Des outils rédactionnels à promouvoir en leur forme authentique

Des outils rédactionnels à promouvoir en leur forme authentique

La promesse unilatérale authentique

La promesse unilatérale authentique

« Existe-t-il mécanisme plus répandu et plus utilisé en droit des sociétés que la promesse de vente de titres ? Nul pacte, nul corpus statutaire, nulle opération impliquant un transfert de propriété de titres ne fait en pratique l'économie de cet outil classique emprunté au droit des contrats ».
La promesse unilatérale offre au notaire l'occasion de faire valoir ses conseils et son ingénierie, tout particulièrement depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
– Mécanismes apparentés et supports diversifiés. – Ces promesses peuvent parfois figurer dans les statuts, beaucoup plus fréquemment dans les pactes extrastatutaires, ou encore être autonomes en donnant lieu à l'établissement d'un acte distinct.
Un travail de qualification en amont est indispensable afin de distinguer la promesse d'un mécanisme apparenté que seraient une simple clause insérée dans les statuts – à la façon d'une clause de préemption, d'une clause de sortie conjointe proportionnelle ou totale, d'une clause d'exclusion par exemple –, une convention de portage, une pension livrée, un prêt de titres, une location d'actions, pour n'en citer que quelques-uns.
À la vue des contraintes s'appliquant aux clauses statutaires visant à exclure un associé ou à organiser les modalités de cession de sa participation, une promesse peut procurer la souplesse nécessaire au montage en octroyant au rédacteur une liberté d'action bien plus large.
– L'originalité des promesses croisées. – Une pratique fréquente consiste à signer concomitamment une promesse de vente et une promesse d'achat pour s'assurer de la bonne fin de l'opération. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence a considéré que ces promesses croisées, de vente et d'achat, comportant toutes deux un accord sur la chose et sur le prix, valaient vente.
Or, à l'occasion de deux arrêts, la chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, conférant à nouveau à chaque promesse son autonomie et son statut d'avant-contrat. L'entrée en vigueur de la réforme de 2016 ne semble pas avoir occasionné un nouveau revirement. Toutefois, le professeur Hervé Le Nabasque recommande d'échelonner dans le temps la réalisation de ces deux promesses, en faisant en sorte que l'une prenne le relais de l'autre, ou encore de mentionner expressément afin d'écarter toute ambiguïté qu'en cas de défaut de levée d'option dans l'un ou l'autre des cas, il n'y aura pas vente.
– Un outil privilégié d'anticipation et de prévention des conflits. – Lapromesse de vente ou d'achat est couramment pratiquée à des fins d'organisation de la gouvernance dans le temps, de gestion des prises de participation, d'encadrement d'opérations de financement, dans le cadre de « packages managériaux », par exemple. Cet outil permet effectivement d'organiser de façon anticipée la sortie de certains actionnaires ou encore de les contraindre à acquérir une prise de participation en cas de survenance de certains événements impactant la vie de la société.
C'est ainsi qu'une promesse d'achat sera généralement exigée par un bailleur de fonds qui souhaite organiser son retrait par anticipation. Elle peut être souhaitée par l'associé minoritaire dont la participation est moins stratégique, donc moins liquide. Une promesse de vente permettra, quant à elle, de prévenir le risque de titres en déshérence en présence d'un dirigeant salarié, actionnaire, n'ayant pas vocation à conserver cette participation à son départ… les exemples sont légion.

La promesse : un outil privilégié d'anticipation et de prévention des conflits

Le recours à une promesse est notamment un moyen d'anticiper la détérioration éventuelle des rapports entre associés.
– Points de vigilance. – Le notaire veillera à rendre la promesse unilatérale efficace au moyen d'une rédaction minutieuse. Certains aspects peuvent alimenter un contentieux. Citons-en quelques-uns :
– Rétractation et délai d'option. – Les termes de l'alinéa 2 de l'article 1124 du Code civil suscitent légitimement une inquiétude : « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ». Faut-il y voir a contrario la possibilité pour le promettant de se rétracter tant que le délai d'option profitant au bénéficiaire n'est pas ouvert ? Il est souhaitable d'écarter toute ambiguïté sur le sujet en adoptant une rédaction adéquate.
Il est possible de songer à une clause ainsi rédigée :

Engagement du Promettant

Par application de l'article 1124 du Code civil, en signant la présente promesse unilatérale, le Promettant consent de manière ferme et définitive à la cession de X actions de la société Y et confère au Bénéficiaire le droit de les acquérir en tout ou partie, s'il le souhaite, dans le délai, aux prix unitaire, charges et conditions ci-après stipulés.
À compter de la signature de la présente promesse et jusqu'à l'expiration du délai accordé au Bénéficiaire pour lever l'option, le Promettant ne pourra pas rétracter son consentement ni contracter avec un tiers.
– Le visa des articles 1112-1 et 1135 du Code civil. – La réforme est à l'origine de deux articles au maniement délicat :
  • l'article 1112-1 du Code civil imposant à chaque partie de communiquer à son cocontractant toute information en sa possession que l'autre peut légitimement ignorer, et dont l'importance est déterminante pour son consentement, cette information étant en lien avec le contenu de la promesse ou la qualité des parties. On rappelle que ce devoir d'information ne porte pas sur la valorisation de la chose vendue. Il sera opportun de rappeler dans la promesse cette obligation aux parties, et de leur faire déclarer, ainsi informées, qu'elles considèrent s'en être acquittées ;
  • et l'article 1135 du Code civil qui dispose en son premier alinéa que : « L'erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n'est pas une cause de nullité, à moins que les parties n'en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». Cet article, au fonctionnement retors, incite à obtenir de chaque partie une déclaration ayant trait à l'absence d'élément déterminant de son consentement non stipulé expressément dans la promesse. On peut penser aux motifs de la vente ou de l'acquisition.
– Le mécanisme de levée d'option. – La levée d'option emportant formation du contrat, le notaire veillera à en définir précisément les modalités afin de sécuriser la naissance des obligations contractuelles (forme de la levée d'option, délai dans lequel elle doit intervenir, séquencement à observer par rapport au versement du prix de cession…).
– Vil prix et contreparties. – Le prix doit être réel et sérieux afin que le contrat de cession n'encoure aucun risque de nullité à ce titre et ne souffre pas de requalification. Pour autant, cette approche mérite d'être nuancée. En effet, un prix, en apparence vil, pourrait être admis s'il existe par ailleurs des contreparties. Ainsi en a statué la Cour de cassation, considérant que la cession devait être appréciée globalement à la vue des accords autres ayant pu être conclus entre les parties au contrat.

Des contreparties extra-monétaires qui doivent être précisées dans l'acte

En cas de prix inférieur à la valeur de marché en raison des circonstances dans lesquelles s'inscrit la cession, le notaire précisera la nature des contreparties extra-monétaires ayant conduit à la fixation de ce prix de cession.
– Prix déterminé ou déterminable. – Le prix n'a pas à être, on le sait, nécessairement chiffré. En revanche, la promesse doit mentionner les éléments objectifs permettant de le calculer au jour de la levée d'option, aucune des parties ne devant avoir la main sur l'un de ces paramètres de calcul. Le notaire, rédacteur, anticipera la mésentente éventuelle des parties quant à la détermination du prix en prévoyant la désignation d'un expert dans cette hypothèse.

