Le manque d'efficacité de l'urbanisme de densification

Le manque d'efficacité de l'urbanisme de densification

– La pyramide de l'urbanisme. – L'efficacité des règles d'urbanisme repose sur l'équilibre précaire d'un jeu de construction juridique en forme de pyramide.
Les textes de portée nationale servent de base à la documentation urbanistique. Issus de lois portées par des visions politiques diverses, ils définissent une planification stratégique formant un socle instable.
Au-dessus, les textes réglementaires de portée locale émanent d'une pléthore d'administrations et servent à des organismes à compétence et géographie variables. Ils s'entremêlent dans un enchevêtrement complexe. Souvent modifiées, ces règles parviennent à se contredire entre elles, créant un sentiment de mouvement permanent et une assise chancelante.
Au sommet de la pyramide, tâchant tant bien que mal de conserver l'équilibre sur son mouvant promontoire, par ailleurs soufflé par le vent des pressions, notamment électives, le maire est le garant objectif du bon fonctionnement du processus de délivrance d'une autorisation d'urbanisme.
Le mécano n'est pas stable, car « le vrai de l'équilibre, c'est qu'il suffit d'un souffle pour tout faire bouger » 1506157569046.
Ainsi, l'urbanisme français manque d'efficacité, victime de règles trop complexes(Sous-section I) et de décisions trop aléatoires (Sous-section II).

Des règles d'urbanisme trop complexes

– Les documents d'urbanisme. – « L'expression documents d'urbanisme (...) doit être entendue comme désignant les documents élaborés à l'initiative d'une collectivité publique et ayant pour objet de déterminer les prévisions et règles touchant à l'affectation et à l'occupation des sols et opposables aux personnes publiques ou privées » 1493539873396.
Ces documents d'urbanisme relèvent de deux ordres : la planification stratégique au niveau national (§ I) 1506316869809, définissant un cadre général d'aménagement du territoire, et la planification réglementaire à l'échelle communale ou intercommunale (§ II), dont les documents définissent les règles d'urbanisme opposables aux demandes d'autorisation.

La planification stratégique

– La loi SRU. – Les documents de planification stratégique fixent les grandes orientations dans une logique prospective et prévisionnelle. Issus de la loi SRU du 13 décembre 2000 1506368226277, ils sont aujourd'hui porteurs d'un véritable projet de territoire et ont pour objectif de réaliser un équilibre entre, d'une part, des exigences d'urbanisme et de protection de l'environnement et, d'autre part, des exigences sociales.
Malheureusement, s'ils révèlent un fort potentiel (A), les outils mis en place par la loi SRU pâtissent d'une trop grande instabilité (B).

