Protéger le donataire dans le traitement futur de sa donation

Protéger le donataire dans le traitement futur de sa donation

Le donateur va pouvoir manifester sa volonté de protéger de manière préférentielle le donataire. Cet avantage va se traduire par la nature qu'il va donner à la donation qu'il lui consent. La donation pourra donc être consentie hors part successorale (§ I) ou avoir une nature mixte. Elle pourra être rapportable pour partie et préciputaire pour l'autre (§ II). En cas de donation par des époux, il sera possible d'aménager l'imputation sur les successions des époux (§ III). Enfin, il peut être important de préconstituer la preuve de l'état du bien au jour de la donation (§ IV).

La donation hors part successorale

- Rappel de la distinction entre donations hors part successorale et donations en avancement de part successorale. - C'est sur le plan de l'imputation que la distinction entre donation en avancement de part successorale et donation hors part successorale va se manifester.
  • La donation en avancement de part successorale est la donation faite à un héritier légal, elle sera donc un acompte sur ses droits dans la succession. Il sera tenu à son rapport et elle s'imputera en priorité sur la part de réserve du donataire, puis subsidiairement sur la quotité disponible. Il résulte deux choses de cette nature rapportable de la donation :
  • La loi présume que la donation faite à un successible est consentie en avancement de part successorale, estimant qu'à défaut de manifestation de volonté contraire le disposant ne veut pas rompre l'égalité entre ses héritiers.
Pour la donation hors part successorale, jadis appelée « préciputaire », la règle va s'inverser partiellement. La donation va s'imputer sur le disponible et le surplus sera sujet à réduction. Le surplus ne s'impute pas sur sa réserve individuelle. Cette donation va donc nécessairement provoquer une inégalité entre les héritiers légaux si le donataire est lui-même un héritier légal ou conférer à un tiers des droits dans la succession, le tout bien évidemment dans la limite de la quotité disponible.
- La volonté d'avantager. - Il est donc loisible au disposant qui souhaite avantager un de ses héritiers par rapport aux autres de stipuler que la donation est consentie hors part successorale. Cette volonté est formulée bien naturellement dans l'acte de donation lui-même. La dispense de rapport peut également résulter d'un acte respectant les formes de la donation (le donateur et le donataire doivent donc intervenir) ou d'un testament dans lequel le disposant va unilatéralement changer la nature de la libéralité. La supériorité du testament en la matière est évidente, car il est librement révocable jusqu'au décès. Le bénéfice pour le gratifié est donc certain, puisqu'il se voit ainsi avantagé par rapport aux autres. La dispense de rapport permet d'assouvir un besoin de protection supplémentaire d'un héritier. On pense à un enfant atteint d'un handicap ou à celui qui témoigne davantage d'affection envers ses parents.
- Les risques inhérents de la donation hors part successorale. - La dispense de rapport contient par sa nature même le risque d'une réduction. Aussi est-il vivement conseillé d'alerter les parties de ce risque, et éventuellement de projeter une hypothétique liquidation pour anticiper cette réduction. Rappelons simplement que la réduction a lieu en valeur et se traduit par un versement aux réservataires qui revendiqueraient leurs droits.
Ces risques peuvent être complètement supprimés par le biais d'une renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR).

La clause de rapport forfaitaire

- Définition et fonctionnement. - Dans le but de sécuriser et donc de protéger encore un peu plus le donataire, le donateur peut conférer une nature mixte à la donation en aménageant le rapport à la succession. Il est ainsi possible, ainsi que l'article 860, alinéa 4 du Code civil l'autorise, de prévoir une indemnité de rapport définitivement fixée dans l'acte de donation à une somme forfaitaire. Il est également possible de prévoir que le rapport sera de la valeur du bien au jour de la donation . Au décès du disposant, lorsqu'il faudra liquider et partager la succession, la donation prendra une nature mixte. Elle sera à la fois rapportable et préciputaire. Elle sera rapportable pour ce qui est prévu dans le forfait et, à ce titre, s'imputera prioritairement sur la réserve individuelle du gratifié et subsidiairement sur le disponible. Elle sera préciputaire pour l'avantage procuré au donataire par cette clause dérogatoire. Il faut donc calculer le rapport qui serait normalement dû, en déduire le forfait, et la différence ira s'imputer sur le disponible.
- Les dangers de cette clause. - Protéger, c'est aussi donner une certitude, une visibilité à celui que l'on gratifie. L'héritier débiteur d'un rapport est inévitablement soumis à une incertitude en raison des règles légales d'évaluation de son rapport (C. civ., art. 860). Ce qu'il devra à la succession est fonction de la conjoncture économique au jour du partage. Ce n'est pas toujours confortable. On peut alors comprendre que le disposant veuille figer le rapport pour donner cette certitude. Mais ce subterfuge n'est qu'illusoire, car ce n'est que déplacer l'incertitude puisqu'il faudra chiffrer cet avantage supplémentaire pour l'imputer sur le disponible. Il pourra être sujet à réduction . La seconde incertitude est relative à l'absence de règle dans le cas où la part rapportable (forfaitaire) dépasse la réserve individuelle du donataire et s'impute donc pour cet excès sur le disponible. Dans quel ordre imputer ces deux fractions de la donation ? Si le disponible est dépassé, l'enjeu est important pour les parties car le donataire aura intérêt à ce que la partie préciputaire s'impute en premier, l'autre partie étant toujours sujette au rapport. La doctrine reste hésitante . Il est donc vivement conseillé de prévoir un ordre d'imputation dans l'acte. La logique voudrait, dans le but de protéger au maximum le donataire, de prévoir que la part préciputaire s'imputera en premier sur le disponible et la part rapportable en second. Sans doute cette clause devrait, pour produire le maximum d'effet, être couplée avec la clause d'imputation sur la réserve globale pour la part rapportable…