Des modalités de désignation arrêtées entre les parties au contrat avec anticipation

La promesse précisera les modalités de désignation d'un expert en cas de désaccord au sujet de la détermination du prix de cession.
– L'écueil de la clause léonine. – La Cour de cassation a admis à plusieurs reprises qu'une promesse de rachat d'actions puisse être conclue à un prix plancher sans porter atteinte au principe de participation aux bénéfices et de contribution aux pertes. S'est, de la sorte, développé un régime spécifique à la faveur des bailleurs de fonds, n'ayant vocation à être associés qu'un temps et ne s'engageant dans l'opération de financement qu'en ayant l'assurance de pouvoir sortir à des conditions satisfaisantes. La Cour de cassation écarte la qualification de clause léonine, à la faveur d'une analyse plus globale de la situation.
A également été validée une promesse de rachat d'actions consentie à un prix minimum égal au prix de souscription majoré d'un intérêt au profit d'associés autres que des bailleurs de fonds, au motif que la protection contre l'enregistrement de pertes était d'une durée limitée et ne trouvait à s'appliquer que dans certaines circonstances. La convention ne sera léonine que si le risque de perte est écarté définitivement et/ou systématiquement.

De l'importance d'une rédaction très précise

Des précisions apportées au sujet des circonstances dans lesquelles le prix a été fixé ainsi qu'un délai d'option de courte durée permettront de prévenir un éventuel contentieux.
– Caractère divisible ou non de la promesse. – Le prix étant généralement calculé ou calculable à l'unité, nombre de contentieux ont porté sur le caractère divisible ou non de la promesse. Le bénéficiaire peut-il n'exercer son droit d'option que sur une partie des titres sur lesquels porte l'engagement du promettant ? Cette question mérite d'être tranchée dès la conclusion de la promesse. La clause mentionnée ci-dessus en fournit une illustration.

Une option dont l'exercice peut être partiel ou total

La promesse précisera si l'option peut être exercée partiellement ou pas.
– La durée de l'engagement souscrit par le promettant. – Il est fréquent que la durée de l'engagement du promettant soit calée sur la réalisation d'un événement futur. Cet événement peut être certain, auquel cas la promesse sera assortie d'un terme et ses effets seront limités dans le temps. Cet événement peut également être incertain. Il est important qu'en pareille hypothèse, la réalisation de cet événement ne soit pas à la main de l'une ou l'autre des parties et qu'il n'y ait aucune potestativité. En l'absence de terme fixe, la jurisprudence ne confère pour autant à la convention aucun caractère perpétuel. Il conviendra alors d'aménager conventionnellement les conditions dans lesquelles le contrat pourrait être délié si le bénéficiaire souhaitait y mettre un terme.

Terme et modalités de rupture d'engagement

La promesse non assortie d'un terme fixe devra prévoir des modalités de rupture d'engagement.
– Exécution forcée. – La réforme de 2016 a renforcé considérablement l'efficacité de la promesse unilatérale au travers de l'article 1124 du Code civil, lequel est à présent rédigé, s'agissant de son premier alinéa, comme suit : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».
La promesse unilatérale engage désormais définitivement le promettant, de telle sorte que la levée d'option unilatéralement exercée par le bénéficiaire suffit à emporter formation du contrat.
La réforme a consacré l'usage qui s'était alors développé dans ce contexte jurisprudentiel, selon lequel les praticiens proposaient aux parties d'interdire conventionnellement au promettant de se rétracter.
À présent, à suivre la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en matière de vente immobilière, quelle que soit la date à laquelle la promesse unilatérale a été signée, l'exercice de l'option par le bénéficiaire emporte formation du contrat, quand bien même le promettant se serait antérieurement rétracté, sous réserve du respect de quatre conditions cumulatives :
  • la promesse doit comporter les éléments essentiels de la vente (désignation de la chose vendue et expression de son prix) ;
  • le promettant doit, à la date de signature de la promesse de vente, disposer de sa pleine capacité juridique et ne souffrir aucune restriction à son droit de disposer ;
  • le bénéficiaire doit, à la date de la levée d'option, disposer de sa pleine capacité juridique et avoir observé strictement les modalités et les délais de levée d'option prescrits dans la promesse unilatérale ;
  • la promesse ne doit pas contenir une faculté de rétractation conventionnelle au profit du promettant.
Il n'est, pour autant, pas certain que l'on puisse en conclure que cette solution est transposable en matière de cession de droits sociaux. Les autres chambres de la Cour de cassation auront vraisemblablement à se prononcer à ce sujet.
Auparavant, l'éventuelle rétractation du promettant avant l'exercice de la levée d'option par le bénéficiaire suffisait à anéantir les effets de la promesse et à rendre la formation du contrat impossible. La jurisprudence considérait en effet qu'avant l'exercice de la levée d'option par le bénéficiaire, le promettant n'était tenu qu'à une obligation de faire, dont le non-respect était sanctionné par l'allocation de dommages-intérêts au profit du bénéficiaire évincé, et que sa rétractation empêchait la rencontre des volontés en cas de levée d'option postérieure par le bénéficiaire. De la sorte, il était impossible pour le bénéficiaire d'obtenir l'exécution forcée du contrat.
On notera que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a opéré, aux termes d'un arrêt en date du 23 juin 2021, un revirement de jurisprudence en affirmant que la rétractation du promettant, antérieure à la levée d'option exercée par le bénéficiaire, dans le cadre d'une promesse unilatérale de vente conclue antérieurement à l'entrée en vigueur de la réforme de 2016, n'empêchait pas la formation du contrat. La Cour de cassation s'attache au fait que la promesse contient les éléments essentiels de la vente et que la capacité du promettant et son pouvoir de disposer s'apprécient à la date de sa conclusion. La cour a rappelé, au visa de l'article 1142 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la réforme de 2016, qu'il était possible d'obtenir l'exécution forcée d'une obligation si rien ne s'y opposait. Il s'agit là d'un revirement aussi surprenant qu'inattendu, qui emporte une harmonisation du régime applicable à la promesse unilatérale de vente immobilière, que l'avant-contrat ait été conclu avant ou après l'entrée en vigueur de la réforme de 2016.
– Droit des obligations et droit des sociétés. – Une incertitude demeure en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du promettant.
À s'en tenir aux développements qui précèdent, au regard du droit des obligations, la capacité du promettant s'apprécie au jour de la signature de la promesse. S'il est in bonis audit jour, l'ouverture d'une procédure collective à son encontre devrait être dépourvue d'impact sur l'efficacité de la promesse unilatérale.
La Cour de cassation a indiqué que « la liquidation judiciaire du promettant est sans effet sur la promesse de vente qu'il a consentie alors qu'il était maître de ses biens et ne prive pas le bénéficiaire de son droit de lever l'option d'achat ».
Pour autant, la jurisprudence assimile généralement la promesse de vente à un contrat en cours. En dépit de la réforme de 2016, il n'est pas certain que le dispositif prévu au livre VI du Code de commerce traitant « Des difficultés des entreprises » ne l'emporte pas, mettant à mal l'efficacité de l'article 1124 du Code civil en ce cas.
– Action en revendication, action personnelle et délai de prescription. – Le notaire attirera tout particulièrement l'attention du bénéficiaire de l'option sur le délai de prescription susceptible de s'appliquer en la matière.
En effet, dans un arrêt du 8 juillet 2021, la Cour de cassation a statué qu'une action en exécution d'une promesse de cession de parts de SCI, certes synallagmatique, ne constitue pas une action en revendication mais consiste en une action personnelle laquelle est soumise au délai de prescription prévu à l'article 2224 du Code civil. L'argument mis en avant réside dans le fait qu'une action en revendication, non exposée au risque d'une prescription extinctive, suppose que le demandeur soit propriétaire de la chose revendiquée.
En matière de promesse unilatérale, l'assignation mériterait d'être délivrée en vue d'obtenir la remise au cessionnaire de l'ordre de mouvement signé, le cas échéant, et la transcription de la cession sur le registre des mouvements de titres en faisant valoir que le transfert de propriété est effectif à l'appui d'une levée d'option formalisée préalablement. En pareille hypothèse la qualification d'action en revendication devrait pouvoir être retenue et la prescription quinquennale écartée.
– Le nécessaire aménagement des modalités de transfert. – Il nous faut distinguer la cession de parts sociales de la cession d'actions.
Dans la première hypothèse, nous l'avons vu précédemment, l'acte de levée d'option établi à la seule requête du bénéficiaire suffit à emporter formation du contrat de cession et transfert de propriété des titres. Il restera à rendre le transfert opposable à la société et aux tiers. Or ces démarches ne présentent aucune difficulté matérielle puisqu'elles peuvent être facilement effectuées par le bénéficiaire.
En cas de cession d'actions, la situation est plus délicate. La prudence milite en faveur de l'annexion à la promesse de vente d'un ordre de mouvement prérempli et signé par le promettant, la date ayant à être apposée, de convention expresse entre les parties, par le bénéficiaire au jour de sa levée d'option. La date devant être normalement apposée par le cédant, cela suppose en cas de promesse de vente que le promettant ait formellement donné mandat pour ce faire au bénéficiaire. Or ce mandat peut néanmoins être révoqué, ce qui fragilise le dispositif contractuel.
L'article 1221 du Code civil peut tout de même apporter un certain confort : « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». Il semble possible d'aménager l'exécution forcée en lien avec l'établissement de l'ordre de mouvement et la retranscription du transfert sur le registre des mouvements de titres sous couvert de cet article, le transfert de propriété étant lui sécurisé par application de l'article 1124 du Code civil.
La fiducie offre également une alternative intéressante en conférant les pouvoirs nécessaires à un fiduciaire. Mais il ne s'agit pas là du seul intérêt de cet outil.

