Les quotients de la réserve et de la quotité disponible : l'équilibre mathématique entre les proches

Les quotients de la réserve et de la quotité disponible : l'équilibre mathématique entre les proches

Une fois la masse de calcul chiffrée, il y a lieu de lui appliquer un quotient pour déterminer d'un côté la réserve héréditaire, et corrélativement de l'autre côté la quotité disponible. Le taux de la réserve varie en fonction de la qualité du proche qu'elle protège : conjoint ou descendant (§ I). Le niveau de protection du réservataire est plus ou moins fort selon la qualité du gratifié. Dans ce cas, il y a un arbitrage délicat entre la protection du conjoint survivant et celle des descendants et éventuellement d'autres gratifiés (§ II).

La protection des plus proches (descendants et conjoint)

Il s'agit de fixer la quotité disponible ordinaire et donc la réserve des descendants et du conjoint.
- La protection des descendants. - À la date de rédaction du présent rapport, la quotité disponible dépend du nombre d'enfants laissés par le de cujus. Ainsi l'article 913 du Code civil énonce qu'en présence d'un enfant, la quotité disponible est de moitié et la réserve de moitié ; en présence de deux enfants, la quotité disponible est d'un tiers et la réserve des deux tiers ; et en présence de trois enfants ou plus, la quotité disponible est du quart et la réserve héréditaire des trois quarts. La quotité disponible en présence de descendants ne peut donc jamais être inférieure au quart de la succession, ce qui est de nature à garantir le principe d'une liberté testamentaire. Il s'agit là du montant de la réserve globale, laquelle se divise en fonction du nombre d'enfants. Si la succession est dévolue à des descendants de degré subséquents (petits enfants), la réserve globale est répartie par souche. L'enfant renonçant, censé n'avoir jamais existé au regard de la succession, n'est pas pris en compte pour ce calcul (C. civ., art. 913, al. 2). De la même manière, l'enfant indigne ne compte pas pour ce calcul. Tant la renonciation que l'indignité ne bénéficient pas aux autres enfants, et c'est quelque part la volonté de la victime de l'indignité qui est ainsi protégée. Il faut ajouter qu'il existe deux exceptions à l'exception : si le renonçant ou l'indigne est lui-même représenté par ses descendants, ou si le renonçant a reçu une donation dans laquelle figure la clause dite « de rapport en cas de renonciation » prévue à l'article 845 du Code civil. Dans ces deux cas, le renonçant ou l'indigne est pris en compte et la réserve globale est répartie par souche et au sein de chaque souche par tête. La part de réserve reçue par chacun constitue sa réserve individuelle.
- La réserve du conjoint. - L'article 914-1 du Code civil confère au conjoint survivant une réserve héréditaire d'un quart (en l'absence de descendant bien évidemment). Étant seul à bénéficier de cette réserve, la notion de réserve globale n'a pas de sens sauf s'il existe une situation polygamique née régulièrement à l'étranger et qui serait reconnue en France. Dans ce cas, les conjoints survivants se partageraient cette réserve par tête.

La protection renforcée mais facultative du conjoint survivant

Il n'y a jamais cumul de réserve entre les descendants et le conjoint survivant. Toutefois, en présence d'un conjoint survivant, la réserve des descendants va être atténuée à son profit : le conjoint survivant bénéficie alors d'une quotité disponible spéciale. Cette dernière va permettre au de cujus d'aller au-delà de la dévolution légale pour protéger son conjoint. L'usage de cette protection volontaire passe nécessaire par une libéralité, soit une donation en cas de survie (institution contractuelle), soit un testament.
- La quotité disponible entre époux : une protection « à la carte ». - L'article 1094-1 du Code civil énonce que la quotité disponible entre époux est égale soit :
  • à la quotité disponible ordinaire (la moitié, un tiers ou un quart) ;
  • à la totalité en usufruit (la réserve est donc de la totalité en nue-propriété) ;
  • à un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit.
On voit bien qu'avec ces quotités offertes au conjoint survivant , le législateur a voulu lui donner une protection différente tout en ménageant les droits des réservataires. Ainsi le conjoint survivant pourra, en présence d'une libéralité qui lui confère ce choix, toujours bénéficier de l'usufruit de toute la succession, ce qu'un étranger ne pourra jamais avoir. De manière assez symétrique, le conjoint survivant ne pourra jamais percevoir en pleine propriété plus qu'un étranger le pourrait. Il s'agit d'un compromis de protection entre les uns et les autres.

La donation entre époux, toujours une bonne protection !

Il est vrai que depuis que la loi du 23 juin 2006 a porté la vocation légale du conjoint survivant à la totalité en usufruit des biens de la succession (en l'absence d'enfant issu d'un autre lit), on peut s'interroger sur l'utilité des dispositions à cause de mort conférant au survivant ce disponible spécial. La vocation légale serait une protection suffisante du conjoint. Ce raisonnement légitime est sans doute un peu rapide, car la donation entre époux (ou un testament léguant au conjoint survivant cette quotité disponible spéciale) conserve son intérêt au regard de la protection de ce conjoint :

- L'exercice de l'option par le conjoint. - L'option à exercer par le conjoint survivant est un droit discrétionnaire et nul ne pourrait contester son choix. Pour être opposable aux descendants, l'acte d'option devra leur être signifié par acte d'huissier sauf à ce qu'ils interviennent audit acte pour en prendre connaissance et dispenser d'une telle signification. En cas de décès du conjoint survivant avant l'option, à la différence de ce que le Code civil prévoit pour ses droits légaux, l'option sera transmise à ses héritiers qui choisiront la quotité qui leur sera la plus avantageuse (en pleine propriété car l'usufruit du conjoint, par définition, s'est éteint), sauf si la libéralité a prévu qu'à défaut d'option de son vivant le conjoint est réputé avoir opté pour l'universalité en usufruit .

L'option du conjoint en usufruit et la protection du nu-propriétaire réservataire

Il est tentant de vouloir protéger au maximum le conjoint survivant titulaire de droits en usufruit et de le dispenser de toutes les obligations qui visent à garantir au nu-propriétaire qu'il récupérera ses biens. Ces garanties sont l'obligation de fournir caution, de dresser inventaire des meubles ainsi que de l'état des immeubles, et qu'il soit fait emploi pour les sommes d'argent (quasi-usufruit). Précisons simplement que le disposant, dans l'acte constitutif de la libéralité (dans le testament ou la donation), ne peut valablement ni dispenser de dresser inventaire ni de faire emploi des sommes (C. civ., art. 1094-3). La seule dispense valable est celle de fournir caution. Par contre, une fois le décès survenu, il est possible de dispenser le conjoint de l'emploi des fonds grevés. Néanmoins, il importe d'attirer l'attention du nu-propriétaire qui risque, si le conjoint consomme tous les fonds successoraux grevés de cet usufruit, de ne pas, au décès du survivant, pouvoir recouvrer les sommes qui lui reviennent, l'actif de succession n'étant pas suffisant pour honorer la dette de restitution.

Il peut être conseillé d'établir une convention entre usufruitier et nu-propriétaire organisant les pouvoirs de l'usufruitier (actes qu'il peut accomplir seul ou ceux qui nécessitent l'accord des deux), l'information régulière du nu-propriétaire sur l'état des biens concernés, le support financier ou bancaire de ces biens (titularité du compte, produits de placement, <em>etc.</em>). Cette convention constitue un élément de preuve de la dette de l'usufruitier opposable à l'administration fiscale lors de son décès.