Les rédiger : l'exemple de la clause de préciput

Les rédiger : l'exemple de la clause de préciput

– Question. – « Le « sur-mesure » [des aménagements des régimes matrimoniaux] supplantera-t-il enfin le « prêt-à-porter » ? ».
– Réponse. – Puisqu'il est question ici de l'espace de liberté des aménagements des régimes matrimoniaux en cas de décès de l'un des époux, la clause de préciput mérite d'être au cœur de nos réflexions rédactionnelles.
Afin d'illustrer l'ingénierie notariale qui peut être mise en œuvre dans les aménagements des régimes matrimoniaux, les développements qui suivent porteront uniquement sur la clause de préciput. Il s'agit de la clause aux termes de laquelle « le survivant des époux, ou l'un d'eux s'il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d'une espèce déterminée de biens ». L'ingénierie notariale sera à l'œuvre autant lors de la rédaction de la convention de préciput (§ I) que lors de la délivrance du préciput (§ II).

La convention de préciput

– Ingénierie notariale. – L'attrait pour cette clause est ainsi souligné par Cornu : « Ainsi retrouve-t-on au rang des clauses types l'une des conventions favorites de la pratique dont l'intérêt toujours actuel permet au survivant des époux de disposer, hors part, de certaines liquidités immédiates ou de soustraire au partage des biens qui lui sont plus spécialement attachés ». Aussi, afin d'accompagner le lecteur dans la rédaction de la convention de préciput, les propos qui suivent consisteront à détailler chaque clause qui la compose : de ses bénéficiaires (A) à son exercice (C), en passant par son objet (B).

Bénéficiaires du préciput

– Qui ? – Selon l'article 1515 du Code civil, le bénéficiaire du préciput peut être :
  • soit « le survivant des époux » – préciput réciproque ;
  • soit « l'un d'eux s'il survit » – préciput unilatéral.
« Le préciput est un gain de survie : il ne peut s'ouvrir qu'au décès de l'époux prémourant quelle que soit la cause de dissolution de la communauté.
Mais les époux peuvent convenir dans leur contrat de mariage que le préciput ne jouera pas si la communauté se dissout du vivant des époux ».

Préciput en faveur du survivant des époux

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BÉNÉFICIAIRES DU PRÉCIPUT
Il appartient aux époux de choisir entre l'une des deux formules que la loi propose :
PRÉCIPUT RÉCIPROQUE
À titre de convention de mariage, conformément aux dispositions des articles 1515 et suivants du Code civil, les futurs époux stipulent qu'en cas de dissolution du régime par le décès de l'un d'eux, le survivant aura le droit de prélever, par préciput et avant tout partage, à son choix exclusif, sur la masse commune, tout ou partie des biens ou type de biens ci-après énumérés dans le paragraphe « Objet du préciput ».
OU :
PRÉCIPUT UNILATÉRAL
À titre de convention de mariage, conformément aux dispositions des articles 1515 et suivants du Code civil, les futurs époux stipulent qu'en cas de dissolution du régime par le décès de Mme X (ou M. X), M. X, s'il lui survit (ou Mme X, si elle lui survit), aura le droit de prélever, par préciput et avant tout partage, à son choix exclusif, sur la masse commune, tout ou partie des biens ou type de biens ci-après énumérés dans le paragraphe « Objet du préciput ».
Poursuivre ensuite :
DIVORCE ET SÉPARATION DE CORPS
Cette faculté de prélèvement ne s'ouvrira pas au profit du bénéficiaire, pour le cas où, à cette époque, il existerait une instance en séparation de corps ou divorce, ou une décision de séparation de corps ou divorce passée en force de la chose jugée.
À cet égard, il est précisé au sens du présent contrat qu'une instance en divorce sera considérée comme intentée soit à la date de la demande en divorce présentée par le ou les avocats ainsi qu'il est dit à l'article 250 du Code civil, soit à la date de la requête visée à l'article 251 du même code.

Objet du préciput

– Quoi ? – Selon l'article 1515 du Code civil, l'objet du préciput peut être :
  • soit « une certaine somme » ;
  • soit « certains biens en nature » ;
  • soit « une certaine quantité d'une espèce déterminée de biens ».
Ladite liste légale n'est pas limitative.
Le préciput peut porter sur des biens immobiliers aussi bien que sur des objets mobiliers, et notamment des sommes d'argent.
Ainsi que le souligne Cornu : « L'énumération légale ne devrait pas être entendue comme enfermant les futurs époux dans une alternative ; il leur serait loisible de stipuler cumulativement un préciput pour des biens de diverses catégories ».
Plusieurs types de clauses de préciput peuvent être envisagées : de la plus restreinte à la plus large. Avec, cependant, une limite imposée par la loi, concernant le caractère particulier de son objet. « Le prélèvement ne peut réaliser, pour son bénéficiaire, qu'une acquisition à titre particulier [non à titre universel] ».