La fiducie

Bien que cette notion juridique ait vu le jour en 2007, la pratique notariale peine à se l'approprier. Et pourtant, son intérêt est manifeste, notamment en droit des affaires. La fiducie peut être un mode alternatif de gouvernance, peut faciliter la gestion de prises de participation, peut constituer une garantie, ou encore favoriser la transmission d'entreprises. Cet outil est traditionnellement abordé sous trois angles : la fiducie-gestion, la fiducie-sûreté et la fiducie-transmission.
Nous ne nous attarderons, dans le présent développement, ni sur l'évolution de cette institution depuis la fiducie romaine jusqu'à son introduction en droit français en 2007, ni sur les ajustements opérés par le législateur depuis lors, ni sur les avantages que procurerait la fiducie-transmission, notamment en matière de transmission de l'entreprise familiale en cas de décès du dirigeant, renvoyant le lecteur aux travaux de la troisième commission sur ces sujets.
Au présent paragraphe, nous examinerons l'intérêt que peut présenter un contrat de fiducie pour faire face à une éventuelle incapacité du chef d'entreprise (§ I), d'une part, et pour faciliter la gestion de participations et le financement de l'activité de l'entreprise (§ II), d'autre part.

Mandat de protection future et fiducie

Nombreux sont les chefs d'entreprise soucieux du devenir de leur société s'ils venaient à être momentanément empêchés ou frappés d'incapacité. Si l'outil le plus utilisé, à ce jour, demeure le mandat de protection future (A), la fiducie n'en demeure pas moins une piste de réflexion intéressante (B).

Le mandat de protection future

– Le mandat de protection future. – Régi spécifiquement par les articles 477 à 494 du Code civil et répondant plus généralement aux règles applicables à tout mandat énoncées aux articles 1984 à 2010 de ce même code, le mandat de protection future peut répondre partiellement aux attentes du chef d'entreprise soucieux de préserver la pérennité de sa société.
Rappelons-en brièvement les principaux ressorts, en laissant volontairement de côté l'hypothèse du mandat de protection future pour autrui.
Aspirant à la déjudiciarisation de la protection des plus vulnérables, l'objectif du législateur est, au travers de ce mandat, de permettre à toute personne majeure, ou mineure anticipée, non placée sous le coup d'une mesure de tutelle ni d'une habilitation familiale, d'organiser sa protection si elle venait à ne plus être en capacité de pourvoir seule à ses intérêts, par anticipation, sans recourir au juge. Le mandant désigne un ou plusieurs mandataires qui ont pour mission de le représenter s'il venait à être frappé d'incapacité.
Ce mandat peut être sous signature privée ou revêtir la forme authentique.
Selon les termes et la forme du mandat, le mandataire peut se voir confier, avec plus ou moins de latitude, la protection de la personne incapable et de son patrimoine tant privé que professionnel.
Le mandataire doit répondre de sa gestion et est astreint à une reddition périodique des comptes.
L'article 483 du Code civil précise que le mandat prend fin par :
  • le rétablissement du mandant ;
  • son décès ou son placement en curatelle ou en tutelle, sauf décision contraire du juge ;
  • le décès, la mise sous protection, la déconfiture du mandataire ;
  • ou encore sa révocation prononcée par le juge des tutelles à la demande de tout intéressé.
Si cet outil de prévention présente un intérêt indéniable, un tel mandat doit être rédigé avec rigueur et précision afin d'éviter tout problème d'interprétation, toute remise en cause de l'étendue des pouvoirs du mandataire, pouvant aller jusqu'à la révocation du mandat sur décision judiciaire en cas de dysfonctionnement portant atteinte aux intérêts du mandant.
– L'encadrement des pouvoirs confiés au mandataire. – Tout à la fois, les pouvoirs dévolus au mandataire mériteront d'être suffisamment larges pour qu'une omission ne rende pas l'ouverture d'une mesure de protection judiciaire nécessaire, et correctement encadrés dans l'idée de préserver les intérêts du mandant devenu incapable.
De la sorte, le notaire, saisi par un chef d'entreprise de la rédaction d'un mandat de protection future, veillera à ne pas cantonner les pouvoirs du mandataire à la simple gestion de l'entreprise, en omettant toute disposition visant à organiser la protection de son patrimoine privé ou encore sa protection personnelle par exemple. L'ouverture d'une mesure de protection judiciaire visant à placer ce chef d'entreprise sous tutelle ou curatelle serait, en pareille hypothèse, rendue nécessaire pour pallier cette lacune et priverait alors le mandat de protection future de toute efficacité, provoquant son extinction.
– Mandat de protection future et règles de représentation des sociétés. – Pareillement, le mandat de protection future peut être privé d'efficacité s'il est incompatible avec les règles de représentation applicables au sein de la société.
À vrai dire, les contraintes fluctuent d'une forme sociale à une autre.
S'agissant d'une société anonyme non cotée, tout actionnaire peut se faire représenter par un autre actionnaire, son conjoint ou son partenaire pacsé. La doctrine est, en revanche, partagée sur le point de savoir si les pouvoirs de représentation pourraient être confiés à un tiers.
S'agissant d'une société anonyme cotée, le mandataire peut être toute personne physique ou morale, actionnaire ou non.
S'agissant d'une société à responsabilité limitée, l'associé peut être représenté par son conjoint, que ce dernier soit associé ou non, sauf à ce qu'ils soient tous deux les seuls associés de la structure, ou par tout autre associé, si les associés sont plus de deux. Si les statuts le prévoient expressément, la représentation par une autre personne non associée demeure possible.
L'associé unique d'une EURL ne pourra malheureusement pas, pour sa part, avoir recours en l'état à un mandat de protection future. En effet, l'article L. 223-31, alinéa 3 du Code de commerce dispose que « l'associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs », et en son quatrième alinéa que « les décisions prises en violation des dispositions [de cet] article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».
II est à noter que l'impossibilité pour l'associé unique d'une EURL de déléguer ses pouvoirs ne vise pas les délégations de pouvoirs qu'il pourrait être amené à consentir dans l'exercice de ses fonctions de gérant. Le mandataire peut alors être un tiers.
Dans les SAS et les sociétés civiles, la représentation d'un associé peut être assurée par une personne physique ou morale, associée ou non, selon les prévisions des statuts.
Enfin concernant la Sasu, l'article L. 227-9, alinéa 3 du Code de commerce dispose que « l'associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs » et en son quatrième alinéa que « les décisions prises en violation des dispositions [de cet] article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».
II est à noter, à nouveau, que l'impossibilité pour l'associé unique d'une Sasu de déléguer ses pouvoirs ne vise pas les délégations de pouvoirs qu'il pourrait être amené à consentir dans l'exercice de ses fonctions de président. Le mandataire peut alors être un tiers.

