Le calcul de la réserve

Le calcul de la réserve

La réserve héréditaire et la quotité disponible sont les deux parts qui divisent le patrimoine du défunt. La détermination de l'une permet par déduction celle de l'autre ; elles sont complémentaires. On les détermine par application d'un quotient (Sous-section II) sur une masse de calcul purement théorique (Sous-section I).

La masse de calcul de la réserve

Cette masse de calcul de la quotité disponible dont la règle est énoncée à l'article 922 du Code civil comprend l'actif net existant (§ I) auquel on réunit fictivement tous les biens dont le de cujus a disposé à titre gratuit de son vivant (§ II).

L'actif net existant

Les biens laissés par le défunt

- L'actif existant. - Les premiers éléments de cette masse sont les biens que le défunt laisse à son décès, même ceux dont il a disposé par testament. Il s'agit des biens dont le de cujus était encore propriétaire à son décès : les objets mobiliers meubles meublants, les avoirs bancaires et financiers, les véhicules, les fonds de commerce, les parts de société, les biens immobiliers, les droits pécuniaires de l'auteur, etc. Ces biens intègrent la masse pour leur valeur au jour du décès (et pas celle au jour où la liquidation et le partage sont faits). L'inventaire successoral prend ici toute son importance et il ne peut qu'être conseillé à l'héritier qui envisage d'intenter une action en réduction de requérir sans tarder l'inventaire successoral qui comprendra obligatoirement la prisée du mobilier ainsi que l'analyse des titres et des papiers du défunt . Seule la date du décès étant considérée pour établir cette masse de calcul, les fruits et intérêts des biens successoraux postérieurs au décès en sont exclus, tout comme les intérêts des indemnités de rapport . Cette masse, purement mathématique et théorique, se distingue de la masse à partager à laquelle ces revenus indivis appartiennent. Pour un époux commun en biens, l'actif existant comprendra évidemment la moitié du boni de communauté à laquelle seront ajoutés ses propres et éventuellement le solde de son compte de récompenses.

Les successions anomales

Il s'agit des successions dont la dévolution n'a pas lieu selon les règles classiques déterminées par le lien qui unit le successeur et de cujus, mais en fonction de l'origine ou de la nature des biens ainsi transmis .
- Les biens soumis à un droit de retour légal. - Cette question ne se pose que pour la réserve du conjoint survivant puisqu'il n'y a jamais retour légal en présence de descendants. Si ces biens n'ont pas été légués, ils retournent par le fait du décès dans le patrimoine des bénéficiaires du retour. Ils disparaissent de la succession, la succession anomale s'ouvre pleinement et, la réserve ne s'appliquant qu'à la succession ordinaire, ils ne doivent pas intégrer la masse de calcul. Par contre, si ces biens ont été légués, alors le droit de retour ne s'ouvre pas et ils doivent figurer dans l'actif existant : il s'agit du droit de retour des frères et sœurs . Pour le droit de retour des père et mère, la question est plus complexe dans la mesure où il s'agit d'un droit d'ordre public et que les biens font retour au parent, mais à titre d'attribution de leur part dans la succession. Il semble donc bien difficile de les soustraire de cette masse de calcul .
- Propriété littéraire et artistique. - On sait que l'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle attribue au conjoint survivant l'usufruit des droits d'exploitation dont l'auteur n'a pas disposé. Mais le texte ajoute qu'en présence de réservataires, ce droit d'usufruit est réduit suivant les « proportions et distinctions établies par l'article 913 du Code civil ». La question est de savoir si ces biens intègrent la masse de calcul de la succession ordinaire ou s'il faut appliquer les quotités de l'article 913 sur ces droits pécuniaires en se fondant sur le caractère anomal de cette dévolution. La doctrine est divisée et la jurisprudence ne permet pas de dégager une solution .

Les déductions

- Le passif et les charges de succession. - Doivent être déduits de l'actif existant :
  • toutes les dettes du défunt au jour de sa mort (exigibles ou non encore exigibles) ;
  • son éventuel solde débiteur de compte de récompense s'il était soumis à un régime de communauté) ;
  • certaines charges de succession comme les frais funéraires, les frais de logement du conjoint ou du partenaire, la créance de salaire différé ou la créance du conjoint collaborateur, les frais de liquidation et de partage de la succession (ne sont pas déduits les frais de délivrance de legs [cf. C. civ., art. 1016], ni les droits de mutation par décès).
Le total du passif et des charges est alors déduit du total de l'actif existant. Est ainsi déterminé l'actif net existant auquel il faut désormais réunir fictivement les donations consenties par le défunt.

