Mieux protéger le donataire

Mieux protéger le donataire

- Pourquoi protéger davantage le donataire ? - La donation contient cette particularité, qui est de son essence, d'impacter de manière plus ou moins lourde le règlement et la succession du donateur. En effet, la donation sera prise en compte et c'est en cela qu'elle n'englobe pas tous les caractères d'une propriété définitivement acquise pour le donataire. Ses droits résultant de la donation pourront être remis en cause intégralement ou partiellement lors du règlement de la succession du donateur. Même si désormais la réduction et le rapport ont lieu en principe en valeur et par exception en nature. La place du donataire est donc, quant à la propriété du droit transmis, quelque peu inconfortable. Les attributs de son droit de propriété sont amoindris et sa sécurité juridique ainsi que celle des tiers s'en trouvent affectées. Aussi le droit s'est-il assoupli en la matière en autorisant certaines techniques juridiques qui permettent de renforcer ce droit de propriété ainsi transmis. Cette protection conventionnelle peut avoir un effet immédiat, les droits donnés vont être renforcés au jour de la donation (Sous-section I), mais aussi un effet qui sera retardé au jour de la succession du donateur (Sous-section II).

Protéger le donataire en confortant son droit

Étudions successivement la mise à l'abri immédiate d'une action en réduction par une renonciation des héritiers réservataires (§ I) et l'autorisation donnée dès la donation d'aliéner le bien donné (§ II).

