La vente du logement

La vente du logement

- La vente avec réserve du droit d'usage. - Désireuse de conserver son cadre de vie, la personne qui souhaite cependant anticiper et financer son éventuelle dépendance peut décider de vendre son logement, avec une réserve d'usufruit ou de droit d'usage et d'habitation, à son seul profit ou en prévoyant une réversibilité au profit d'un tiers. La vente d'un droit démembré de propriété n'appelle pas d'observations particulières, si ce n'est que l'on peut simplement souligner qu'elle est souvent conçue dans un cadre familial ou au profit d'institutionnels qui se sont spécialisés dans ce type d'opération. Il est possible d'aller plus loin. Il s'agit alors, par le biais de contrats particulièrement adaptés à la vulnérabilité, tout à la fois de vendre son logement, d'y demeurer et d'obtenir, en sus, une aide pécuniaire ou en nature. Sont ici visées, d'une part, la vente en viager (§ I) et, d'autre part, la vente contre soins (§ II).

La vente en viager

- L'intéressante option pour un viager occupé. - Encadrée par le Code civil aux articles 1968 à 1983, la vente d'un bien immobilier « en viager » est un contrat par lequel une personne, le crédirentier, vend un bien à une autre personne, le débirentier, moyennant la conversion du prix en l'attribution immédiate d'une somme d'argent et/ou d'une rente viagère périodique.
Si la vente en viager est une vieille institution, en apparence un peu poussiéreuse avec ses textes datant, pour la plupart d'entre eux, de 1804, elle n'en constitue pas moins une solution efficace pour répondre aux besoins de vie des personnes âgées qui ne disposent que de revenus limités, avec un patrimoine modeste, consistant essentiellement dans l'immeuble d'habitation qu'elles occupent. Le plus souvent, dans cette optique, elle prend la forme non pas d'un « viager libre » , mais plutôt celle d'un « viager occupé », laquelle consiste pour le vendeur à vendre la seule nue-propriété du bien ou à se réserver un droit d'usage et d'habitation. L'opération lui permet ainsi de conserver son lieu de vie, tout en se délestant de certaines dépenses telles que les gros travaux et la taxe foncière, puisqu'il n'est plus tenu que des charges dites « locatives ».
Elle constitue au surplus une source de financement non négligeable. Cette source peut être duale. Relevant du consensualisme des parties, le paiement du prix de vente est converti le plus souvent, d'une part, en un paiement comptant dit le « bouquet », offrant ainsi au vendeur une source de trésorerie à court terme d'un montant représentant généralement 10 % à 30 % du prix de vente de l'immeuble, suivant l'âge du vendeur, et, d'autre part, en un versement régulier d'une rente du vivant du vendeur, dite « arrérage », lequel contribue à créer une source de revenus complémentaires pour la personne âgée visant à faire face au coût de sa dépendance. Bien évidemment, afin que le vendeur conserve une équivalence de revenus en dépit de l'écoulement du temps, la rente doit être indexée. Le bouquet n'a rien d'obligatoire et le prix peut être entièrement constitué d'une rente viagère. Toutefois, en pratique, le vendeur aura souvent besoin de ce capital, qu'il s'agisse de vouloir le transmettre à sa famille ou d'en faire un usage personnel. Dans cette dernière optique, le capital ainsi perçu est souvent utilisé pour les besoins d'adaptation de son logement, mais il peut également servir à des investissements ou à une épargne de précaution, que le manque de moyens n'a pas permis de réaliser jusqu'alors .
Si elle jouit d'indéniables attraits pour le vendeur, la vente en viager présente également des intérêts pour l'acquéreur : d'une part, parce qu'en présence d'une réserve de jouissance il achète souvent moins cher et, d'autre part, car son financement s'en trouve facilité dans la mesure où il ne verse pas la totalité du prix au jour de la signature et s'évite la recherche parfois difficile d'un crédit bancaire. Et puis, il ne faut pas s'en cacher, se dessine généralement chez lui, en filigrane, l'espoir, discret et inconvenant, de faire une bonne affaire.
