L'entreprise agricole individuelle

L'entreprise agricole individuelle

– Une réalité résultant d'un choix politique historique. – Depuis 1960, le législateur à constamment réaffirmé sa préférence pour les exploitations individuelles. L'objectif était de maintenir un nombre important d'actifs agricoles, répartis sur l'ensemble du territoire, chacun dirigeant sa propre exploitation et assurant seul sa subsistance. En 1955, on dénombrait 2 300 000 exploitations 1510354268833. Aujourd'hui, il n'en subsiste plus qu'environ 400 000, dont 65 % sont individuelles 1506839566950mais ne représentent que 38 % de la surface exploitée 1508879821890. La plupart ne constituent pas de véritables entreprises, au sens économique du terme. Pour le devenir, le fonds agricole est un outil indispensable (§ I). Mais il convient également d'appréhender à ce titre les apports de la création récente d'un registre des actifs agricoles (§ II). Attendu comme le pendant agricole du registre du commerce, il a vocation à identifier les entreprises agricoles, en les distinguant des exploitations non professionnelles.

Le fonds agricole

– Une création récente. – Le fonds agricole a été créé en 2006, avec l'objectif de faire évoluer le statut de l'exploitation agricole traditionnelle vers celui d'entreprise agricole et de permettre de regrouper, dans une même unité économique, l'ensemble des facteurs de production liés à l'activité agricole, qu'ils soient corporels ou incorporels 1507451988068. Pourtant, entre 2006 et 2014, seuls 964 fonds agricoles, dont 30 % en production équine, ont été déclarés aux centres de formalités des entreprises (CFE) des chambres d'agriculture 1507452056234.
Un rappel du régime juridique du fonds agricole (A) permet de mettre en lumière son utilité pour l'entreprise agricole de demain (B).

Le régime juridique du fonds agricole

Dans le cadre du développement de l'entreprise agricole, il convient de rappeler la nature (I), la composition (II) et le caractère optionnel (III) du fonds agricole 1507487862882.

La nature du fonds agricole

– Une universalité reconnue juridiquement. – Le fonds agricole a pour vocation de devenir l'équivalent du fonds de commerce pour les entreprises agricoles. Il s'agit d'une entité regroupant l'ensemble des éléments affectés par l'exploitant à l'exercice de son activité, valorisable et transmissible. Ce capital d'exploitation forme ainsi une universalité de fait reconnue par la loi (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3), sans toutefois bénéficier d'une définition légale.
– La nature civile du fonds agricole. – Le renvoi à la définition de l'activité agricole, autorisant la création du fonds agricole, lui confère nécessairement un caractère civil (C. rur. pêche marit., art. L. 311-1, al. 2). Cela risque toutefois d'engendrer des difficultés en raison des incertitudes entourant la notion d'activité agricole, spécialement en cas de diversification des activités.

La composition du fonds agricole

– Les éléments inclus. – Le fonds agricole étant une universalité juridique, il convient d'en préciser la composition (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 3), en distinguant :
  • les éléments corporels :
  • les éléments incorporels :
– Les éléments exclus. – Un certain nombre d'éléments sont exclus de la composition du fonds agricole :
  • concernant les éléments corporels : les immeubles par nature ou par destination ;
  • concernant les éléments incorporels :