Préciput en faveur du survivant des époux

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OBJET DU PRÉCIPUT
BIENS SOUMIS À PRÉCIPUT
Il appartient aux époux de choisir parmi la liste suivante les biens qu'ils souhaitent soumettre à préciput :
Les futurs époux conviennent que le droit de prélever objet des présentes portera sur tout ou partie des biens ou type de biens ci-après énumérés et dépendant de la communauté existant entre eux, savoir :
  • Les droits par lesquels sera assuré le logement de la famille, que ces droits consistent en une maison d'habitation, en un appartement dans un immeuble en copropriété, en des parts ou actions de société immobilière donnant vocation à la jouissance ou à la propriété d'un local d'habitation.
  • Les meubles meublants et objets mobiliers de quelque nature qu'ils soient, sans exception, qui garniront le logement de la famille.
  • Les biens immobiliers détenus par la communauté, qu'ils constituent des biens de rapport ou toute résidence secondaire, que ces droits consistent en une maison, un appartement dans un immeuble en copropriété, en des parts ou actions de société donnant vocation à la jouissance ou à la propriété d'un local d'habitation, professionnel ou commercial.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des biens immobiliers (ou droits immobiliers), de telle sorte qu'il puisse choisir ceux du ou des droits immobiliers (immeuble, parts sociales, actions, etc.) sur lesquels il entend exercer cette faculté.
  • Les biens meubles, objets mobiliers et effets personnels se trouvant dans lesdits biens et droits immobiliers ou leur remploi, ainsi que les objets sur lesquels aucun droit de propriété ne serait justifié, quelles que soient leurs valeur et consistance.
  • Tous actifs monétaires et financiers détenus par les époux sur tout compte ou tout support financier.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des actifs monétaires ou financiers, de telle sorte qu'il puisse choisir ceux du ou des comptes (monétaires ou financiers) sur lesquels il entend exercer cette faculté.
  • Les véhicules automobiles appartenant à l'un et l'autre des époux qu'ils possèdent actuellement ou pourront posséder à l'avenir.
  • La valeur de rachat des contrats d'assurance-vie non dénoués au décès du premier des deux époux.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des contrats d'assurance-vie souscrits, de telle sorte qu'il puisse choisir ceux des contrats sur lesquels il entend exercer cette faculté.
  • La pleine propriété des bijoux, tableaux et objets d'art dépendant de la communauté.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des bijoux, tableaux et objets d'art, de telle sorte qu'il puisse choisir ceux du ou des bijoux, tableaux et objets d'art sur lesquels il entend exercer cette faculté.
  • Tous droits et titres sociaux détenus dans toutes sociétés civiles, libérales et/ou commerciales.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des droits et titres sociaux, de telle sorte qu'il puisse choisir ceux du ou des droits sociaux sur lesquels il entend exercer cette faculté.
  • Tous comptes courants d'associé détenus dans toutes sociétés civiles, libérales et/ou commerciales.Étant précisé que le bénéficiaire aura la faculté de faire jouer ou non le préciput pour chacun des comptes courants d'associé, de telle sorte qu'il puisse choisir ceux sur lesquels il entend exercer cette faculté.
ÉVALUATION DES BIENS
Les biens dont le bénéficiaire demandera le prélèvement, en application du présent préciput seront évalués à la date du partage, soit d'un commun accord entre les parties et, à défaut, à dires d'expert, désigné à l'amiable ou par le tribunal du lieu d'ouverture de la succession, à la requête de la partie la plus diligente.

Exercice du préciput

– Quand ? – La loi n'impose aucun délai. Néanmoins, afin de protéger les héritiers du de cujus, il est opportun de prévoir, conventionnellement, le délai dans lequel le conjoint survivant est enfermé pour exercer son préciput. Notamment, il convient de le limiter à un délai maximum de cinq mois puisque s'il dépasse celui de six mois et que le préciput est partiel, les héritiers réservataires seront en retard pour s'acquitter de leurs droits de succession.

Préciput en faveur du survivant des époux

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EXERCICE DU PRÉCIPUT (1/2)
DÉLAI D'EXERCICE
Le bénéficiaire qui voudra se prévaloir du présent préciput sera tenu, à peine de déchéance, de notifier aux héritiers du de cujus, dans le délai de cinq mois maximum à compter du jour du décès du prémourant, le détail des biens soumis à prélèvement.
– Comment ? – La modularité de cette convention de préciput réside, enfin, dans le fait que le conjoint survivant peut opter, à son choix exclusif, pour un démembrementde propriété. Il convient ensuite de prévoir les conditions relatives à une option éventuelle pour l'usufruit d'un ou plusieurs biens.

