Comprendre un mécanisme financier fondamental pour délivrer un conseil avisé

Comprendre un mécanisme financier fondamental pour délivrer un conseil avisé

– Les fournisseurs dans toute leur diversité. – Au rang des différentes parties prenantes de l'entreprise figure une catégorie particulière, celle des fournisseurs. Sa particularité réside à de multiples niveaux, les fournisseurs n'étant pas un groupe homogène : ils fournissent des produits ou des services. Ces derniers peuvent être d'ordre matériel (matières premières à divers stades de transformation, biens d'équipements, etc.), immatériel (services à la production, prestations de nature industrielle ou intellectuelle, etc.) et mixte (logistique, gérance de matériels et services associés, etc.). La désindustrialisation de la France l'a naturellement orientée vers la production locale de services.
La fourniture de produits ou services n'implique pas nécessairement un transfert de propriété de ces derniers à l'entreprise : elle peut aussi ne consister qu'en une mise à disposition à durée et droits variables, via différents mécanismes contractuels (location simple ou avec option d'achat, contrat de licence ou de franchise, etc.).
Les fournisseurs sont de véritables partenaires essentiels à l'exploitation et au développement de l'entreprise. Ce partenariat présente de multiples facettes, en fonction du degré d'implication du fournisseur aux côtés de sa cliente, l'entreprise.
Le partenariat crée une interdépendance extrêmement forte entre les entreprises puisque la défaillance d'un seul fournisseur ou d'un seul client peut mettre à mal la pérennité de l'entreprise tout entière. Le législateur a d'ailleurs eu l'occasion d'intervenir pour tenter de minorer la prépondérance de l'un sur l'autre, dans l'objectif d'éviter les risques systémiques qui en résulteraient naturellement en cas de crise.
– L'entreprise se doit d'acheter. – Les fournisseurs procurent à l'entreprise les produits et services dont cette dernière a besoin pour déployer son projet. Elle peut en internaliser un certain nombre. Mais le temps et le coût à y consacrer sont pour beaucoup :
  • soient incompatibles avec la réalisation de son activité première : l'entreprise n'a pas pour principe de constituer elle-même l'ensemble des moyens sur lesquels elle doit s'appuyer pour réaliser son projet précis. Et elle n'y a pas forcément intérêt puisque le marché pourra souvent lui fournir les produits et services en amont de la chaîne de valeur ajoutée, dans de meilleures conditions financières et opérationnelles.
  • L'entreprise aura justement intérêt à « faire levier », en achetant ces produits et services à un coût inférieur à son propre coût potentiel de production interne, pour les revendre, transformés ou non, à un prix plus élevé. Ça n'est que dans l'hypothèse où les conditions de cette fourniture de produits et services, par le fournisseur sous-traitant, deviennent néfastes à l'exploitation de l'activité que l'entreprise pourra – et devra nécessairement – s'interroger sur l'opportunité d'internaliser ;
  • soient tout bonnement impossibles : certains produits ou services fournis, des plus simples aux plus complexes (de la fourniture d'eau ou de logistique à celle des composants électroniques ou des prestations intellectuelles, à très haute valeur ajoutée), ne sont pas envisageables faute de moyens suffisants à mettre en œuvre.
– Le partage de l'intérêt commercial. – Par ailleurs, les fournisseurs disposent d'un intérêt direct à l'entreprise. Leur existence est souvent conditionnée par l'existence de l'entreprise elle-même et leur pérennité par la bonne marche de l'entreprise. Cet intérêt impliquera que les fournisseurs construisent une proximité très forte avec l'entreprise. Dans un contexte concurrentiel, ils se devront de proposer leurs produits ou services à des conditions optimales, pour l'entreprise comme pour eux-mêmes.
Ces conditions se basent sur le traditionnel rapport qualité/prix, lequel peut être décliné à l'envi en faisant varier le curseur sur la balance de ces deux paramètres. Leur proposition s'appuiera sur une connaissance précise de la chaîne de valeur des produits ou services fournis, l'activité de l'entreprise cliente, son objectif, ses moyens, ses méthodes et ses projets. Cette connaissance ne peut se concevoir sans relations soutenues avec les différentes composantes de l'entreprise, au premier rang desquelles les femmes et les hommes qui y travaillent.