L'absolue nécessité de rédiger le mandat de protection future en considération des statuts de la société

Le notaire veillera à la parfaite articulation entre le fonctionnement du mandat de protection future et les règles de représentation propres à la société.
Une cession de parts ou une modification statutaire préalable pourra s'avérer indispensable.

Le mandat de protection future dans le cadre d'une SA non cotée

Le notaire ne pourra inciter son client qu'à la plus grande prudence en lui conseillant la cession d'au moins une action au mandataire pressenti, non actionnaire, autre que le conjoint ou le partenaire pacsé, préalablement à la conclusion d'un mandat de protection future dans le cadre d'une SA non cotée.

Le mandat de protection future dans le cadre d'une SARL

Là encore, le notaire sera de bon conseil. Soucieux d'anticiper et de prévenir toute difficulté à l'occasion de la mise en place d'un mandat de protection future, le notaire rédigera ou modifiera les statuts de la société à responsabilité limitée en conséquence, à l'effet d'autoriser la représentation par une personne non associée et recommandera, en tant que de besoin, la participation au capital de trois associés au moins.

La nécessaire transformation d'une EURL en SARL

Le notaire procédera, à la demande de son client, à la transformation de l'EURL en une SARL afin de rendre possible la conclusion d'un mandat de protection future.

Une grande liberté en SAS et en société civile

L'ingénierie notariale s'exprimera pleinement puisque le mode de représentation est librement organisé dans les statuts s'agissant des SAS et des sociétés civiles.

La nécessaire transformation d'une Sasu en SAS

Là encore, le notaire procédera, à la demande de son client, à la transformation de la Sasu en une SAS afin de rendre possible la conclusion d'un mandat de protection future.
– Le choix du mandataire. – Sur ce point, l'exercice est délicat et les enjeux de taille.
Une première précaution visera à nommer un mandataire subsidiaire afin de ne pas priver le mandat d'efficacité en cas d'empêchement, de décès, de placement sous un régime de protection, de révocation par le juge, ou de déconfiture du mandataire désigné à titre principal.
La difficulté principale tient à la qualité du mandataire et à son aptitude à remplir correctement la mission qui lui est attribuée.
Faut-il aller jusqu'à autoriser la cession de l'entreprise dans un mandat authentique ? La question mérite d'être posée systématiquement.
Le profil recherché n'est pas nécessairement le même selon que l'on songe à la protection personnelle du mandant devenu incapable, à la gestion de son patrimoine privé ou encore à la gestion de son entreprise.
Il n'est pas certain qu'un seul et même mandataire réunisse sur sa tête l'ensemble des compétences requises pour intervenir dans tous ces domaines.
Il est, certes, toujours possible de désigner plusieurs mandataires et de leur allouer des pouvoirs distincts, mais cela supposera auquel cas de délimiter très clairement le champ d'action de chacun afin d'éviter toute contestation relative à la validité d'un acte qui aurait été passé par l'un des mandataires en outrepassant ses pouvoirs.
Le notaire ne manquera pas, par ailleurs, de recommander la nomination d'un tiers dont la mission sera de contrôler la bonne exécution du mandat. Le notaire rédacteur sera, de surcroît, destinataire des comptes de gestion annuels et des pièces justificatives y afférentes, avec pour mission de saisir le juge des tutelles en cas d'anomalie détectée.
Mais ce dispositif sera-t-il suffisant face à un mandataire appelé à gérer, voire à céder une entreprise, insuffisamment rompu à la vie des affaires ?

Désignation d'un mandataire subsidiaire

En cas d'empêchement, de décès, de placement sous un régime de protection, de révocation par le juge, ou de déconfiture du mandataire désigné à titre principal, le mandant désigne comme mandataire subsidiaire :
M. (…)
À ce présent et qui accepte le présent mandat à titre subsidiaire, à son profit.
Le mandataire subsidiaire déclare remplir les conditions prévues pour les charges tutélaires énoncées à l'article 395 du Code civil et au dernier alinéa de l'article 445 dudit code.
Les charges, clauses, conditions et obligations stipulées au présent mandat de protection future s'appliqueront au mandataire subsidiaire de la même manière qu'au mandataire.
– Les limites du mandat de protection future. – Et c'est ainsi que l'on perçoit les limites du mandat de protection future lorsqu'il s'agit d'assurer la pérennité de l'entreprise et d'éviter sa dépréciation.
Ces principales limites sont les suivantes :
  • le mandataire n'aura pas nécessairement les qualités professionnelles et l'expérience requises pour remplacer l'homme clé qu'est le chef d'entreprise ;
  • le mandataire n'a pas pour obligation d'être assuré au titre de sa responsabilité civile dans le cadre de l'exercice de sa mission ;
  • bien que le mandat soit entré en force, le mandant n'est pas, pour autant, dessaisi de ses droits. Il peut, par conséquent, être amené à signer une convention alors même que le mandat a été activé, provoquant une vive suspicion quant à l'efficacité juridique de cet acte ;
  • en l'état actuel, en l'absence de mesure de publicité du mandat de protection future dans les registres de l'état civil, les tiers peuvent légitimement ignorer l'existence d'un tel mandat ;
  • le patrimoine du mandant ne sera pas protégé en cas de procédure collective ouverte à son encontre ;
  • à la demande de tout intéressé, le juge des tutelles peut révoquer le mandat de protection future et y substituer une mesure de protection judiciaire, pouvant causer la paralysie du cours des affaires de la société.
À défaut de pouvoir apporter, dans le cadre strict du mandat de protection future, une solution rédactionnelle à l'ensemble des points ci-dessus listés, le notaire pourra recommander deux actions :
Compte tenu des limites énumérées ci-dessus, la fiducie semble pouvoir venir en renfort du mandat de protection future, en dotant le tandem d'une grande efficacité juridique.

Conseils

Le notaire :
  • recommandera au mandataire de souscrire une assurance responsabilité civile ;
  • et veillera à organiser l'opposabilité du mandat à la société en prévoyant qu'une notification soit adressée à la société consécutivement à la prise d'effet du mandat.

La fiducie en renfort du mandat de protection future

L'idée n'est pas de substituer le contrat de fiducie au mandat de protection future, mais de pratiquer les deux en recherchant une synergie.
Mais comment convient-il d'organiser cette articulation ?
– Une chronologie à observer. – Est-il envisageable qu'un mandataire puisse constituer une fiducie pour le compte du mandant devenu incapable ?
Cela supposerait pour commencer, en tout état de cause, que le mandat de protection future soit établi en la forme authentique puisque la constitution d'une fiducie s'apparente à un acte de disposition.
La forme étant acquise, les conditions de fond seraient-elles réunies ?
– Le principe de la personnalité des charges tutélaires. – Le fait que le mandataire confie la gestion de certains actifs à un fiduciaire contreviendrait-il au principe de la personnalité des charges tutélaires ?
Il est permis d'en douter dans la mesure où, comme le fait très justement remarquer Me Christine Turlier dans un article intitulé Fiducie et anticipation de l'inaptitude à la gestion , tout comme en matière de mandat de protection future, la conclusion d'un contrat de fiducie peut encore être envisagée en l'absence de disposition antérieurement prise si l'état de santé du chef d'entreprise ne suppose pas un placement sous tutelle mais simplement sous curatelle.
L'article 468 du Code civil le prévoit en précisant a contrario que « la personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur conclure un contrat de fiducie ». Le constituant n'a pas même besoin d'être obligatoirement le bénéficiaire. En revanche, le curateur ne devra pas, en pareille hypothèse, être fiduciaire au contrat. Ses pouvoirs seront alors cantonnés à la gestion des actifs du chef d'entreprise protégé, non transférés dans le patrimoine fiduciaire.
Si le principe de la personnalité des charges tutélaires est respecté, pour autant autoriser un mandataire à conclure un contrat de fiducie ne contreviendrait-il pas aux dispositions de l'article 509 du Code civil ?

