Le notaire et l'augmentation de capital par compensation de créances

Le notaire et l'augmentation de capital par compensation de créances

– L'augmentation de capital par compensation de créances. – L'article L. 225-128, alinéa 2 du Code de commerce énonce le principe que des actions peuvent être libérées par compensation avec des créances liquides et exigibles sur la société.
Or, au nombre des dispositions méconnues du Code de commerce en lien direct avec l'activité notariale, figure le deuxième alinéa de l'article L. 225-46 du Code de commerce, concernant les sociétés anonymes, ainsi rédigé : « Les libérations d'actions par compensation de créances liquides et exigibles sur la société sont constatées par un certificat du notaire ou du commissaire aux comptes de la société, ou, s'il n'en a pas été désigné, d'un commissaire aux comptes désigné à cet effet selon les modalités prévues aux articles L. 225-228 et L. 22-10-66. Ce certificat tient lieu de certificat du dépositaire ». On notera que ces dispositions sont transposables aux SAS par renvoi opéré par l'article L. 227-1 du Code de commerce.
Cette disposition est une scorie du dispositif antérieur à la loi no 83-1 du 3 janvier 1983, évoqué ci-dessus, qui voulait qu'une constitution ou une augmentation de capital fasse l'objet de l'établissement d'une déclaration de souscription et de versement de fonds dressée en la forme authentique.
Ce mode de financement, évoqué dans les développements qui précèdent (V. supra, no ), plus connu sous le nom de debt equity swap et s'inscrivant dans la dynamique de l'equity for, analysé de longue date comme étant comparable à un versement en numéraire, est pourtant devenu très à la mode, offrant une alternative à la levée de fonds classique. Il peut également, en période moins favorable, constituer un outil efficace de sauvegarde et de redressement de l'entreprise en difficulté.
– L'objectif poursuivi. – Une fois encore, l'objectif poursuivi par le législateur est de lutter contre la fraude et les augmentations de capital fictives.
En l'absence de commissaire aux comptes, au sein de structures de taille réduite, le notaire peut être sollicité.
Le législateur confère à nouveau, en la matière, un rôle préventif au notaire : l'établissement du certificat de libération des actions nouvelles par compensation de créances liquides et exigibles a pour objectif de garantir, sous la responsabilité de son auteur, que l'augmentation de capital est « une réalité matérielle et ne correspond pas seulement à une qualification juridique ».
– Différentes étapes. – La chronologie des opérations peut être résumée comme suit :
  • le conseil d'administration ou le président de la SAS convoque l'assemblée générale, cette dernière étant alors invitée à statuer sur le montant de la créance à compenser et à approuver le montant de l'augmentation de capital. Une délégation de pouvoirs peut également être consentie par l'assemblée générale en faveur du conseil d'administration ;
  • le conseil d'administration ou le directoire, selon la forme de la SA, ou encore le président de la SAS établit l'arrêté de compte ;
  • cet arrêté de compte doit être certifié par le commissaire aux comptes s'il en existe un, lequel rend un rapport. Il ne s'agit là ni d'un audit ni d'un examen limité. Cette vérification doit permettre de conclure que les créances dont il s'agit sont certaines dans leur existence et déterminées dans leur montant. En l'absence de commissaire aux comptes, on ne peut que recommander au notaire de s'en remettre à l'expert-comptable de la société ou à un cabinet d'audit indépendant pour l'assister dans le cadre de ses vérifications visant à établir le certificat de libération par compensation ;
  • les bulletins de souscription sont signés ;
  • les écritures comptables correspondant à la libération du capital à due concurrence sont passées ;
  • le certificat de compensation des créances est établi par le notaire ou le commissaire aux comptes de la société ;
  • enfin les statuts sont modifiés en conséquence et les mesures de publicité légale réalisées.
– Une mission peu commune. – Les difficultés liées à cet exercice tiennent aux vérifications relatives à l'organisation de l'augmentation de capital, d'une part, et à celles relatives aux créances à compenser, d'autre part.
– Les vérifications relatives à l'organisation de l'augmentation de capital. – Le notaire doit s'assurer que la situation financière de la société autorise cette modalité de libération et vérifier les conditions dans lesquelles cette libération va s'opérer.
Le notaire doit s'assurer du respect des dispositions du Code de commerce trouvant à s'appliquer aux augmentations de capital en numéraire.
Pour qu'il puisse y avoir émission d'actions nouvelles en numéraire, cela suppose que le capital existant ait été entièrement libéré et, lorsque l'augmentation est réalisée avec offre au public, que la société ait procédé à une vérification de son actif, de son passif et des éventuels avantages particuliers consentis.
Sur ces aspects comptables, il sera prudent que le notaire puisse obtenir une attestation émanant de l'expert-comptable de la société et une attestation sur l'honneur du représentant légal de la structure.