La réunion fictive des donations

- Objectif : la reconstitution du patrimoine du de cujus . - La réserve héréditaire par essence est une limitation au droit de disposer à titre gratuit à cause de mort ou entre vifs. Aussi l'on ne saurait la calculer sur les seuls biens existants. Il faut donc reconstituer le patrimoine que le de cujus aurait laissé à son décès s'il n'avait pas consenti de libéralité et plus particulièrement de donation . Il y a donc lieu de réunir « fictivement » les donations que le de cujus a consenties à l'actif net existant. Il s'agit là d'une opération purement comptable et cette masse de calcul ne saurait en rien être confondue avec une quelconque masse à partager ; cette réunion fictive n'impose pas au donataire de restituer le bien donné. La réunion fictive des donations implique deux questions : les donations concernées et la valeur prise en compte pour cette réunion.

Les donations concernées et les actes exclus

- Les libéralités soumises à réunion fictive. - Le principe est la soumission de toutes les donations à la réunion fictive .
  • Ainsi la qualité des donataires est indifférente ; qu'ils soient successibles ou non, les donations dont ils ont bénéficié sont à intégrer à cette masse de calcul.
  • La forme de la donation est également indifférente : donation ostensible, don manuel, donation déguisée ou indirecte, toutes sont soumises à la réunion fictive !
  • La nature de l'objet de la donation est également indifférente, il peut s'agir de biens donnés prélevés sur des revenus ou sur du capital.
  • La nature même de la donation est également indifférente : les donations par contrat de mariage, les donations-partages, les donations-partages transgénérationnelles, donation résiduelle ou graduelle, etc.
  • Enfin, les donations sont à réunir fictivement sans considérer leur régime successoral en ce sens que les donations hors part successorale y sont soumises comme celles en avancement de part successorale.
- Les pseudo-libéralités exclues de la réunion fictive. - Ne sont pas soumis à la réunion fictive :
  • les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation et d'apprentissage, de noces ainsi que les présents d'usage et les donations rémunératoires ;
  • n'est pas intégré à la masse de calcul de la réserve héréditaire le bénéfice des assurances-vie (C. assur., art. L. 132-13) sauf si les primes sont manifestement exagérées.
Toutes ces opérations sont exclues, par principe, de la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire. Toutefois, il est admis que le de cujus, manifestant une volonté contraire, puisse faire en sorte de les y inclure .
Échappent à cette réunion fictive les revenus et fruits des biens donnés procurés au donataire depuis la donation jusqu'au décès, tout comme ils échappent au rapport .
- La présomption de l'article 918 du Code civil. - Une des difficultés en la matière est de prouver l'existence de l'acte de donation soumis à réunion fictive. La preuve se fait par écrit, mais pourra avoir lieu par tous moyens. À titre exceptionnel, l'article 918 du Code civil soumet impérativement à la réunion fictive des libéralités la valeur en pleine propriété des biens vendus par le de cujus à un successible en ligne directe à charge de rente viagère, à fonds perdu ou avec réserve d'usufruit . Cette règle est une présomption irréfragable de donation déguisée pour un tel acte de vente. À cette première présomption s'ajoute la seconde : la donation est présumée avoir été consentie hors part successorale de sorte qu'elle s'imputera sur la quotité disponible. Le surplus sera sujet à réduction. Cette double présomption s'impose même si le donataire justifie avoir payé le prix, notamment par la souscription d'un emprunt à cet effet . Les héritiers qui auraient consenti à l'acte ne peuvent toutefois pas en demander la réduction. Ce texte, en raison de sa sévérité et des conséquences particulièrement graves pour son « bénéficiaire », est d'interprétation stricte. Aussi il ne s'applique pas si le successible n'avait pas la qualité d'héritier au jour de l'acte . Cette disposition a souvent été jugée excessive . Pour autant, le Conseil constitutionnel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, ne l'a pas considérée comme portant une atteinte disproportionnée aux motifs d'intérêt général qui fonde cet article (c'est l'ancienne rédaction de l'article 918 qui était soumise au Conseil constitutionnel, mais la réponse nous paraît parfaitement transposable à sa rédaction actuelle) .
Une fois qualifiée de libéralité soumise à la réunion fictive, le liquidateur doit déterminer la valeur qui doit être ajoutée à cette masse de calcul.

