– Les contours de l'abus de droit. – Une nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit » (§ II) a été instituée récemment et doit être distinguée de l'abus de droit classique (§ I).
Les contours de l'abus de droit
Les contours de l'abus de droit
L'abus de droit classique. Rappels
– Définition de l'abus de droit. – Maurice Cozian avait défini l'abus de droit comme suit : « L'abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité. Il est un péché non contre la lettre, mais contre l'esprit de la loi. C'est enfin un péché de juriste ; l'abus de droit est une manipulation des mécanismes juridiques là où la loi laisse place à plusieurs voies pour obtenir un résultat ; l'abus de droit, c'est l'abus des choix juridiques ».
– Les deux éléments caractéristiques de l'abus de droit. – La démonstration d'un abus de droit nécessite la réunion de deux éléments :
- un élément objectif : l'utilisation d'un texte à l'encontre des intentions de son auteur ;
- un élément subjectif : la volonté d'éluder l'impôt.
– Les deux formes de l'abus de droit. – L'abus de droit fiscal classique est susceptible de prendre deux formes :
- la simulation juridique, qui suppose la création volontaire d'une contradiction entre l'apparence et la réalité, en vue de tromper les tiers (comme par exemple une donation déguisée en vente afin d'éluder une partie des droits de mutation) ;
- la fraude à la loi, qui renvoie au détournement de la finalité de la règle de droit (définie comme l'objectif poursuivi par le législateur), dans un but exclusivement fiscal (c'est-à-dire avec pour seul objectif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées si l'acte n'avait pas été réalisé), comme par exemple le recours à un montage juridique et économique artificiel).
La nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit »
Depuis le 1er janvier 2021, la nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit » de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales est applicable aux rectifications notifiées depuis cette date et portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Cette nouvelle procédure, instituée par la loi de finances pour 2019, permet à l'administration d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale qui aurait normalement dû être supportée si l'acte n'avait pas été passé ou réalisé. La notion de motif principal est, en tant que telle, plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales.
– Le mini-abus de droit limité à la fraude à la loi. – Le « mini-abus de droit » ne vise que l'une des deux hypothèses de l'abus de droit classique, à savoir l'abus de droit par fraude à la loi.
– Abus de droit et mini-abus de droit subsidiaire. – Le « mini-abus de droit » présente un caractère subsidiaire par rapport à l'abus de droit classique visé à l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales. Lorsque l'abus peut être caractérisé sur le fondement de l'abus de droit classique, la procédure du « mini-abus de droit » doit être écartée.
Pour appliquer la procédure de l'article L. 64 A précité, l'administration doit démontrer que l'acte litigieux a pour motif principal d'atténuer ou d'éluder les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles si ces actes n'avaient pas été réalisés. Cette condition illustre la distinction majeure entre les deux procédures d'abus de droit prévues par le Livre des procédures fiscales : alors que l'article L. 64 suppose la poursuite d'un but exclusivement fiscal pour retenir l'abus de droit classique, l'article L. 64 A postule la poursuite d'un but principalement fiscal pour caractériser le mini-abus de droit.
– Le mini-abus de droit ne concerne pas l'impôt sur les sociétés. – Les dispositions de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ne font pas obstacle à l'application de celles de l'article 205 A du Code général des impôts. Elles concernent par conséquent tous les impôts, à l'exception de l'impôt sur les sociétés dont les rectifications sont exclusivement régies par une clause générale anti-abus, codifiée à l'article 205 A précité.
– Conséquences de la qualification d'abus de droit fiscal. – La qualification d'abus de droit fiscal, au sens de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, emporte plusieurs sanctions :
- rehaussement des droits en principal : la qualification d'abus de droit emporte l'inopposabilité de l'acte litigieux à l'administration fiscale, qui est donc en droit de l'écarter pour rehausser les impôts éludés ;
- application de l'intérêt de retard et des pénalités de recouvrement .
– Les atténuations de la procédure de mini-abus de droit. – Deux tempéraments sont apportés à la procédure de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales :
- la possibilité de recourir au rescrit : les contribuables souhaitant sécuriser le traitement fiscal d'une opération peuvent, préalablement à la réalisation de ladite opération, consulter par écrit l'administration en lui fournissant tous les éléments utiles. L'absence de réponse dans un délai de six mois ou la confirmation que l'opération présentée ne constitue pas un abus de droit fait obstacle à tout rehaussement sur le fondement de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ; l'inconvénient étant bien sûr que cette procédure entraîne la révélation du montage prévu ;
- d'autre part, la compétence du Comité de l'abus de droit fiscal (CADF) est étendue à la procédure d'abus de droit de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales. L'administration précise à cet égard que le Comité est saisi et rend son avis dans les mêmes conditions que pour la procédure prévue à l'article L. 64 du même livre.