La protection par des règles de fond : une protection du testateur

La protection par des règles de fond : une protection du testateur

Ces règles de capacité concernent le testateur (§ I), mais aussi les gratifiés (§ II). Elles ont toutes pour objet de mettre à l'abri le testateur des décisions prises sous influence, sous emprise, par faiblesse ou vulnérabilité, et ainsi de le protéger contre lui-même et contre les autres.

La capacité du testateur : une protection contre lui-même

- Importance des règles de capacité pour tester. - Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. Il s'agit là d'une règle générale applicable à tous les actes juridiques. Cette règle figure désormais (depuis la réforme des obligations) à l'article 1129 du Code civil. Le consentement exigé pour un testament ou une donation ne diffère en rien de celui nécessaire à tout acte juridique. C'est en ce sens que les règles édictées par les articles 901 et 1129 du Code civil sont identiques. L'appréciation de la situation cognitive du contractant en général est la même que celle du testateur ou du donateur. Toutefois, l'insanité du disposant et plus spécialement du testateur est plus fréquemment invoquée pour faire annuler les testaments que les autres actes. Les enjeux sont sans doute différents. Cette règle est une garantie de protection du disposant lui-même et de ses héritiers ou autres ayants cause.
En effet le testateur, plus ou moins âgé, plus ou moins en bonne santé, est en situation de vulnérabilité. Il peut faire l'objet de pressions, de chantage, et même de voies de fait en vue d'influencer, voire de lui dicter ses volontés testamentaires et d'orienter la dévolution de son patrimoine. Il est des cas simples, ceux des testaments faits par les personnes protégées, et des cas plus complexes qui nécessitent une certaine appréciation : ceux des personnes non soumises à un régime de protection.

Le cas du mineur

- L'incapacité de tester du mineur. - Frappé par son incapacité de jouissance, le mineur dont l'âge est inférieur à seize ans ne peut tester . Son représentant ne peut lui non plus tester à sa place. Nous verrons un peu plus loin que la conception d'un testament, acte intime s'il en est, est réfractaire à toute forme de représentation. Le testament fait par un mineur est nul de plein droit (le juge est lié par cette nullité). Cette nullité frappe toutes les dispositions patrimoniales et celles qui concernent la sépulture ou les obsèques régies par la loi du 15 novembre 1887 (art. 3). Il est deux petites exceptions à ce principe : il est admis que ces règles ne s'appliquent qu'à ces dispositions et que le mineur, dès lors que son discernement est certain, pourrait prendre d'autres dispositions testamentaires comme la reconnaissance d'un enfant naturel, des dispositions non patrimoniales relatives au droit d'auteur .
- Première exception au principe de l'incapacité de tester du mineur. - La loi permet au mineur âgé de seize ans et non émancipé de tester dans la limite de la moitié de son disponible ordinaire. Le mineur de plus de seize ans bénéficie donc d'une demi-capacité de tester . C'est-à-dire qu'en l'absence de descendant, cas le plus fréquent, le mineur peut disposer de la moitié de ses biens, et qu'en présence de descendants il pourra léguer la moitié de la quotité disponible. L'appréciation de l'âge, bien évidemment comme tout contrôle de capacité, se fait au moment où l'acte est établi, c'est-à-dire le jour où le testament est fait, même s'il est ouvert après le décès. Par contre, l'appréciation de la quotité disponible se fait au jour du décès. Il ne faut pas se méprendre sur la nature de la règle. Il s'agit bien d'une règle de capacité qu'il faut compléter par les règles de la dévolution légale. En effet, ce mineur âgé de seize ans au moins peut léguer la moitié de ses biens s'il n'a pas d'enfant et la moitié de la quotité disponible en présence de descendants. Il ne s'agit pas d'une protection des héritiers légaux qui deviendraient en quelque sorte des super-réservataires. Il s'agit véritablement d'une règle de capacité. Aussi les héritiers du sang n'ont-ils pas besoin d'agir en une quelconque réduction comme ils l'auraient fait pour revendiquer leur réserve héréditaire. La règle s'applique automatiquement sans qu'il soit besoin d'agir en justice. C'est ainsi qu'un tel mineur ne pourra jamais faire un legs universel, il devra se contenter d'un legs à titre universel .
- Seconde exception : le mineur sous les drapeaux. - Une autre exception à l'incapacité de tester du mineur existe : le mineur appelé sous les drapeaux a la possibilité de tester comme s'il était majeur. Cette capacité n'est pas limitée dans son quantum comme dans le cas précédent, mais dans les bénéficiaires du testament qui ne peuvent être que les parents du mineur. Bien heureusement cette hypothèse, prévue par le législateur de 1916, ne peut plus se rencontrer aujourd'hui.
- Le mineur émancipé. - Le mineur émancipé est capable de tester et d'accomplir, comme un majeur, tous les actes de la vie civile. Cette règle est édictée par l'article 413-6 du Code civil. Elle est implicitement et a contrario rappelée à l'article 904 du même code.
- Appréciation. - Ces règles strictes sur la capacité de tester du mineur sont fondées sur la vulnérabilité inhérente à la jeunesse. Le manque de maturité, l'inexpérience, la dépendance, la fragilité, l'influençabilité des enfants justifient pleinement l'interdiction qui constitue un vrai socle de protection de la jeunesse. Leur application stricte est une nécessité sociale, elle ne saurait souffrir d'autres exceptions. La situation du majeur protégé est différente. Les règles relatives à la capacité du testateur ne se distinguent pas de celles du donateur. S'agissant des incapacités relatives, seul l'article 995 du Code civil prévoit le cas particulier, aujourd'hui un peu désuet, de la prohibition de tester du passager d'un navire au bénéfice d'un officier de l'embarcation, sauf si testateur et légataire officier sont parents.