Protéger en mettant à l'abri d'une réduction

- Une nouveauté. - Le premier des risques lorsque l'on donne est celui d'une réduction future. La réduction, nous l'avons vu lorsque nous avons abordé la réserve héréditaire, est un pan fondamental de notre droit des successions, voire de notre droit civil en son entier. Elle le cœur de l'ordre public successoral. Toutefois, le législateur a, en 2006, assoupli la rigueur de cet ordre public successoral en permettant, sous réserve de respecter certaines conditions, aux héritiers réservataires de renoncer à leur part de réserve au moins en ce qui concerne le bien donné. La renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR) est le pacte sur succession future spécialement autorisé par la loi par lequel une personne, présomptive héritière réservataire, va renoncer à agir en réduction contre une ou plusieurs libéralités. Les effets de la RAAR sont d'une particulière gravité, car son auteur fait un abandon immédiat et définitif de sa réserve héréditaire au bénéfice d'une autre personne gratifiée : on voit qu'il s'agit ici, comme très souvent, d'un transfert de protection qui va d'un réservataire au profit d'un gratifié qui l'est donc doublement !
- Utilité de la RAAR. - Il se peut qu'en raison de la nature du bien ou de circonstances patrimoniales ou familiales, une ou plusieurs libéralités (on raisonne par rapport aux donations, mais cela vaut également pour les legs et même les avantages matrimoniaux) soient exposées à un risque important de réduction, ce qui, à terme, peut conduire le gratifié à devoir aux héritiers réservataires une somme importante au titre de l'indemnité de réduction. S'il se trouve dans l'incapacité financière de les dédommager, alors il lui faudra se séparer du bien. Certes il est possible que les réservataires non remplis de leurs droits renoncent après le décès à agir en réduction, mais cela n'est pas de nature à garantir, à sécuriser et donc à protéger le gratifié dès avant le décès de son auteur. La RAAR permet de donner cette protection, sous réserve bien évidemment d'un consentement particulièrement éclairé de la part des réservataires.
- Modalités. - Les conditions de la validité de la RAAR sont les conséquences de la particulière gravité de l'acte.
  • L'acte notarié doit être reçu par deux notaires. En effet, le législateur a confié à un second notaire, celui qui n'est pas le notaire de la famille auteur de l'acte, la fonction d'éclairer et de recueillir le consentement du renonçant. Ce second notaire, dont la responsabilité est importante, est d'ailleurs désigné par le président de la chambre départementale ou interdépartementale des notaires . Cela est de nature à donner une certaine indépendance dans cette mission particulière. Il en résulte trois choses :
  • La RAAR doit être exempte de tout vice du consentement.
  • La RAAR doit être faite au bénéfice de personnes désignées. Ainsi, on ne peut concevoir qu'un présomptif réservataire renonce à l'aveugle à sa réserve. Il doit savoir à qui profite sa renonciation et ce bénéficiaire nommé dans l'acte doit l'accepter.
  • Aucune contrepartie ne doit être mise à la charge du bénéficiaire de la RAAR. La renonciation est obligatoirement gratuite ou le fruit d'un marchandage ou d'un échange antérieur, que l'avantage soit sous forme monétaire ou en nature. La conséquence de la moindre contrepartie est la nullité de l'acte.
  • La capacité exigée du renonçant est une capacité renforcée : aucune RAAR ne peut être faite pour le compte d'un mineur ou d'un majeur sous tutelle (V. les travaux de la première commission). Le moindre doute sur la liberté du consentement ou la compréhension par le renonçant à l'acte de renonciation doit emporter, pour le notaire désigné par le président de chambre, le refus d'instrumenter l'acte.
- Étendue et effets de la RAAR. - L'étendue de la RAAR est déterminée par l'acte lui-même. Une grande liberté est offerte aux parties. La renonciation peut ne porter que sur une partie ou sur la totalité de la réserve. La RAAR peut ne concerner qu'un acte déterminé : telle donation ou tel testament. La donation, objet de la RAAR, peut être une donation antérieure à 2007. Elle peut également porter sur une fraction de la réserve, cela revient à réécrire conventionnellement l'article 913, alinéa 1er du Code civil. La RAAR peut devenir un véritable pacte de famille par lequel le disposant redéfinit, avec l'accord de tous, les parts réservataires des uns et des autres. Les effets de la RAAR sont simples : ils paralysent l'action en réduction dont était titulaire le renonçant. Les effets se manifestent donc au décès du disposant et le renonçant ne peut agir en réduction contre le bénéficiaire de la libéralité protégée par la RAAR. Cette privation du renonçant est limitée par la RAAR elle-même. S'il n'a renoncé que partiellement, alors pour le surplus il recouvre la possibilité de demander la réduction. La RAAR est pleinement opposable aux représentants du renonçant quelle que soit l'origine de la représentation (renonciation, prédécès ou indignité) . Si la RAAR porte sur une donation de biens présents, alors elle doit être publiée au service de la publicité foncière et le donataire peut librement aliéner le bien sans aucun risque de revendication, mais à la seule condition que tous les présomptifs réservataires soient renonçants. La RAAR, si elle ne peut être consentie à titre gratuit, n'est pas en elle-même une libéralité. Aussi est-elle fiscalisée au seul droit fixe de 125 €.
- Appréciations du dispositif : protection des uns et « dé-protection » des autres. - Comme souvent en matière de protection ou de libéralité, une RAAR revient à « déshabiller Paul pour habiller Jacques », sans doute car le besoin de protéger Jacques est plus impérieux, prioritaire. Mais il s'agit là d'une appréciation relativement subjective et en particulier de la part du donateur. Cette priorité dans le choix de protéger est faite à l'instant « t » de la RAAR, mais que présager de l'avenir ? Qui dit que demain ou après-demain, ce n'est pas Paul qui mériterait des égards supplémentaires, alors qu'on l'aura privé de droit ? Tout cela n'est qu'arbitrage délicat, voire prédiction …
- Un système relativement hypocrite. - Nous nous bornerons à ce que Pierre Catala a si parfaitement exprimé au lendemain de la réforme de 2006 instaurant cette RAAR : « L'opération, du reste, n'est pas exempte d'hypocrisie. Sous le couvert rassurant mais fallacieux d'une renonciation à l'action en réduction, c'est d'une renonciation à la réserve, c'est-à-dire à la succession qu'il s'agit : le législateur n'a pas appelé les choses par leur nom (peut-être parce que la renonciation in favorem vaut normalement acceptation tacite de la succession). Au surplus, la renonciation se présente comme une décision unilatérale de son auteur, mais qui peut imaginer qu'un héritier présomptif se présentera spontanément pour répudier sa réserve s'il n'y a pas été induit par d'affectueuses pressions ? Les successibles inexpérimentés, faibles ou mal conseillés courent des risques : ces mêmes héritiers que la loi veut protéger par le mandat à effet posthume au prix de la saisine, elle les dénude par la renonciation anticipée en sacrifiant la réserve. Est-il bien raisonnable de jouer ainsi avec des notions fondamentales ? » .
- Le faible succès de la RAAR. - Il ressort de quelques éléments statistiques que la « RAAR est rare » . Faut-il s'en satisfaire ou faut-il le déplorer en l'encourageant ? Très probablement il n'y a pas d'attitude tranchée à adopter. La pratique mesurée de la RAAR démontre la gravité, voire la dangerosité de l'acte dont les notaires et les praticiens sont bien conscients et, comme l'a souligné Pierre Catala , ce n'est pas de seulement de la réserve dont il s'agit, mais de l'héritage lui-même. Cette faible utilisation de la technique de la RAAR démontre sans doute l'attachement à la réserve, d'une part, mais aussi la faible demande en la matière, d'autre part. Les données statistiques démontrent que les RAAR sont très « rarement » faites au bénéfice de la philanthropie ; la réserve serait-elle l'obstacle à la générosité envers le monde associatif ? Nous ne pouvons, à la vue de ces chiffres, qu'être dubitatifs. La RAAR peut trouver une certaine utilité lorsqu'elle émane du conjoint. On sait qu'à défaut de descendant, le conjoint survivant a, depuis 2007, droit à une réserve. Cette réserve du conjoint peut être vécue comme un obstacle à la conservation des biens des époux dans leurs familles réciproques. Aussi le conjoint pourrait-il renoncer à agir en réduction contre la libéralité faite par un époux à ses neveux ou nièces ou à ses frères et sœurs.

