La normalisation du secteur numérisé de la construction

La normalisation du secteur numérisé de la construction

– Le BIM, une forme d'industrialisation impliquant des référentiels communs. – L'emploi du BIM implique qu'une méthodologie encadre le processus de délivrance et de partage des informations (Qui ? Fait quoi ? Quand ?) et également que les informations échangées soient comprises de la même manière par chacun, sur la base d'un référentiel commun (Quelles informations ? Sous quel format ? En référence à quels dictionnaires ?).
Sous cet angle, le BIM est une forme de normalisation numérique de la filière du bâtiment, en industrialisant la conception, la construction et l'exploitation autour de procédures communes. Sans cette normalisation, le BIM reste une méthode d'agrégation de données dans une maquette numérique, et l'objectif d'optimisation des cycles de l'immeuble ne sera pas atteint. Comment sont adoptées ces procédures ?
– La normalisation, un enjeu majeur de la construction. – Du fait de l'éclatement de la filière construction et de la multitude des outils métiers, l'émergence d'une pratique uniforme ne peut pas venir des acteurs du terrain ou, s'agissant du BIM, des sociétés d'édition des logiciels. Sinon, chaque projet ou acteur aurait sa solution, sa pratique, et ses standards sans interopérabilité, ce qui serait possible pour la construction d'un objet générique avec peu d'acteurs, comme par exemple un véhicule automobile, mais impossible pour le secteur du bâtiment. Il faut donc une action verticale des autorités afin de donner des cadres communs de communication adoptés par tous, et cette action est menée par les instances de normalisation/standardisation qui agissent à plusieurs niveaux : national, européen et international.
Cette standardisation se fait au travers de normes volontaires qui sont à 90 % d'origine européenne ou internationale. On les reconnaît à leur préfixe : ISO (International Organization for Standardization) pour les normes élaborées sous l'égide de l'Organisation internationale de normalisation (où l'Afnor représente la France), NF en France et EN pour celles du Comité européen de normalisation (CEN) https://normalisation.afnor.org/la-normalisation-en-france">Lien . Une norme internationale peut être reprise en Europe et, par ricochet, dans une collection nationale. Son libellé s'enrichit alors des préfixes correspondants, dans l'ordre croissant des périmètres géographiques : NF ISO, NF EN ISO V. infra, nos et s. .
– La normalisation implique des normes volontaires. – Les normes volontaires, comme leur nom l'indique, ne sont pas obligatoires mais traduisent l'engagement des entreprises à satisfaire un niveau de qualité et sécurité reconnu et approuvé.
Chaque norme est adoptée en deux phases, une première phase de prénormalisation qui est une phase préliminaire d'expérimentation par les acteurs et, le cas échéant, de formulation d'une proposition de norme, et une phase de normalisation qui consiste en l'adoption, l'enrichissement et la mise à jour de la norme.
En matière de construction, ces normes ont une grande importance pour définir des standards de qualité, de sécurité ou de propriété des ouvrages construits. Ce phénomène est amplifié avec le BIM qui ajoute une couche numérique et organisationnelle. Le PTNB a identifié trois niveaux essentiels de normalisation du BIM, au niveau du management de l'information et des procédures, du format d'interopérabilité des échanges, et des dictionnaires communs d'objets Étude « Stratégie française pour les actions de prénormalisation et normalisation BIM appliquées au bâtiment par le PTNB » analysée infra, no . . On retrouve les trois acceptions du « M » de l'acronyme BIM (1o Model : l'entente sur un modèle commun au moyen de dictionnaire / 2o Modeling : échange des informations au travers de fichiers interopérables reposant sur le dictionnaire commun / et 3o Management qui englobe les deux premiers avec une composante de management et de temps).
– Les normes volontaires dans le BIM, une réponse technique à des outils techniques. – Compte tenu du caractère technique et très pratique de chacune des normes, avec de surcroît des considérations informatiques, d'ingénierie, techniques, etc., la lecture de ces normes n'est pas accessible aux non-initiés. Il faut retenir principalement que chaque série de problème d'adoption ou d'utilisation du BIM fait l'objet d'une norme ou une prénorme apportant une réponse générique et duplicable à ce problème. Dans la mesure où l'objet de la construction n'a pas de forme générique, il n'est pas possible de donner une réponse toute faite à un problème donné, mais simplement un guide. L'industrialisation digitale de la construction consiste ainsi à donner une méthodologie et des standards afin d'embrasser le plus grand nombre de cas de figure possibles.
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Source : Illustration extraite du rapport du PTNB