La création optionnelle du fonds

– La décision de création de l'exploitant. – La création d'un fonds agricole résulte d'une décision discrétionnaire de l'exploitant, relevant de sa seule initiative. Il lui revient ainsi d'évaluer l'opportunité de regrouper les éléments de son exploitation au sein d'un fonds agricole.
– Les formalités de création. – La création d'un fonds agricole nécessite le respect de formalités (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 1 et art. D. 311-3 et s.) :
  • la décision de création fait obligatoirement l'objet d'une déclaration au centre de formalités des entreprises (CFE) de la chambre d'agriculture du département du siège de l'exploitation ;
  • la déclaration comporte :Le déclarant n'est pas tenu d'indiquer la composition du fonds agricole créé ;
  • le CFE délivre un récépissé de la déclaration de fonds agricole, reproduisant les mentions de la déclaration (C. rur. pêche marit., art. D. 311-5, al. 1). Ce document tient lieu de preuve de la création du fonds agricole par l'exploitant. Il n'est délivré qu'à l'exploitant et ses ayants droit, posant un problème de visibilité de ces fonds pour les tiers n'y ayant pas accès ;
  • les modifications des éléments déclarés du fonds font l'objet des mêmes formalités.
– Les formalités de radiation. – En cas de cessation totale de l'activité agricole du titulaire du fonds, sa radiation est effectuée auprès de la chambre d'agriculture. Celle-ci peut également, après une mise en demeure adressée au titulaire restée sans réponse pendant trois mois, procéder d'office à la radiation de l'inscription (C. rur. pêche marit., art. D. 311-7).

L'utilité du fonds agricole pour l'agriculture de demain

– Une véritable opportunité. – La création d'un fonds agricole est une véritable opportunité pour l'exploitant de basculer vers l'entreprise en cumulant plusieurs avantages :
  • la distinction entre patrimoine privé et professionnel, donnant à l'exploitation individuelle une véritable structure juridique alternative à la mise en société ou l'adoption du régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ;
  • le bénéfice d'un instrument de crédit, le nantissement de ce fonds constituant un gage sans dépossession permettant d'apporter une garantie aux créanciers de l'exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 2) ;
  • la transmission facilitée de l'exploitation, l'identification complète d'une entreprise permettant au repreneur de mieux l'appréhender et la valoriser.
– Les difficultés à surmonter. – Le fonds agricole n'a pas connu le succès escompté. Il se heurte principalement à deux difficultés liées à sa cession :
  • hors cadre familial : l'accès à la jouissance du foncier étant stratégique pour l'exploitation, il est indispensable que le fonds comprenne les baux permettant la réalisation de l'activité 1507711583732. En effet, face à l'accroissement du nombre de repreneurs non issus du cercle familial, l'absence quasi généralisée de baux cessibles hors cadre familial rend la cession du fonds agricole impossible ou en limite trop le périmètre pour la rendre attractive. Or, la conclusion de baux cessibles permet une meilleure valorisation de l'entreprise cédée. Enfin, dans l'hypothèse où de tels baux seraient signés, le coût du pas-de-porte et la possible majoration du fermage l'accompagnant risquent d'augmenter le coût de l'installation ou de la reprise ;
  • intrafamiliale : la nécessité d'accéder au foncier n'est alors plus un problème, y compris lorsque les baux signés sont soumis au statut du fermage. Toutefois, l'existence d'un fonds agricole met en lumière la valeur de l'entreprise, augmentant ainsi son coût de transmission.

Le registre des actifs agricoles

Alors que les activités agricoles sont ancestrales, leur définition légale a été donnée seulement en 1988, à une époque où le déclin de l'agriculture traditionnelle française était déjà constaté 1506849671273. La suite administrative consistait en la création d'un registre de l'agriculture n'ayant jamais vu le jour 1507145388843. Finalement, la loi d'avenir de 2014 1507146140066a donné naissance à un registre des actifs agricoles (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2) 1510785385117.
La dimension du registre des actifs agricoles ne peut être appréhendée qu'au regard de son champ d'application (A) et de sa mise en œuvre (B). Le constat final est celui d'un projet inabouti (C).