Le notaire au secours du défaut d'anticipation

Le notaire pourra pallier le défaut d'anticipation du chef d'entreprise sous curatelle en proposant avec l'assistance du curateur la conclusion d'un mandat de protection future et/ou un contrat de fiducie.
– Les actes interdits au tuteur. – L'article 509 du Code civil semble faire obstacle à ce qu'un mandataire de protection future puisse conclure un contrat de fiducie même en présence de pouvoirs explicitement donnés en ce sens par le mandant, pouvant aller jusqu'à l'insertion d'un projet de contrat de fiducie dans le corps même du mandat ou en annexe.
L'article 509 du Code civil dispose qu'un tuteur ne peut, même avec une autorisation, transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou les droits d'un majeur protégé. Or on le sait, l'article 490 de ce même code restreint les pouvoirs du mandataire, désigné aux termes d'un mandat authentique, aux actes patrimoniaux que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec une autorisation.
Ce dispositif est incongru si l'on compare, ne serait-ce qu'un instant, la situation du chef d'entreprise placé sous curatelle et celle du chef d'entreprise placé sous tutelle. Alors que le premier est en droit de conclure, avec l'assistance du curateur certes mais sans autorisation du juge, un contrat de fiducie sans que le curateur ait à rendre compte de sa gestion sauf à être en présence d'une curatelle renforcée, le second ne peut pas en bénéficier.
Il est regrettable qu'en l'état actuel de la rédaction de l'article 509, 5o du Code civil, ce dispositif contractuel ne puisse pas être étendu aux majeurs sous tutelle.
On ne peut être que favorable à une modification législative sur ce point.
Si Nathalie Peterka, professeure à l'Université Paris-Est Créteil, voit dans l'avis rendu par la Cour de cassation du 6 décembre 2018 une avancée majeure, levant l'interdiction énoncée à l'article 509 du Code civil, la plus grande prudence est de mise.
– Mandat de protection future et contrat de fiducie avec prise d'effet conditionnelle et différée. – Garant de l'efficacité juridique des actes qu'il reçoit, le notaire préférera à la conclusion du contrat de fiducie par le mandataire à l'appui des pouvoirs qu'il détient du mandat, la conclusion concomitante par le chef d'entreprise, en pleine possession de ses capacités, d'un mandat de protection future, d'une part, et d'un contrat de fiducie, d'autre part, dont la prise d'effet sera conditionnelle et différée.
Libre de convenir de la date de prise d'effet de ce contrat de fiducie, le chef d'entreprise pourra décider de la date du transfert de l'entreprise ou des titres dans le patrimoinefiduciaire. Le contrat de fiducie sera mis en œuvre au jour de la réalisation d'événements érigés en condition suspensive. On pense spontanément à l'entrée en vigueur du mandat de protection future, mais l'événement peut être décorrélé de ce premier contrat pour donner le plus d'autonomie possible au contrat de fiducie.
La rédaction fine du contrat de fiducie doit permettre en tout état de cause un transfert automatique des actifs désignés dans le patrimoine fiduciaire en l'absence de démarches administratives et judiciaires.
On sait que si le contrat de fiducie-gestion devient caduc au jour du décès du constituant personne physique, il résiste, néanmoins, à l'ouverture d'une mesure de protection, sauf en cas d'incapacité notoire du constituant au jour de sa conclusion dans les deux années précédant la procédure.
Pourront donc fonctionner côte à côte, en cas d'incapacité, mandat de protection future et fiducie.
– L'alternative au mandat de protection future offerte par le contrat de fiducie. – Qu'apporte le contrat de fiducie ?
  • En tout premier lieu, la fiducie autorise une gestion dynamique et personnalisée de l'entreprise. Il n'existe pas nécessairement dans le proche entourage du chef d'entreprise une personne en capacité de gérer la société de telle sorte qu'elle ne se déprécie pas ou encore de la céder aux meilleures conditions financières, juridiques et fiscales. Or le fiduciaire ne peut être qu'un établissement financier, une entreprise d'assurance ou un avocat ; il est donc supposé avoir les qualités professionnelles et l'expérience requises pour remplacer l'homme clé qu'est le chef d'entreprise.
  • Le fiduciaire est assuré au titre de sa responsabilité civile dans le cadre de l'exercice de sa mission.
  • Aux termes du contrat de fiducie, il n'y aura pas d'exercice concurrent de pouvoirs entre constituant et fiduciaire. Le risque de contestation de la validité d'un acte signé en cours de fiducie est donc bien moindre.
  • Le transfert des titres dans le patrimoine fiduciaire fera l'objet d'une inscription dans le registre des mouvements de titres. Il sera de la sorte opposable à la société. Il conviendra de prêter une attention toute particulière à d'éventuelles clauses d'agrément et à la teneur d'éventuels pactes d'associés.
  • Les actifs transférés dans le patrimoine fiduciaire seront protégés en cas de procédure collective ouverte à l'encontre du chef d'entreprise.
  • Le contrat de fiducie ne peut être résilié que sur décision du juge judiciaire à la demande du constituant, du fiduciaire, du bénéficiaire ou encore du tiers protecteur selon la procédure et pour des motifs de droit commun.
La fiducie permet au chef d'entreprise, en cas d'incapacité, temporaire ou définitive, d'assurer la pérennité de son outil professionnel et corrélativement de maintenir son niveau de vie. Le notaire, rédacteur du contrat, peut au travers de ses conseils et d'une rédaction minutieuse rendre cet outil juridique très pertinent et accompagner efficacement ses clients.
– Précautions rédactionnelles. – L'article 2018 du Code civil énonce un certain nombre de mentions obligatoires, à peine de nullité, à savoir :
« 1o Les biens, droits ou sûretés transférés. S'ils sont futurs, ils doivent être déterminables ;
2o La durée du transfert, qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans à compter de la signature du contrat ;
3o L'identité du ou des constituants ;
4o L'identité du ou des fiduciaires ;
5o L'identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, les règles permettant leur désignation ;
6o La mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition ».
On rappellera, par ailleurs, tout particulièrement, la teneur de deux articles du Code civil :
  • l'article 2012 du Code civil tout d'abord, qui dispose que si les biens, droits ou sûretés transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent de la communauté existant entre les époux ou d'une indivision, le contrat de fiducie est établi par acte notarié à peine de nullité ;
  • et l'article 2017 du Code civil qui dispose, pour sa part, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie, que le constituant peut, à tout moment, désigner un tiers chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat, et que lorsque le constituant est une personne physique il ne peut renoncer à cette faculté.
Le notaire veillera tout particulièrement, à l'occasion de la rédaction du contrat de fiducie :
  • à faire comparaître plusieurs constituants dans l'acte, le dirigeant personne physique et sa holding par exemple, selon la structuration de l'entreprise et en présence d'un groupe de sociétés ;
  • à motiver le choix du fiduciaire et à prévoir la désignation et la comparution d'un fiduciaire subsidiaire en cas de survenance d'événements particuliers (empêchement, dissolution, procédure collective, départ en retraite affectant le premier par exemple) ; le fiduciaire subsidiaire sera appelé à signer le contrat de fiducie à l'effet d'accepter par anticipation sa mission en cas de survenance desdits événements ;
  • à définir très précisément l'étendue des pouvoirs conférés au fiduciaire ;
  • à arrêter les conditions, les modalités et la périodicité des redditions de comptes ; à en organiser le contrôle ;
  • à identifier le ou les bénéficiaires. Le bénéficiaire pourra être le chef d'entreprise protégé, lequel bénéficiera alors des revenus générés par l'activité de l'entreprise pour faire face, notamment, à ses dépenses de santé, ses frais d'hébergement ou encore aux charges du mariage, au versement des pensions alimentaires ou d'une éventuelle prestation compensatoire par exemple. Rendre un tiers bénéficiaire paraît plus hasardeux, toute fiducie motivée par une intention libérale étant, à ce jour, on le sait, nulle ;
  • à suggérer la désignation par le constituant d'un tiers chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat de fiducie, lequel sera investi de pouvoirs identiques aux siens ;
  • à préciser le mode de rémunération du fiduciaire.
– Des sphères de compétence distinctes. – On le rappelle : le mandat de protection future reste un élément fondamental du dispositif prévoyance proposé au chef d'entreprise. Le contrat de fiducie vient en relais mais ne saurait s'y substituer.
Le mandataire de protection future exercera les pouvoirs nécessaires à l'effet de protéger la personne du chef d'entreprise et son patrimoine privé.
– Le devenir du mandat social. – Le fiduciaire détiendra les pouvoirs nécessaires à l'effet de gérer les affaires sociales en exerçant en tant que de besoin les pouvoirs résultant d'un mandat social, sauf à ce que sur ce point le dirigeant préfère à l'occasion de la rédaction du contrat de fiducie mettre en place une gouvernance collégiale et un dispositif visant à organiser sa démission d'office en cas de survenance d'une incapacité.
– Un contrat de fiducie à double détente. – Claire Farge va jusqu'à proposer un contrat de fiducie à double détente permettant d'en proroger les effets en dépit du décès du chef d'entreprise.
L'idée consiste à faire en sorte que le contrat de fiducie soit conclu tant par le dirigeant avec pour objet les titres qu'il détient dans la structure holding que par la société holding elle-même avec pour objet la concernant les titres qu'elle détient dans la société opérationnelle ou plus largement dans toute société du groupe.
De la sorte, le décès du dirigeant n'emportera que la caducité du contrat de fiducie-gestion souscrit par lui, laissant indemne celui conclu par la structure holding qui pourra alors, par exemple, procéder à la cession de la société d'exploitation.
Les ayants-droit ne pourraient-ils pas pour autant obtenir la résiliation de ce deuxième contrat, en leur qualité d'actionnaires de la société holding ? Ne pourrait-on pas y voir une fiducie-libéralité ? Là encore la prudence est de mise, nous semble-t-il.
– Une éventuelle alternative au mandat à effet posthume ? Y a-t-il moyen d'envisager le recours à la fiducie-gestion en cas de décès du chef d'entreprise ? De prime abord, l'exercice semble impossible au regard respectivement des articles 2030 et 2013 du Code civil qui, pour le premier, rend le contrat de fiducie caduc en cas de décès et qui, pour le second, rend nulle toute fiducie qui serait motivée par une intention libérale.
Si ce dispositif vient à être validé, l'acte de donation avec charge ou le testament comporterait les principales clauses du contrat de fiducie que le gratifié, le légataire ou l'administrateur, selon le cas, aurait à conclure.
La pérennité de l'entreprise pourrait, de la sorte, être confortée en écartant notamment les cas d'indivision et de vente forcée pour cause de dissension.
  • la fiducie n'est pas motivée par une intention libérale puisque la transmission à titre gratuit s'opère antérieurement à la conclusion du contrat de fiducie, le mode de gestion ainsi édicté par le disposant s'analysant en une simple charge. Il ne s'agirait pas d'une fiducie-libéralité mais d'une pure fiducie-gestion ;
  • ce dispositif présente certaines similitudes avec le mandat à effet posthume consacré par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 qui pareillement dessaisit l'héritier du pouvoir d'administrer les biens qui lui sont dévolus.
L'outil est à manier, toutefois, avec la plus grande vigilance comme le mentionnent les travaux de la troisième commission, en l'absence à ce jour d'une jurisprudence établie.
Certains auteurs considèrent pourtant qu'une donation ou un legs au profit d'un majeur capable à charge de constituer une fiducie pourrait offrir une alternative au mandat à effet posthume dont les conditions de mise en œuvre sont extrêmement élitistes, tel que cela est exposé ci-après dans le cadre des travaux de la troisième commission.
Le professeur Michel Grimaldi estime même qu'à la faveur d'un enfant mineur, une donation ou un legs à charge pour l'administrateur, investi des pouvoirs suffisants par le donateur ou le testateur dans les termes de l'article 384 du Code civil, de constituer une fiducie-gestion, ne contreviendrait pas aux articles 387-2 et 408-1 de ce même code.
Plusieurs arguments sont mis en avant par le professeur Michel Grimaldi à la faveur de l'efficacité juridique de ce dispositif, notamment les suivants :