Par ailleurs, le notaire doit s'assurer que la société n'est pas en cessation des paiements, qu'elle ne risque pas de l'être à très court terme et a fortiori qu'elle ne fait pas l'objet d'une procédure collective au jour de l'augmentation de capital.
On notera qu'il est possible de réaliser une augmentation de capital par compensation de créances bien que le montant des capitaux propres de la société soit inférieur à la moitié du capital social, mais que, en revanche, une cessation des paiements ou l'ouverture d'une procédure collective, par exemple, perturbe l'exigibilité des créances.
La perspective de l'ouverture d'une période suspecte présente un risque majeur pour le souscripteur. Comme le fait observer Renaud Mortier, « il suffirait (…) que dans les dix-huit mois suivant la compensation, la société vienne à faire l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et que la date de cessation des paiements soit fixée à une date antérieure à l'augmentation. Le mandataire judiciaire pourrait alors contester non pas l'augmentation elle-même mais sa libération par compensation, de sorte à obliger le créancier souscripteur à libérer par versement de somme d'argent ».
Le notaire remplira son devoir de conseil auprès du souscripteur.
Ses vérifications porteront également sur la teneur des projets de résolution et des procès-verbaux des délibérations soumises au vote des organes sociaux, les associés ayant toujours la faculté, tout en décidant de procéder à une augmentation de capital en numéraire, d'exclure cette modalité de libération des actions.
Avant d'établir le certificat requis, le notaire devra également vérifier l'existence et la réalité de chaque bulletin de souscription mentionnant l'intention du souscripteur de libérer ses actions par compensation avec la créance qu'il détient à l'encontre de la société et la passation de l'écriture comptable constatant la compensation et la libération des actions.
– Les vérifications relatives aux créances à compenser. – La compensation légale nécessite que soient réunis cinq paramètres : les créances doivent être réciproques, fongibles, certaines, liquides et exigibles.
Si la réciprocité, la fongibilité et le caractère certain des créances en cause n'appellent pas grand commentaire, leur caractère liquide et exigible peut alimenter un certain nombre de questions.
A priori, il peut s'agir de tout type de créance, d'un compte courant d'associé ou encore d'une créance détenue par un fournisseur ou par tout autre tiers sur la société.
Qu'en est-il du solde créditeur d'un compte courant d'associé ?
La Cour de cassation a, à maintes reprises, affirmé qu'un compte courant d'associé était remboursable à tout moment. Ce principe souffre, toutefois, quelques exceptions. Une convention de blocage peut avoir été conclue ou un délai de préavis peut avoir été fixé.
Plus généralement, l'exigibilité des créances sera appréciée après un examen attentif des contrats les ayant générées, liant le créancier, futur actionnaire, à la société.
Qu'en est-il du montant des créances ?
Seules les créances liquides et exigibles dont le montant est au moins égal à la fraction du prix d'émission des actions devant être libérée par compensation peuvent être prisesen compte. En cas de montant supérieur, le souscripteur restera créancier de la société à concurrence du surplus.
En cas de créances détenues par le souscripteur sur la société d'un montant moindre que le prix d'émission des actions, rien ne semble faire obstacle à une libération mixte, pour partie par compensation, pour le solde en numéraire, ce qui donnerait lieu à l'établissement de deux certificats par le notaire, un certificat de libération par compensation et un certificat en qualité de dépositaire.
En cas de créances en devises étrangères, il conviendra de les convertir en euros en appliquant le taux de conversion en vigueur au jour de l'augmentation de capital.
Plusieurs créanciers peuvent être concernés. Il conviendra alors d'établir soit un arrêté de compte par créancier, soit un arrêté de compte global mentionnant les montants arrêtés par chaque créancier. En revanche ne seront établis qu'un seul rapport et un seul certificat.
Aucune écriture comptable, qui aurait pour impact d'altérer la consistance de la créance ou sa liquidité, ne devra être passée postérieurement à l'arrêté de compte. La date de l'arrêté de compte correspond à la date à laquelle s'est réuni le conseil d'administration ou la date mentionnée sur le bulletin de souscription.
– Le certificat de libération par compensation des créances. – L'établissement de ce certificat emportera certification de l'extinction de la dette de libération et certification de la libération, en elle-même, des actions. Il ne s'agit pas d'une simple constatation.
Contrairement à ce que nous avons vu précédemment au sujet du certificat du dépositaire en cas de versement en numéraire à l'occasion de la constitution d'une société, il ne s'agit pas pour le notaire d'attester d'un fait matériel mais bien d'engager sa responsabilité sur la licéité d'une situation juridique.
La fonction du certificat de libération par compensation de créances est de garantir la licéité de la compensation entre la créance détenue par le souscripteur à l'encontre de la société et la créance détenue par la société à son encontre au titre de la libération de nouvelles actions.