Présentation des principales normes et prénormes régissant le BIM

Les normes afférentes à la procédure du BIM et au management des données

La procédure classique de construction est une séquence en trois temps : maîtrise d'ouvrage (études de faisabilité et programmation), maîtrise d'œuvre (conception) et entreprise (réalisation).
Le BIM emploie une méthode d'ingénierie concourante (Concurrent Engineering [CE] en anglais) qui consiste à engager simultanément tous les acteurs d'un projet, dès le début de celui-ci, dans la compréhension des objectifs recherchés et de l'ensemble des activités qui devront être réalisées, par opposition à une ingénierie séquentielle au cours de laquelle chaque étape démarre lorsque la précédente est complètement achevée. Cette modification de la séquence s'accompagne d'une digitalisation massive des échanges qui doivent être ordonnés afin d'alimenter le BIM. Afin d'adopter progressivement ce nouveau mode collaboratif, il est nécessaire de s'accorder sur un nouveau référentiel d'organisation et d'échange d'informations au format numérique nécessaire au BIM.
C'est pour répondre à ces deux enjeux que plusieurs normes ont été adoptées.

Le management des acteurs et des échanges

La norme ISO 29481">Lien qui est constituée des deux parties, sous le titre général « Modèles des informations de la construction – Protocole d'échange d'informations » :
  • Partie 1 : Méthodologie et format ;
  • Partie 2 : Cadre d'interaction.
Cette norme définit la méthodologie d'écriture des IDM (Information Delivery Manual), qui signifie littéralement « Manuel de délivrance de l'information » à destination des tous les acteurs du projet qui vont implémenter des données. Les IDM définissent les méthodes d'échange d'information en répondant aux questions suivantes : quelles informations devront être échangées par chaque utilisateur ? Qui remplit un rôle particulier (architecte, entreprise, bureau d'études, BIM Manager, etc.), à quels moments spécifiques du projet ? Les IDM cartographient les processus et les spécifications d'échanges exprimées dans des termes standardisés PTNB Feuille de route normalisation, présenté supra, no . .

Le management de l'information

La norme ISO 19650 traite plus spécifiquement du management de l'information tout au long du cycle de vie d'un actif construit à l'aide du BIM. Fin 2018, les deux premières parties de la norme ont été publiées.
– BS EN ISO19650-1 : Organisation et numérisation des informations sur les bâtiments et les travaux de génie civil, y compris le BIM. Gestion des informations à l'aide du BIM : Concepts et principes. – Cette partie introduit le concept de BIM Execution Plan (le plan d'exécution du BIM) qui vise à encadrer toutes les procédures. Elle précise également les principes de partage et de coordination de l'information par le biais d'un « environnement de données commun » (EDC). La mise en œuvre d'un EDC consiste à déployer une plateforme collaborative, qui doit s'inscrire dans une infrastructure numérique comprenant les outils collaboratifs, métiers, ainsi que les simulateurs.
– BS EN ISO19650-2 : Organisation et numérisation des informations sur les bâtiments et les travaux de génie civil, y compris le BIM. Gestion des informations à l'aide du BIM : Phase de livraison des actifs. – Cette partie plus opérationnelle définit un ensemble de processus pour la fourniture d'informations dans le cycle de conception, de construction et de transfert de la construction, notamment celles relatives aux tâches, rôles et responsabilités, ainsi qu'à l'identification et à l'affectation des parties responsables pour chaque activité et chaque tâche.
Ces deux premières parties de la norme sont orientées principalement sur les phases conception/construction, et une troisième axée sur l'exploitation serait en préparation.
Cette norme fournit une vision et une approche internationales de la gestion de l'information pour la conduite de projets BIM, et définit les rôles des principaux acteurs et leurs responsabilités dans le processus de gestion de l'information.
Le Plan BIM 2022 envisage l'intégration de la norme 19650 dans ses travaux de vulgarisation des normes BIM.