Des outils à fort potentiel

– Le mille-feuille des documents d'urbanisme. – Revenir sur l'ensemble de la réglementation traitant des documents d'urbanisme de portée nationale serait inutile pour plusieurs raisons. D'abord parce que les textes existants constituent un mille-feuille réglementaire d'une densité telle que leur analyse phagocyterait tout autre développement. Ensuite parce que ces textes évoluent continuellement dans le détail, amenant à n'en retenir que les axes principaux. Enfin parce que certains congrès des notaires ont déjà fait le travail remarquable de tenter de rendre l'écheveau législatif compréhensible 1493541192938.
– L'exemple du SCoT. – Le schéma de cohérence territorial, dispositif pivot dans la hiérarchie des normes, est un exemple parlant lorsqu'il s'agit de dresser le bilan des documents d'urbanisme créés par la loi SRU.
Le SCoT est l'outil de conception et de mise en œuvre d'une planification stratégique intercommunale, à l'échelle d'un large bassin de vie ou d'une aire urbaine, dans le cadre d'un projet d'aménagement et de développement durables (PADD). Il est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes politiques sectorielles, notamment celles centrées sur les questions d'organisation de l'espace et d'urbanisme, d'habitat, de mobilité, d'aménagement commercial, d'environnement. Il en assure la cohérence, en respectant les principes du développement durable 1506879883611.
Dans l'objectif de couvrir la quasi-totalité du territoire national en SCoT, les communes ou leurs groupements sont fortement incités à s'en équiper 1507391060744. À défaut, un principe d'urbanisation limitée de plus en plus contraignant est prévu 1506341797805.
– Le SCoT : un fort potentiel. – Quelques années après son entrée en vigueur, le SCoT attirait des commentaires élogieux : « Cette approche novatrice de la planification est des plus importantes. Sans la qualifier de révolutionnaire, on ne peut qu'approuver son caractère novateur et voir là un outil extrêmement important pour appréhender une gestion économe des sols » 1506369232455.
Il résulte d'un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) intitulé « Quelle évolution pour les schémas de cohérence territoriale ? » 1506259536234que le SCoT est bien adapté aux préoccupations environnementales, de consommation d'énergie et de développement durable ayant envahi la sphère décisionnelle, elle-même de plus en plus ouverte aux habitants. Il répond en outre au problème de la consommation des espaces naturels et agricoles, invitant de facto à la densification. Prenant en compte ces problématiques contemporaines, il a surtout largement contribué au déploiement d'une culture de l'urbanisme et du projet territorial en France.
L'outil est ainsi structurellement de bonne qualité, propice à mener une approche prospective et à définir une stratégie de développement à vingt ou trente ans.

Une trop grande instabilité

– Le mieux, ennemi du bien. – Malgré la qualité structurelle d'un outil créé à la fin des années 2000, le SCoT a déjà été impacté directement ou indirectement par plus d'une quinzaine de lois et ordonnances depuis son instauration 1506259058067, souvent de manière non négligeable. Ainsi, la moyenne est à plus d'une modification par an ! L'emplacement et le numéro du SCoT dans le Code de l'urbanisme ont également changé à plusieurs reprises 1506542609005.
Sa place même dans la hiérarchie des règles d'urbanisme est en pleine évolution, suite à l'émergence du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) créé par la loi NOTRe (CGCT, art. L. 4251-1 à L. 4251-11) 1506755634747, dont il a l'obligation de prendre en compte les objectifs.
image-1009760
Image
– Quel avenir pour le SCoT ? – Le rapport sur le SCoT commandé par les pouvoirs publics (V. n° ) cultive les paradoxes. On y fait suivre un florilège des qualités reconnues à un outil n'ayant jamais eu sa chance à périmètre constant sur la durée, par un flot de critiques. On y lit que « la nécessité d'une pause, d'un temps de stabilité juridique est unanimement exprimée » 1506758547066. Mais, comble de l'ironie, les auteurs préconisent « six grandes pistes pour repenser le SCoT » !
– Un exemple dupliqué pour les autres outils d'urbanisme. – L'instabilité législative critiquée à l'égard du SCoT est malheureusement dupliquée avec les autres outils de la matière urbanistique. L'interaction des documents étant la règle, les évolutions en matière d'intercommunalité remettent en cause l'ensemble de l'édifice construit dans les années 2000. Les SRADDET sont symptomatiques d'une législation avide de créations nouvelles, impactant forcément les anciennes. La possible transformation des PLU en PLUi ou PLU-H 1513197659829révèle également une insatisfaction chronique relative à la réglementation existante 1506763023254.
Il convient par ailleurs de compter avec le droit européen, la loi Grenelle 2 ayant introduit dans notre législation un régime d'examen au cas par cas de la nécessité de faire précéder les projets d'une étude d'impact sur l'environnement ou la santé humaine, conformément aux objectifs poursuivis par une directive européenne (C. env., art. L. 122-1) 1510813076064.
– Un urbanisme à tout faire. – Depuis l'an 2000, sous couvert d'une modernisation incessante et de lois toujours plus nombreuses 1507061221235, de nouveaux objectifs sont sans cesse ajoutés aux documents d'urbanisme. Toutes les préoccupations touchant à l'environnement viennent à ce titre s'empiler sur les fonctions régaliennes du droit de l'urbanisme, au risque de perdre les fonctionnalités les plus primaires de ces outils.
Les rapports se multiplient pour évaluer les modifications récentes et proposer de nouvelles mesures ciblées 1507388678192, renforçant la confusion générale.
– La simplification ou la révolution. – À l'heure actuelle, est-on réellement en mesure de simplifier le droit de l'urbanisme sans le révolutionner ? Par quel tour de magie peut-on envisager de rendre les règles actuelles compréhensibles par ceux à qui elles s'appliquent ? Le souhaite-t-on seulement ?
La réponse à ces questions est d'autant plus essentielle que les outils urbanistiques créés par les réglementations nationales sont utilisés au niveau local.

