Anticipation, prévention et règlement des conflits

Anticipation, prévention et règlement des conflits

Il est intéressant de relever que l'ordonnance de Colbert de 1673, qui constitue l'un des premiers textes organisant le droit des affaires, conférait une très grande place à la relation humaine, à l'affectio societatis, au point de soumettre obligatoirement tout différend survenant entre associés à l'arbitrage et non aux juridictions consulaires.
Aujourd'hui, l'ère est tout à la fois à la prévention du conflit, à la pacification des relations humaines et à la déjudiciarisation du règlement des conflits.
Or l'intervention du notaire, en phase d'élaboration de l'écrit, ne peut que favoriser cet élan d'anticipation et être un vecteur de prévention. Deux pratiques outre-Atlantique, en droit des affaires, peuvent inspirer notre propre pratique professionnelle : le recours à un deal mediator (Sous-section I) ou encore à un swingman (Sous-section II). Le notaire médiateur ou arbitre a également une raison d'être (Sous-section III).

Le notaire et le deal mediator

– La notion de deal mediation . – Comment définir ce qu'est la deal mediation ? À commencer peut-être par ce qu'elle n'est pas : la locution prête à confusion car il ne s'agit pas d'une médiation à la façon d'un mode alternatif de gestion des conflits, mais bien d'une action préventive.
La page d'accueil du site https://intermedies-mediation.com/">Lien est éloquente en affichant un article d'un médiateur français, Claude Amar, intitulé : Deal Mediation ? La meilleure façon de résoudre un conflit est de le prévenir .
La deal mediation s'inscrit dès lors en amont, en phase de négociation du contrat, dans une démarche quasi maïeutique.
– Le rôle du deal mediator . – Cette pratique repose sur le postulat que le conseil de l'une des parties à l'acte ne cherche qu'à préserver les intérêts de son client, en faisant abstraction de l'économie générale de l'accord. À l'inverse, l'objectif du deal mediator est d'amener les cocontractants au meilleur accord possible.
Le deal mediator doit exercer sa mission en toute impartialité et indépendance. Il accompagne les parties dans leurs réflexions et leurs échanges, sans prendre position, sans émettre d'opinion personnelle. Or n'est-ce pas là la posture professionnelle du notaire dans son exercice quotidien ?
Le deal mediator a pour mission d'organiser les négociations, d'amener les parties à trouver un accord, en pacifiant les échanges en tant que de besoin, et à veiller à la mise en place de l'accord négocié de la sorte.
  • « – permet de déjouer des malentendus en clarifiant les différents points de vue issus, par exemple, d'une différence culturelle ;
  • a une parfaite compréhension de l'accord négocié et serait déjà familiarisé avec les subtilités de celui-ci (si son intervention était requise postérieurement à l'occasion de la survenance d'un litige) ;
  • dispose d'une capacité à identifier les intérêts de chaque partie et à les assister pour imaginer des solutions pour satisfaire ces intérêts ;
  • aide les parties à évaluer correctement les risques ».
Voilà un costume qui paraît parfaitement ajusté à notre fonction… Une nouvelle prestation que pourrait proposer le notaire en vue de la conclusion de contrats en droit des affaires. La prévention du conflit est source d'économies substantielles et gage d'efficacité économique. Autant d'avantages à mettre à la disposition de nos clients.
Si cette mission est consubstantielle à la réception d'un acte authentique, elle pourrait faire l'objet d'une facturation d'honoraires de conseil à l'occasion de l'établissement d'un acte en la forme sous seing privé rédigé par un autre conseil.
Une autre pratique outre-Atlantique mérite que l'on s'y intéresse : le recours à un swingman.
– Les avantages procurés par le recours à un deal mediator . – Claude Amar, dans l'article susvisé, est d'avis que le deal mediator :
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Le notaire pourrait intervenir, à l'avenir, en qualité de deal mediator à l'occasion de la conclusion de statuts ou de pactes d'associés, quand bien même ces derniers seraient reçus en la forme sous seing privé.

Le notaire ?