Les registres agricoles avant la LAAF

Avant la création du registre des actifs agricoles, il existait deux registres en lien avec l'agriculture :
  • le registre des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) exerçant une activité agricole : la déclaration d'affectation (C. com., art. L. 526-7) est déposée auprès de la chambre d'agriculture du département du siège de l'exploitation (C. rur. pêche marit., art. R. 311-1) pour être inscrite sur un registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2) ;
  • le registre des fonds agricoles : la création d'un fonds agricole (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3) est déclarée auprès du CFE de la chambre d'agriculture compétente en vue de son inscription sur un registre spécifique (C. rur. pêche marit., art. D. 311-3 et s.) 1507497328786.
Suite à la création du registre des actifs agricoles :
  • le registre des EIRL subsiste et devrait y être rattaché 1509570606958 ;
  • le registre des fonds agricoles continue d'avoir une existence autonome.

Le champ d'application du registre

– Des inscriptions restreintes. – L'inscription sur le registre des actifs agricoles est réservée aux personnes physiques réunissant trois conditions (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2) :
  • être chef d'exploitation, ce qui exclut les chefs d'entreprise de travaux agricoles ou forestiers ;
  • exercer une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime, les activités marines et forestières étant exclues ;
  • être redevable du régime :

La mise en œuvre du registre

La mise en œuvre du registre implique d'organiser sa tenue (I), permettant de lui donner une certaine utilité (II).

La tenue du registre

– Un travail collectif. – Le registre des actifs agricoles est alimenté automatiquement par les données de la MSA et des centres de formalités des entreprises des chambres d'agriculture. Les données collectées sont administrées par l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). Elle centralise le registre, le transmet à l'autorité administrative (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 5) et établit un rapport annuel sur son contenu (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 9).
– Fonctionnement du registre. – Le décret d'application fixe les modalités de fonctionnement du registre en précisant :
  • les informations collectées sur les exploitants individuels ou en société et l'exploitation ;
  • les modalités d'échanges de données entre la MSA, les CFE et l'APCA ;
  • les conditions de mise à jour du registre, notamment de radiation des inscrits ;
  • les conditions de transmission des données du registre, y compris le coût de délivrance des documents.
– Entrée en vigueur du registre. – Le registre des actifs agricoles entre en vigueur le 1er juillet 2018.

L'utilité du registre

– Attestation d'inscription. – Les chambres d'agriculture sont tenues de délivrer gratuitement, sur demande de la personne inscrite, une attestation d'inscription sur le registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 7). Ce document a vocation à servir de carte d'identité professionnelle.
– Droit aux aides publiques. – Le bénéfice de certaines aides publiques peut désormais être limité aux personnes inscrites sur le registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 6). Cette limitation des bénéficiaires est toutefois conditionnée à la parution d'un décret en Conseil d'État.

Un regard critique sur le registre

– Un projet inabouti. – Ce registre a été créé comme une fin en soi, sans concevoir à l'avance son utilisation. Ainsi, son utilité est doublement limitée :
  • il est à la fois peu sélectif 1507387652449et incomplet 1507387708952, ce qui ne lui permet pas de jouer un rôle statistique utile ;
  • il n'a aujourd'hui aucune conséquence concrète pour les inscrits 1507386384919, dans l'attente d'un hypothétique décret limitant l'attribution de certaines aides.
– Les rendez-vous manqués. – La création d'un tel registre était l'opportunité de se doter d'un outil jouant un rôle significatif à plusieurs niveaux :
  • constituer un registre de l'agriculture 1507446527881permettant de connaître l'ensemble du monde agricole sans exceptions 1507452407537, mais également de distinguer les agriculteurs professionnels et ceux ne l'étant pas 1507448122368 ;
  • permettre son utilisation au-delà du simple cadre statistique et des aides, notamment pour :
Il s'agit finalement d'un projet inabouti, ayant manqué plusieurs rendez-vous stratégiques pour le monde agricole. Ainsi, un registre plus complet doté d'effets juridiques élargis aurait donné du sens à sa création. Il constitue néanmoins une première pierre sur laquelle un édifice législatif pourra se construire. En réalité, sa réussite dépend surtout de la capacité du législateur à donner une définition de l'agriculteur professionnel, utilisable dans l'ensemble des législations concernées 1509536802096.