Au niveau local

– Un luxe de détails pour le SCoT. – La multiplication de textes prônant tous le même engagement en faveur d'une mobilisation du foncier dans les zones déjà bâties devrait aboutir à une densification satisfaisante 1506878873348. Ce n'est pourtant pas le cas. Si les textes existent, leur mise en application au niveau local est délicate, sinon déficiente.
La complexité étant le propre de la planification à la française, l'inflation réglementaire a créé un excès de normes non hiérarchisées, privant le SCoT de toute liberté. Conçu comme un projet de territoire, ce document apparaît de plus en plus comme un exercice réglementaire, à portée exclusivement juridique et par là même fortement exposé au contentieux. Son caractère normatif lui confère une tournure lourde, répétitive et peu lisible, mais également très technique, difficilement maîtrisable par les élus 1506877703342.
– Des SCoT très disparates. – Selon leur date d'établissement et l'interprétation qu'en ont faite les concepteurs locaux, les SCoT sont très disparates. Certains ont un périmètre très vaste, d'autres très étroit. Certains sont très détaillés, d'autres beaucoup moins. Cette hétérogénéité ne plaide pas en faveur de ce document.
Quid des autres documents d'urbanisme ? – Lorsque le SCoT est très dense, sa précision le rapproche du PLU, et plus encore du PLUi, augmentant le risque de démarches redondantes, qui plus est à la même échelle.
Les plans locaux d'urbanisme sont élaborés dans le but d'encadrer l'utilisation du sol. En dépit des recommandations renouvelées des ministères 1506197693977, ils se perdent souvent dans un luxe de détails allant jusqu'à englober la forme et l'aspect des bâtiments 1506197319782.
Les plans locaux d'urbanisme ont beau ne pas avoir de structure réglementaire imposée, ils se ressemblent tous, établis sur le modèle jadis obligatoire du plan d'occupation des sols. Presque aussi denses que les POS, de nombreux PLU contiennent au surplus des dispositions non adaptées à la situation géographique locale.
Ces documents font eux aussi l'objet d'une « modernisation » incessante, actuellement portée par une vague de verdissement 1507061090772.
Ainsi, la multiplication des normes tant nationales que locales rend excessivement délicate la mise en œuvre des projets d'urbanisme, devenant parfois aléatoires.

Des autorisations d'urbanisme trop aléatoires

L'objectif des documents d'urbanisme est de fixer les conditions applicables aux autorisations d'urbanisme demandées, de sorte que leur délivrance soit cohérente. La pratique révèle néanmoins de nombreux problèmes, tant dans la prise de décision (§ I) que dans l'application de l'autorisation délivrée (§ II).