Les majeurs protégés

Si, en pratique, le cas du testateur mineur est relativement rare car il n'a, en général, pas de patrimoine et pas de volonté particulière quant à ses biens, celui du majeur protégé est bien plus fréquent. Il y lieu de distinguer les différents régimes d'assistance de protection.

Le majeur sous tutelle

- Le testament fait après la mesure de protection. - Depuis la loi du 3 janvier 1968, l'impossibilité pour le majeur de rédiger son testament a été fortement tempérée. La loi du 23 juin 2006 est allée plus avant encore en permettant au majeur sous tutelle de tester. Désormais le majeur sous tutelle, doit, pour établir valablement un testament, être autorisé soit par le juge des tutelles soit par le conseil de famille s'il en existe un. Ce texte a pour objet de permettre au majeur protégé d'exprimer sa volonté testamentaire. Le juge, préalablement à l'autorisation, auditionnera le majeur pour apprécier son aptitude à exprimer clairement ses dernières volontés. Il n'appartient certainement pas au juge de vérifier les dispositions testamentaires qu'envisage le majeur protégé, leur bien-fondé ou d'en limiter le contenu. Cette solution avait été discutée en doctrine et la Cour de cassation semble avoir tranché dans ce sens . C'est le caractère éminemment personnel du testament qui l'a emporté. La forme de ce testament du majeur sous tutelle n'est pas imposée et il pourrait avoir recours à toutes les formes du testament. Néanmoins, au cas précis, la forme notariée du testament est vivement conseillée. En effet, le testament authentique apportera des garanties de respect des règles de forme, d'une bonne rédaction et de conservation, l'intervention du notaire permettant ainsi de compenser les insuffisances de la personne protégée. Le juge pourrait, dans sa décision, prescrire une forme précise - sans doute la forme authentique serait préférée - et surtout il peut limiter dans le temps la validité de son autorisation.
- La liberté de révoquer du majeur sous tutelle. - Depuis cette même réforme de 2006 entrée en vigueur en 2007, le majeur sous tutelle peut librement révoquer un testament qu'il a fait précédemment, que ce testament ait été fait avant la mesure de protection ou après avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille. Le texte ne prévoit pas de forme particulière pour cette révocation qui pourra prendre la forme d'un testament ou d'un acte en la forme notariée prévu par l'article 1035 du Code civil. Cette capacité de révoquer un testament permet donc de priver d'effet une dévolution volontaire présumée valable pour refaire une place à la dévolution légale dont les fondements supérieurs apparaissent une nouvelle fois dans ces règles. On peut néanmoins s'interroger sur cette différence entre l'institution et la révocation de legs. Car révoquer un legs, c'est implicitement faire bénéficier les autres légataires ou les héritiers légaux des biens initialement légués. Une révocation par le majeur sous tutelle peut elle aussi être suspicieuse, car faite sous la pression et la contrainte.
- Le sort du testament antérieur à la mesure de tutelle. - Le testament fait avant la mesure de protection demeure valable. C'est le principe que pose l'article 476, alinéa 4 du Code civil. Toutefois, un tel testament, par la mesure de tutelle qui frappe son auteur, est atteint d'une fragilité supérieure. Outre que, comme toute libéralité, il peut être annulé pour insanité d'esprit, il peut également être annulé s'il est prouvé que la cause qui avait présidé à son élaboration a disparu. Il est encore quelques textes de loi qui font référence à la cause même si cette notion n'existe plus en droit des obligations depuis la réforme du 10 février 2016 . L'article 476 du Code civil en est un exemple. Ce texte se comprenait surtout par l'impossibilité pour le majeur sous tutelle de révoquer son testament. Aussi la règle n'a-t-elle plus la même portée depuis que le majeur sous tutelle peut librement révoquer son testament et que le divorce révoque de plein droit les legs entre époux . Par cause, il faut ici entendre un élément essentiel et déterminant dans la volonté du testateur qui n'aurait pas pris la disposition si cet élément n'était pas présent au jour du testament. L'appréciation de cette cause semble devoir être faite de manière objective comme la résiliation d'un Pacs, l'abandon d'un projet matrimonial ou la naissance d'un enfant.