- Régime juridique de la vente en viager. - Ce contrat ayant déjà fait l'objet d'une analyse complète tant par la troisième commission du 102e Congrès des notaires de France que par la deuxième commission du 113e Congrès des notaires de France, il est inutile de s'appesantir, une nouvelle fois, sur son régime, dont on se contentera ici de rappeler très brièvement les caractéristiques essentielles.
Parce qu'il s'agit d'une vente immobilière à part entière, et en dépit des spécificités attachées à sa forme de règlement, l'opération répond à un régime juridique semblable au droit commun de la vente, qu'il s'agisse des conditions de validité et de forme, des droits de préemption applicables au bien vendu, de l'exigence de la forme notariée ou encore des garanties applicables. Sa fiscalité est également celle applicable à une vente traditionnelle .
Son originalité, on le sait, tient au caractère aléatoire, fondamental, qui est le sien. Cet aléa est lié à la durée de vie du vendeur, véritable clé de voûte de l'opération, laquelle est naturellement incertaine, ce qui ne permet pas à ce dernier de savoir si, par la perception des arrérages, il recevra finalement la valeur de l'immeuble qu'il cède. Elle peut être longue, elle peut être courte. De son côté, l'acquéreur débirentier s'engage à verser la rente pour une durée indéterminée, peut-être brève, le rendant gagnant, peut-être longue, fort longue, le rendant perdant par rapport à la valeur de l'immeuble qu'il acquiert par ce biais . Entre espoir de gain et risque de perte, cette variable aléatoire constitue la spécificité de ce type de vente laissant entrevoir l'opportunité de réaliser pour chacune des parties une bonne opération.
- La délicate fixation du juste prix du viager. - Sur un terrain technique, l'une des difficultés majeures soulevées par le viager a trait aux modalités de fixation du taux de la rente. Faut-il rappeler, en effet, qu'il n'y a pas de méthode légale de calcul de la rente viagère, l'article 1976 du Code civil énonçant simplement qu'elle « peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer ». En l'absence de barème, « chaque praticien y va donc de son idée, de sa formule, de son calcul » en maniant, à sa guise, non seulement l'espérance de vie du vendeur, la valeur du bien, son taux de rendement, mais aussi la valeur économique ou fiscale de la réserve de jouissance. Moralité, les prix de la rente fluctuent d'un professionnel du viager à un autre sans réelle justification et l'on sait, par ailleurs, que le Conseil supérieur du notariat, constatant ce chahut, a proposé sa propre méthode que les notaires mettent en ?uvre à peu près systématiquement. Les incidences de ces divergences ne sont pas à négliger. Au plan civil, un calcul erroné ou contestable peut entraîner l'annulation de la vente pour défaut d'aléa ou sa remise en cause sur le terrain de la simulation. Sur le plan fiscal, un tel calcul peut engendrer un redressement en matière de droits d'enregistrement lors de l'acquisition, voire une requalification de l'opération sur le terrain de l'abus de droit (LPF, art. L. 64), une contestation au titre des plus-values lors de la revente, ou la remise en cause des droits de succession au titre de la taxation d'une réversion de rente ou de la déduction du passif constitué par la rente. Tout ceci est regrettable, a fortiori si l'on songe que la pression dans ces négociations ouvertes pèse le plus souvent sur la partie la plus vulnérable.
Aussi la grande liberté laissée aux parties, orientée de manière relativement désordonnée par les professionnels du viager, mériterait-elle sans nul doute un encadrement. L'établissement d'un mode de calcul général et uniforme de la rente viagère, servant ainsi de grille de référence serait de nature à permettre au marché du viager de gagner en lisibilité et en équité . Les pratiques éprouvées pourraient servir à l'élaboration de cette méthode, qui aurait l'avantage d'être réglementée, tout en restant supplétive de la volonté des parties. Muni de ce barème unique, le notaire pourrait sécuriser la vente, tant sur le plan civil en matière d'aléa que sur le terrain fiscal en matière d'assiette des différents impôts et taxes.