Les avantages matrimoniaux et la réunion fictive

La nature des avantages matrimoniaux a, depuis la construction de cette notion, toujours suscité des doutes tant elle est entourée d'une épaisse nuée . Tantôt libéralité tantôt convention de mariage, l'avantage matrimonial a une nature incertaine et ambivalente, et est soumis à des régimes juridiques différents selon la situation. S'agissant du calcul de la réserve héréditaire, le principe est son exclusion de la masse de calcul, car il n'est pas assimilable à une libéralité. Toutefois, si l'avantage matrimonial en question fait l'objet d'une action en retranchement , alors il dégénère en donation par contrat de mariage et doit donc à ce titre être réuni fictivement à la masse de calcul . Cette règle résulte de l'article 1527, alinéa 2 du Code civil. Il est toutefois possible aux bénéficiaires de cette action en retranchement d'y renoncer par anticipation, dans les mêmes conditions que la renonciation anticipée à l'action en réduction.

L'évaluation des donations réunies fictivement

- Le principe de la dette de valeur. - L'idée qui préside à la valorisation des biens réunis fictivement, comme en matière de rapport, est de considérer que le bien est resté dans le patrimoine du de cujus, comme s'il ne l'avait pas donné. Aussi l'article 922 du Code civil prescrit-il de prendre en considération, au jour du décès, la valeur du bien donné dans l'état où il était au jour de la donation. Les améliorations faites par le donataire n'ont pas à profiter aux autres successeurs. Corrélativement, sa mauvaise gestion ne doit pas leur nuire. Il n'y a pas lieu d'opérer de distinction entre l'état juridique et l'état matériel. Les plus-values ou moins-values fortuites sont à prendre en considération. Si le bien donné a péri par cas fortuit, alors il n'a pas à être réuni fictivement. Par contre, s'il a péri par la faute ou la négligence du donataire, il doit en ce cas être intégré à la masse pour la valeur qu'il aurait eue au décès, s'il n'avait pas disparu. Tout comme en matière de rapport, il est vivement conseillé, dans le but de préserver et donc de protéger les intérêts de chacun, et pour une liquidation juste et équitable de la succession, d'établir un état précis des biens donnés . Pour un immeuble, il pourra s'agir d'un état des lieux accompagné de photographies et éventuellement d'un diagnostic ou descriptif établi par un homme de l'art (un architecte ou un expert).

La préconstitution de la preuve de l'état de titres sociaux au jour de la donation