Préciput en faveur du survivant des époux

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EXERCICE DU PRÉCIPUT (2/2)
DÉMEMBREMENT DE PROPRIÉTÉ
Le choix exclusif du bénéficiaire, sur tout ou partie des biens listés ci-dessus, pourra s'effectuer, pour chaque type de biens, soit pour la totalité en pleine propriété, soit pour la totalité en usufruit.
En cas d'option pour un préciput en totalité en usufruit, il est ici conventionnellement précisé par les époux que, dans le cadre de la liquidation du régime de la communauté, la totalité en nue-propriété des biens correspondants reviendra, à titre de partage inégal de la communauté, en vertu des articles 1520, 1521 et 1525 du Code civil, à la succession de l'époux prédécédé.
CONDITIONS RELATIVES À L'USUFRUIT
Si le bénéficiaire opte pour un préciput en usufruit, il est convenu entre les époux ce qui suit :
1 – Inventaire
Par dérogation expresse aux dispositions de l'article 600 du Code civil, les époux se dispensent expressément et mutuellement de procéder à l'inventaire des meubles et à l'état des immeubles prescrits par ce texte.
2 – Cautionnement
Par dérogation expresse aux dispositions des articles 601 et suivants du Code civil, les époux se dispensent expressément et mutuellement de fournir caution et de faire emploi pour jouir de l'usufruit auquel ils pourraient avoir droit en vertu du présent contrat de mariage.
3 – Créance de quasi-usufruit
Si des sommes d'argent ou des créances monétaires sont comprises dans l'usufruit revenant au bénéficiaire, celui-ci pourra en disposer comme s'il en était seul propriétaire, conformément aux dispositions de l'article 587 du Code civil. En conséquence, le bénéficiaire usufruitier décidera seul de l'affectation de ces sommes.
Dans cette hypothèse, il sera constaté par acte notarié l'origine et le montant des sommes soumises au quasi-usufruit. Les modalités de la restitution au profit des nus-propriétaires seront fixées dans cet acte. À défaut de convention contraire, les dispositions de l'article 587 du Code civil seront appliquées.
4 – Portefeuille de valeurs mobilières
Un portefeuille de valeurs mobilières constituant une universalité de fait, l'usufruitier, bénéficiaire du préciput, est autorisé à arbitrer les titres le composant sans l'autorisation des nus-propriétaires. Toutefois, il doit en conserver la substance.
À cet égard, il est expressément stipulé que les époux entendent limiter l'obligation de conservation de la substance à cette seule obligation sans autre référence, notamment, à la nature des titres qui pourraient être modifiés par suite des remplois. Ainsi, si des titres de capitalisation sont compris dans le portefeuille, le bénéficiaire usufruitier aura le droit de les arbitrer au profit de titres de distribution.

La délivrance du préciput

– Le civil tient le fiscal en l'état. – Des dispositions civiles (A) et des analyses fiscales (B) doivent être prises en compte par le notaire dans le cadre de la délivrance du préciput. Celles-ci doivent impérativement être précisées aux parties lors de la régularisation de la convention de préciput susvisée.

Traitement civil de la clause de préciput : l'article 1516 du Code civil

– Négativement. – « Le préciput n'est point regardé comme une donation, soit quant au fond, soit quant à la forme… ». Ladite disposition permet d'écarter toutes les dispositions propres aux libéralités, tant pour les formalités des donations que pour leurs règles de fond.
Néanmoins, conformément à l'alinéa 2 de l'article 1527 du Code civil, en présence d'enfant(s) non commun(s) aux époux, cet avantage matrimonial que constitue la clause de préciput s'analysera en une libéralité préciputaire qu'il sera nécessaire de comprendre dans le calcul de la quotité disponible en application des dispositions de l'article 922 du même code.
– Positivement. – « … mais comme une convention de mariage et entre associés ». Ladite disposition permet d'appliquer toutes les dispositions propres aux conventions matrimoniales, et notamment la mutabilité juridiquement contrôlée des régimes matrimoniaux.
Surtout, ce « texte consacre formellement le préciput comme bénéfice particulier distribué à un associé. C'est bien en qualité de copartageant que le préciputaire opère le prélèvement autorisé. Opération de partage, le préciput est donc assujetti aux règles ordinaires de celui-ci (au moins pour l'effet déclaratif que la loi lui attache). (…) La nature du préciput suffit à situer l'opération de sa délivrance dans le déroulement du partage : lever de rideau dans la répartition des biens communs, l'autorisation de prélèvement préciputaire suppose nécessairement, pour se réaliser, la masse partageable formée. La délivrance effective du préciput ne peut donc intervenir, dans la suite des opérations de liquidation et de partage, qu'après la reprise des propres et le règlement des récompenses. Elle s'y insère tout de suite après, c'est-à-dire avant le partage lui-même ».
– Ingénierie notariale.