Les difficultés dans la prise de décision

– Les refus abusifs. – Les autorisations d'urbanisme ne devraient subir aucun aléa. Dans un monde idéal, une demande conforme aux conditions d'exigence des textes la régissant aboutit à une délivrance, et une demande en contradiction avec les règles d'urbanisme impose un refus. En pratique, il existe un phénomène dilatoire de refus abusif des permis de construire. Il complète, mais à une tout autre échelle, la technique ancienne et très habituelle consistant à demander au dernier moment la production de nouvelles pièces en complément du dossier d'origine 1506884249182.
Mis en évidence par le rapport du préfet Duport 1506884713532, le refus abusif consiste à s'opposer à des projets manifestement conformes aux prescriptions édictées par l'administration elle-même. La manœuvre est d'autant plus courante qu'elle est efficace.
Pour lutter contre cette attitude, la loi dite « Macron » a modifié l'article L. 424-3 du Code de l'urbanisme, en imposant aux élus de compléter leur refus par une mention intégrale et exhaustive des motifs du refus. Pourtant, il est peu probable que le juge des référés constate l'existence de situations d'urgence ou que le juge de l'excès de pouvoir, s'il annule les refus, enjoigne autre chose que de simples réexamens des dossiers 1508877957570. Ainsi, à défaut de mesures complémentaires plus sévères 1510814600108, le refus dilatoire a encore de beaux jours devant lui.
– La partie cachée de l'iceberg. – Bien plus que le refus officiel d'autorisation de construire, la discussion informelle en amont du dépôt de la demande est de pratique courante. Alors que les élus locaux prônent la densification des villes compactes, ils s'arrangent régulièrement pour que les projets de permis de construire déposés n'utilisent pas l'intégralité des droits à construire autorisés par les règles d'urbanisme.
Ces négociations ont la plupart du temps lieu lors de réunions de présentation des projets, dirigées par des responsables de l'urbanisme local, parfois accompagnés de l'architecte des Bâtiments de France (ABF). À la fin de la séance, soit une autorisation informelle est donnée, souvent agrémentée de demandes de modifications, soit des objections plus ou moins rédhibitoires sont soulevées.
Il est bien sûr possible de passer outre les « recommandations » dès lors que le projet est conforme aux règles d'urbanisme. La bonne entente des promoteurs avec les élus est néanmoins un élément trop important pour risquer d'indisposer celui qui délivre toutes les autorisations.
– Arbitraire et politique. – Il arrive que des autorisations d'urbanisme soient refusées à cause des difficultés liées à l'interprétation de la multitude des textes applicables. Dans un cas litigieux, il est toujours moins dangereux de refuser un permis que d'en accorder un illégal 1506974638547.
Mais, le plus souvent, les refus abusifs ou les recommandations de sous-densification relèvent de l'arbitraire des responsables de l'urbanisme. Parfois, l'électorat n'est pas prêt à accepter une densification massive 1506886075415ou le maire n'accepte pas de voir une partie de ses concitoyens déclassés 1508266888918. D'autres fois, le souci des équilibres de la commune, insuffisamment dotée d'équipements publics, justifie ces refus informels aux yeux des édiles 1515182972253. Mais, dans ces cas-là, le rôle de l'élu est de modifier les documents d'urbanisme locaux pour les rendre compatibles avec la réalité du terrain, pas de les laisser s'appliquer à des situations ingérables.
– La transition vers un autre échelon de décision. – Ces pratiques posent la question du bon échelon décisionnaire pour la délivrance des autorisations d'urbanisme.
En principe, le maire est compétent pour délivrer les autorisations d'urbanisme au nom de l'État (C. urb., art. R. 422-1). Cependant, à titre exceptionnel, ces autorisations relèvent de la compétence du préfet.
Avec l'entrée en vigueur du PLU intercommunal, cette solution est-elle encore justifiée ? 1507148481156 Pour une meilleure vision d'ensemble et pour éviter les pressions locales, l'échelon départemental, voire régional semble préférable.

Les difficultés dans l'application de l'autorisation délivrée

– Le chantage, source de blocage majeur. – Dans les villes compactes, la multiplication des recours contre les décisions d'urbanisme est devenue une « source de blocage majeur de la mobilisation du foncier privé » 1493322586062. À côté de citoyens entendant simplement défendre leur « bon droit » sans arrière-pensées mercantiles, d'autres, s'attaquant principalement aux autorisations de construire des immeubles collectifs d'habitation ou de bureaux, voient dans l'action judiciaire un moyen de chantage rémunérateur 1493471810134 (A). Les pouvoirs publics cherchent depuis quelques années des solutions à ce problème (B).

