Comprendre le cycle économique de l'entreprise

Comprendre le cycle économique de l'entreprise

Passer du simple projet au projet créateur de valeur ajoutée est en soi un immense défi pour tout entrepreneur. Si son modèle économique est validé par le marché, il est impérieux pour l'entreprise qu'elle soit durable. Cette évidence s'accommode souvent assez mal des prélèvements opérés par la collectivité.
– La création de valeur n'est pas égale à la création de trésorerie. – Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, l'entreprise se bâtit grâce à de multiples sources de financement dont l'essentiel se concrétise sous forme de dettes (fournisseurs, banques, etc.), et qui ont pour caractéristique de s'amortir progressivement par des paiements réguliers. Ainsi, une entreprise pourra tout à fait créer une immense valeur sans disposer de réserves de trésorerie importantes. Mais si l'entreprise ne réinvestit pas cette valeur ajoutée de manière permanente, elle se confrontera nécessairement à des difficultés pouvant aller jusqu'à la cessation de son activité.
La métaphore du vélo sur lequel on arrêterait de pédaler est parfaitement adaptée. La cessation de l'activité est un événement qui entraîne une cohorte de conséquences néfastes, pour l'entrepreneur lui-même, dont le projet sera stoppé, mais aussi pour l'ensemble des parties prenantes et de la société (clients dont les besoins ne seront plus satisfaits, salariés dont l'emploi sera détruit, fournisseurs et prestataires dont le client aura disparu, financeurs dont la créance sera d'un recouvrement très incertain).
En bon gestionnaire, l'entrepreneur veillera bien entendu à consacrer une partie de la création de richesses au financement du besoin en fonds de roulement (BFR) de l'entreprise. Ce besoin correspond précisément aux décalages de flux de trésorerie entre ses décaissements et encaissements à court terme.
Pour la consultation du Baromètre trimestriel de trésorerie, investissement et croissance des TPE/PME (Très Petites Entreprises/Petites et Moyennes Entreprises) en mai 2021 (Bpifrance) :
– Une obligation permanente d'investissement. – Deux paramètres, qui sont des aléas naturels de l'entreprise, viennent souvent perturber ces précautions et font varier significativement ce besoin. Tout d'abord, il est impératif d'investir continuellement dans la production afin de maintenir les biens et services à un niveau cohérent avec les besoins évolutifs de la clientèle. Ces investissements se traduisent par l'acquisition d'autres biens et services nécessaires à l'exploitation (ressources humaines, matériel d'exploitation, recherche et développement, communication, prises de participation, etc.).
Pour financer ces investissements, il ne sera ni possible ni sain d'en appeler systématiquement au secteur bancaire, mais plus vertueux d'utiliser la capacité d'autofinancement (CAF) de l'entreprise. Ainsi, une entreprise qui ne dégagerait pas une valeur ajoutée supérieure à son BFR ne serait pas viable sur le long terme.
Ensuite, il faut constater que de nombreuses entreprises (voire toutes !) ne disposent pas d'un cycle de trésorerie linéaire se traduisant par un BFR parfaitement constant au cours de leur exercice social, ou sur plusieurs exercices. Les entreprises liées au secteur touristique (hôtellerie, restauration, station de vacances, etc.) ou à des événements spécifiques (jouet, fleuriste, agence événementielle, etc.) en sont de parfaits exemples et, en réalité, aucune entreprise ne peut ignorer cela durablement.
La trésorerie résulte naturellement de la variation des soldes d'encaissements et décaissements :
Cela implique qu'à plusieurs périodes charnières de l'année, le chiffre d'affaires va connaître des variations erratiques, ayant un impact direct sur la trésorerie. De nombreuses entreprises vont donc connaître des périodes avec des besoins très importants en fonds de roulement, qui ne seront couverts que par d'autres périodes, parfois lointaines et incertaines, au cours desquelles un flux massif de trésorerie sera crédité sur leur compte.
Négliger cette donnée structurante poserait deux difficultés majeures. La première est celle qui aboutirait à ne réserver l'entrepreneuriat qu'aux activités viables à court/moyen terme, et à priver la clientèle de réponse à certains besoins nécessitant des investissements à long/très long terme. La seconde serait de renvoyer au secteur public la couverture de ces besoins, en occultant le fait que ce n'est pas sa vocation première et qu'il n'en a ni la compétence ni les moyens.
– Des prélèvements externes éminemment stratégiques. – Une fois ces difficultés posées et partiellement résolues grâce aux pratiques de gestion financière des entreprises, s'ajoute un paramètre totalement externe : celui des prélèvements. Il est évident que rien ne pourrait remettre en cause leur principe dans notre pacte social. Ils soulèvent pourtant deux problématiques lourdes à assumer pour l'entreprise : leur niveau et leur caractère hautement instable.
– Une périodicité perfectible. – Pour synthétiser le propos, qui pourrait être dupliqué à loisir sur tout type de prélèvement fiscal ou social, nous nous baserons sur les développements ci-dessus concernant les prélèvements sur la valeur ajoutée produite. L'annualité de l'impôt permet sa détermination à l'échelle d'un exercice entier ; cependant, la logique fiscale aboutit à des prélèvements réguliers au cours de l'exercice de l'entreprise. Ces prélèvements vont inévitablement grever la trésorerie sociale.
Ainsi, pour être en mesure de créer et développer l'entreprise, il est fondamental de dégager un flux régulier et positif de trésorerie. Cette affirmation n'est pas aussi neutre qu'elle y paraît puisque certaines entreprises très rentables, qui constatent un résultat comptable taxable, ne sont pas toujours en mesure de dégager une trésorerie suffisante du fait de leur caractère cyclique ou de la nécessité qu'elles éprouvent à financer leur BFR ou leurs investissements.