Protéger le donataire en lui permettant d'aliéner le bien donné

- Recevoir la propriété d'un immeuble, c'est bien. Pouvoir en disposer librement, c'est mieux ! - Il fallait bien trouver un juste milieu entre la protection de l'héritier réservataire pour qu'il puisse être rempli de ses droits et la protection du tiers acquéreur dont la sécurité juridique du titre pourrait être mise en péril par les héritiers réservataires. C'est cet équilibre que le législateur de 2006 a tenté de trouver par l'article 924-4, fidèle remplaçant de l'ancien article 930 du Code civil. Nous avons vu, la réserve héréditaire) que le réservataire dispose d'un droit de suite sur le bien donné dès lors que le bénéficiaire de la libéralité ne peut s'acquitter en valeur de son indemnité de réduction. L'action du réservataire est donc conditionnée par l'insolvabilité du gratifié. Cela fait peser un risque sur le tiers acquéreur qui pourra être amené à s'acquitter de la dette d'autrui. La seule parade pour écarter de manière définitive ce risque d'éviction, bien connu des notaires, est le consentement à l'aliénation lorsqu'elle se présente. L'ancien article 930 du Code civil visait cette seule autorisation des présomptifs héritiers réservataires. Consentement parfois difficile à obtenir… Le législateur, fortement incité par la doctrine la plus autorisée , permet désormais que ce consentement par le donateur et les présomptifs réservataires à la vente puisse être donné ab initio, dès la donation . Là aussi la pratique notariale, dans un souci de sécurité juridique et pour éviter que des actions en réduction fragilisent des droits de propriété, prévoit de manière quasi systématique cette clause. Ne nous méprenons pas. Cette protection du gratifié, qui lui permet de vendre le bien librement et de sécuriser le droit du tiers acquéreur, porte une atteinte évidente à la protection de l'héritier réservataire qui risque de se retrouver sans arme pour faire valoir ses droits .

Protéger le donataire dans le traitement futur de sa donation

Le donateur va pouvoir manifester sa volonté de protéger de manière préférentielle le donataire. Cet avantage va se traduire par la nature qu'il va donner à la donation qu'il lui consent. La donation pourra donc être consentie hors part successorale (§ I) ou avoir une nature mixte. Elle pourra être rapportable pour partie et préciputaire pour l'autre (§ II). En cas de donation par des époux, il sera possible d'aménager l'imputation sur les successions des époux (§ III). Enfin, il peut être important de préconstituer la preuve de l'état du bien au jour de la donation (§ IV).