Le mécanisme du chantage

– Un équilibre des droits à trouver. – Pour les citoyens subissant un préjudice lié à une autorisation d'urbanisme irrégulière, l'accès au juge relève des droits constitutionnels 1493473304411. Les droits fondamentaux garantissent également la possibilité offerte au propriétaire de valoriser son terrain par l'utilisation d'une autorisation d'urbanisme régulière. Dès lors, aux yeux des pouvoirs publics, les droits de tous sont respectés au moment même où, en dernière instance, le juge détermine le caractère régulier ou irrégulier de l'autorisation d'urbanisme. Cependant, cet axiome ne tient que dans l'absolu, avec une justice prenant position sans retard.
– Les délais judiciaires, source de déséquilibre et cause du chantage. – Dans la pratique, les délais judiciaires sont tels qu'ils déséquilibrent le bel ordonnancement théorique, toujours en faveur de celui qui s'attaque à la décision donnant des droits à construire, et, par conséquent, au détriment du pétitionnaire de l'autorisation d'urbanisme. Certains l'ont compris et intentent une action en justice contre une autorisation qu'ils savent régulière, soit pour gagner du temps sur la construction gênante, soit pour négocier des contreparties financières avec le titulaire du permis. Ce dernier, ayant le plus souvent déjà fait des investissements conséquents dans l'ingénierie du dossier, redoute tellement l'importance prévisible du retard de son projet qu'il accepte régulièrement de céder au chantage 1493649836466.
Ainsi, dans les avant-contrats de vente de terrains à bâtir portant sur des immeubles collectifs, au titre de la condition suspensive d'obtention d'une autorisation d'urbanisme purgée de recours et de retrait 1493550228602, la formule prévoyant une période de maintien de la validité de la promesse en cas de recours, le temps de négocier avec les requérants, devient une clause de style.