La donation ou le legs avec charge

Ce mécanisme présenterait indéniablement de grands atouts en présence d'une génération ayant vocation à poursuivre le développement de l'entreprise, mais pour l'heure insuffisamment formée ou inexpérimentée.

La fiducie au soutien de la gestion des prises de participation et du financement de l'activité de l'entreprise

La fiducie peut s'avérer également extrêmement utile dans le cadre de la restructuration de l'entreprise et de la gestion des prises de participation (A) ou encore dans le cadre du financement de projets (B).

La fiducie au service de la restructuration de l'entreprise et de la gestion des prises de participation

Debt equity swap , restructuration et fiducie. – Nous avons vu ci-avant (V. supra, nos et ) que l'augmentation de capital par incorporation d'une créance détenue par un tiers à l'encontre de la société, mécanisme plus connu sous le nom de debt equity swap, et s'inscrivant dans la dynamique de l'equity for, offre une réelle alternative à une levée de fonds classique.
Son impact immédiat consistant à renforcer les capitaux propres de la société et donc d'en accroître la capacité de financement, il est même possible d'y voir un outil de restructuration à la disposition de l'entreprise en difficulté.
La fiducie peut participer à la sécurisation du montage.
– La situation des créanciers chirographaires. – Si l'entreprise est en mauvaise posture financière, les créanciers chirographaires, notamment, n'ont que peu d'espoir de recouvrer le montant qui leur est dû, à l'occasion d'opérations de liquidation ou de cession d'actifs. Ces créanciers vont alors avoir tout intérêt de tenter d'accroître leurs chances de recouvrement en convertissant leurs créances en titres de capital et en favorisant de la sorte le redressement de la situation financière de la société. Si l'opération fonctionne, des liquidités seront à nouveau disponibles et les créanciers devenus actionnaires seront libres de céder leur participation.
Certains créanciers ne voudront pas adopter cette stratégie de peur d'être attraits à une action en responsabilité pour faute de gestion, en étant qualifiés de dirigeants de fait pour s'être immiscés dans les affaires de leur débiteur.
D'autres ne le pourront pas, à la façon de certains organismes de placement collectif et notamment des fonds communs de titrisation astreints à une réglementation financière qui le leur interdit.
Pour ceux qui sont tentés par l'aventure, en revanche, le contrat de fiducie est un moyen de portage très efficace. Sa mise en place est aisée. Les créanciers sont libres de conserver plus ou moins de pouvoirs de gestion, selon l'étendue de ceux qui seront dévolus au fiduciaire. Enfin les créanciers peuvent être tous logés à même enseigne, sous couvert d'un même contrat de fiducie, ce qui présentera pour la société l'extrême avantage de rationaliser l'arrivée de ce nouvel actionnariat et de n'avoir pour seul interlocuteur que le fiduciaire.
– L'intérêt de la fiducie. – Son fonctionnement est simple :
  • le créancier transfère la créance qu'il détient à l'encontre de la société dans le patrimoine fiduciaire ;
  • le fiduciaire procède à la conversion de cette créance en des titres de capital en participant à une augmentation de capital par incorporation de ladite créance ;
  • le fiduciaire gère alors la participation nouvellement attribuée, en distribue les éventuels dividendes et la cède en temps utile avec pour mission d'en remettre le prix de cession au créancier, ce dernier cumulant les qualités de constituant et de bénéficiaire.
– La fiducie : outil de gestion des prises de participation. – Il y a, en la matière, de nombreuses applications pratiques auxquelles on peut songer.
L'exemple mentionné ci-dessus en est une illustration en présence de constituants aux intérêts convergents : leurs participations vont pouvoir être gérées par le fiduciaire, indistinctement, en bloc, facilitant grandement la gestion pour la société, le fiduciaire étant son unique interlocuteur.
Citons-en deux autres :
  • la fiducie peut s'avérer également très utile s'il y a lieu de différer dans le temps l'entrée au capital de certains investisseurs. Un contrat de fiducie peut permettre de reporter dans le temps une cession d'actions, voire de l'échelonner ;
  • l'adjonction d'un contrat de fiducie peut aussi permettre d'accroître l'efficience d'un pacte d'actionnaires, ou encore d'assurer le respect d'un engagement collectif de conservation des titres dans les termes du dispositif Dutreil organisé à l'article 787 B du Code général des impôts.
Mais la fiducie n'est pas uniquement intéressante, en droit des sociétés, sous l'angle de la protection, de la gestion ou encore de la transmission à titre onéreux. Les garanties qu'elle offre dans le cadre d'un financement sont fortes et en font une sûreté attrayante.