Majoration de la rente en cas de libération anticipée

Dans le cadre de la vente en viager occupé, et alors même qu'il dispose d'un droit d'usufruit ou d'un droit d'usage et d'habitation sa vie durant, le crédirentier peut être contraint de quitter le logement de manière impromptue, notamment pour des raisons de santé. Cette faculté de quitter les lieux par anticipation doit être organisée ab initio, c'est-à-dire au moment de la vente. À défaut, la situation est susceptible de se révéler préjudiciable à l'un comme à l'autre puisque le vendeur, demeurant officiellement titulaire de son droit démembré de propriété, devrait continuer à supporter les charges courantes du bien, tandis qu'il devrait subvenir en sus aux frais de sa nouvelle installation, alors que l'acquéreur, de son côté, ne pourrait pas prendre possession du bien qu'il a acquis. Aussi, pour éviter cette situation doublement fâcheuse, le rédacteur de l'acte de vente doit-il prendre le soin de prévoir la faculté, sous certaines conditions, de majorer le montant de la rente initiale en contrepartie de l'abandon de son droit de jouissance par son titulaire. Pour éviter toute source de conflit, le contrat doit définir avec précision les modalités de cette révision du contrat, tant en ce qui concerne le montant de la rente revalorisée que les modalités de la libération anticipée. À ce propos, il convient de rappeler que le non-usage du bien par le crédirentier ne vaut pas renonciation à ce droit. Partant, le crédirentier qui souhaite user de son droit à renoncer à la jouissance du bien devra exprimer de manière non équivoque sa volonté de quitter les lieux et informer le débirentier de la date de remise des clés, et par corrélation le moment où la majoration de la rente trouvera à s'appliquer.
- Un marché relativement confidentiel. - Si le marché de la vente en viager connaît de nos jours un regain d'intérêt, il demeure toutefois relativement restreint . Les différents freins limitant le développement en France de ce type d'opération sont connus. Cela commence par la mauvaise réputation qui l'accompagne. On lui reproche traditionnellement un caractère spéculatif sur la mort du vendeur et l'opposition frontale d'intérêts qu'elle organise. Rarement l'intérêt du vendeur sera celui de l'acquéreur, et si l'affection familiale qui peut parfois les réunir parvient à estomper cet antagonisme, celui-ci existe toujours à l'état latent. Au-delà, cette vente complexe peut présenter des inconvénients et des risques, dont il convient d'avoir conscience, principalement en raison de l'aléa qui l'affecte.
Chez le vendeur, outre un montant de rente souvent décevant et une fiscalité importante, il existe parfois ce sentiment diffus et mal vécu de ne rien transmettre à ses héritiers et par conséquent de les exhéréder de fait, pour des préoccupations personnelles de fin de vie et de confort. Surtout, ce sont les risques liés à l'insolvabilité de son acquéreur qui peuvent rebuter le vendeur. Il ne faut pas omettre que la réussite de cette stratégie comme mode de financement de sa dépendance est étroitement liée aux facultés contributives de l'acheteur. C'est pourquoi, à l'évidence, celui-ci doit être sélectionné avec minutie par le vendeur. Il n'en reste pas moins qu'il est toujours quelque peu divinatoire d'évaluer convenablement la solvabilité dans le temps de l'acquéreur, lequel n'est jamais à l'abri d'un changement de situation personnelle, familiale ou professionnelle, obérant des facultés contributives, d'apparence solides. Pour rassurer des propriétaires inquiets à l'idée de devoir supporter l'impayé de la rente, le rédacteur de l'acte prend très généralement le soin d'insérer une clause résolutoire, assortie d'une clause pénale, mais cette sanction couperet n'est qu'un pis-aller en ce qu'elle aboutit à l'anéantissement du contrat, la solution idoine étant d'obtenir des garanties de paiement qui permettront au vendeur de continuer à percevoir régulièrement les arrérages sur lesquels il compte .