Les normes afférentes au format des fichiers et à l'interopérabilité des solutions informatiques

Si tous les acteurs travaillaient sur un seul et même logiciel, un peu à la manière du système d'exploitation Windows PC La très grande majorité des PC vendus dans le commerce sont livrés avec Windows (environ 88,14 %) (Source : https://netmarketshare.com">Lien). , les échanges de fichiers seraient effectués au format natif sans transformation. Seulement, à admettre qu'un tel monopole logiciel soit souhaitable, ce qui n'est pas la volonté politique Le Plan BIM 2022 pointe « la collaboration demeure encore limitée par un marché dominé par des formats de données propriétaires qui ne peuvent pas encore être échangés et reconnus entre logiciels sans perte d'informations structurantes tandis que les formats ouverts ne répondent pas encore à tous les besoins ». , le secteur de la construction est le moins propice au logiciel unique. En effet, du fait de la diversité et de la spécificité des métiers de la construction (maître d'ouvrage, maître d'œuvre, ingénieur, entreprise, bureau d'étude, etc.), il est naturel que des logiciels spécialisés propres à chaque métier soient développés. Or, si chaque métier a son logiciel, comment faire pour échanger des fichiers de telle sorte que les informations produites par un acteur, avec une vue spécialisée et une orientation logicielle, soient transmises de manière intègre et complète à un autre acteur du projet ?
Le BIM implique que chaque métier ait accès à la donnée dont il a besoin au travers de logiciels interfacés différents. Afin que chaque logiciel sache où aller chercher la donnée, il faut que celle‐ci soit bien structurée selon un format normé, c'est‐à‐dire que la base de données soit interopérable. L'interopérabilité sémantique des données est un besoin critique du BIM.
C'est pour répondre à ce besoin fondamental de l'interopérabilité des bases de données que, dès la fin des années 1990, des modèles de données « IFC » (Industry Foundation Classes) ont été spécifiés par l'International Alliance for Interoperability (IAI) L'International Alliance for Interoperability (IAI) a été créée en 1996 et est devenue BuildingSmart international depuis 2008. Elle a développé le modèle IFC qu'elle maintient aujourd'hui. Dès sa création, BuildingSmart France-Mediaconstruct l'a rejoint pour en devenir le chapitre français. afin de définir des standards d'informations des objets.
La notion de classe fait référence à la notion de classe dans l'édition de logiciel. Une classe, c'est un objet, physique ou abstrait, auquel on associe une série d'attributs. Ces attributs sont déterminés en amont : pour chaque objet, on doit ainsi donner une certaine quantité d'informations qui assureront l'uniformité du fichier final.
Par exemple, une classe de type « porte » en BIM requiert les attributs physiques suivants : son nom, son emplacement (ObjectPlacement) qui requiert de le placer par coordonnées X, Y et Z ou encore sa hauteur (OverallHeight), mais peut aussi contenir des attributs de tâches, comme sa priorité ou son statut, ou encore de relation avec d'autres objets Source : www.biminmotion.fr/blog/comprendre-le-format-ifc-une-rapide-introduction">Lien .
Les IFC constituent à la fois des modèles IFC avec la description du contenu des objets organisés dans un certain formalisme, et un format de fichier IFC, qui est la suite des séquences alphanumériques envoyées par un logiciel dans les « tuyaux » et les « interfaces IFC », dans un langage de communication à décoder par le logiciel récepteur. Ainsi, un fichier IFC contient des données d'un modèle IFC qui seront lues par d'autres logiciels que le logiciel natif du producteur de l'information, et restituées selon l'interface propre à chaque acteur.
Depuis mars 2013, les IFC sont labellisés ISO 16739, devenue NF EN ISO 16739 fin 2018 – Classes de fondation d'industrie (IFC) pour le partage des données dans le secteur de la construction et de la gestion des installations.