Les solutions possibles

Le problème est d'une telle importance et dure depuis tellement longtemps que les pouvoirs publics ont essayé de faire bouger les lignes, malheureusement de manière insuffisante (I). C'est pourquoi il convient de proposer de nouvelles avancées (II).
Des avancées insuffisantes
Les progrès provenant tant du législateur (a) que de la justice (b) restent insuffisants.
Des avancées législatives
– Le rapport « Labetoulle ». – Dans le prolongement de travaux antérieurs 1493641879732, le rapport « Labetoulle » 1493642941796, rendu au ministre de l'Égalité des territoires et du Logement le 25 avril 2013, a émis plusieurs préconisations afin de mieux équilibrer les droits des titulaires d'autorisations de construire et des requérants les attaquant.
– L'ordonnance du 18 juillet 2013. – L'ordonnance du 18 juillet 2013 1493650197435, prise dans le but d'accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l'urbanisme et de prévenir les contestations dilatoires ou abusives, a repris plusieurs préconisations du rapport « Labetoulle », en visant à encadrer l'intérêt à agir des tiers (i), et en créant un recours indemnitaire à l'encontre des recours abusifs (ii).
L'encadrement de l'intérêt à agir des tiers et de leur délai d'action
– La notion d'intérêt à agir. – Pour lutter contre les habitudes très libérales des tribunaux administratifs, l'ordonnance du 18 juillet 2013 a redéfini de manière stricte la notion d'intérêt à agir des tiers à l'encontre des autorisations d'urbanisme. Dorénavant, un tiers 1493651366241n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d'urbanisme que dans les cas où « la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien » sur lequel il bénéficie d'un droit de propriété actuel ou futur, ou d'occupation régulière (C. urb., art. L. 600-1-2). Le pétitionnaire doit désormais préciser l'atteinte invoquée pour justifier d'un intérêt à agir, en faisant état d'éléments précis et étayés 1493651949353.
Sauf circonstances particulières, l'intérêt à agir s'apprécie à la date de l'affichage de la demande du pétitionnaire en mairie et non plus à la date de l'introduction du recours 1493652425028.
– Le délai pour déposer les pièces. – La loi Égalité et citoyenneté 1507062745917a prévu un principe de caducité de la requête lorsque, sans motif légitime, le requérant ne produit pas les pièces nécessaires au jugement dans un délai de trois mois à compter de la requête ou dans le délai imparti par le juge (C. urb., art. L. 600-13). Cette disposition est la bienvenue, les justiciables pressés ressentant comme un supplice les procédés dilatoires tels que l'envoi des pièces au compte-gouttes. Ainsi, le requérant n'est pas privé de son droit, mais il est en revanche forcé de l'exercer dans des délais raisonnables, sans abuser des artifices de procédure.
Le recours indemnitaire à l'encontre des recours abusifs
– Un premier pas certes, mais seulement un premier pas… – L'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme, fruit de l'ordonnance du 18 juillet 2013, a introduit dans la législation française un recours indemnitaire à l'encontre des recours abusifs écartés par les juridictions administratives. Le titulaire de l'autorisation d'urbanisme attaquée par un recours qu'il estime dilatoire et/ou abusif a la faculté de saisir le juge administratif d'un mémoire distinct de sa défense sur le fond du litige, réclamant la condamnation du requérant à lui allouer des dommages et intérêts en raison du préjudice que le recours lui fait subir.
Cette action indemnitaire s'est substituée à la simple amende, limitée à 3 000 €, à laquelle le juge pouvait auparavant condamner le requérant. Ce premier pas est important mais insuffisant, tant au regard des conditions imposées (1) que de la cible visée (2).
Les conditions du recours
– Comme au poker. – Le recours indemnitaire ne prospère que lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre l'autorisation d'urbanisme a été mis en œuvre dans des conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant et causant un préjudice excessif au bénéficiaire du permis 1507061746160.
Qu'est-ce qu'un préjudice excessif ? Quelles sont les conditions excédant la défense des intérêts légitimes ? L'opacité du vocabulaire employé offre une très grande liberté d'appréciation aux juges, s'agissant tant du principe de la condamnation que du quantum de la réparation. Il revient en outre au titulaire de l'autorisation, au moyen d'un mémoire distinct de celui par lequel il défend la validité de son permis, d'apporter les preuves de l'existence et de l'importance de son préjudice, ainsi que du caractère abusif de la requête de son opposant.
Ce texte distribue une carte de plus dans la partie de poker menteur jouée entre le promoteur et le « maître chanteur », mais sans fondamentalement changer les règles du jeu. Le titulaire de l'autorisation de construire est à présent dans l'incertitude sur ce qu'il aurait à gagner à laisser la justice suivre son cours, mais il sait toujours ce qu'il a à perdre à ne pas négocier. Comme tout bon joueur de poker, son adversaire lit facilement dans les pensées du promoteur. L'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme pourra faire peur aux « joueurs amateurs », mais il y a fort à parier qu'il n'effraiera pas longtemps les professionnels du recours 1493659058882.