La donation hors part successorale

- Rappel de la distinction entre donations hors part successorale et donations en avancement de part successorale. - C'est sur le plan de l'imputation que la distinction entre donation en avancement de part successorale et donation hors part successorale va se manifester.
  • La donation en avancement de part successorale est la donation faite à un héritier légal, elle sera donc un acompte sur ses droits dans la succession. Il sera tenu à son rapport et elle s'imputera en priorité sur la part de réserve du donataire, puis subsidiairement sur la quotité disponible. Il résulte deux choses de cette nature rapportable de la donation :
  • La loi présume que la donation faite à un successible est consentie en avancement de part successorale, estimant qu'à défaut de manifestation de volonté contraire le disposant ne veut pas rompre l'égalité entre ses héritiers.
Pour la donation hors part successorale, jadis appelée « préciputaire », la règle va s'inverser partiellement. La donation va s'imputer sur le disponible et le surplus sera sujet à réduction. Le surplus ne s'impute pas sur sa réserve individuelle. Cette donation va donc nécessairement provoquer une inégalité entre les héritiers légaux si le donataire est lui-même un héritier légal ou conférer à un tiers des droits dans la succession, le tout bien évidemment dans la limite de la quotité disponible.
- La volonté d'avantager. - Il est donc loisible au disposant qui souhaite avantager un de ses héritiers par rapport aux autres de stipuler que la donation est consentie hors part successorale. Cette volonté est formulée bien naturellement dans l'acte de donation lui-même. La dispense de rapport peut également résulter d'un acte respectant les formes de la donation (le donateur et le donataire doivent donc intervenir) ou d'un testament dans lequel le disposant va unilatéralement changer la nature de la libéralité. La supériorité du testament en la matière est évidente, car il est librement révocable jusqu'au décès. Le bénéfice pour le gratifié est donc certain, puisqu'il se voit ainsi avantagé par rapport aux autres. La dispense de rapport permet d'assouvir un besoin de protection supplémentaire d'un héritier. On pense à un enfant atteint d'un handicap ou à celui qui témoigne davantage d'affection envers ses parents.
- Les risques inhérents de la donation hors part successorale. - La dispense de rapport contient par sa nature même le risque d'une réduction. Aussi est-il vivement conseillé d'alerter les parties de ce risque, et éventuellement de projeter une hypothétique liquidation pour anticiper cette réduction. Rappelons simplement que la réduction a lieu en valeur et se traduit par un versement aux réservataires qui revendiqueraient leurs droits.
Ces risques peuvent être complètement supprimés par le biais d'une renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR).

La clause de rapport forfaitaire

- Définition et fonctionnement. - Dans le but de sécuriser et donc de protéger encore un peu plus le donataire, le donateur peut conférer une nature mixte à la donation en aménageant le rapport à la succession. Il est ainsi possible, ainsi que l'article 860, alinéa 4 du Code civil l'autorise, de prévoir une indemnité de rapport définitivement fixée dans l'acte de donation à une somme forfaitaire. Il est également possible de prévoir que le rapport sera de la valeur du bien au jour de la donation . Au décès du disposant, lorsqu'il faudra liquider et partager la succession, la donation prendra une nature mixte. Elle sera à la fois rapportable et préciputaire. Elle sera rapportable pour ce qui est prévu dans le forfait et, à ce titre, s'imputera prioritairement sur la réserve individuelle du gratifié et subsidiairement sur le disponible. Elle sera préciputaire pour l'avantage procuré au donataire par cette clause dérogatoire. Il faut donc calculer le rapport qui serait normalement dû, en déduire le forfait, et la différence ira s'imputer sur le disponible.
- Les dangers de cette clause. - Protéger, c'est aussi donner une certitude, une visibilité à celui que l'on gratifie. L'héritier débiteur d'un rapport est inévitablement soumis à une incertitude en raison des règles légales d'évaluation de son rapport (C. civ., art. 860). Ce qu'il devra à la succession est fonction de la conjoncture économique au jour du partage. Ce n'est pas toujours confortable. On peut alors comprendre que le disposant veuille figer le rapport pour donner cette certitude. Mais ce subterfuge n'est qu'illusoire, car ce n'est que déplacer l'incertitude puisqu'il faudra chiffrer cet avantage supplémentaire pour l'imputer sur le disponible. Il pourra être sujet à réduction . La seconde incertitude est relative à l'absence de règle dans le cas où la part rapportable (forfaitaire) dépasse la réserve individuelle du donataire et s'impute donc pour cet excès sur le disponible. Dans quel ordre imputer ces deux fractions de la donation ? Si le disponible est dépassé, l'enjeu est important pour les parties car le donataire aura intérêt à ce que la partie préciputaire s'impute en premier, l'autre partie étant toujours sujette au rapport. La doctrine reste hésitante . Il est donc vivement conseillé de prévoir un ordre d'imputation dans l'acte. La logique voudrait, dans le but de protéger au maximum le donataire, de prévoir que la part préciputaire s'imputera en premier sur le disponible et la part rapportable en second. Sans doute cette clause devrait, pour produire le maximum d'effet, être couplée avec la clause d'imputation sur la réserve globale pour la part rapportable…