Les majeurs sous curatelle et sous sauvegarde de justice

- Capacité de principe. - Le majeur sous curatelle, s'il n'a pas la capacité de donner, peut valablement disposer par testament à la condition qu'il soit sain d'esprit. Cette règle figure à l'article 470, alinéa 1er du Code civil. Le majeur sous curatelle rédige son testament seul, sans aucune autre condition. L'assistance de son curateur ne se conçoit pas. Le testament est un acte intime, personnel, et nul ne saurait en influencer le contenu. Toutefois, comme pour toute libéralité, le testateur doit être sain d'esprit le jour où il établit son testament. On ne saurait que conseiller au notaire qui reçoit le testament d'un majeur sous curatelle ou qui en conserve le testament olographe d'être en possession d'un certificat médical attestant ses capacités cognitives pour prendre de telles dispositions car, par son existence même, la mesure fragilise le testament et le risque d'action en annulation du testament pour insanité d'esprit se fait plus grand. La situation du majeur sous sauvegarde de justice est identique. La simple existence d'une telle mesure de protection ne suffit pas à caractériser l'insanité d'esprit du testateur, ce qui oblige le demandeur en nullité à démontrer qu'à l'époque de la rédaction du testament son auteur était privé de discernement même si la mesure de protection était antérieure au testament .

L'insanité d'esprit

- Une règle générale appliquée au testament. - « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. » La règle figure à l'article 414-1 du Code civil. Elle est reprise en son article 901 de manière identique , et on la retrouve également dans l'article 1129 pour les contrats. Il n'existe pas de différence dans l'appréciation des capacités cognitives du contractant ou du disposant. Simplement dans la plupart des contrats, il y a une contrepartie alors que pour les libéralités il n'y en a pas. L'acte de donation est un acte d'appauvrissement, le consentement revêt donc une certaine gravité qui justifie la solennité de l'acte. Il en est de même pour le testament avec cette spécificité que le testateur sera mort le jour où il faudra apprécier cette capacité cognitive.
- Annulation pour insanité d'esprit. - Pour faire annuler un testament, il faut démontrer cette insanité d'esprit. Elle correspond à une altération importante des facultés mentales, voire à la démence. Démontrer l'incapacité pour le testateur de gérer ses affaires ne suffit pas à caractériser l'insanité d'esprit. À celle-ci doit correspondre l'incapacité de pouvoir exprimer ses dernières volontés. De la même manière, les troubles de mémoire n'emportent pas à eux seuls insanité d'esprit causant l'annulation du testament. La vieillesse et la maladie, en elles-mêmes, ne doivent pas avoir pour conséquence inéluctable l'impossibilité de tester, car n'est-ce pas quand il est vieux ou malade que la volonté de tester se fait plus prégnante pour l'homme ? L'action en annulation pour insanité d'esprit risque de se heurter à des obstacles de preuve. Comment prouver l'insanité d'esprit d'un testateur ? Cela pourrait bien évidemment avoir lieu au moyen d'éléments intrinsèques au testament s'il contient des dispositions incohérentes, contradictoires, fantaisistes. Mais cette preuve sera surtout apportée par des éléments extrinsèques tels des témoignages, des certificats ou expertises médicales qui pourraient même être ordonnées par le juge avant dire droit . Cette règle protège à la fois le testateur contre des influences extérieures cherchant à capter sa succession, mais aussi les proches, héritiers du sang ou bénéficiaires d'un testament antérieur. C'est aussi une protection de la liberté supérieure de pouvoir rédiger seul et en conscience ses dernières volontés. L'appréciation des juges du fond est souveraine en la matière .

La capacité spéciale des légataires : une protection contre les autres

- Capacité du légataire. - Bien évidemment vont s'appliquer les incapacités spéciales de recevoir à titre gratuit des personnels de santé ayant assisté le testateur dans sa dernière maladie, des mandataires à la protection des majeurs pour les protéger, qu'ils assistent ou représentent, et les ministres du culte . Ces dispositions communes à toutes les libéralités ont pour objectif d'éviter que le testateur, en fin de vie et dépendant soit du personnel de santé, soit de son soutien spirituel, perde son libre arbitre et leur consente des libéralités qu'il n'aurait pas faites dans un autre contexte. Il peut, malgré tout, les gratifier pour les services rendus au moyen de libéralités rémunératoires. Toutefois, la Cour de cassation exclut l'application de l'article 909 du Code civil si le légataire en question a un lien de parenté avec le testateur. Ainsi la nièce également curatrice de son oncle peut valablement recevoir de lui un legs .