Seules des décisions jurisprudentielles très sévères, inédites à ce jour, pourraient changer la donne.
– Une présomption d'intérêt légitime… pour les associations. – Le dernier alinéa de l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme prévoit qu'une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l'environnement est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. Il n'est pas précisé si cette présomption est simple ou irréfragable. Pour autant, il est facile de voir dans cette disposition une sorte de message subliminal appelant à une certaine mansuétude à l'égard des pétitionnaires « pots de terre » contre les promoteurs « pots de fer ».
La cible de l'action
– Un tir à côté de la cible. – Si l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme vise les opposants aux projets d'urbanisme « jusqu'au-boutistes » ou « mafieux », il passe à côté d'une partie de sa cible.
En effet, une partie importante des requérants prêts à tout pour aller au bout des procédures judiciaires est d'ores et déjà constituée en associations de protection de l'environnement (C. env., art. L. 141-1). Du fait de la présomption leur profitant, ces associations devraient ainsi pouvoir continuer à attaquer impunément tous les permis délivrés dans leur zone. Au pire, elles subiront la construction finale mais avec retard ; au mieux, elles l'empêcheront.
Quant aux opposants de type mafieux, ils n'entendent par définition pas aller au bout de la procédure judiciaire. Au contraire, leur objectif principal réside dans l'abandon de leur recours contre indemnité. Ainsi, l'article L. 600-7 ne les vise qu'indirectement, en donnant à leur opposant un argument dans la négociation 1510816490508.
Des avancées de la justice
– Des avancées en matière de temps. – Eu égard à l'importance des enjeux, la juridiction administrative a fait de gros efforts pour raccourcir la durée des contentieux en matière d'urbanisme et d'aménagement. Le délai moyen au niveau national a été ramené à moins de deux ans 1493552692762. C'est encore trop, surtout avec plusieurs degrés de juridiction 1493552851976.
Parallèlement, la juridiction administrative a réduit ses stocks de contentieux en instance 1493653079792. Les auteurs du rapport « Goldberg » s'en félicitent et y voient les premiers fruits des mesures de 2013, tout en regrettant que les acteurs de la construction ne partagent pas leur ressenti. Il reste à se demander si ce différentiel de perception ne tient pas à ce que l'amélioration toucherait numériquement les permis de construire de maisons individuelles, laissant le problème se concentrer sur les programmes collectifs, moins nombreux mais présentant des enjeux financiers beaucoup plus importants 1493653954936.
– Très peu d'avancées en matière d'argent. – Certains promoteurs voyaient dans l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme la fin de leurs tourments relatifs aux recours abusifs. Il ne leur fallut pas longtemps pour déchanter, le juge administratif estimant fréquemment que le recours n'était pas mis en œuvre dans des conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant 1507058706020, ou que le préjudice ne présentait pas de caractère excessif 1507058745392.
Cet article avait bien été appliqué par le juge administratif de Bordeaux 1507058815930, mais le jugement avait limité l'attribution de dommages et intérêts à une somme de 4 000 €.
Une décision leur redonne espoir pourtant. Par jugement du 17 novembre 2015, le tribunal administratif de Lyon a condamné les requérants au paiement d'une somme de 82 700 € 1506977757173. Motivé par un intérêt à agir lacunaire, affaibli par une production de pièces utiles si tardive qu'elle en avait provoqué un report d'audience, fondé sur des moyens inopérants ou faiblement argumentés, le recours a été jugé abusif au sens de l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme. Le montant des dommages et intérêts a été évalué en tenant compte du préjudice matériel, le tribunal administratif retenant notamment le coût de portage financier, les coûts liés à la hausse du taux de TVA ou les pertes de revenus locatifs 1507059458745. Cet arrêt ressemble cependant à un îlot perdu au milieu de l'océan.
De nouvelles propositions
Le rapport Goldberg contient d'autres propositions permettant d'améliorer encore le traitement des recours (a). Ces préconisations n'ont pas été suivies d'effet ou correspondent à des vœux pieux. Il est pourtant urgent de trouver des solutions plus radicales. Le rapport Maugüé les propose (b).
Les propositions évoquées dans le rapport Goldberg
