Des règles d'urbanisme trop complexes

Des règles d'urbanisme trop complexes

– Les documents d'urbanisme. – « L'expression documents d'urbanisme (...) doit être entendue comme désignant les documents élaborés à l'initiative d'une collectivité publique et ayant pour objet de déterminer les prévisions et règles touchant à l'affectation et à l'occupation des sols et opposables aux personnes publiques ou privées » 1493539873396.
Ces documents d'urbanisme relèvent de deux ordres : la planification stratégique au niveau national (§ I) 1506316869809, définissant un cadre général d'aménagement du territoire, et la planification réglementaire à l'échelle communale ou intercommunale (§ II), dont les documents définissent les règles d'urbanisme opposables aux demandes d'autorisation.

La planification stratégique

– La loi SRU. – Les documents de planification stratégique fixent les grandes orientations dans une logique prospective et prévisionnelle. Issus de la loi SRU du 13 décembre 2000 1506368226277, ils sont aujourd'hui porteurs d'un véritable projet de territoire et ont pour objectif de réaliser un équilibre entre, d'une part, des exigences d'urbanisme et de protection de l'environnement et, d'autre part, des exigences sociales.
Malheureusement, s'ils révèlent un fort potentiel (A), les outils mis en place par la loi SRU pâtissent d'une trop grande instabilité (B).

Des outils à fort potentiel

– Le mille-feuille des documents d'urbanisme. – Revenir sur l'ensemble de la réglementation traitant des documents d'urbanisme de portée nationale serait inutile pour plusieurs raisons. D'abord parce que les textes existants constituent un mille-feuille réglementaire d'une densité telle que leur analyse phagocyterait tout autre développement. Ensuite parce que ces textes évoluent continuellement dans le détail, amenant à n'en retenir que les axes principaux. Enfin parce que certains congrès des notaires ont déjà fait le travail remarquable de tenter de rendre l'écheveau législatif compréhensible 1493541192938.
– L'exemple du SCoT. – Le schéma de cohérence territorial, dispositif pivot dans la hiérarchie des normes, est un exemple parlant lorsqu'il s'agit de dresser le bilan des documents d'urbanisme créés par la loi SRU.
Le SCoT est l'outil de conception et de mise en œuvre d'une planification stratégique intercommunale, à l'échelle d'un large bassin de vie ou d'une aire urbaine, dans le cadre d'un projet d'aménagement et de développement durables (PADD). Il est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes politiques sectorielles, notamment celles centrées sur les questions d'organisation de l'espace et d'urbanisme, d'habitat, de mobilité, d'aménagement commercial, d'environnement. Il en assure la cohérence, en respectant les principes du développement durable 1506879883611.
Dans l'objectif de couvrir la quasi-totalité du territoire national en SCoT, les communes ou leurs groupements sont fortement incités à s'en équiper 1507391060744. À défaut, un principe d'urbanisation limitée de plus en plus contraignant est prévu 1506341797805.
– Le SCoT : un fort potentiel. – Quelques années après son entrée en vigueur, le SCoT attirait des commentaires élogieux : « Cette approche novatrice de la planification est des plus importantes. Sans la qualifier de révolutionnaire, on ne peut qu'approuver son caractère novateur et voir là un outil extrêmement important pour appréhender une gestion économe des sols » 1506369232455.
Il résulte d'un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) intitulé « Quelle évolution pour les schémas de cohérence territoriale ? » 1506259536234que le SCoT est bien adapté aux préoccupations environnementales, de consommation d'énergie et de développement durable ayant envahi la sphère décisionnelle, elle-même de plus en plus ouverte aux habitants. Il répond en outre au problème de la consommation des espaces naturels et agricoles, invitant de facto à la densification. Prenant en compte ces problématiques contemporaines, il a surtout largement contribué au déploiement d'une culture de l'urbanisme et du projet territorial en France.
L'outil est ainsi structurellement de bonne qualité, propice à mener une approche prospective et à définir une stratégie de développement à vingt ou trente ans.