L'aménagement de l'imputation de la donation d'un bien commun par les deux époux

Il est possible que les époux, dans la donation de biens communs faite à un enfant commun, prévoient que la donation s'imputera sur la succession du prémourant en totalité ou principalement sur celle du prémourant, et subsidiairement sur celle du second époux, ou bien même sur la seule succession du second époux.
- Imputation totale à la succession du premier. - Si cette clause est prévue, au décès du premier des époux la donation ne sera prise en compte que dans sa succession. L'exigence de ce rapport donnera lieu à une récompense due par la succession du prémourant à la communauté. L'équité et l'équilibre communautaire commandent que cette récompense soit égale au rapport qui sera calculé en fonction des règles de l'article 860 du Code civil, c'est-à-dire que le rapport sera égal à la valeur du bien au jour du partage dans son état au jour de la donation. Il s'agit d'une dette de valeur. La récompense devra être du même montant, sinon la succession se trouverait fictivement enrichie au détriment de la communauté (l'application stricte des règles en la matière voudrait que la récompense soit égale à la dépense faite, c'est-à-dire à la valeur du bien au jour de la donation) . L'impact de la clause est également fiscal, car il faut procéder à une nouvelle liquidation des droits de succession ; puisqu'une seule succession est concernée, il faut calculer les droits par rapport à un seul ascendant. Le donataire risque de ne bénéficier que d'un seul abattement et de grimper plus rapidement dans les étages du barème fiscal. Il y aura également lieu de liquider les droits des cohéritiers en fonction de ce rapport.
Sous l'angle de la protection, on ne voit pas vraiment l'intérêt de cette clause, si ce n'est d'anticiper le sort définitif de la donation au décès du premier et de donner un peu plus de sérénité au donataire une fois que son compte aura été fait au décès du prémourant. Cette clause n'est peut-être pas si fréquente en pratique. Elle peut néanmoins, dans certaines situations, s'avérer utile.
- Imputation supérieure à la succession du premier et inférieure à celle du second. - Par exemple, il est convenu que la donation s'imputera pour les trois quarts sur la succession du premier et pour le quart restant sur celle du second. Il y aura dans ce cas deux récompenses : une première due par la succession du prémourant (trois quarts) pour la part de la donation imputable à sa succession, et une seconde due par le survivant pour la part correspondant à celle qui sera imputable à sa propre succession (un quart). Comme dans l'hypothèse précédente, il faudra recalculer les droits de donation du donataire, mais aussi des cohéritiers. Ces conventions ne sont pas sans impact sur les droits du conjoint survivant, impact qu'il est important de mesurer pour éviter d'alourdir sa situation.
- Imputation totale au décès du second. - Le rapport est intégralement différé au décès du second. Le conjoint survivant devra alors à la communauté une récompense égale à la valeur du bien au jour de la donation. C'est au décès du second que la donation sera traitée comme telle.
- Conclusion sur ces clauses. - Si ces modalités dérogatoires du rapport peuvent dans certaines situations bien spécifiques trouver preneur, elles suscitent malgré tout la perplexité. En effet, elles ajoutent un aléa quant au rapport : celui lié à l'ordre des décès. Difficile d'anticiper un rapport à une succession quand on ne sait de quelle succession il s'agit. Sur le plan fiscal, l'intérêt ne semble pas exister.

Les plus-values apportées par le donataire

- La prise en compte de l'état du bien au jour de la donation. - On sait que le rapport, en application de l'article 860 du Code civil, est égal à la valeur du bien au jour du partage dans l'état où il était au jour de la donation. En d'autres termes, les créanciers du rapport ne peuvent pas bénéficier des plus-values apportées par le donataire. L'application de cette règle, parfaitement juste et équitable, se heurte à la preuve de l'état du bien au jour de la donation. Il est donc important de se ménager cette preuve dès l'acte de donation :
  • pour les immeubles, ce pourra être à l'image de ce qui est exigé pour les ventes : des diagnostics techniques établis par un professionnel certifié, un rapport rédigé par un homme de l'art, ou tout simplement des photos qui seraient annexées à l'acte. La technologie facilite l'intégration de telles pièces à l'acte authentique de donation ;
  • pour les titres de société de personnes dans laquelle le donataire a effectivement une activité : annexer les comptes de la société (bilans et comptes de résultats), voire le compte client, pour que le donataire ne soit pas victime de son dynamisme.
Ces précautions peuvent sembler un peu simplistes, mais elles éviteraient sans doute bien des discussions au moment du partage. La preuve de l'état du bien au jour de la donation peut également jouer en faveur des cohéritiers, car si les plus-values dues au donataire ne leur profitent pas, ils ne doivent pas non plus subir les dégradations et les moins-values qu'il pourrait avoir provoquées.