Le mécanisme de la dette de valeur et les titres sociaux ne font pas toujours bon ménage. En effet le patrimonialisme, pour calculer la dette de valeur que ce soit au titre de la liquidation d'un régime matrimonial ou d'une succession, doit apprécier la valeur de ces titres soit au jour du décès (réunion fictive), soit au jour de la liquidation-partage (récompense, créance de participation), mais dans l'état où le bien était lorsqu'il est entré dans le patrimoine du débiteur de la dette de valeur. Or une société a une vie ; son activité et donc sa valeur sont fonction certes de la conjoncture économique, mais aussi de l'énergie déployée et des décisions prises dans sa gestion. Si le donataire a pris part de manière importante à la gestion de l'entreprise et a donc eu une influence certaine dans l'évolution de sa valeur, il y aura lieu de lui en tenir compte. La difficulté réside dans la distinction entre la variation normale du titre social et celle due au donataire. Il pourra donc être utile d'annexer à l'acte de donation non seulement une attestation de l'expert-comptable sur la valeur des titres donnés, mais aussi les comptes sociaux (comptes de résultat et bilan), ce qui pourra permettre d'apprécier à la fois le patrimoine de la société et son activité .
- L'aliénation du bien donné et la subrogation. - L'article 922 du Code civil ajoute que si le bien a été aliéné par le donataire, la valeur prise en compte est celle au jour de l'aliénation, mais toujours dans son état à l'époque de la donation. Par aliénation, il pourra s'agir d'un acte à titre gratuit ou à titre onéreux. Dans ce dernier cas, la valeur au jour de l'aliénation sera a priori le prix de vente, mais il sera possible de retenir la valeur réelle du bien au jour de la vente ou la valeur de ce bien en faisant abstraction des plus-values apportées par le donataire lui-même . Comme bien souvent en droit, tout est question de preuve ! Si le prix de vente de ce bien donné n'a pas été employé dans un nouveau bien, alors la valeur à considérer dans la réunion fictive est gelée et ne variera plus. Par contre, si le prix de vente a été utilisé pour acquérir tout ou partie d'un nouveau bien, alors c'est la valeur, au jour du décès, de ce bien (ou de la quote-part de ce bien) ainsi acquis qui est prise en compte. Ce nouveau bien doit être apprécié dans son état au jour de son acquisition. Cette subrogation peut être totale ou partielle en ce sens qu'une partie du prix du bien donné sera employée dans l'acquisition d'un nouveau bien et l'autre partie ne le sera pas. Une partie de la réunion fictive sera alors soumise au valorisme (profit subsistant), et l'autre partie au nominal (somme encaissée).
Si le bien acquis par subrogation est un bien de consommation, c'est-à-dire un bien dont la dépréciation est inéluctable au jour de son acquisition, la valeur à retenir pour la réunion fictive est alors celle du bien donné au jour de son aliénation. La subrogation ne joue pas. Cette dernière précision, fort logique et juste, a été apportée par la loi du 23 juin 2006.