Chez les acheteurs potentiels, ce sont avant tout les incertitudes économiques inhérentes à cette opération qui constituent leur principale source de réticence. Comme tout contrat aléatoire, le risque est l'essence même de ce contrat et il pèse particulièrement sur l'acquéreur qui peut se retrouver - à une époque où l'espérance de vie augmente régulièrement chaque année - à payer bien plus que ne vaut le bien acquis. L'exemple de la maison de Jeanne Calment décédée à l'âge de cent vingt-deux ans illustre, si besoin en était, l'impossible détermination à l'avance du coût final de l'achat. Quand on sait que le surplus de la rente, comme les travaux et charges diverses, seront à sa charge jusqu'au décès du crédirentier (voire du survivant du crédirentier, en cas de réversion de la rente), avec le risque de la résolution de la vente et de la clause pénale en cas de simple incident, on perçoit la difficulté à séduire un potentiel acquéreur. Dans les faits, on constate du reste un déséquilibre manifeste entre l'offre et la demande : les vendeurs étant trois à quatre fois plus nombreux que les acheteurs potentiels.
- Un marché en mouvement. - Cette inquiétude des vendeurs à faire face à la défaillance de leurs acquéreurs, mais également celle de ces derniers d'avoir à payer au-delà de l'espérance de vie théorique du vendeur, freinent le marché de la vente en viager. L'idée a donc été lancée de traiter différemment le viager. Ces dernières années, deux nouvelles formes de viager sont ainsi apparues, destinées à donner un nouveau souffle à ce type d'opération.
On songe, d'une part, au viager mutualisé, dont la différence notable avec le viager classique se trouve non pas du côté du vendeur, mais du côté de l'acheteur, ou plutôt, pour être plus juste, « des » acheteurs, dans la mesure où le viager mutualisé consiste à faire l'acquisition de plusieurs biens immobiliers en viager en mutualisant les ressources financières de plusieurs personnes à la fois. Concrètement, un groupement d'acquéreurs s'unit via un fonds d'investissement ou plus simplement via une société civile immobilière. Le fonds ou la société fait l'acquisition de plusieurs logements en viager. Un bouquet est remis au vendeur ainsi qu'une rente mensuelle. Une fois le vendeur décédé, le fonds ou la société doit obligatoirement céder le bien immobilier et le groupe d'acheteurs peut alors percevoir ses bénéfices. Le viager est ici abordé comme un produit de placement plutôt que comme un achat stricto sensu dans la mesure où les acquéreurs ne deviennent pas propriétaires des biens acquis mais détiennent des parts dans un fonds ou une société, avec en ligne de mire la possibilité d'enregistrer une plus-value intéressante à la revente. Ce type de viager est avantageux pour le vendeur, car le paiement de la rente est assuré par un groupe d'investisseurs, ce qui augmente la fiabilité du contrat. Du côté des acheteurs, l'achat mutualisé en viager limite les risques inhérents à l'aléa irréductiblement attaché au viager classique, tout en constituant une formule de placement que l'on peut espérer rentable.
Il s'agit, d'autre part, du viager intermédié lancé en 2014 par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Conscient que la vente en viager répond au besoin de compléments de revenus des personnes âgées, auxquelles il s'agit de redonner du pouvoir d'achat, la CDC a eu l'idée de « stimuler et sécuriser » le marché du viager en France par « des standards de qualité élevés » et « une exigence forte en matière de qualité ». Dans cette optique, associée à plusieurs investisseurs institutionnels , la CDC a constitué le Fonds viager Certivia dédié à l'achat et à la gestion de biens immobiliers en viager. Ce fonds investit exclusivement dans l'acquisition de biens immobiliers en viager occupé, situés en France (Paris, Île-de-France, région Paca, grandes métropoles régionales) auprès de vendeurs âgés de plus de soixante-dix ans. À l'instar d'un viager classique, un bouquet et une rente à vie sont versés au vendeur. À son décès ou s'il quitte le bien prématurément, celui-ci est mis en vente, le schéma excluant la location des biens. Il s'agit par ce biais de sécuriser le vendeur dans son projet. Traitant avec des investisseurs institutionnels de référence, présentant une solidité financière très forte, il n'a pas à s'inquiéter des risques d'impayés inhérents au viager classique. Le vendeur bénéficie en outre d'un accompagnement et d'un suivi personnalisé, assurés par une équipe technique et des conseillers experts dédiés.

