Le mineur peut entrer au capital d'une société civile, aux termes d'un acte de volonté, soit lors de la constitution de la société, soit lors d'une augmentation de capital ouverte aux tiers. Il n'est pas inutile de rappeler que la société est un contrat et qu'elle suppose par conséquent la capacité juridique de contracter. Cette difficulté n'est pas insurmontable, car l'incapacité du mineur non émancipé est une incapacité d'exercice et non de jouissance
. Le droit des sociétés et le droit de l'administration légale et de la tutelle doivent se combiner et cette articulation varie selon la nature des apports réalisés par le mineur.
La souscription au capital et la réalisation d'apports
La souscription au capital et la réalisation d'apports
- L'apport en nature d'un bien immobilier ou de droits immobiliers. - L'article 387-1 du Code civil dispose que l'administrateur légal ne peut, sans l'autorisation préalable du juge des tutelles, apporter en société un immeuble appartenant au mineur. L'apport d'un immeuble fait l'objet d'un contrôle systématique du juge. Ce contrôle porte sur la valeur des biens apportés et sur l'équilibre du contrat de société. Le contrat de société peut s'avérer lésionnaire pour le mineur si son apport est sous-évalué ou celui des autres associés surévalué. Ce contrôle du juge est d'autant plus important qu'il n'existe pas de commissaire aux apports dans les sociétés civiles. Si le contrôle du juge porte essentiellement sur la valeur des biens, son appréciation peut être plus large et le juge peut subordonner son autorisation à l'adaptation des statuts à la présence d'un associé mineur. Ces adaptations peuvent porter sur la limitation de la responsabilité du mineur, l'équilibre des pouvoirs entre la gérance et la collectivité des associés, ou sur des conventions de blocage ou d'encadrement de comptes courants afin de préserver l'équilibre financier de la société
.
Lorsque l'opération a été autorisée par le juge des tutelles, l'acte d'apport doit être régularisé par le ou les représentants du mineur. Les deux administrateurs doivent intervenir à l'acte en cas d'administration conjointe et l'administrateur unique dans l'autre hypothèse d'administration. Le mineur est représenté par son tuteur en cas de tutelle.
Une difficulté particulière apparaît lorsque l'apport immobilier porte sur des droits indivis. Cette situation se rencontre fréquemment lorsque des indivisaires décident d'apporter des biens indivis en société afin d'y organiser la gestion de leur patrimoine. Si chaque indivisaire se voit attribuer des parts divises, l'opération s'analyse en un partage. Les règles particulières d'un partage amiable réalisé en présence d'un mineur s'appliquent alors.
- L'apport en nature de valeurs mobilières et d'instruments financiers. - L'article 387-1 précité inclut dans la liste des opérations soumises à l'autorisation préalable du juge des tutelles la réalisation d'un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers au sens de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier, si celui-ci engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur. Cette appréciation est subjective
. Elle doit notamment tenir compte de l'importance des titres apportés dans le patrimoine du mineur et de l'importance de sa participation dans le capital social. En raison de l'obligation illimitée à la dette, l'apport en société civile entre dans la catégorie des actes qui engagent le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir. L'autorisation préalable du juge nous paraît donc toujours nécessaire.
Lorsque cette autorisation judiciaire est obtenue, l'acte d'apport est régularisé par l'administrateur unique ou les deux administrateurs conjointement dans l'administration légale ou par le tuteur dans la tutelle.
- L'apport en numéraire. - L'apport en numéraire réalisé par un mineur n'est pas spécialement réglementé par un texte. Son régime juridique varie selon sa qualification. Il convient de rechercher si l'acte constitue un acte d'administration ou de disposition par référence au décret précité du 22 décembre 2008.
Selon la colonne 2 de l'annexe 2 dudit décret, tout apport en société constitue un acte de disposition. Sa réalisation nécessite l'accord des deux administrateurs légaux en cas d'administration légale commune ou l'accord de l'administrateur légal unique dans l'autre cas.
Par dérogation à ce principe, l'acte d'apport pourrait être qualifié d'acte d'administration en raison de ses faibles conséquences soit sur le contenu ou la valeur du patrimoine, soit sur les prérogatives du mineur, soit sur le mode de vie du mineur
. Dans cette hypothèse, un administrateur, en cas d'administration légale commune, pourrait, sauf opposition de l'autre administrateur, réaliser seul cet apport. Pour la sécurité juridique de l'opération, il ne paraît pas prudent de se fonder sur cette exception au contour mal défini. En raison de l'obligation illimitée au passif social, l'apport en société civile pourrait être qualifié en toute hypothèse d'acte de disposition nécessitant l'accord des deux administrateurs.
L'autorisation du juge des tutelles est-elle obligatoire pour réaliser cette opération ? Dans la mesure où elle n'est pas visée à l'article 387-1 du Code civil, l'accord du juge n'est, en principe, pas requis pour la réalisation d'un apport en numéraire à une société civile. Nous émettons cependant les plus grandes réserves à ce sujet et avec une doctrine majoritaire, nous estimons que l'autorisation préalable du juge des tutelles est nécessaire pour réaliser, au nom du mineur, un apport en numéraire lui conférant la qualité d'associé d'une société à responsabilité illimitée
.
- Le conflit d'intérêts avec un administrateur. - La plupart des sociétés civiles constituées pour mettre en ?uvre des stratégies patrimoniales ont un caractère familial. La constitution d'une société civile associant un mineur et son ou ses administrateurs légaux constitue une hypothèse de conflit d'intérêts. Conformément à l'article 383 du Code civil, la désignation par le juge des tutelles d'un administrateur ad hoc s'impose alors pour représenter le mineur lors de la constitution de la société et la réalisation des apports. Le ou les parents devront donc saisir le juge à cet effet.
- L'opposition d'un administrateur. - L'article 387 du Code civil dispose qu'« en cas de désaccord entre les administrateurs légaux, le juge des tutelles est saisi aux fins d'autorisation de l'acte ». Cette opposition peut survenir à l'occasion de l'entrée du mineur dans une société civile, notamment dans les familles recomposées et spécialement lorsque la société est constituée dans le but de contourner les règles de l'administration légale.