Donations en démembrement de propriété et réunion fictive

Plusieurs cas sont à distinguer.
  • Dans la première hypothèse, le démembrement de propriété a disparu au jour de la réunion fictive (au décès). Cela vise les cas où le de cujus a consenti une donation en se réservant l'usufruit du bien donné. La pleine propriété est alors reconstituée sur la tête du donataire devenu plein propriétaire . Pour les donations d'usufruit (le donateur s'en étant réservé la nue-propriété), et si cet usufruit s'est éteint du vivant du donateur (soit l'usufruitier lui est prédécédé, soit il s'agissait d'un usufruit temporaire dont le terme était atteint), la question est de savoir si l'usufruit donné étant égal à zéro n'est pas réuni fictivement ou bien s'il devrait en être tenu compte en le faisant figurer dans la masse de calcul non pas au titre de la réunion fictive, mais au titre des biens existants. Ces règles, que ce soit au titre du rapport ou au titre de la réduction, peuvent paraître inéquitables et non protectrices car celui qui n'a reçu que de la nue-propriété (et donc n'aura perçu aucun revenu sur le bien donné) est traité à l'identique de celui qui a reçu la pleine propriété. Un mouvement doctrinal semble émerger pour contester ces règles .
  • La seconde hypothèse concerne les cas où, au décès, l'usufruit n'est pas éteint soit qu'il bénéficie à un tiers (par ex., un usufruit réversible), soit qu'il s'agit d'un usufruit constitué sur la tête du donataire encore vivant au décès du de cujus. Il y a lieu alors d'ajouter la valeur de ces droits d'usufruit donné à la masse de calcul, la nue-propriété correspondant y figurant soit au titre de la réunion fictive si elle a été donnée, soit au titre de l'actif existant si le défunt en demeurait titulaire. Il y aura seulement une incidence sur l'imputation, pour laquelle on peut soit convertir en valeur les droits démembrés, soit les imputer en assiette.
- Les donations-partages unanimes. - Une exception importante à la règle d'évaluation au décès des biens donnés en vue de leur réunion fictive existe lorsque ces biens ont été donnés au moyen d'une donation-partage. En effet, l'article 1078 du Code civil prescrit que les biens donnés doivent être pris en compte pour le calcul de la quotité disponible et l'imputation pour leur valeur au jour non pas du décès, mais de la donation-partage. Cette règle, protectrice des copartagés, est soumise à plusieurs conditions :
  • tous les réservataires doivent avoir été allotis à l'acte de donation-partage et doivent l'avoir acceptée ;
  • l'acte de donation-partage ne doit pas porter sur une somme d'argent avec réserve d'usufruit ;
  • il ne doit pas avoir été stipulé à l'acte la non-application de l'article 1078 du Code civil, qui n'est pas d'ordre public.
Si toutes ces conditions sont remplies, la valeur des biens donnés à retenir pour le calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible est donc celle au jour de la donation-partage. Si la valeur des biens a augmenté de par la seule conjoncture économique, la non-prise en considération de ces plus-values dans le calcul de la quotité disponible réduit proportionnellement sa quotité disponible. Si l'auteur de la donation-partage privilégie la protection de ses successibles contre une éventuelle remise en cause des attributions par le jeu de la réduction des libéralités, alors l'article 1078 du Code civil a vocation à le satisfaire. Par contre, s'il considère primordiale sa liberté de disposer à titre gratuit et plus particulièrement par testament, alors il lui sera vivement conseillé d'écarter l'article 1078 dudit code.
Reste la question de l'application de l'article 1078 du Code civil à de la nue-propriété. Certains auteurs considèrent qu'il y a de considérer les lots dans leur valeur au jour de la donation-partage, et qu'en conséquence les biens devraient être incorporés à la masse de calcul pour la valeur de leur nue-propriété au jour de la donation . Toutefois, il est sans doute préférable, faute de texte précis pour une telle dérogation, d'appliquer le principe général, à savoir d'intégrer la valeur en pleine propriété du bien pour sa valeur et donc son état au jour de la donation-partage .
- Appréciation de ces règles au regard de la protection des protagonistes. - Que penser de ce système de la dette de valeur ? La difficulté majeure de ce mécanisme de la dette de valeur réside dans l'appréciation de cet état « d'origine » du bien et sa valorisation plusieurs décennies après la donation. Dans la plupart des cas, il n'aura pas été établi d'inventaire de cet état du bien et de ses équipements au moment de la donation. Et très souvent, il sera difficile voire impossible d'apprécier les améliorations réalisées par l'héritier.
Par ailleurs, certaines évolutions de cet état peuvent susciter quelques difficultés importantes :
  • prenons l'exemple où le bien donné est une entreprise (ou des titres sociaux représentatifs d'une entreprise) dans laquelle le donataire a exercé des fonctions de dirigeant. N'est-il pas vain de vouloir dissocier les plus-values dues à l'activité du donataire dirigeant de celles dues à la simple évolution économique ? Les précautions que nous venons de voir ne seront pas toujours suffisantes.
  • Qu'en est-il également d'un portefeuille de titres où les opérations d'arbitrage, l'exercice de droits préférentiels de souscription, l'attribution d'actions nouvelles au lieu et place de dividendes se sont succédé sur de nombreuses années ?… Le calcul de cette indemnité de rapport devient un travail de bénédictin quasiment impossible.
La subrogation n'est-elle pas allée un peu trop loin dans la dette de valeur (V. supra, no ) ?
Dans ces conditions mieux vaut être simple emprunteur plutôt que gratifié , mieux vaut être cigale que fourmi, et en somme l'enfant prodigue demeure le préféré, mais cela n'est pas nouveau .
De même, les difficultés probatoires que nous avons vues il y a quelques instants s'amplifient avec la subrogation. En effet, comment prouver que, l'argent, bien fongible par excellence, provenant de la vente d'un bien, a servi à acquérir tout ou partie d'un autre bien ?
Prenons un nouvel exemple : si le donataire a vendu son bien 100 000, a encaissé le prix sur son compte courant déjà bien garni d'une somme identique et, dans la foulée, achète une voiture pour 100 000 et un appartement à Arcachon pour 100 000 €. Ses cohéritiers vont revendiquer le rapport pour la valeur de l'appartement au jour du partage, car il a tout simplement doublé de valeur alors que la voiture, parce que ce n'est pas une Bugatti, vaut trois fois moins ! Bien malin celui qui aura la réponse !
Et puis compliquons encore un peu. Imaginons que le bien subrogé a été amélioré par le gratifié. Alors bien évidemment et en toute logique, il faudra faire abstraction de ces améliorations. Et si le prix d'acquisition était inférieur au prix de vente du bien donné, alors le rapport ou la réunion fictive sera mixte : pour partie la subrogation jouera, et pour le reste, ce sera le nominal.
La tâche du liquidateur sera d'autant plus lourde que cette subrogation peut jouer… à l'infini.
Pour ces raisons peut-être devrions-nous nous interroger sur la pertinence et l'équilibre de cette subrogation dans la dette de valeur. Ne pourrait-on pas arrêter le jeu de la dette de valeur dès lors que le bien donné a été aliéné ? La valeur à prendre en compte serait alors le prix de vente qui pourrait être revalorisé selon un indice tel que celui des prix à la consommation . Ce système de revalorisation serait sans doute plus juste, plus prévisible et plus simple à pratiquer, car, avouons-le, l'application parfaite de ces principes relève le plus souvent de l'utopie .
L'opération soi-disant purement mathématique n'est donc pas si simple malgré son caractère objectif, outre qu'ici, elle ne nous semble pas très équitable.