Les normes afférentes aux dictionnaires communs et à la méthodologie

Il n'existe actuellement aucun dictionnaire de données unique définissant toutes les informations qui seront échangées au cours des cycles de vie d'un immeuble. Chaque acteur d'un projet peut donc désigner un même objet ou une propriété de manière différente et, dans un contexte international, souvent pour des raisons de réglementation, de langage ou encore culturelles.
Pour traiter cette problématique, les acteurs, éditeurs de logiciels et les États s'efforcent de créer des dictionnaires de données propres à leurs besoins ou réglementations, avec pour conséquence de créer à travers le monde une multitude de dictionnaires. Faute de méthodologie et de référentiel commun, chaque dictionnaire va se présenter d'une manière différente et un même objet pourra avoir une multitude de présentations/définitions possibles dans plusieurs dictionnaires…
L'entente sur une méthodologie d'établissement de ces dictionnaires et leur interconnexion/interopérabilité est un enjeu majeur de la performance du BIM et de sa connexion avec les industriels qui produisent les matériaux et équipements de construction. Sans modèle standard, neutre et ordonné des objets, les données constructeurs ne pourront pas être connectées avec les données du BIM.
La France a été précurseur dans ce domaine en expérimentant la norme XP P07-150, qui décrit les méthodologies de gestion de propriétés et de groupes de propriétés à travers un réseau de dictionnaires interconnectés. Au travers du projet PPBIM porté par le Plan transition numérique dans le bâtiment (PTNB), la France a établi trois cents propriétés et trente objets génériques suivant les processus de la norme XP P07-150.
Sous le leadership français Travaux de la commission de « Propriétés des produits pour la maquette numérique » (PPBIM) de l'Afnor, eux-mêmes initiés par l'Association des industries de matériaux, produits, composants et équipements pour la construction (AIMCC) et bSFrance – Mediaconstruct et portés au sein de bSI sur « les propriétés des produits et systèmes utilisés en construction – définition des propriétés, méthodologie de création et de gestion des propriétés dans un référentiel harmonisé ». , la norme a été adoptée au niveau international en mars 2020 sous la référence ISO 23386:2020, et a été adoptée au niveau européen en juin 2020 sous la référence « NF EN ISO 23386 – Modélisation des informations de la construction et autres processus numériques utilisés en construction – Méthodologie de description, de création et de gestion des propriétés dans les dictionnaires de données interconnectés ».
Cette norme spécifie les attributs permettant de définir les propriétés et groupes de propriétés d'un dictionnaire de données individuel, ainsi que les processus et les commissions/rôles de gouvernance d'un dictionnaire de données individuel dans un réseau de dictionnaires de données coordonnés Source : https://www.iso.org/obp/ui/#iso:std:iso :23386:ed-1:v1:fr">Lien .
Il s'agit de créer une méthodologie aidant à la mise en place de dictionnaires de propriétés ou de groupes de propriétés, qui enlève toute ambiguïté. Cela permet d'être totalement en accord entre une question (« ce qui est attendu ») et la réponse (« la solution opérationnelle »).
La France a poursuivi un important travail sur les dictionnaires au moyen du PTNB aux côtés de l'Afnor à travers l'action « Pobim » (Propriétés et objets pour le BIM : « Recensement des propriétés et modèles d'objet génériques BIM ») Présentation du dictionnaire POBIM dans la synthèse des travaux du PTNB, téléchargeable gratuitement (https://plan-bim-2022.fr/actions/plan-bim-2022-ptnb-axe-c/le-dictionnaire-national-de-proprietes-pobim">Lien). , dont les conclusions ont été présentées fin 2018. Au total 301 modèles d'objets génériques et 3 139 propriétés ont été définis. Un des objectifs est que chaque industriel dispose d'un catalogue de produits numérique, avec toutes les informations structurées de la même façon quel que soit le produit.
Le Plan BIM 2022 poursuit l'action de la France en matière de suivi stratégique de la normalisation sous le pilotage d'ADN Construction.