– Le vœu pieux de la médiation. – Afin de favoriser les règlements amiables, le rapport Goldberg entend également obliger les tribunaux administratifs à informer les parties sur l'intérêt et l'objet de la médiation et à leur proposer d'y avoir recours. De telles propositions sont sans doute opportunes à l'égard d'une population de bonne foi. Elles semblent en revanche vouées à l'échec lorsqu'elles visent un public « jusqu'au-boutiste » ou à visée indemnitaire, pouvant même feindre de se laisser tenter pour gagner un peu de temps avant de repartir sur la voie contentieuse.
– Le refus d'une mesure plus radicale. – Le rapport Goldberg évoque la possibilité de créer une procédure devant le juge des référés, souvent réclamée par certaines personnes auditionnées dans le cadre de la mission. Cette proposition n'a pas été retenue jusqu'à présent au motif qu'elle encombrerait des tribunaux déjà surchargés, ne rendrait pas une décision en dernier ressort et aurait peu de chance de dissuader le requérant de prolonger son recours au fond 1493646848208.
Le rapport Maugüé : des propositions plus radicales
– Et pourtant, le référé... – Le 11 janvier 2018, Mme Christine Maugüé, conseillère d'État, a rendu un nouveau rapport 1515921788654procédant à l'évaluation des dispositions existantes en termes de lutte contre les recours abusifs dans le champ de l'urbanisme et proposant vingt-trois mesures d'amélioration.
Il est bien évidemment trop tôt pour savoir quelles seront les dispositions finalement adoptées dans la loi « Évolution du Logement et Aménagement Numérique » (ELAN) actuellement en préparation. Mais il est intéressant de noter les quatre objectifs visés par ces mesures, savoir :
  • réduire les délais de jugement ;
  • consolider les autorisations existantes ;
  • accroître la stabilité juridique des constructions achevées ;
  • et améliorer la sanction des recours abusifs.
L'axe de proposition le plus emblématique est assurément d'imposer à la juridiction administrative un délai de dix mois, tant en première instance qu'en appel, pour juger des autorisations d'urbanisme permettant la construction de logements collectifs 1516049673029en zone tendue. Il fait peser l'effort de lutte sur les juges administratifs 1516050895381et raccourcit le temps de la justice.
D'autres mesures bienvenues sont prévues, comme la cristallisation automatique des moyens au bout de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense, la mise en place d'un sursis à statuer judiciaire en vue d'une régularisation lorsque les conditions en sont remplies ou encore l'obligation pour un requérant dont le référé-suspension 1516137048172serait rejeté pour défaut de moyen sérieux, de confirmer le maintien de son recours au fond sous peine de désistement d'office.
Enfin, il a été prévu de réécrire l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme pour faciliter la sanction des recours abusifs, notamment en supprimant la notion de préjudice excessif et en substituant les « conditions qui traduisent un comportement déloyal de la part du requérant » aux « conditions excédant la défense des intérêts légitimes ».
À cet égard, il nous semble dommage que le groupe de travail n'ait pas eu l'audace de réclamer la mise en place, à l'initiative du titulaire de l'autorisation d'urbanisme, d'un référé défensif empruntant les caractéristiques du référé-suspension. Le juge des référés qui aurait ainsi donné un premier avis favorable sur la légalité de l'autorisation d'urbanisme, aurait en quelque sorte servi à inverser la charge de la preuve quant au comportement loyal ou déloyal du requérant. Défait en référé, ce requérant serait peut-être sensible au risque encouru par lui d'une condamnation importante s'ils s'obstinait dans sa lutte 1516138115827contre une autorisation d'urbanisme présumée valable.
Ce processus peut paraître machiavélique 1516051435503, mais l'objectif de réduction de l'incertitude juridique pesant sur les projets de construction et de prévention des recours abusifs susceptibles de décourager les investissements est quant à lui d'intérêt général, ainsi que vient de le juger le Conseil constitutionnel 1516052080046.
– Les assurances. – À défaut pour ce « plan de la dernière chance » de fonctionner enfin, il semble qu'il ne restera plus que la voie de l'assurance.
En effet, désespérés de ne pas trouver une solution judiciaire convenable, certains promoteurs se tournent vers les assurances, garantissant à prix d'or le remboursement de tous les individus ayant acquis des biens en l'état futur d'achèvement pendant la procédure judiciaire, en cas de permis finalement jugé illégal. Ce montage est fondé sur une étude très stricte du dossier contentieux, généralement menée par des cabinets d'avocats spécialisés. Lorsque le risque est estimé négligeable, l'assurance apporte sa caution au programme immobilier. Bien sûr, eu égard aux sommes engagées, cette assurance est réservée aux promoteurs les plus puissants 1507060179642.
Il est certain que le problème doit trouver rapidement une solution durable. À défaut, il risque d'être un frein rédhibitoire à l'urbanisme sur-mesure dont le pays a besoin.