Les quotients de la réserve et de la quotité disponible : l'équilibre mathématique entre les proches

Une fois la masse de calcul chiffrée, il y a lieu de lui appliquer un quotient pour déterminer d'un côté la réserve héréditaire, et corrélativement de l'autre côté la quotité disponible. Le taux de la réserve varie en fonction de la qualité du proche qu'elle protège : conjoint ou descendant (§ I). Le niveau de protection du réservataire est plus ou moins fort selon la qualité du gratifié. Dans ce cas, il y a un arbitrage délicat entre la protection du conjoint survivant et celle des descendants et éventuellement d'autres gratifiés (§ II).

La protection des plus proches (descendants et conjoint)

Il s'agit de fixer la quotité disponible ordinaire et donc la réserve des descendants et du conjoint.
- La protection des descendants. - À la date de rédaction du présent rapport, la quotité disponible dépend du nombre d'enfants laissés par le de cujus. Ainsi l'article 913 du Code civil énonce qu'en présence d'un enfant, la quotité disponible est de moitié et la réserve de moitié ; en présence de deux enfants, la quotité disponible est d'un tiers et la réserve des deux tiers ; et en présence de trois enfants ou plus, la quotité disponible est du quart et la réserve héréditaire des trois quarts. La quotité disponible en présence de descendants ne peut donc jamais être inférieure au quart de la succession, ce qui est de nature à garantir le principe d'une liberté testamentaire. Il s'agit là du montant de la réserve globale, laquelle se divise en fonction du nombre d'enfants. Si la succession est dévolue à des descendants de degré subséquents (petits enfants), la réserve globale est répartie par souche. L'enfant renonçant, censé n'avoir jamais existé au regard de la succession, n'est pas pris en compte pour ce calcul (C. civ., art. 913, al. 2). De la même manière, l'enfant indigne ne compte pas pour ce calcul. Tant la renonciation que l'indignité ne bénéficient pas aux autres enfants, et c'est quelque part la volonté de la victime de l'indignité qui est ainsi protégée. Il faut ajouter qu'il existe deux exceptions à l'exception : si le renonçant ou l'indigne est lui-même représenté par ses descendants, ou si le renonçant a reçu une donation dans laquelle figure la clause dite « de rapport en cas de renonciation » prévue à l'article 845 du Code civil. Dans ces deux cas, le renonçant ou l'indigne est pris en compte et la réserve globale est répartie par souche et au sein de chaque souche par tête. La part de réserve reçue par chacun constitue sa réserve individuelle.
- La réserve du conjoint. - L'article 914-1 du Code civil confère au conjoint survivant une réserve héréditaire d'un quart (en l'absence de descendant bien évidemment). Étant seul à bénéficier de cette réserve, la notion de réserve globale n'a pas de sens sauf s'il existe une situation polygamique née régulièrement à l'étranger et qui serait reconnue en France. Dans ce cas, les conjoints survivants se partageraient cette réserve par tête.