L'indispensable intervention publique au développement du viager

Conscient du potentiel du viager pour contribuer au financement de la perte d'autonomie, le rapport Libault sur le grand âge et l'autonomie a souligné que les pouvoirs publics devaient encourager et encadrer le développement de ce type de contrat, y compris dans ces formes innovantes . Dans cette optique, plusieurs propositions ont été formulées :
  • la création d'un observatoire ;
  • la labellisation à dimension sociale, applicable aux investissements en viager comprenant une proportion minimale de logements modestes ou détenus par des populations à faibles revenus ;
  • l'intervention directe de l'État ou de la Caisse des dépôts et consignations, à travers la création d'un fonds pour l'achat en viager de logements sociaux ;
  • la codification des tables de mortalité, afin de limiter la disparité des tables utilisées par les acheteurs et d'homogénéiser davantage les produits.

La vente contre soins

- Une forme de bail à nourriture. - Avec la vente contre soins, on descend encore d'un cran supplémentaire dans les mécanismes manifestement désuets, fruits d'une pratique juridique ancienne, mais qui pourraient de nos jours faire l'objet d'un regain d'intérêt à l'aune du besoin de financement d'une dépendance future. En effet, il y a de plus en plus de personnes isolées sans proche parenté mais ayant tissé des liens affectifs forts avec une tierce personne, souvent un voisin ou un ami. Cette personne isolée veut assurer son avenir en cas de perte d'autonomie en préservant si possible son cadre de vie. Dès lors, il est loisible pour elle, à condition qu'elle soit propriétaire d'un bien immobilier, de vendre ledit bien moyennant un prix converti en la charge, pour le tiers de confiance qu'elle aura choisi, de la nourrir et de l'entretenir. On l'aura compris, la vente avec soins ne constitue qu'une illustration, dans sa forme la plus répandue, du bail à nourriture .
Dans le silence des textes, le bail à nourriture peut se définir comme un contrat par lequel le preneur, contre un capital en argent, une redevance périodique ou, pour ce qui nous intéresse, l'aliénation d'un bien, s'engage à pourvoir aux besoins vitaux du bailleur : la nourriture mais aussi le logement, l'entretien courant, le chauffage, les soins et toute l'assistance qui lui est indispensable pour vivre.
Le bail à nourriture est traditionnellement pratiqué dans les régions rurales. Son essor en zone urbaine n'est cependant pas à écarter aujourd'hui en raison du coût des conventions d'hébergement des personnes âgées ou malades. On pressent que l'allongement de la durée de la vie, les insuffisances des familles et de l'État dans la prise en charge de la dépendance liée au grand âge ou à la maladie pourraient justifier à l'avenir un regain d'intérêt pour ce contrat. Le contentieux, certes modéré, que suscite encore le bail à nourriture montre en toute hypothèse que cette vieille institution qui souffre d'une appellation à la fois archaïque et trompeuse - le contrat n'ayant rien d'un bail et la notion de nourriture étant réductrice - demeure bien vivante.
- Les traits caractéristiques du bail à nourriture. - Les rédacteurs du Code civil n'ont pas cru devoir fixer les règles de ce contrat. C'est donc la jurisprudence qui a été amenée à fixer les traits spécifiques du bail à nourriture, sur lesquels nous ne reviendrons guère, renvoyant le lecteur vers les développements très riches contenus dans le rapport du 102e Congrès des notaires de France .
Que l'on se contente ici de rappeler que, parmi les classifications de la théorie générale des contrats, le bail à nourriture est un contrat innomé. Ni défini ni réglementé par le Code civil ou une loi particulière, il est soumis aux règles générales du droit commun des obligations.
Surtout, il s'agit d'un contrat aléatoire (C. civ., art. 1108, al. 2), en ce sens où la chance de gain ou de perte pour chacun des contractants est suspendue à un aléa. Contrairement à la vente en viager, il s'agit là, plus précisément, d'un double aléa qui tient, d'une part, à la durée de vie du vendeur et à son état de santé, mais aussi, d'autre part, à la nature de ses besoins futurs. L'aléa constitue un élément essentiel du contrat, qui s'apprécie au jour de sa conclusion. Plusieurs conséquences juridiques en résultent : l'aléa chasse la lésion , en même temps qu'il constitue un obstacle à une action en nullité pour vileté du prix ou en nullité pour indétermination du prix . Par ailleurs, si le hasard n'est pas préservé et qu'au jour de la conclusion du contrat l'âge avancé du vendeur ou sa mauvaise santé rendent trop probable la disparition prochaine de ce dernier , le contrat sera frappé de nullité absolue, pour défaut de cause .
La vente contre soins, comme tout bail à nourriture, est étroitement liée au choix de la personne qui a vocation, en contrepartie de son achat, à subvenir aux besoins vitaux du vendeur. Il s'agit donc d'un contrat marqué par un fort intuitu personae , qui nécessite donc une exécution personnelle de la part de l'acquéreur . Conclu en considération de la personne, sa cessibilité entre vifs est donc exclue, ce qui n'empêche cependant pas les parties de stipuler que l'obligation sera exécutée par un tiers . Le caractère personnel du contrat rend en outre la créance du bailleur insaisissable .
Enfin, il s'agit d'un contrat à titre onéreux parce qu'il comporte pour l'acquéreur l'obligation d'assurer en nature l'entretien, et souvent aussi le logement, au vendeur. Gare toutefois à la requalification ! En effet, en l'absence ou en cas d'insuffisance de contrepartie matérielle, la charge peut devenir évanescente et dissiper le caractère onéreux de l'opération. En ce cas, le bail à nourriture peut être requalifié en donation déguisée , avec les conséquences fiscales qui en résultent.