Taxes de production : préservons les entreprises dans les territoires

Au-delà du calendrier de paiement, c'est évidemment le poids relatif des prélèvements qui va poser question puisqu'à date, il représente en France presque 30 % de la valeur ajoutée produite. Cela induit qu'une entreprise devra renoncer à réinvestir ces 30 % de valeur ajoutée dans son cycle économique, pour les dédier aux besoins de la collectivité. Quand on constate, par ailleurs, que de nombreuses entreprises peinent à atteindre un taux de valeur ajoutée sur chiffre d'affaires de 15 % :
On peut ainsi en déduire qu'une baisse pourtant relativement limitée, cantonnée à 10 % du chiffre d'affaires sur un exercice, dépossède l'entreprise de tout moyen financier l'année suivante (10 % de flux financiers entrant en moins, majorés de 5 % de prélèvements). Il existe ainsi un lien tout à fait direct entre le niveau des prélèvements et la capacité de l'entreprise à survivre, croître et assurer son avenir, au-delà d'une certaine démotivation compréhensible d'entrepreneurs pouvant légitimement considérer que la rémunération de leur prise de risque personnel en devient insuffisante.
– Une instabilité difficilement admissible. – Enfin, l'instabilité des règles fiscales constitue en elle-même un frein majeur à la création et au développement de l'entreprise. Pour comprendre cela, il est simplement nécessaire d'imaginer la diversité et le niveau des risques engendrés par l'acte de créer une entreprise. Le niveau peut paraître simple à exprimer : c'est celui de « tout » perdre, non seulement son investissement financier mais aussi ses biens personnels, même si les techniques évoquées ci-dessous permettront un cantonnement relatif.
La diversité provient des multiples aléas économiques classiques : celui de trouver un marché pour ses produits et services, de maintenir et développer sa présence sur ce marché, de maîtriser le coût de la production et des moyens de production. Légion sont les entreprises qui n'ont pas rencontré leur clientèle, s'en sont éloignées jusqu'à la perdre, ou qui ont subi des évolutions de coût d'acquisition de matières premières ou de nouveaux investissements insoutenables ayant provoqué leur perte.
Dans une réaction logique et naturelle, l'entrepreneur souhaitera minorer au maximum le nombre et le niveau des aléas que son projet pourrait subir. À ce titre, on trouvera notamment les prélèvements à destination de la collectivité, dont le principe n'est pas contesté puisque les infrastructures publiques sont une condition sine qua non au projet d'entreprise.
La prévisibilité de ces prélèvements sera alors un élément déclencheur, ou au contraire un obstacle majeur à la création d'entreprise. Considérer qu'il est possible de bâtir un projet, de prévoir un plan d'affaires comportant le financement du BFR ou des investissements, sans avoir d'espoir durable sur la stabilité des prélèvements obligatoires, relève alors d'une méconnaissance profonde de ce que constitue l'acte d'entreprendre lui-même. Comme on pourra le constater, la France n'a pas été en mesure à ce jour d'apporter cette dimension de confiance pourtant essentielle :
– Le notaire, vecteur de lisibilité. – Apporter des informations précises sur la situation actuelle de ces prélèvements, voire inscrire ceux-ci dans une dimension prospective en fonction du contexte économique et politique, constituera une aide extrêmement précieuse que le notaire pourra apporter au porteur de projet.