La fiducie au service du financement de projets

La fiducie présente un véritable intérêt sous l'angle de la fiducie-sûreté lorsqu'il s'agit de financer un projet d'entreprise et de lever des fonds. L'entreprise qui emprunte, agissant en qualité de constituant, peut effectivement proposer de transférer dans le patrimoine d'un fiduciaire des titres qu'elle détient dans une filiale ou des actifs sociaux à la garantie du remboursement de sa dette.
Le recours à la fiducie peut faciliter l'octroi de crédits
– LBO et fiducie. – Prenons l'exemple d'une opération de type LBO. Le mécanisme veut que les investisseurs, quel que soit leur profil, constituent une structure holding, laquelle a vocation à se porter cessionnaire d'une participation majoritaire dans le capital de la société cible, moyennant un prix de cession financé par emprunt. Une convention encadre la perception de dividendes par la holding, lui permettant ainsi de s'acquitter du remboursement de la dette.
Le mécanisme peut parfois s'apparenter à une réduction de capital, en permettant la sortie partielle de capitaux propres et l'amélioration du taux de rentabilité interne (TRI).
La mise en place d'un contrat de fiducie à cette occasion peut faciliter l'octroi du financement externe nécessaire au paiement du prix d'acquisition des titres. Les titres dont l'acquisition est financée par le créancier peuvent effectivement être transférés par la holding cessionnaire, constituant, dans un patrimoine fiduciaire, le créancier pouvant alors cumuler les qualités de fiduciaire et de bénéficiaire. Les dividendes seront encaissés par le fiduciaire qui les emploiera en tout ou partie au remboursement de la dette. En cas de défaillance du constituant, les titres pourront devenir la propriété du créancier.
– La neutralité du dispositif fiscal. – Cela suppose tout de même que l'impact fiscal n'entame pas l'attrait du volet civil.
On notera que le transfert temporaire des titres dans le patrimoine fiduciaire ne génère aucune taxation au titre de plus-values latentes. En tout état de cause, ces plus-values étant exonérées et ne donnant lieu qu'à la taxation à l'impôt sur les sociétés d'une quote-part de 12 % de frais et de charges, sous réserve d'observer un délai de détention, l'attractivité de cette mesure fiscale est relative.
Un transfert d'actifs dans le patrimoine fiduciaire peut toutefois donner lieu à l'imposition d'une plus-value dans un cas très spécifique, à savoir lorsque l'actif est apporté à sa valeur vénale et que le constituant en perd le contrôle.
Au cours de l'exécution du contrat de fiducie, le résultat généré par les actifs transférés est déterminé au niveau du patrimoine fiduciaire mais imposé en considération de la situation fiscale du constituant. Après avoir été déterminé de la sorte, le résultat est alors intégré dans le résultat comptable du constituant.
La question porte surtout sur le sort réservé aux dividendes, dans la mesure où ce cash-flow a vocation à amortir la dette au fil de l'eau. Il était à craindre que l'interposition d'un patrimoine fiduciaire mette à mal le régime de faveur des sociétés mère-fille.
  • que cette option pour le régime des sociétés mère-fille ait été formulée. On notera que cette déclaration annuelle n'est soumise à aucun formalisme et qu'elle peut résulter d'une simple mention portée dans la liasse fiscale ;
  • que les titres soient nominatifs, détenus par la société mère en pleine propriété ou en nue-propriété ;
  • que la participation de la société mère soit d'au moins 5 % du capital de la société émettrice fille, ce pourcentage minimal étant apprécié au jour de la mise en paiement des dividendes ;
  • et que les titres soient conservés pendant deux ans.
Or, en cas de transfert des titres dans un patrimoine fiduciaire, le BOFiP énonce deux principes fondamentaux :
  • les titres transférés dans le patrimoine fiduciaire sont pris en compte pour l'appréciation du seuil minimal de détention sous réserve du respect de deux conditions cumulatives énoncées à l'article 145 du Code général des impôts, ayant trait notamment à l'exercice des droits de vote attachés aux titres transférés dans le patrimoine fiduciaire ;
  • et le transfert n'est pas interruptif du délai minimal de conservation des titres.
Ces règles fiscales permettent de conforter le principe général de neutralité fiscale affiché à l'occasion du vote de la loi de 2007 et n'entame pas l'intérêt qu'il y a à constituer une fiducie-sûreté à l'occasion d'une opération de type LBO. D'une manière générale, quel que soit le contexte dans lequel cette fiducie est mise en place, le transfert des actifs du patrimoine du constituant vers le patrimoine fiduciaire est une opération intercalaire, non génératrice d'une imposition.
Rappelons que ce dispositif prévoit l'exonération des dividendes au titre de l'impôt sur les sociétés, dans une proportion très importante, à charge pour la structure bénéficiaire de réintégrer une quote-part de 5 % de leur montant pour frais et charges dans sa base imposable, sous réserve du respect de conditions cumulatives, à savoir :
– Axes d'ingénierie. – Compte tenu des développements qui précèdent, le notaire, saisi de la rédaction d'un contrat de fiducie à l'occasion de ce type d'opération, pourra suggérer que le transfert dans le patrimoine fiduciaire ne porte que sur une fraction de la participation et qu'il y ait une décorrélation entre la quotité de droits financiers et la quotité de droits de vote transférés. De la sorte en effet, en cas de défaillance du constituant emprunteur, le créancier disposera des titres mais son pouvoir au sein de la cible aura été cantonné par anticipation.
On notera que ce principe de neutralité fiscale profite également au régime de l'intégration fiscale.