Dangers fiscaux

Le bail à nourriture est un nid à contentieux fiscal. Outre sa possible requalification en libéralité, la présomption posée à l'article 751 du Code général des impôts apparaît comme une épée de Damoclès lorsque le contrat lie le vendeur à l'un de ses successibles, ce qui est une hypothèse tout à fait vraisemblable eu égard à la nature si personnelle des prestations convenues. Ce texte répute faire partie de la succession de l'usufruitier toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant, pour l'usufruit au défunt, et pour la nue-propriété à l'un de ses présomptifs héritiers ou descendants d'eux. Dès lors, l'administration peut être tentée, lorsque le vendeur continue à vivre dans le bien objet du bail à nourriture, d'étendre cette présomption au cas considéré, en estimant que l'opération s'assimile alors à une vente avec réserve d'usufruit. Cette interprétation ne devrait toutefois pas prospérer tant ces deux formes d'aliénation sont distinctes juridiquement. Mais la vigilance est de mise. Comme l'a recommandé le 102<sup>e</sup> Congrès des notaires de France, toute ambiguïté sur le transfert de propriété réalisé par l'acte doit être levée, ce qui n'exclut nullement que le vendeur puisse être logé en son domicile, désormais vendu. Il doit seulement être spécifié que l'occupation est la résultante non pas d'une réserve d'usufruit, mais de l'obligation prise par l'acquéreur de loger le vendeur, sans bourse déliée pour ce dernier
.