Une trop grande instabilité

– Le mieux, ennemi du bien. – Malgré la qualité structurelle d'un outil créé à la fin des années 2000, le SCoT a déjà été impacté directement ou indirectement par plus d'une quinzaine de lois et ordonnances depuis son instauration 1506259058067, souvent de manière non négligeable. Ainsi, la moyenne est à plus d'une modification par an ! L'emplacement et le numéro du SCoT dans le Code de l'urbanisme ont également changé à plusieurs reprises 1506542609005.
Sa place même dans la hiérarchie des règles d'urbanisme est en pleine évolution, suite à l'émergence du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) créé par la loi NOTRe (CGCT, art. L. 4251-1 à L. 4251-11) 1506755634747, dont il a l'obligation de prendre en compte les objectifs.
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– Quel avenir pour le SCoT ? – Le rapport sur le SCoT commandé par les pouvoirs publics (V. n° ) cultive les paradoxes. On y fait suivre un florilège des qualités reconnues à un outil n'ayant jamais eu sa chance à périmètre constant sur la durée, par un flot de critiques. On y lit que « la nécessité d'une pause, d'un temps de stabilité juridique est unanimement exprimée » 1506758547066. Mais, comble de l'ironie, les auteurs préconisent « six grandes pistes pour repenser le SCoT » !
– Un exemple dupliqué pour les autres outils d'urbanisme. – L'instabilité législative critiquée à l'égard du SCoT est malheureusement dupliquée avec les autres outils de la matière urbanistique. L'interaction des documents étant la règle, les évolutions en matière d'intercommunalité remettent en cause l'ensemble de l'édifice construit dans les années 2000. Les SRADDET sont symptomatiques d'une législation avide de créations nouvelles, impactant forcément les anciennes. La possible transformation des PLU en PLUi ou PLU-H 1513197659829révèle également une insatisfaction chronique relative à la réglementation existante 1506763023254.
Il convient par ailleurs de compter avec le droit européen, la loi Grenelle 2 ayant introduit dans notre législation un régime d'examen au cas par cas de la nécessité de faire précéder les projets d'une étude d'impact sur l'environnement ou la santé humaine, conformément aux objectifs poursuivis par une directive européenne (C. env., art. L. 122-1) 1510813076064.
– Un urbanisme à tout faire. – Depuis l'an 2000, sous couvert d'une modernisation incessante et de lois toujours plus nombreuses 1507061221235, de nouveaux objectifs sont sans cesse ajoutés aux documents d'urbanisme. Toutes les préoccupations touchant à l'environnement viennent à ce titre s'empiler sur les fonctions régaliennes du droit de l'urbanisme, au risque de perdre les fonctionnalités les plus primaires de ces outils.
Les rapports se multiplient pour évaluer les modifications récentes et proposer de nouvelles mesures ciblées 1507388678192, renforçant la confusion générale.
– La simplification ou la révolution. – À l'heure actuelle, est-on réellement en mesure de simplifier le droit de l'urbanisme sans le révolutionner ? Par quel tour de magie peut-on envisager de rendre les règles actuelles compréhensibles par ceux à qui elles s'appliquent ? Le souhaite-t-on seulement ?
La réponse à ces questions est d'autant plus essentielle que les outils urbanistiques créés par les réglementations nationales sont utilisés au niveau local.

Au niveau local

– Un luxe de détails pour le SCoT. – La multiplication de textes prônant tous le même engagement en faveur d'une mobilisation du foncier dans les zones déjà bâties devrait aboutir à une densification satisfaisante 1506878873348. Ce n'est pourtant pas le cas. Si les textes existent, leur mise en application au niveau local est délicate, sinon déficiente.
La complexité étant le propre de la planification à la française, l'inflation réglementaire a créé un excès de normes non hiérarchisées, privant le SCoT de toute liberté. Conçu comme un projet de territoire, ce document apparaît de plus en plus comme un exercice réglementaire, à portée exclusivement juridique et par là même fortement exposé au contentieux. Son caractère normatif lui confère une tournure lourde, répétitive et peu lisible, mais également très technique, difficilement maîtrisable par les élus 1506877703342.
– Des SCoT très disparates. – Selon leur date d'établissement et l'interprétation qu'en ont faite les concepteurs locaux, les SCoT sont très disparates. Certains ont un périmètre très vaste, d'autres très étroit. Certains sont très détaillés, d'autres beaucoup moins. Cette hétérogénéité ne plaide pas en faveur de ce document.
Quid des autres documents d'urbanisme ? – Lorsque le SCoT est très dense, sa précision le rapproche du PLU, et plus encore du PLUi, augmentant le risque de démarches redondantes, qui plus est à la même échelle.
Les plans locaux d'urbanisme sont élaborés dans le but d'encadrer l'utilisation du sol. En dépit des recommandations renouvelées des ministères 1506197693977, ils se perdent souvent dans un luxe de détails allant jusqu'à englober la forme et l'aspect des bâtiments 1506197319782.
Les plans locaux d'urbanisme ont beau ne pas avoir de structure réglementaire imposée, ils se ressemblent tous, établis sur le modèle jadis obligatoire du plan d'occupation des sols. Presque aussi denses que les POS, de nombreux PLU contiennent au surplus des dispositions non adaptées à la situation géographique locale.
Ces documents font eux aussi l'objet d'une « modernisation » incessante, actuellement portée par une vague de verdissement 1507061090772.
Ainsi, la multiplication des normes tant nationales que locales rend excessivement délicate la mise en œuvre des projets d'urbanisme, devenant parfois aléatoires.