Préciput en faveur du survivant des époux

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DÉLIVRANCE DU PRÉCIPUT
Conformément aux dispositions de l'article 1516 du Code civil, ce préciput ne constituera pas une donation, mais une convention du mariage et entre associés.
Toutefois, en cas de présence d'enfant non commun, cet avantage s'analysera en une libéralité préciputaire qu'il sera nécessaire de comprendre dans le calcul de la quotité disponible en application des dispositions de l'article 922 du Code civil.
Il en résulte, enfin, que le bénéficiaire opère le prélèvement autorisé avant tout partage. La délivrance du préciput est une opération préalable au partage.

Traitement fiscal de la clause de préciput

– Silence de la loi. – L'analyse des principes fiscaux (I) nous permettra de les appliquer à la clause de préciput et d'en tirer les conclusions relatives à sa fiscalité (II).

Principes

– Absence de fiscalité pour les avantages matrimoniaux. – La jurisprudence a précisé le régime fiscal des avantages matrimoniaux en ces termes : « L'administration fiscale ne peut prétendre percevoir des droits de mutation par décès sur la part attribuée au conjoint survivant au titre des conventions matrimoniales ».
– Fiscalité du partage. – L'article 746 du Code général des impôts pose les conditions légales de l'exigibilité du droit de partage : un acte, une indivision, des attributions faisant cesser la même indivision.
En effet, l'imposition proportionnelle ne peut être exigée que si l'acte présenté à la formalité constitue un véritable partage, c'est-à-dire transforme le droit abstrait et général de chaque copartageant sur la masse commune en un droit de propriété exclusif sur les biens mis dans son lot.

Application : fiscalité de la clause de préciput

– Question. – L'exercice d'une clause de préciput, à l'occasion de la dissolution de la communauté, est-il soumis au droit de partage ?
– Réponse de l'administration fiscale. – Depuis plusieurs années, l'administration fiscale prétend de plus en plus souvent appliquer à l'exercice d'une clause de préciput le droit de partage.
Elle soutient que l'exercice d'une clause de préciput constitue un partage, voire une opération de partage, lesquels sont taxables sur le fondement de l'article 746 du Code général des impôts.
« Il semble que les premières notifications de redressement datent d'environ 24 mois et aient essaimé jusqu'à gagner progressivement les grandes métropoles et Paris. Il semble aussi que l'argumentaire avancé soit toujours à peu près le même : le prélèvement à titre de préciput aurait lieu avant le partage de la succession, mais non pas avant celui de la communauté qu'il contribuerait au contraire à réaliser en soustrayant les valeurs prélevées à l'indivision post communautaire, de sorte que la taxation s'imposerait ».
La doctrine continue de défendre que l'exercice de préciput, ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, ne constitue :
  • ni un partage de la communauté, en vertu de l'article 1515 du Code civil ;
  • ni une opération de partage taxable à ce titre par assimilation au partage.
Ce faisant, chacun campant sur ces positions, il revient au législateur de confirmer, aux termes d'un nouvel article du Code général des impôts, que l'exercice de la clause de préciput n'est soumis à aucune taxation.
– Réponse de la pratique notariale. – Il a toujours été entendu, d'une part, que la clause de préciput ne réalise pas une mutation à titre gratuit puisque le Code civil écarte la qualification de donation et, d'autre part, que sa nature de prélèvement avant partage du préciput écartait l'application du droit de partage.
– Réponse de la jurisprudence. – En matière d'application du droit de partage aux clauses de préciput, deux Tribunaux Judiciaires, celui de Niort et celui de Lille, viennent de rendre des décisions confirmant cette position doctrinale.
Aux termes de ces deux arrêts récents, S. Meignin souligne à quel point il faut espérer « que ces décisions permettront [à l'administration fiscale] de noter que la fiscalité applicable doit nécessairement tenir compte de la qualification civile de cette clause. Espérons donc que la vague des redressements sur le sujet va pouvoir retomber et que les conjoints survivants (et leurs notaires) pourront ainsi retrouver une certaine sérénité fiscale concernant les prélèvements réalisés ».