– Les sanctions en cas de manquement. – Les sanctions sont lourdes dans la mesure où ce certificat entérine définitivement l'augmentation de capital. S'agissant d'une étape essentielle, il n'est pas certain qu'une régularisation a posteriori, en cas de manquement, soit possible.
Le manquement peut résulter d'une absence de certificat ou d'un certificat qui serait vicié quant au fond ou encore à la forme.
– L'absence de certificat. – La portée de ce document est probatoire à la faveur de la société.
L'augmentation de capital est, en effet, réputée réalisée à la date à laquelle le certificat est établi dans toutes les sociétés par actions qui n'ont pas recours à l'offre au public ou encore à l'offre visée à l'article L. 411-2, II du Code monétaire et financier. En l'absence de certificat, la décision d'augmenter le capital social peut être annulée. On notera que le délai de prescription de cette action est original : « l'action en nullité fondée sur l'article L. 225-149-3 [du Code de commerce] se prescrit par trois mois à compter de la date de l'assemblée générale suivant la décision d'augmentation de capital ».
Ce certificat emporte création d'actions. Sans certificat, il ne peut y avoir ni existence juridique de ces titres, ni cession faute d'objet.
Mais ce certificat est également un moyen de preuve pour le souscripteur devenu actionnaire.
C'est, en effet, à la date d'établissement du certificat que doit être annoté le registre des mouvements de titres afin que le souscripteur puisse bénéficier de toutes les prérogatives attachées à la qualité d'actionnaire au titre des actions nouvellement émises. Un argument de plus qui milite en faveur de la tenue de ce registre par le notaire.
La sanction prévue à l'article L. 225-150 du Code de commerce peut avoir des répercussions désastreuses, tant pour le souscripteur que pour les autres actionnaires, la société et les tiers : « Les droits de vote et les droits à dividende des actions ou coupures d'actions émises en violation de la présente sous-section sont suspendus jusqu'à régularisation de la situation. Tout vote émis ou tout versement de dividende effectué pendant la suspension est nul ».
On imagine sans peine l'ampleur du préjudice causé à tous par l'annulation de décisions collectives ou encore une demande en restitution des dividendes versés.
En l'absence de certificat et en cas de procédure collective, le liquidateur pourrait exiger du souscripteur, dépourvu de document attestant qu'il s'est acquitté de sa dette, le montant de la libération des actions souscrites.
La date apposée sur ce certificat ayant de telles répercussions, son établissement suivant acte authentique peut, là encore, présenter un réel intérêt.
– Les sanctions attachées à un certificat irrégulier. – Tout comme en l'absence de certificat, un certificat qui présenterait une défectuosité pourrait causer l'annulation de la décision collective visant à procéder à l'augmentation de capital, le délai de prescription de l'action en nullité étant le même, et il exposerait le souscripteur, les autres actionnaires, la société et les tiers à la sanction prévue à l'article L. 225-150 du Code de commerce rappelée ci-dessus.
– Les difficultés tenant à la détermination du professionnel ayant qualité pour établir ce certificat dans les sociétés dépourvues de commissaire aux comptes. – Pour ces sociétés, le recours à un notaire est-il obligatoire ou est-il possible de s'en remettre à un commissaire aux comptes ad hoc ?
Le comité juridique de l'Association nationale des sociétés par actions (Ansa) a changé de position en 2017. Jusqu'à cette date, il partageait l'avis du comité juridique de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et considérait qu'en l'absence de commissaire aux comptes attaché à la structure, le recours à un notaire était obligatoire. Depuis le 8 novembre 2017, l'Ansa considère qu'en pareil cas, la désignation d'un commissaire aux comptes ad hoc, aux seules fins d'établissement de ce certificat, est possible, position contestée vigoureusement par Renaud Mortier et Sylvie de Vendeuil.
Eu égard à l'ampleur des sanctions encourues en cas de contestation, il paraît beaucoup plus prudent de s'en remettre à un notaire.
La CNCC n'a, pour sa part, pas modifié sa position, ce qui devrait en toute logique conduire les commissaires aux comptes à décliner toute mission ponctuelle visant à établir un certificat de libération par compensation.
– Des exceptions. – Quelques cas de figure dérogeant à la procédure exposée ci-dessus méritent d'être mentionnés :
  • en présence d'une SARL, aucun rapport n'est exigé. Seul un certificat est requis ;
  • en cas de capital social partiellement libéré à l'occasion de la constitution de la société, et de libération postérieure du surplus par compensation, aucun rapport ni aucun certificat n'est requis ;
  • enfin, en cas d'émission de valeurs mobilières donnant accès au capital au moyen d'un mécanisme de compensation de créances de type OCA, ORA, Obsa, aucun rapport ni aucun certificat n'est requis.