– Les fournisseurs, premiers financeurs ? – Enfin, les fournisseurs vont jouer un rôle très actif dans le financement du cycle économique de l'entreprise. Comme rappelé plus haut, la base de l'entreprise est de vendre un produit ou un service plus cher que ce qu'elle a elle-même payé pour l'obtenir, et éventuellement le transformer. À cette assertion s'ajoute celle de la base du commerce, tenter d'encaisser un prix le plus vite possible, et notamment avant même d'avoir réglé le fournisseur du produit ou service en amont.
Dans cette configuration, le fournisseur se verra assigner le rôle de financeur, dans la mesure où il devra lui-même assurer sa fourniture sans en obtenir de règlement immédiat. C'est également sa contribution, dans un intérêt bien compris, à la bonne marche de son entreprise cliente. Ainsi, au-delà du rapport qualité/prix, la fourniture de produits ou services sera assortie de conditions de paiement qui permettront à l'entreprise de minorer significativement son BFR.
Ce mécanisme historique de financement est d'une ampleur considérable, si l'on rappelle qu'il ne correspond pas au métier de base du fournisseur. Le tableau suivant nous enseigne que cette ampleur s'exprime non seulement par rapport aux autres sources de financement externes (ratio dettes d'exploitation/dettes à court terme, écart entre dettes d'exploitation et dettes bancaires), mais aussi comparativement aux moyens apportés par les associés et accumulés au fil des années par mise en réserve des résultats (ratio dettes d'exploitation/capitaux propres) :
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Tableau qui représente la structure du passif agrégé des entreprises non financières enregistrées dans la base FIBEN
– Un financier impliqué. – Le fournisseur endossera en conséquence un risque complémentaire souvent très éloigné de ceux qu'il prend déjà dans le cadre du cœur de son activité (et notamment la garantie qu'il assure lui-même à ses clients de ses propres produits ou services). Ce risque est de nature financière. Les conditions de paiement à terme feront donc l'objet de négociations spécifiques qui seront incluses, ou pas, dans les négociations sur le prix et les conditions de la fourniture du produit ou du service. Ces échanges seront axés principalement autour des paramètres traditionnels de l'endettement, c'est-à-dire sa durée, ses modalités de remboursement, et sa rémunération.
Le législateur a eu l'occasion d'intervenir pour réguler la question de la durée, au sein de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 (30 jours par défaut, 45 jours après négociation, sans pouvoir excéder 60 jours), de la loi sur la consommation du 17 mars 2014 (délai unique de 45 jours pour les factures dites « récapitulatives » qui englobent plusieurs prestations ou livraisons), et de la loi pour la transparence, l'action contre la corruption et la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016 (délai de 90 jours pour les achats en franchise de TVA et destinés à une revente hors Union européenne et à l'exclusion des grandes entreprises).
  • sur le plan institutionnel : il aura accès aux données publiques recueillies par les tribunaux de commerce, d'une précision variable en fonction de la taille de l'entreprise, et aux données et statistiques consolidées par la Banque de France (aboutissant à catégoriser les entreprises en fonction d'une cotation ou de repères de solvabilité) ;
  • sur le plan privé : s'est développée une activité spécifique de notation (agences telles que « Moody's », « Standard & Poor's », et dont l'une des principales sur le plan mondial, « Fitch Ratings », a longtemps été détenue par un actionnaire français) ou d'analyse financière détaillée (telle que l'offre de la société « Urios »).
– La nécessité de connaître l'entreprise. – Pour cela, la connaissance profonde de l'activité restera hautement nécessaire. Viendra s'y adjoindre la connaissance des données financières de l'entreprise. Certains mécanismes contractuels permettent au fournisseur de se voir délivrer des informations précises sur son état de solvabilité. Au-delà, il pourra consulter de nombreuses bases de données, institutionnelles ou privées, lui permettant de se forger une idée assez précise de la capacité de l'entreprise à honorer ses engagements par le règlement atermoyé des produits ou services qu'elle aura acquis :
Bien entendu, ces différentes sources seront à croiser avec celles fournissant des informations d'ordre juridique sur l'entreprise. Ces informations semblent toutefois peu à même de permettre une opinion exhaustive. La création d'un document plus complet, accessible sur autorisation du dirigeant, apporterait une plus grande transparence, facilitant ainsi l'accès au crédit inter-entreprises.