Droits financiers et droits de vote

Le notaire suggérera de cantonner le transfert dans le patrimoine fiduciaire et d'organiser une différenciation entre transfert des droits financiers et transfert des droits de vote afin d'anticiper toute déstabilisation de la cible en cas de défaillance du constituant, tout en conservant le bénéfice du régime fiscal mère-fille.
– La fiducie au quotidien. – Le recours à la fiducie dans le cadre de la mise en place d'un plan de financement tend à se généraliser. Le mécanisme offre une grande sécurité juridique, une certaine souplesse dans la mesure où tous types d'actifs peuvent être transférés dans le patrimoine fiduciaire (immeubles, prises de participation, créances, équipements, stocks…) et sauf à ce que l'actif transféré soit de nature immobilière, son coût n'est pas prohibitif. Indépendamment des honoraires de conseil, de rédaction et de la rémunération du fiduciaire, seul un droit fixe de 125 € sera perçu à l'occasion de l'enregistrement de la convention par application de l'article 635, 1-8o du Code général des impôts.
On notera qu'un contrat de fiducie doit être publié au registre national des fiducies créé par le décret no 2010-219 du 2 mars 2019.
Le recours à la fiducie n'est pas réservé à des projets de financement de grande ampleur. L'outil peut s'avérer intéressant au quotidien à l'occasion du financement de l'activité de l'entreprise.
C'est la voie qu'ont décidé d'emprunter le groupe BPCE et Equitis Gestion en proposant de sécuriser le financement professionnel au moyen de produits fiduciaires standardisés et de promouvoir « la fiducie à la chaîne ». Le contrat n'est pas personnalisable, mais la formule permet de réaliser des économies d'échelle et de réduire le coût de la rémunération du fiduciaire.
Le recours à la fiducie peut sécuriser les investisseurs dans le capital de Spac
Le recours à la fiducie peut sécuriser les investisseurs dans le capital de Spac
La fiducie semble présenter également un intérêt dans le cas des Spac.
Fernand Yvernès déclarait déjà, en 1935, au sujet des sociétés par actions faisant appel public à l'épargne, que « nous sommes (…) en présence d'un contrat, si l'on peut dire, où les parties ne se connaissent pas et ne s'engagent, souvent par des intermédiaires, qu'à une chose : risquer la mise. Véritable jeu, plutôt que contrat ».
Ce constat demeure d'une brûlante actualité alors que les Spac enflamment les bourses .
– Qu'est-ce qu'une Spac ? – Spac est un acronyme correspondant à l'expression Special Purpose Acquisition Company, structure également dénommée Blanck-check company aux États-Unis.
Les premières ont vu le jour en 1993 à Wall Street. En France, la première Spac est apparue en 2020. Il s'agit de 2MX Organic lancée par Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Alexandre Zouari. En 2021, la France en comptait vingt et une, telles que Odyssey Acquisition, Transition, DeeTech, I2PO…
– Le principe. – Le mécanisme est original : des investisseurs aguerris injectent des capitaux dans une structure vide, cotée, ayant vocation à acquérir une ou plusieurs entreprises opérationnelles dans un secteur d'activité prédéfini. Au-delà de l'élaboration du cahier des charges décrivant la cible et le secteur d'investissement, le projet étant sponsorisé par de grands noms de la place pour lui conférer davantage de crédibilité, tout reste à faire et les investisseurs sont amenés à « faire des chèques en blanc », d'où l'expression américaine Blanck-check company.
À défaut d'acheter un actif, les investisseurs misent sur une idée, une vision, et la capacité de l'équipe managériale à tenir ses promesses. C'est la raison pour laquelle le renom et l'expérience des sponsors sont des critères déterminants. En plus de devoir faire preuve de peu d'aversion au risque, les investisseurs doivent également être patients car l'acquisition de la cible opérationnelle n'intervient généralement que vingt-quatre mois environ après le versement des fonds. Si la cible est une startup, fusionner avec une Spac est un mode d'introduction en bourse très séduisant pour elle car le process est plus rapide et les modalités financières de l'opération sont convenues de gré à gré.
Si aucune acquisition n'est réalisée dans le délai de deux ans, la Spac est liquidée et les fonds investis sont restitués aux actionnaires qui auront potentiellement subi une inflation.
– La plus grande vigilance s'impose. – L'Autorité des marchés financiers, sans chercher à restreindre le développement des Spac, a néanmoins attiré l'attention des investisseurs sur l'éventuel conflit d'intérêts pouvant exister entre les promoteurs de la Spac et les actionnaires.
Les écueils sont nombreux : un niveau de rémunération des sponsors en titres et options exagéré, un risque de dilution des nouveaux actionnaires après l'acquisition, un changement de stratégie d'investissement, une clause de lock-up insuffisamment encadrée, des aspirations divergentes entre des fonds d'investissement soucieux de céder leurs participations à brève échéance et des partenaires au plus long cours…
– La structuration d'une Spac. – Dans le cadre de l'introduction en bourse de la Spac, selon un processus allégé, la Spac n'ayant aucune activité économique, chaque investisseur reçoit pour une action achetée un bon de souscription supplémentaire. Les sponsors, pour leur part, se sont généralement réservé une participation de l'ordre de 20 % dans le capital de la Spac moyennant une mise de fonds moindre. Les sponsors sont également libres d'acheter des warrants. La mobilisation des fonds à des fins d'acquisition de la structure cible pouvant prendre deux ans, il est indispensable d'offrir aux investisseurs une garantie de bonne fin ou à défaut de restitution des sommes investies.
– La fiducie : un corollaire indispensable à la levée de fonds. – Un contrat de fiducie peut alors être conclu afin de sécuriser la position des investisseurs.
Le fiduciaire a pour mission de placer et de gérer les fonds collectés dans l'attente de l'acquisition de la cible.
Si aucune acquisition n'est réalisée dans le délai maximal de deux ans, la Spac est liquidée et le fiduciaire restitue aux actionnaires les fonds investis.
Lorsque la cible est identifiée, le choix de l'investissement doit être approuvé en assemblée générale. Si 30 % au moins des actionnaires refusent d'acquérir la cible qui leur est présentée, les sponsors doivent en proposer une autre et le fiduciaire conserve les fonds jusqu'à ce qu'un projet d'investissement emporte les suffrages. Si le choix d'investissement est validé, chaque actionnaire ayant voté contre peut vendre sa participation au prix auquel il l'a acquise, majoré d'intérêts. Le fiduciaire agira en conséquence.
Les Spac sont, à ce jour, cotées en France uniquement sur le marché Euronext Pro, réservé aux investisseurs professionnels. Il s'agit donc d'un usage élitiste de la fiducie, mais pour autant pertinent car la sécurité qu'offre ce dispositif dépasse largement sa complexité…
– Quelques autres exemples de recours à la fiducie. – Pour clore ce bref développement consacré à la fiducie, citons :
  • la société Petroplus, qui a transféré ses stocks dans un patrimoine fiduciaire lors de la mise en place d'un plan social ;
  • le contrat de fiducie mis en place dans le cadre du rachat de La Redoute par deux de ses dirigeants (Nathalie Balla, présidente-directrice générale de La Redoute, et Éric Courteille, secrétaire général de Redcats) et l'ouverture de son capital à ses salariés, consécutivement à la cession par Kering de sa participation ;
  • le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) qui y a vu le moyen de protéger les fonds publics détenus par lui ;
  • la société Ermewa Holding, société mère du groupe Ermewa, spécialiste de la location de wagons et de conteneurs citernes, qui a assuré le refinancement de sa dette long terme à l'appui d'un contrat de fiducie conclu avec la société Equitis Gestion en qualité de fiduciaire et un pool de financeurs bancaires et obligataires ;
  • sans omettre les sociétés LyondellBasell, Kem One…
La fiducie a vraisemblablement un très bel avenir devant elle, que ce soit à des fins de protection, de gestion, de restructuration, de cession à titre onéreux, de garantie financière, pour ne citer que quelques hypothèses. Il nous appartient de nous familiariser davantage avec cet outil protéiforme et de participer pleinement à son essor et à sa démocratisation.
La fiducie peut également être perçue comme une mesure d'accompagnement dans le temps, ce qui fait écho à ce que nous évoquions ci-dessus : l'intervention notariale n'est-elle pas fréquemment trop ponctuelle ?