La protection renforcée mais facultative du conjoint survivant

Il n'y a jamais cumul de réserve entre les descendants et le conjoint survivant. Toutefois, en présence d'un conjoint survivant, la réserve des descendants va être atténuée à son profit : le conjoint survivant bénéficie alors d'une quotité disponible spéciale. Cette dernière va permettre au de cujus d'aller au-delà de la dévolution légale pour protéger son conjoint. L'usage de cette protection volontaire passe nécessaire par une libéralité, soit une donation en cas de survie (institution contractuelle), soit un testament.
- La quotité disponible entre époux : une protection « à la carte ». - L'article 1094-1 du Code civil énonce que la quotité disponible entre époux est égale soit :
  • à la quotité disponible ordinaire (la moitié, un tiers ou un quart) ;
  • à la totalité en usufruit (la réserve est donc de la totalité en nue-propriété) ;
  • à un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit.
On voit bien qu'avec ces quotités offertes au conjoint survivant , le législateur a voulu lui donner une protection différente tout en ménageant les droits des réservataires. Ainsi le conjoint survivant pourra, en présence d'une libéralité qui lui confère ce choix, toujours bénéficier de l'usufruit de toute la succession, ce qu'un étranger ne pourra jamais avoir. De manière assez symétrique, le conjoint survivant ne pourra jamais percevoir en pleine propriété plus qu'un étranger le pourrait. Il s'agit d'un compromis de protection entre les uns et les autres.

La donation entre époux, toujours une bonne protection !

Il est vrai que depuis que la loi du 23 juin 2006 a porté la vocation légale du conjoint survivant à la totalité en usufruit des biens de la succession (en l'absence d'enfant issu d'un autre lit), on peut s'interroger sur l'utilité des dispositions à cause de mort conférant au survivant ce disponible spécial. La vocation légale serait une protection suffisante du conjoint. Ce raisonnement légitime est sans doute un peu rapide, car la donation entre époux (ou un testament léguant au conjoint survivant cette quotité disponible spéciale) conserve son intérêt au regard de la protection de ce conjoint :

- L'exercice de l'option par le conjoint. - L'option à exercer par le conjoint survivant est un droit discrétionnaire et nul ne pourrait contester son choix. Pour être opposable aux descendants, l'acte d'option devra leur être signifié par acte d'huissier sauf à ce qu'ils interviennent audit acte pour en prendre connaissance et dispenser d'une telle signification. En cas de décès du conjoint survivant avant l'option, à la différence de ce que le Code civil prévoit pour ses droits légaux, l'option sera transmise à ses héritiers qui choisiront la quotité qui leur sera la plus avantageuse (en pleine propriété car l'usufruit du conjoint, par définition, s'est éteint), sauf si la libéralité a prévu qu'à défaut d'option de son vivant le conjoint est réputé avoir opté pour l'universalité en usufruit .

L'option du conjoint en usufruit et la protection du nu-propriétaire réservataire

Il est tentant de vouloir protéger au maximum le conjoint survivant titulaire de droits en usufruit et de le dispenser de toutes les obligations qui visent à garantir au nu-propriétaire qu'il récupérera ses biens. Ces garanties sont l'obligation de fournir caution, de dresser inventaire des meubles ainsi que de l'état des immeubles, et qu'il soit fait emploi pour les sommes d'argent (quasi-usufruit). Précisons simplement que le disposant, dans l'acte constitutif de la libéralité (dans le testament ou la donation), ne peut valablement ni dispenser de dresser inventaire ni de faire emploi des sommes (C. civ., art. 1094-3). La seule dispense valable est celle de fournir caution. Par contre, une fois le décès survenu, il est possible de dispenser le conjoint de l'emploi des fonds grevés. Néanmoins, il importe d'attirer l'attention du nu-propriétaire qui risque, si le conjoint consomme tous les fonds successoraux grevés de cet usufruit, de ne pas, au décès du survivant, pouvoir recouvrer les sommes qui lui reviennent, l'actif de succession n'étant pas suffisant pour honorer la dette de restitution.

Il peut être conseillé d'établir une convention entre usufruitier et nu-propriétaire organisant les pouvoirs de l'usufruitier (actes qu'il peut accomplir seul ou ceux qui nécessitent l'accord des deux), l'information régulière du nu-propriétaire sur l'état des biens concernés, le support financier ou bancaire de ces biens (titularité du compte, produits de placement, <em>etc.</em>). Cette convention constitue un élément de preuve de la dette de l'usufruitier opposable à l'administration fiscale lors de son décès.