L'aménagement de l'imputation de la donation d'un bien commun par les deux époux

Il est possible que les époux, dans la donation de biens communs faite à un enfant commun, prévoient que la donation s'imputera sur la succession du prémourant en totalité ou principalement sur celle du prémourant, et subsidiairement sur celle du second époux, ou bien même sur la seule succession du second époux.
- Imputation totale à la succession du premier. - Si cette clause est prévue, au décès du premier des époux la donation ne sera prise en compte que dans sa succession. L'exigence de ce rapport donnera lieu à une récompense due par la succession du prémourant à la communauté. L'équité et l'équilibre communautaire commandent que cette récompense soit égale au rapport qui sera calculé en fonction des règles de l'article 860 du Code civil, c'est-à-dire que le rapport sera égal à la valeur du bien au jour du partage dans son état au jour de la donation. Il s'agit d'une dette de valeur. La récompense devra être du même montant, sinon la succession se trouverait fictivement enrichie au détriment de la communauté (l'application stricte des règles en la matière voudrait que la récompense soit égale à la dépense faite, c'est-à-dire à la valeur du bien au jour de la donation) . L'impact de la clause est également fiscal, car il faut procéder à une nouvelle liquidation des droits de succession ; puisqu'une seule succession est concernée, il faut calculer les droits par rapport à un seul ascendant. Le donataire risque de ne bénéficier que d'un seul abattement et de grimper plus rapidement dans les étages du barème fiscal. Il y aura également lieu de liquider les droits des cohéritiers en fonction de ce rapport.
Sous l'angle de la protection, on ne voit pas vraiment l'intérêt de cette clause, si ce n'est d'anticiper le sort définitif de la donation au décès du premier et de donner un peu plus de sérénité au donataire une fois que son compte aura été fait au décès du prémourant. Cette clause n'est peut-être pas si fréquente en pratique. Elle peut néanmoins, dans certaines situations, s'avérer utile.
- Imputation supérieure à la succession du premier et inférieure à celle du second. - Par exemple, il est convenu que la donation s'imputera pour les trois quarts sur la succession du premier et pour le quart restant sur celle du second. Il y aura dans ce cas deux récompenses : une première due par la succession du prémourant (trois quarts) pour la part de la donation imputable à sa succession, et une seconde due par le survivant pour la part correspondant à celle qui sera imputable à sa propre succession (un quart). Comme dans l'hypothèse précédente, il faudra recalculer les droits de donation du donataire, mais aussi des cohéritiers. Ces conventions ne sont pas sans impact sur les droits du conjoint survivant, impact qu'il est important de mesurer pour éviter d'alourdir sa situation.
- Imputation totale au décès du second. - Le rapport est intégralement différé au décès du second. Le conjoint survivant devra alors à la communauté une récompense égale à la valeur du bien au jour de la donation. C'est au décès du second que la donation sera traitée comme telle.
- Conclusion sur ces clauses. - Si ces modalités dérogatoires du rapport peuvent dans certaines situations bien spécifiques trouver preneur, elles suscitent malgré tout la perplexité. En effet, elles ajoutent un aléa quant au rapport : celui lié à l'ordre des décès. Difficile d'anticiper un rapport à une succession quand on ne sait de quelle succession il s'agit. Sur le plan fiscal, l'intérêt ne semble pas exister.

Les plus-values apportées par le donataire

- La prise en compte de l'état du bien au jour de la donation. - On sait que le rapport, en application de l'article 860 du Code civil, est égal à la valeur du bien au jour du partage dans l'état où il était au jour de la donation. En d'autres termes, les créanciers du rapport ne peuvent pas bénéficier des plus-values apportées par le donataire. L'application de cette règle, parfaitement juste et équitable, se heurte à la preuve de l'état du bien au jour de la donation. Il est donc important de se ménager cette preuve dès l'acte de donation :
  • pour les immeubles, ce pourra être à l'image de ce qui est exigé pour les ventes : des diagnostics techniques établis par un professionnel certifié, un rapport rédigé par un homme de l'art, ou tout simplement des photos qui seraient annexées à l'acte. La technologie facilite l'intégration de telles pièces à l'acte authentique de donation ;
  • pour les titres de société de personnes dans laquelle le donataire a effectivement une activité : annexer les comptes de la société (bilans et comptes de résultats), voire le compte client, pour que le donataire ne soit pas victime de son dynamisme.
Ces précautions peuvent sembler un peu simplistes, mais elles éviteraient sans doute bien des discussions au moment du partage. La preuve de l'état du bien au jour de la donation peut également jouer en faveur des cohéritiers, car si les plus-values dues au donataire ne leur profitent pas, ils ne doivent pas non plus subir les dégradations et les moins-values qu'il pourrait avoir provoquées.