Le notaire et le swingman

Il ne s'agit pas, bien entendu, d'aborder ici cette notion sous un angle sportif en évoquant le statut de cet athlète capable de jouer à plusieurs postes, mais de l'appréhender sous l'angle du droit des affaires.
– Qu'est-ce qu'un swingman en droit des affaires ? – Alors que le deal mediator intervient en amont de la conclusion de l'accord commercial ou de la signature de l'acte, le swingman est le tiers dont la mission est de résoudre un conflit interne à la structure en cours de vie sociale, l'accord ayant déjà été scellé.
C'est ainsi que l'on trouve, dans des pactes d'actionnaires et d'associés, des clauses dont la teneur vise à résoudre un cas de mésentente en nommant un swingman, et à éviter d'aller jusqu'à contraindre l'un ou l'autre des associés à céder sa participation.
– La joint-venture . – La joint-venture , haut lieu de frictions et de tensions entre sociétés membres, constitue le terrain de prédilection du swingman. Il prend part aux délibérations des organes de direction, tout en restant tiers à la structure, et son rôle est de donner l'avantage à la stratégie qui lui semble la plus pertinente. Sa voix est prépondérante en cas de mésentente.
– Une fonction proche de celle du kansayaku japonais. – Son rôle est proche de celui du kansayaku japonais. Le kansayaku est l'un des acteurs principaux de la gouvernance des entreprises japonaises. Il ne s'apparente ni à un auditeur interne ni à un auditeur externe. Il est tout à la fois tiers à la structure, tout en prenant part aux délibérations des organes de direction, et investi d'une mission de médiateur en cas de mésentente et de paralysie.
– Une nouvelle vocation notariale ? – Peut-on, dès lors, imaginer qu'à l'occasion de la rédaction de statuts ou d'un pacte d'actionnaires ou d'associés ou de tout autre contrat commercial, soit insérée une clause visant à solliciter la présence d'un notaire aux délibérations des organes de direction pour le rendre médiateur voire arbitre en cas de litige et de mésentente ?
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Le notaire pourrait être désigné comme tiers médiateur ou arbitre dans les statuts, ou un pacte d'actionnaires ou d'associés, ou dans tout autre contrat commercial.

Le notaire ?

Le notaire face aux modes alternatifs de règlement des différends (Mard)

