trouvaient pas dans « une situation de précarité économique et de besoin ». L'héritier, qui par application de la loi étrangère est placé dans une situation de précarité économique ou de besoin, pourrait voir écartée la loi étrangère.
Il est également à noter que les deux arrêts octroient une certaine importance au principe de proximité du défunt avec la loi applicable à sa succession : l'ordre public international peut d'autant plus permettre d'écarter une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire que la situation présente des liens étroits avec la France.
On pourrait alors s'inspirer des propositions faites dans l'avant-projet de loi sur la fiducie de 1992 qui limitait la fiducie-libéralité à la quotité disponible, ce qui permettait de prévoir une protection efficace des réservataires. Ainsi, si elle bénéficiait à un tiers et qu'elle portait atteinte à la réserve, elle devenait réductible en valeur pour l'excédent. Lorsque le bénéficiaire était un héritier réservataire, elle ne pouvait aboutir à grever d'une charge sa réserve héréditaire.
Selon ces propositions, les biens placés dans la fiducie devaient être réunis fictivement aux biens laissés par le constituant à son décès pour vérifier le respect de la réserve héréditaire et s'imputeraient sur la quotité disponible. Cette réunion fictive des biens soumis à la fiducie devait avoir lieu dans leur état et leur valeur au décès sous déduction d'un éventuel passif fiduciaire. Les biens reçus par le bénéficiaire du vivant du constituant devaient quant à eux être évalués dans leur état à cette date, pour leur valeur au décès.
Hélas, cette fiducie limitée à la seule quotité disponible contraint fortement son utilisation si les biens que le constituant veut protéger via ce mécanisme constituent une partie importante de son patrimoine qu'il ne souhaite par ailleurs pas diviser.
On pourrait aussi s'appuyer sur la réforme du droit des successions de 2006 qui permet de grever la part réservataire par un mandat à effet posthume ou une libéralité graduelle ou résiduelle. Cependant, admettre une fiducie portant sur la totalité de la réserve paraît être une option très délicate, sauf à soumettre cette hypothèse à des conditions d'application très encadrées, comme l'accord de l'héritier bénéficiaire (Raar), une durée moindre que quatre-vingt-dix-neuf ans ou la justification d'un intérêt particulier.
– Fiducie et personnes vulnérables. – Déjà le 107e Congrès des notaires de France de Cannes en 2011 avait relevé l'intérêt de la fiducie pour permettre à des parents d'enfants handicapés d'organiser la transmission de leurs biens et d'assurer à ces enfants le financement de leurs besoins quotidiens. Une proposition a ainsi été votée pour créer une fiducie-protection :
107e Congrès des notaires de France, Cannes, 4e commission, 4e proposition.
Les travaux de Mme Caron-Déglise démontrent parfaitement les atouts de la fiducie pour la gestion dynamique du patrimoine des personnes protégées, atouts que les autres techniques juridiques ne possèdent pas forcément.
Ainsi la proposition no 42 du rapport préconise-t-elle « d'introduire des modes de gestion patrimoniale permettant de mieux organiser le risque de dépendance et en particulier la fiducie tout en prévoyant des garanties précises, en particulier pour les personnes protégées :
  • soumettre la fiducie à l'autorisation préalable du juge de la protection et obligatoirement à la forme notariée,
  • soumettre la fiducie à un encadrement renforcé lorsqu'un majeur protégé est le constituant (choix de la désignation du fiduciaire, approbation des comptes du fiduciaire par un tiers protecteur obligatoirement désigné dans le contrat),
  • soumettre l'apport du logement de la personne protégée en fiducie aux dispositions de l'article 426 du Code civil,
  • prévoir la saisine du juge par tout tiers intéressé en cas d'actes contraires aux intérêts du constituant et la possibilité pour le juge de révoquer la fiducie ».
Un rapport rendu en 2018 par Mme Anne Caron-Déglise, à la demande des ministères de la Justice, des Solidarités et de la Santé et du secrétariat d'État aux personnes handicapées, mérite d'être étudié en ce qu'il évoque la fiducie-protection pour les personnes vulnérables.
Cinq articles du Code civil seraient donc à modifier :
  • l'article 2013 qui pose la nullité d'ordre public de la fiducie-libéralité ;
  • l'article 2028 : « Le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire » ;
  • l'article 2029 : « Le contrat de fiducie prend fin par le décès du constituant personne physique » même si, comme on l'a évoqué ci-dessus, l'impérativité de ce texte peut être discutée ;
  • l'article 408-1 : « Les biens ou droits d'un mineur ne peuvent être transférés dans un patrimoine fiduciaire » ;
  • l'article 509 : « Le tuteur ne peut, même avec une autorisation (…) transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou droits d'un majeur protégé ».

Les contraintes à lever en droit fiscal

– De lourdes sanctions fiscales. – La qualification de fiducie-libéralité est redoutée pour la nullité prévue à l'article 2013 du Code civil, mais aussi parce que les sanctions fiscales qui sont attachées à cette qualification sont plus que dissuasives. Effectivement, si la transmission de biens ou droits faisant l'objet d'une fiducie est reconnue comme procédant d'une intention libérale, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent au tarif prévu pour les transmissions entre étrangers (soit à 60 %…) avec une majoration de 80 % !
Dès 1992, les travaux parlementaires relatifs à un projet de loi sur la fiducie ont proposé des textes pour la taxation à titre gratuit de la fiducie-transmission.
Par ailleurs, les textes permettant d'appréhender la fiducie-libéralité en matière de droit d'enregistrement existent et permettent une entière neutralité par rapport à une détention des biens dans le patrimoine du disposant. Ainsi l'article 668 ter du Code général des impôts, qui ne vise pas expressément les seules transmissions à titre onéreux, prévoit-il que pour le calcul des droits d'enregistrement, les droits du constituant résultant du contrat de fiducie sont réputés porter sur les biens formant le patrimoine fiduciaire et que, lors de la transmission de ces droits, les droits de mutation sont donc exigibles selon la nature de la transmission visée par le législateur. Ce texte s'applique déjà quand une fiducie-sûreté est transmise par succession aux héritiers du constituant décédé avant le règlement de sa dette.
Il semble aussi possible de s'inspirer partiellement de l'article 790-0 bis du Code général des impôts qui réglemente la taxation des transmissions opérées au profit des bénéficiaires de trusts.
Ce dispositif distingue :
  • les transmissions pouvant être assimilées à des donations ou des successions : la valeur des biens et droits inscrits dans le trust est soumise aux droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté entre constituant et bénéficiaire ;
  • les transmissions qui ne peuvent être assimilées à des donations ou des successions : si la part du bénéficiaire peut être déterminée au décès du constituant, elle est taxée comme indiqué ci-dessus. À défaut, la taxation a lieu au taux de 45 % sur l'ensemble des biens.
Dans le cas d'une fiducie-libéralité, il serait ainsi possible d'envisager taxer la valeur des droits des bénéficiaires, évaluée au décès du constituant en fonction du lien de parenté les unissant.