Souligner les interactions avec le secteur public et avec la justice sociale

Souligner les interactions avec le secteur public et avec la justice sociale

– L'entreprise publique créative et créatrice de valeur. – La création de valeur ajoutée n'est pas un monopole de l'entreprise privée. En effet, l'État et les collectivités ont démontré, dans de nombreux secteurs, leur capacité à investir sur le très long terme et à produire une valeur qui va bien au-delà de celle des services publics rendus aux citoyens.
Cette constatation ne se limite d'ailleurs pas aux entreprises commerciales dont le capital est détenu en tout ou partie par l'État, mais s'étend aussi à une kyrielle d'activités exploitées directement. Deux problématiques majeures peuvent se révéler. La première réside dans le fait que le secteur public, particulièrement en France, a investi dans de nombreux secteurs non régaliens qui dépassent largement le champ des compétences que les citoyens attendent initialement de lui. De nombreux marchés, qui n'ont pas vocation à voir s'insérer un intervenant si particulier que le secteur public, ont pu s'en trouver déstabilisés.
Les acteurs privés y voient nécessairement une concurrence déloyale puisque le secteur public, y compris au sein des activités marchandes, dispose de moyens colossaux ne nécessitant pas un retour sur investissement comparable avec les nécessités de l'investissement privé, ce qui constitue une rupture de concurrence.
Par ailleurs, constater l'arrivée du secteur public sur un marché peut largement laisser à penser que ce dernier voudrait le réguler toujours plus, ou le contrôler, non pas spécialement par sa capacité à convaincre les clients du rapport qualité/prix de ses biens ou services, mais par son ambition à faire adopter une législation qui retirerait au secteur privé tout intérêt d'entreprendre ou de développer ce marché.
– Une entreprise publique hors cadre. – En outre, quand les activités exploitées par l'État ou les collectivités le sont en dehors du cadre de la filiale de droit privé, la question des prélèvements sur ces activités devrait pouvoir être posée. Dans cette situation, l'activité publique produit une valeur ajoutée significative qui, à la différence des entreprises privées, ne se voit pas appliquer la totalité des prélèvements.
Ce constat aboutit clairement à celui d'une seconde distorsion importante de concurrence. À engagements financiers et valeur ajoutée équivalents, un acteur privé ne sera que très difficilement en mesure d'agir sur le même marché que le secteur public. Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, ce second acteur disposerait de la quasi-totalité de la valeur ajoutée produite à consacrer à son besoin en fonds de roulement et aux investissements, alors que le premier ne disposerait que de 70 %.
– Les nécessaires financements des infrastructures et de la formation à l'entrepreneuriat. – Malgré nos développements précédents, le principe de la fiscalité en elle-même n'a pas à être remis en cause. Celle-ci participe au système éducatif et à la création et l'exploitation d'ouvrages collectifs dont l'entreprise a une absolue nécessité, et qu'elle ne pourrait évidemment pas financer par ses propres moyens, tels que les infrastructures diverses (routières, télécommunications), la gestion des déchets, le transport public, etc.
Ces services publics constituent une base importante du projet d'entreprise, même s'il est tout à fait étonnant de constater la vigueur des pays en voie de développement – qui, par définition, n'offrent pourtant pas le même niveau de services publics – en observant le taux de création ou de détention d'entreprises par pays sur la tranche de population entre dix-huit et soixante-quatre ans :
Parfois, le secteur public est à la source même du projet d'entreprise, car il délivre aux citoyens des bases solides pour exprimer leur créativité et construire des projets. Un exemple pourrait être celui des bases de données immobilières ou d'entreprises qui sont désormais en accès libre et gratuit aux citoyens et qui peuvent nourrir des projets commerciaux tout à fait intéressants et potentiellement très rentables.
– La fiscalité, vecteur de justice entrepreneuriale. – Au-delà de ces considérations, la fiscalité sert aussi de vecteur de justice sociale en permettant de lutter contre l'accroissement des inégalités. Cette affirmation est d'autant plus prégnante concernant le monde de l'entreprise. Si l'on reprend le raisonnement mené plus haut, on considérera que le réinvestissement de la valeur ajoutée permettra à l'entreprise de croître et se développer.
Dans l'hypothèse où une entreprise serait détenue par des associés disposant de moyens financiers importants, ces derniers pourraient tout à fait faire le choix de réinvestir en permanence la trésorerie dans divers actifs, sans se soucier forcément de financer un BFR suffisant pour absorber des besoins d'investissement, une baisse d'activité ou des coûts d'exploitation fluctuants. Cette politique de gestion financière, menée dans une entreprise rentable, aura pour conséquence logique d'accélérer la prise de valeur de l'entreprise elle-même, et in fine le patrimoine professionnel de ses associés. À vouloir se contenter de soumettre aux prélèvements la trésorerie réelle dégagée par l'entreprise, un choix serait donc fait de favoriser indirectement les entreprises créées par des fondateurs qui peuvent se permettre de ne pas sécuriser le financement de leur BFR, ou disposent de moyens importants.
Cela serait parfaitement contraire, d'une part, aux règles de saine gestion souhaitables pour toutes les parties prenantes de l'entreprise et, d'autre part, à l'ouverture de l'acte d'entreprendre au plus grand nombre, dont les vertus ont été rappelées ci-dessus, et donc à la justice sociale.