En France, se développent grandement les modes alternatifs de règlement des différends (Mard), dans un élan de déjudiciarisation. Les objectifs poursuivis sont à vrai dire multiples, comme l'énonce Philippe Baillot : « désengorger les tribunaux, transférer au secteur privé une charge régalienne, réduire le coût de gestion des conflits, accélérer leur traitement, pacifier les relations sociales, préserver les liens commerciaux… ». Ces « circuits de dérivation du contentieux » présentent quelques similitudes avec les démarches entreprises par le deal mediator ou encore le swingman, tout en ayant chacun un processus qui leur est propre.
Citons quelques Mard :
– La transaction. – Cette notion est définie à l'article 2044 du Code civil comme étant « (…) un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
Les parties peuvent demander au juge compétent d'homologuer leur accord afin qu'il acquière force exécutoire et qu'il puisse, de la sorte, donner lieu à la mise en œuvre de mesures d'exécution forcée, quel que soit le mode alternatif de règlement des différends retenu.
On ne peut que promouvoir, une fois encore, les vertus de l'acte authentique revêtu de la force exécutoire. La Cour de cassation a admis qu'un notaire pouvait recevoir une transaction en lui conférant force exécutoire.
Mais l'on se doit également de mentionner le vote de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire du 22 décembre 2021 qui prévoit désormais en son article 44 qu'un acte d'avocat portant accord issu d'une transaction, d'une médiation, d'une conciliation ou encore d'une procédure participative puisse obtenir apposition d'une formule exécutoire par le greffe.
– La convention de procédure participative. – Cette modalité est prévue à l'article 2062 du Code civil et consiste en « une convention par laquelle les parties à un différend s'engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige ». Chaque partie doit s'en remettre à un avocat.
Cette convention, conclue pour une durée déterminée, précise l'objet du litige ainsi que la nature et les modalités de transfert des pièces devant être produites en vue de parvenir à sa résolution.
Aucun juge ne pourra être saisi avant l'échéance du terme mentionné dans la convention, sauf toutefois à ce que l'une des parties n'ait pas respecté les engagements qu'elle a souscrits dans la convention. Si, à l'issue de la convention, aucun accord n'a pu être trouvé, les parties pourront alors librement saisir le juge. Si la signature d'une convention intervient postérieurement à l'ouverture de la procédure, alors elle n'entrera en force qu'au jour du retrait du rôle par le juge.
– La procédure collaborative. – Ce mode de résolution amiable, extrêmement proche du précédent, suppose également la signature d'une convention aux termes de laquelle les parties en conflit, chacune étant conseillée par un avocat, s'engagent conjointement à trouver une solution amiable au litige qui les oppose. Toutefois, à la différence de la procédure participative, cette technique ne résulte d'aucun texte et n'est que le fruit de la pratique de terrain exercée par les avocats. Une procédure collaborative ne peut être engagée en cas de saisine préalable d'un juge. En cas d'échec de la procédure collaborative, les avocats-conseils devront se désister, n'étant pas autorisés à poursuivre leur mission en phase contentieuse.
– Les modes alternatifs de règlement des différends pratiqués par le notariat. – Si les modes alternatifs énoncés ci-dessus sont partiellement du ressort du barreau, le Conseil supérieur du notariat promeut, pour sa part, la professionnalisation des notaires en matière de médiation et d'arbitrage.
– La médiation. – Le médiateur, bien qu'intervenant postérieurement à la naissance du conflit contrairement au deal mediator, se comporte, pour autant, de façon similaire : sa mission ne consiste aucunement à prendre parti. Le médiateur accompagne les parties en conflit dans leurs échanges, en organisant les débats et en s'efforçant de les conduire à un accord amiable dont elles définiront seules les contours.
À l'appui de dix-huit centres de formation, plus de cent cinquante notaires avaient déjà été formés au début de l'année 2022. Le droit des sociétés est propice au développement de cette activité notariale, tout autant que le droit de la famille ou encore le droit des biens.
– L'arbitrage. – L'arbitrage se distingue fondamentalement de la médiation en ce que l'arbitre prend parti et tranche le litige à la demande des parties. Il ne s'agit plus d'un mode amiable, à la façon de ceux énoncés ci-dessus, mais bien d'un mode alternatif et définitif de règlement des différends.
Les parties doivent avoir prévu le recours éventuel à ce mode de règlement alternatif avant même que le litige ne survienne au moyen d'une clause compromissoire insérée dans le contrat les liant.
À défaut d'anticipation et en cas de litige les opposant, les parties peuvent encore y avoir recours en signant un compromis d'arbitrage. Y seront alors mentionnés le nom des arbitres constituant le tribunal arbitral, l'objet du litige qu'il leur faudra trancher, et les règles procédurales qui trouveront à s'appliquer.
Il est toujours possible de conclure un compromis d'arbitrage quand bien même un juge aurait été saisi. De même, il est toujours possible pour le non-professionnel de préférerla saisine d'un juge à une procédure arbitrale quand bien même figurerait dans le contrat qu'il a signé une clause compromissoire.
Selon la volonté des parties, le tribunal arbitral statue en droit ou en équité, en rendant une sentence arbitrale dotée de la force obligatoire, voire de la force exécutoire à la vue d'une ordonnance d'exequatur rendue par le juge.
A priori, sauf à ce que les parties en aient voulu autrement, une sentence arbitrale n'est pas susceptible d'appel. Elle peut, en revanche, faire l'objet d'un recours en annulation dans des cas très spécifiques : en cas d'incompétence de l'un des arbitres ou de violation d'une règle d'ordre public.
La prévention du conflit et la promotion de modes alternatifs de règlement des différends trouvent toute leur place dans la phase d'élaboration des contrats, notamment en droit des affaires, que ce soit sous la houlette d'un deal mediator ou au moyen de l'insertion de clauses désignant un tiers médiateur ou un arbitre en cas de mésentente.
Mais la rédaction des statuts, qui demeurent la pierre angulaire du projet d'entreprise, ne pourrait-elle pas elle-même être améliorée dans l'idée d'accroître la sécurité des tiers ?