- Des précautions rédactionnelles indispensables. - La perspective d'anticiper son éventuelle dépendance, par le biais de ce contrat particulier, doit pousser le vendeur à être particulièrement vigilant quant à la rédaction du contrat, principalement en ce qui concerne la définition des obligations pesant sur l'acquéreur. Fréquemment, le contrat prévoit que le vendeur va conserver l'usage du bien, et ainsi préserver son cadre de vie. Mais que se passera-t-il lorsqu'il sera contraint de quitter son logement pour être hospitalisé, avec le risque de devoir intégrer une unité de soins de longue durée, ou pour être accueilli dans un Ehpad ou une maison de retraite ? La question renvoie à la définition des obligations de soins et d'entretien qui pèsent sur l'acquéreur : il s'agit de savoir si celles-ci s'étendent aux frais d'hospitalisation qui ne seraient pas pris en charge par la caisse d'assurance maladie, par une complémentaire santé ou par des aides publiques. De son côté, le vendeur cherchera naturellement à être rassuré à ce propos. Il ne saurait être question pour lui que le bail à nourriture cesse de produire ses effets au moment même où son éventuelle dépendance nécessitera qu'il reçoive une aide humaine et financière. Du côté de l'acquéreur, on perçoit combien les frais liés à un tel hébergement, mais aussi le risque de devoir financer des soins chirurgicaux lourds risquent d'engendrer un coût difficilement supportable, autant dans son montant que dans la durée.
À ce stade, l'exercice de rédaction devient un travail d'équilibriste. Les parties, tout en respectant les critères élémentaires du bail à nourriture, peuvent librement aménager les prestations dues par l'acquéreur ainsi que les modalités d'exécution. Le contrat est modelé selon les besoins du vendeur. C'est là un de ses atouts majeurs . Partant, si la liste des obligations pesant sur l'acquéreur peut être plus ou moins longue, il est fortement conseillé de détailler ces dernières, sous peine d'engendrer des discussions. Dans l'intérêt de l'acquéreur, les formules trop vagues sont à proscrire. En effet, confrontés à une clause générale d'entretien, les juges du fond ont tendance à considérer que le contrat emporte l'obligation pour lui de prendre en charge les frais de séjour du vendeur dans une maison de retraite ou en long séjour . Aussi la question du départ en maison de retraite ou en établissement de santé doit-elle expressément être envisagée et intégrée dans le champ contractuel. Pour protéger le vendeur, il peut être prévu, sur le terrain financier, que l'acquéreur prenne à son compte « les frais non remboursés par la CPAM ou les mutuelles » . Sur le plan humain, il peut être prévu en sus certaines prestations en nature. Que l'on songe, par exemple, à une obligation de visites régulières, à l'organisation de sorties de temps en temps si l'état de santé du vendeur le permet, à la fourniture de prestations de base pour le confort de la vie (achat de vêtements, de revues, etc.), « en un mot tout ce qui permet de laisser espérer au vendeur qu'il aura toujours des conditions de vie correctes » . Peu rassuré par la perspective de devoir supporter des frais dont le montant est très difficile à appréhender, l'acquéreur peut imposer, quant à lui, une clause contractuelle prévoyant, dans ces circonstances, la conversion des obligations en nature en une rente viagère dont le montant et l'indexation doivent également être définis.
Le vendeur doit également se prémunir, dans la mesure du possible, contre les aléas susceptibles d'affecter l'exécution de ses obligations par l'acquéreur. Généralement, le contrat est assorti d'une clause résolutoire de plein droit à défaut d'exécution des prestations convenues , étant ici rappelé qu'en l'absence de prévision expresse en ce sens, « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice » (C. civ., art. 1227). Le bail à nourriture peut également comporter des risques d'impossibilité d'exécution d'ordre psychologique. La nature des obligations imposées à l'acquéreur étant très spécifiques et pouvant être de longue durée, les risques de mésentente liés aux exigences d'un vendeur vieillissant, à la lassitude ou à l'avarice de l'acquéreur ne sont pas à négliger, sans que l'on puisse du reste nécessairement les imputer à l'un plutôt qu'à l'autre. Le vendeur peut se prémunir contre cette situation en faisant insérer dans l'acte une clause de conversion du bail à nourriture en rente viagère pour le cas de mésentente. En ce cas, il est fondamental de définir les circonstances dans lesquelles cette faculté sera mise en ?uvre. D'une manière générale, à défaut de substitution contractuelle prévue ab initio, il convient de souligner que les juges du fond disposent de la faculté d'imposer une telle substitution, ce qui permet de sauver le contrat . Encore faut-il, pour ce faire, que les circonstances d'ordre matériel ou moral rendent impossible l'exécution en nature des prestations prévues, et que cette conversion soit possible, eu égard aux facultés contributives de l'acquéreur.
Cette faculté d'insérer dans l'acte une clause de conversion du bail à nourriture en rente viagère peut également être préconisée pour le cas du décès anticipé de l'acquéreur. Le caractère personnel attaché au bail à nourriture semble naturellement impliquer son intransmissibilité à cause de mort. Mais rien ne semble s'opposer à la faculté pour l'acquéreur de s'engager pour lui et pour ses héritiers, le terme étant alors le décès du vendeur. Bien évidemment, il doit avoir conscience, en pareil cas, de la charge qu'il impose à ses ayants droit, lesquels peuvent se retrouver contraints de renoncer à la succession s'il s'avère, à son décès, qu'ils ne sont pas aptes à assumer de telles obligations. C'est pourquoi, pour pallier ce risque, le contrat peut prévoir que le décès du preneur emportera la substitution d'une rente viagère ou, ce qui peut être plus confortable pour les héritiers de l'acquéreur, d'un versement en capital, réglé une fois pour toutes.